Abir Moussi est une femme de caractère, le verbe haut et la voix qui porte, elle n’a peur de rien, même pas du ridicule. Elle peut endosser le costume de leader dans une manifestation en voiture, toit ouvert, saluant, non pas les foules en période de confinement, mais la caméra. Comme elle peut surgir dans l’hémicycle en tenue de cosmonaute «contre d’éventuelles agressions» ! Elle se dit menacée. Une partie de plus en plus importante des Tunisiens la soutiennent et la défendent même quand «elle en fait trop» ! Elle s’envole dans les sondages et reste campée sur ses positions sans compromis sur ses principes. Pour La Presse, Abir Moussi, la femme terrible de la politique, dévoile son programme, ses motivations et qui elle est.
Vous êtes la favorite des sondages d’opinion aux élections
législatives. Une tendance qui se confirme depuis des mois. Que vous inspirent
ces chiffres ?
Les sondages représentent une source parmi d’autres pour
l’évaluation de notre travail. Ce qui ne nous empêche pas d’étudier de près les
analyses faites à lumière de ces sondages et mesurer leur degré de conformité
avec les données dont nous disposons. J’ajouterais que les derniers sondages
confirment une tendance positive en effet. Les Tunisiens semblent comprendre et
approuver notre ligne politique. Nous n’avons pas trahi nos engagements
électoraux. Le contact direct et permanent avec les Tunisiens a commencé à
porter ses fruits.
Pour ce qui est de la présidentielle, en revanche, vous êtes
toujours très loin derrière Kaïs Saïed…
D’abord, le patriarcat est encore prédominant en politique.
Certaines parties seraient en train de l’alimenter. Si on laissait les chiffres
de côté, les analyses déroulées sur les tribunes médiatiques attestent la
volonté de maintenir la prédominance masculine à l’élection présidentielle.
Paradoxalement, ce blocage n’est pas perceptible sur le terrain y compris dans
les régions intérieures du Nord au Sud du pays. Les Tunisiens sont prêts à voir
une femme à la tête du pays. Les électeurs supportant la candidature d’une
femme ne changeraient pas d’avis parce qu’elle est femme. Ce préjugé se nourrit
d’un problème personnel avec Abir Moussi. Si une autre candidate se présentait,
les acteurs politiques et autres observateurs changeraient d’avis peut-être.
Le paysage actuel est marqué par le chaos, les luttes intestines,
la crise sanitaire, économique, le discrédit qui frappe collectivement la
classe dirigeante. Où se situe Abir Moussi ?
Dans l’opposition. Si le système politique était démocratique, la
configuration classique avec une majorité qui gouverne et une opposition
qui joue son rôle de contre-pouvoir, aurait été la règle. Or, l’ensemble du
régime est miné par les différents consensus opportunistes sans cesse
convoqués. La formation qui obtient la majorité par les urnes refuse de
gouverner seule. Des coalitions se font et se défont au gré des conjonctures.
Des manœuvres en vue de diluer les responsabilités. Résultat, personne n’est
comptable de ses actions devant les électeurs et les Tunisiens d’une manière
générale. Pour ma part, je me positionne dans une opposition effective et
active.
L’opposition parlementaire n’est-elle pas représentée par
plusieurs blocs à l’hémicycle ?
Je suis dans l’opposition totale. Je m’oppose à la gestion du
pays, au fonctionnement de l’Assemblée, aux consensus falsifiés, aux choix
économiques et à la politique sociale. C’est une opposition de principe qui
n’obéira jamais aux conjonctures pour s’adapter. Contrairement à ce que l’on
constate aujourd’hui. Cela ne se traduit pas évidemment par un rejet
systématique des textes de loi. Le projet relatif au crédit Covax a été
approuvé par notre bloc. A l’opposé, quelle que soit l’initiative que nous
présentons, celle-ci est invariablement rejetée parce que proposée par le PDL.
Comment qualifieriez-vous le régime politique actuel ?
Nous sommes en train de vivre sous la dictature des islamistes.
L’ambiance à l’Assemblée n’est qu’un avant-goût de ce qui adviendrait de la
Tunisie, si ceux-là prenaient totalement le pouvoir. Domination des milices et
violence systémique envers tous ceux qui s’opposent à eux, seront les règles.
Les femmes sont les premières victimes. Je le sais, parce que je le subis. Ils
veulent m’imposer silence de force. Femmes, nous sommes harcelées, méprisées,
ramenées à notre apparence physique. Ils ont des méthodes vicieuses pour
s’opposer aux femmes politiques. Ils cultivent un mépris viscéral à l’endroit
des femmes qui ont de la personnalité et qui s’imposent. Je suis régulièrement
victime de violence physique et verbale dans l’enceinte même d’une institution
souveraine, l’Assemblée.
On vous reproche de paralyser les travaux parlementaires…
Je paralyse les projets destructeurs qu’ils sont en train de faire
passer. Si les forces progressistes réagissaient à chaque fois que les
islamistes fomentaient des projets allant à l’encontre de l’intérêt du pays, je
n’agirais pas ainsi. Par leur passivité, ils participent à maintenir les
islamistes au pouvoir et à tromper les Tunisiens. Je me suis retrouvée à lutter seule. Ne disposant que de 16 sièges, juridiquement, je n’ai pas de voix
suffisantes pour empêcher un vote. Donc, je passe à l’action. Les forces dites
démocrates, même si elles critiquent, refusent en réalité de s’opposer
frontalement aux islamistes. Je n’ai d’autres options que de protester comme je
le fais.
Si vous étiez à la tête du pays, quelles seraient les réformes les
plus urgentes à entreprendre ?
Imposer le respect de la loi. Mettre en place des canaux de
communication directe avec les Tunisiens. Expliquer les choix faits, les
objectifs posés, comment les atteindre et quand. A la lumière des analyses proposées par les experts et moyennant
une volonté politique inébranlable, nous prendrons les décisions. Nous
donnerons carte blanche à la mise en œuvre des réformes économiques, à la lutte
contre le terrorisme. Et, pour finir, il faudra instaurer le principe de
redevabilité. Les responsables doivent rendre des comptes aux Tunisiens. Ne pas
lancer des promesses en l’air, comme d’annoncer l’ouverture des cliniques aux
malades du Covid, sans avoir au préalable négocié avec les parties concernées.
Résultat, les Tunisiens ont appris à leurs dépens que c’est un scandaleux
mensonge. Nous devons réhabiliter également les stratégies de planification par
le truchement de plans de développement à court, moyen et long termes. Ceci est
vrai pour chaque secteur d’activité. Un autre volet sera notre cheval de bataille :
la diplomatie économique, décisive pour un pays comme la Tunisie. Pourquoi
n’avons-nous pas pu ramener suffisamment de vaccins ? Dans les trois
institutions qui gouvernent, les vrais négociateurs ne sont pas légion. Il
fallait faire du lobbying et activer les réseaux des amis de la Tunisie partout
dans le monde. Faute de quoi, nous le constatons, la Tunisie est très en retard
en matière de campagne vaccinale. Un exemple parmi d’autres.
Le parti Ennahdha et son président font l’objet d’un rejet réel
d’une partie de la population, du moins c’est ce que révèlent les sondages de
manière constante. N’y a-t-il pas de leur part des tentatives de mettre le pays
sur les rails, comme de se rattraper ?
Rached Ghannouchi est soutenu par les opportunistes. Nous l’avons
percé à jour, dévoilé son incapacité à diriger même une séance plénière. Mais
nous n’avons pas été soutenus, par pur calcul politique. Même ceux qui se
prétendent contre lui et souhaitent le déloger du perchoir, ont refusé d’adhérer
à notre initiative (motion de défiance, ndlr). Quoi qu’ils déclarent sur les
tribunes médiatiques, Ghannouchi représente une solide couverture et un soutien
de taille. Or, les islamistes et leurs alliés déclarés ou cachés sont en train
d’imposer aux Tunisiens quelque chose qu’ils rejettent désormais. Aujourd’hui,
les Tunisiens ne veulent plus des islamistes à la tête du pays et le font
savoir. Les islamistes en sont conscients et tentent de se trouver une issue.
Le seul moyen qu’ils ont trouvé, c’est de se débarrasser de moi. Je suis, avec
le Parti destourien libre, un obstacle sérieux qui les gêne pour mettre en
place leurs projets destructeurs.
Vous accaparez le temps de parole en laissant rarement les députés
de votre bloc intervenir. Sur cette base, on a fait ressortir un trait de
caractère qui peut augurer de dérives dangereuses plus tard…
Notre présence à l’Assemblée ne fait pas office d’un faire-valoir
politique. Nous sommes présents à l’hémicycle pour dévoiler notre programme et
faire parvenir les messages essentiels aux Tunisiens. De ce fait, la tribune
parlementaire est très importante pour nous. Les Tunisiens ne peuvent
réellement saisir l’essence et la portée de notre projet qu’à travers
l’Assemblée. Nous avons pu exposer quelques grandes lignes de notre programme
économique. Nous avons signé un partenariat avec le centre d’étude Hédi-Nouira.
Nous sommes passés à une deuxième étape plus concrète, avec les experts qui
vont traduire ce programme en plans d’action. Pour ce qui est des interventions
parlementaires, nous disposons d’un temps de parole limité. Nous faisons
une intervention cadre dans les séances à fort enjeu politique. Le leader
s’exprime au nom du parti, moi-même, en l’occurrence. Le temps restant est
dispatché à égalité entre les députés qui souhaitent intervenir. Sinon, en
temps normal, les élus du bloc prennent la parole dans la limite du temps
imparti. Je tiens à dire que le fonctionnement du bloc parlementaire autant que
celui du parti politique est démocratique. Nous sommes disciplinés et
solidaires au service d’une cause. Toutes les tentatives de déstabilisation et
de noyautage demeurent vaines.
Vous vous revendiquez de Bourguiba qui était un réformateur
moderniste, mais non un démocrate. Etes-vous une démocrate convaincue, attachée
aux valeurs citoyennes et à l’Etat de droit ?
L’Etat de 56 avait ses priorités. Je ne peux juger Bourguiba avec
le regard d’aujourd’hui. Il fallait construire un Etat national. C’était son
projet, il n’avait pas, il est vrai, accordé la priorité aux droits politiques.
Les Tunisiens ont changé depuis. Le peuple d’aujourd’hui n’est pas celui de 1956
ni même celui de 2010. Mais Bourguiba avait une qualité que moi, Abir Moussi,
prends comme référence ; le fait de se sacrifier soi-même pour servir la
patrie. Il avait le courage et le dévouement et avait travaillé dur pour faire
de la Tunisie en quelques années seulement après l’indépendance une nation
respectée. Il était lui-même célébré en tant que grand leader, pour ses
nombreuses qualités et pour l’Etat qu’il a édifié. C’est ce qui m’inspire. Le
jour où on aura le pouvoir, la Tunisie ne sera plus ce butin qu’on partage,
comme c’est le cas depuis 2011. Ne seront nommés aux postes de commandement que
ceux qui brillent par leur charisme, leurs compétences, disposent d’un carnet
d’adresses bien fourni, savent négocier et défendre les intérêts de la Tunisie
et des Tunisiens.
Qu’est-ce qui manque aux responsables actuels ? La
compétence ? Ou bien ils n’ont pas suffisamment de marge de
manœuvre pour agir ?
D’abord, la volonté politique leur fait défaut. Ensuite, les
responsables sont nommés sur le principe de la loyauté, non sur la base de la
compétence. Ne sont nommés aux postes clés que les gens dociles. Les islamistes
ont mis le pays à genoux par ces nominations et par d’autres stratagèmes, ensuite
ont fait appel aux donateurs qui dictent désormais leurs règles. La
souveraineté du pays est négociée sur la place publique.
Que proposez-vous pour sortir de la crise actuelle ? Des élections
anticipées?
Nous ne sommes pas en train de pousser vers l’organisation
d’élections anticipées. Mais si elles se tenaient, nous serons prêts. Les
Tunisiens semblent avoir compris que l’ensemble du système est biaisé. De la
constitution au code électoral, aux lois des partis, tout est fait pour paralyser le pays et ses institutions. Les tentatives de réformes
ne sont ni sérieuses ni profondes. Et je garde toujours espoir dans les forces
progressistes pour s’affranchir du carcan dominant. Je considère qu’il ne peut
y avoir le moindre projet de réforme sans une rupture totale avec les
islamistes. C’est le premier pas vers la reconstruction.
Mais pour remédier à cette situation, plusieurs options se
présentent : êtes-vous favorable aux amendements du code électoral ?
La plus importante réforme à mes yeux, est l’amendement de la loi
des partis. Plusieurs clauses de cette loi organique devraient être revues pour
réduire sinon mettre un frein à plusieurs dérives qui brouillent les cartes et
déstabilisent l’échiquier politique. Nous devons réhabiliter le concept de
l’identité politique. Un parlementaire indépendant peut s’avérer affilié en
cachette à une formation politique. Un autre élu peut migrer d’un bloc à
l’autre selon les intérêts, ou parce qu’il a fait l’objet de chantage ou a été
soudoyé. On ne sait plus dans ce paysage fluctuant et agité, quels sont les
positionnements des uns et des autres.
Et vous-même, vous considérez-vous comme la représentante des
progressistes ?
Je ne prétends représenter personne. Je suis progressiste. Mon
parti l’est également. Les acquis sociétaux modernistes dont peut se prévaloir
la Tunisie aujourd’hui, sont l’œuvre des destouriens qui sont progressistes par
définition.
Si vous êtes progressiste, pourquoi vous prête-t-on le rejet du
texte de loi qui consacre l’égalité successorale ?
Les questions sociétales doivent être traitées dans la transparence
et discutées à grande échelle. Il faut engager un grand débat.
Les grandes évolutions des sociétés se font généralement par le
fait d’un homme ou d’une femme. Si Bourguiba avait écouté son entourage, il
n’aurait jamais aboli la polygamie, ni promulgué le Code du statut personnel…
Le peuple de 2021 n’est pas celui de 1956. Bourguiba avait
instauré les bases pour favoriser l’émergence d’un modèle de société
moderniste. Aujourd’hui, nous récoltons les fruits de ses choix. Cette question
sociétale importante qu’est l’égalité successorale n’a pas fait l’objet de
consultations. Nous n’avons jamais été consultés ni impliqués nous-mêmes. Ce
texte de loi se limite au simple effet d’annonce. Et voilà pourquoi : si
on laisse au père la possibilité de choisir entre le régime A; partager à
égalité l’héritage entre les filles et les garçons et le régime B ; les
héritiers mâles ont deux parts quand les filles reçoivent une seule, nous
aurons créé de fait une discrimination entre les femmes héritières elles-mêmes.
Celles nées dans des milieux modernes et progressistes bénéficieraient de
l’égalité avec leurs frères. Pour les autres, c’est le statu quo. De plus,
celles-ci n’apprennent du choix fait pas leur père qu’après son décès. On ne
peut appeler cela une loi ! Une loi par définition doit instaurer
l’égalité entre les citoyens. Ce projet de loi porte les germes de l’inégalité.
C’est un travail bâclé, concocté dans la précipitation pour des raisons
politico-électoralistes. Il tend à mettre en place deux justices ; une
séculaire et une autre qui prend pour référence le texte religieux. Sans le
vouloir, je dois dire, hélas, certains modernistes offrent des cadeaux aux
islamistes. A cause de cela, j’ai été victime d’une cabale à l’élection présidentielle 2019,
pour avoir été présentée comme l’ennemie des femmes. Malgré tout, j’ai obtenu
135 mille voix. C’est une première en Tunisie qu’une femme récolte près de 5%
du scrutin présidentiel. J’étais dans le top 10. Un succès passé sous silence.
Vous vous revendiquez comme héritière de Bourguiba en faisant
l’impasse du long mandat de Ben Ali qui a duré plus de deux décennies. Quelle
est votre démarche historico-politique ?
L’histoire est un tout, on ne peut la fractionner. On prend
possession d’un héritage avec les actifs et les passifs, les dettes. Le Parti
destourien libre est l’héritier du mouvement destourien. Nous adhérons à la
phase Thaâlabi, depuis 1920, tout comme à l’époque Ben Ali avec ses avantages
et ses méfaits et bien entendu à celle de Bourguiba. Ce qu’il faudra retenir,
en revanche, c’est la longévité du parti du Destour sous ses différentes
dénominations. Un siècle dominé par le mouvement destourien. Un siècle ponctué
de tournants historiques décisifs dont l’indépendance et l’édification de
l’Etat national.
N’avez-vous pas occupé des postes dans l’appareil d’Etat du
système Ben Ali ?
Pendant une année j’avais été secrétaire générale adjointe chargée
de la femme au sein du parti (Rassemblent constitutionnel démocratique, ndlr).
Ai-je été ministre de l’Intérieur et participé ou ordonné l’oppression des
opposants ? Ai-je été ministre du Commerce et profité de
commissions occultes ? Ai-je été conseillère de Ben Ali ? Je n’avais
aucun poids dans l’exécutif. Au sein du parti (Ettajamô) où j’ai passé
dix ans, je n’avais aucune responsabilité, outre l’année chargée de la femme.
On organisait des séminaires, des visites de terrain et discussions de sujets
divers dans le cadre de comités de réflexion. Donc, notre Parti destourien
libre est l’héritier du mouvement destourien depuis 1920 jusqu’à nos jours.
Notre rôle aujourd’hui est d’évaluer ses réalisations et de limiter l’impact
des erreurs commises par le passé, en construisant avec le concours des experts
un modèle de développement viable.
Pour engager des réformes, il faut un Etat fort et une discipline
citoyenne. Dans la crise sanitaire, le gouvernement a décrété des couvre-feux
qui n’ont même pas été respectés. L’exécutif a été désavoué par le Président de
la République lui-même, sans parler de la désobéissance civile. Comment comptez-vous
faire ?
Nous faisons les frais d’une mauvaise compréhension de la
démocratie. La démocratie n’est pas synonyme d’anarchie. Enfreindre la loi,
s’opposer à l’Etat ne sont pas les attributs de la démocratie, au contraire.
Or, lorsque j’appelle au respect des institutions et à l’application de la loi,
je suis taxée de dictateur. Nous avons une classe politique qui ne maîtrise pas
la vulgarisation des concepts ni la communication politique. Cela aboutit au
désordre actuel que les responsables veulent vendre comme une saine
manifestation de la démocratie.
Lorsqu’il s’est rendu au mausolée de Bourguiba début avril, le
Président Kaïs Saïed s’est positionné, lui aussi, comme un continuateur de
l’œuvre de Bourguiba et de l’Etat social. Il a un peu envahi votre propre
positionnement. Est-ce un concurrent pour vous ?
Bourguiba n’est pas un fonds de commerce. C’est l’essence même de
notre action. Notre lien avec Bourguiba est organique. Celui qui se réclame de
Bourguiba, libre à lui, encore faut-il respecter les fondamentaux du
bourguibisme. Mon grand-père était destourien. Mon père est destourien. Nous
sommes encartés destouriens de génération en génération. Nous sommes les
héritiers naturels du Destour. Ce n’est pas une affaire de positionnement,
c’est notre identité profonde. De plus, les Tunisiens ne jugent plus les
acteurs politiques sur leur positionnement politique mais sur les actes. « Que
faire pour contrer l’islam politique ? » Une question que les Tunisiens se
posent et posent aux dirigeants politiques et qui fait office désormais de
marqueur politique. Les Tunisiens attendent des actions concrètes.
Le Président de la République est contre l’islam politique. La
lutte qui l’oppose au président de l’Assemblée n’est-elle pas profonde et
frontale ?
Le président a été élu y compris avec les voix des islamistes.
Rached Ghannouchi a ouvertement appelé ses partisans à voter Kaïs Saïed. C’est
la raison pour laquelle nous avons refusé de le rencontrer après son
investiture. La dispute entre les deux hommes est personnelle et sur les
attributions. Pourquoi le président n’ouvre-t-il pas les dossiers au lieu de lancer
des accusations à tour de bras et d’aller se recueillir au mont chaâmbi
ensuite ? Les Tunisiens n’acceptent plus de voir leurs fils rentrer dans des
boîtes. Ça c’est une réalité qui touche la population. Or, nous ne voyons pas
d’actions concrètes ni contre les nébuleuses terroristes ni contre les intérêts
des islamistes. Pourtant, il y a à faire. Pendant ce temps, le Président
écrit patiemment ses courriers avec une plume à l’ère de l’intelligence
artificielle. Les islamistes sont financés par les réseaux associatifs qu’ils
ont mis en place. C’est par cet argent qu’ils financent leurs élections et
soudoient les gens. Il faut assécher leurs sources de financement. En tant que
président du Conseil de sécurité, le président de la République aurait pu lancer
plusieurs initiatives législatives pour assécher cette manne. Ghannouchi
devient intraitable lorsqu’on s’attaque à l’Union de Qaradawi (l’Union
internationale des savants musulmans présidée par le théologien et prédicateur
Youssef el Qaradawi, ndlr), le principal pourvoyeur de fonds. Sans parler des
associations aux financements occultes (Marhama et Ighatha) qui officient en
toute impunité. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Avez-vous des appuis à l’étranger qui vous soutiennent
financièrement ?
D’abord nous passons au peigne fin les identités des donateurs, y
compris tunisiens. Sinon le rapport de la Cour des comptes publié récemment, est
en notre faveur. Nous n’avons jamais reçu de financements étrangers. C’est
écrit noir sur blanc. De plus, nous ne voulons être redevables à personne, à
aucune partie. Celui qui donne de l’argent dictera ses règles plus tard. Quand
on tend la main aux étrangers, c’est un assujettissement de la souveraineté
nationale. Le jour où je serai à la tête du pays, je veux avoir la tête haute
pour défendre les intérêts de la Tunisie. Je prends en compte les relations que
la Tunisie entretient avec ses partenaires historiques et amis. Mais en
Tunisie, ce sont les Tunisiens qui décident. La Tunisie est libre et souveraine.
Quelle est votre position à l’égard de l’UGTT ?
Historiquement, la centrale syndicale est partenaire du parti
destourien dans la lutte pour l’indépendance et la construction de l’Etat.
Farhat Hached était destourien. Nous souhaitons que l’UGTT reste fidèle à son
image et à son rôle initial. Une organisation syndicale, nationale et
historique. On ne voudrait pas la voir tenter d’allonger la vie d’un régime
moribond qui a montré ses limites et ses travers. L’ UGTT ne doit pas être un
instrument entre les mains d’aucune partie et encore moins des islamistes. Le
dialogue national prôné par l’UGTT, nous l’avons donc perçu comme une tentative
de recyclage d’un système qui a signé son arrêt de mort. Comment engage-t-on un
dialogue national avec ceux qui ont détruit sciemment l’économie nationale et
les entreprises publiques ?
Les Tunisiens sont fatigués et déçus, où comptez-vous tirer votre
force, votre légitimité pour entreprendre un nouveau grand projet pour le pays ?
Du peuple. Je n’ai jamais perdu confiance dans les Tunisiens.
Malgré les coups reçus, malgré toutes les déceptions, les Tunisiens restent
attachés à leur pays et se lèvent comme un seul homme quand la Tunisie est en
danger. Mon rôle en tant que dirigeante politique est de raviver la flamme
patriotique, la fierté d’appartenir à une nation. Les Tunisiens sont mes alliés
et mon vis-à-vis et la seule partie à qui je dois rendre des comptes.
Qui est Abir Moussi ?
Je suis un produit pur de l’Etat national. Je suis issue de la
classe moyenne. Mon père était fonctionnaire de la Sûreté nationale, ma mère
était enseignante. Je suis épouse et mère de deux filles. J’ai bénéficié de
l’enseignement public. Je suis reconnaissante à la Tunisie. A ce propos, je
voudrais ouvrir une parenthèse, lorsque j’ai défendu au Tribunal la dissolution
du RCD, le 2 mars 2011, je l’ai fait par reconnaissance à la Tunisie. Je
refusais de voir l’héritier du parti du Destour qui a libéré la Tunisie et
édifié l’Etat national faire l’objet d’un procès partial. Je suis avocate.
Alors que dans certains pays, les femmes n’ont pas le droit d’exercer ce
métier. J’ai donc décidé de tout affronter. Mes filles étaient en bas âge et
j’étais seule. Je l’ai fait et ne regrette rien aujourd’hui. Maintenant,
je ne compte pas faire un copier-coller du passé. Je veux voir une Tunisie
prospère, souveraine et respectée. Cette fierté nationale perdue, je veux qu’on
la retrouve. En ce moment, sur les papiers la Tunisie est indépendante. Dans
les faits, c’est un pays mendiant qui vit sous perfusion. Un Etat noyauté,
instrumentalisé. Je n’accepte pas ce qui nous arrive.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire