jeudi 18 juin 2015

Arabisation en Tunisie : la guerre des langues aura-t-elle lieu ?

L'arabisation, c'est l'arbre qui cache la forêt ... 

C'est un faux problème, car c'est tout le système éducatif qui doit être réformé !
Neji Djelloul, ministre de l'éducation nationale,​ serait bien inspiré de ne pas céder au populisme des Frères musulmans et à celui de leurs amis pan-arabistes en mal d’existence depuis le dernier scrutin national !
R.B

Pas encore actée, la réforme de l'enseignement prônée par le ministre tunisien de l'Éducation déchaîne les passions. Mais le débat sur l'arabisation risque de masquer les carences d'un système éducatif à bout de souffle qui fabrique en masse des diplômés-chômeurs.

«Les élèves tunisiens ne sont plus capables de s’exprimer correctement, ni en arabe ni dans les langues étrangères. Je veux renforcer l’apprentissage de l’arabe au cours des trois premières années du cycle primaire et différer l’enseignement des langues étrangères [le français et l’anglais] en quatrième année. Et cela afin de renforcer et de consolider l’enracinement de l'identité arabo-musulmane. Je soumettrai cette proposition au dialogue national sur l’éducation. » 

Ces quelques phrases bien senties, prononcées au détour d’une interview télévisée par Néji Jelloul, le ministre de l’Éducation (Nidaa Tounes), ont suffi à réveiller les feux mal éteints de la querelle linguistique. Bronca dans les milieux intellectuels francophones, qui crient au populisme et à la compromission avec les islamo-conservateurs. Étonnement dans les milieux économiques, où le français est resté la langue des affaires, qui considèrent le multilinguisme comme un atout dans la compétition internationale. La question est sensible. Ennahdha, du temps où elle était au pouvoir, s’était abstenue de la soulever tant elle savait les résistances que cela pourrait susciter.
Mohamed Mzali, Premier ministre au début des années 1980, et Mohamed Charfi, ministre de l’Éducation de Ben Ali au début des années 1990, avaient l’un et l’autre, et pour des raisons différentes, renforcé la place de la langue arabe dans l’enseignement, à l’école et dans le supérieur. Mais leurs gouvernements s’étaient bien gardés de déconstruire entièrement l’édifice scolaire façonné au lendemain de l’indépendance par Mahmoud Messadi, avec l’assentiment de Habib Bourguiba. Inspiré du modèle sadikien (du nom du collège Sadiki, créé en 1875 par le réformateur Kheireddine), il reposait sur un cursus bilingue dès la troisième année, accordant une large place aux sciences et à la technologie. L’usage du français devait donner aux élèves l’opportunité d’accéder à un corpus de connaissances moderne dont il n’existait pas l’équivalent en arabe. 
Les données du problème n’ont pas radicalement changé. « Il s’édite plus de livres en Grèce que dans l’ensemble du monde arabe, note Hassen Zargouni, directeur de l’institut de sondages Sigma Conseil. La production scientifique en langue arabe reste très faible, et peu de livres sont traduits en arabe. Sur la Toile, l’arabe, malgré ses 300 millions de locuteurs, pèse peu, avec 1,68 % des pages rédigées, au 12e rang, juste après le néerlandais [1,75 %, mais parlé par seulement 24 millions de personnes]. »
Confusion des langues
Néji Jelloul fait-il donc fausse route ? La Tunisie, qui avait su tant bien que mal y résister, va-t-elle succomber aux sirènes de l’idéologie pour imiter, avec trente ans de retard, l'exemple algérien, unanimement jugé désastreux ? « Ce n’est certainement pas un pyromane, tempère Oussema Abbes, juriste et étudiant en relations internationales au Royal Holloway College de l’université de Londres, qui l’a côtoyé quand il militait encore au Parti démocrate progressiste (PDP). Il met le doigt sur un vrai problème : la dégradation du niveau linguistique des élèves et la déconsidération de la langue arabe. Son objectif légitime est de la renforcer, il n’a jamais parlé de supprimer les langues étrangères. » Le ministre ne compte pas que des détracteurs. La Constitution est de son côté. L’article 39, relatif à l’enseignement, exhorte l’État à « consolider l’identité arabo-musulmane et l’appartenance nationale, renforcer la langue arabe, la promouvoir et généraliser son usage ». Les termes du débat sont fréquemment faussés par l’hypocrisie des uns (les francophones, inquiets pour leurs privilèges) et les ressentiments des autres.
La question se pose néanmoins de savoir si la confusion des langues, et la diglossie qu’elle engendre, est ou non à l’origine des difficultés d’apprentissage des élèves, notamment dans les matières scientifiques, enseignées en arabe jusqu’à la fin du collège, et en français au lycée et à l’université. La Tunisie a régressé de trois places au classement international Pisa de l’OCDE, entre 2009 et 2013, passant de la 56e à la 59e position (sur 65). L’enquête, réputée pour son sérieux, a mis en évidence des faiblesses criantes dans les domaines des langues et des mathématiques. « Objectivement, le français apparaît comme un accélérateur des inégalités sociales et les conforte au lieu de les réduire, observe Oussema Abbes. Il accroît les difficultés de compréhension des élèves des milieux populaires, qui ne sont plus familiarisés avec cette langue, contrairement à ceux de l’élite. » Mais est-ce la faute de la langue ou celle de l’enseignement ?

« Tout est à revoir »
Pour le mathématicien Mohamed Jaoua, 63 ans, créateur et ancien directeur de l’École polytechnique de Tunis, la faute incombe d’abord au système éducatif, qui a pris l’eau de toutes parts, à l’école comme à l’université. « Le débat sur la langue est une diversion. Les Tunisiens ont été bilingues quand l’école était de qualité et quand les enseignants prenaient leur métier à cœur. Leur niveau, en arabe comme en français, s’est effondré avec l’effondrement de l’école. Tout est à revoir. » 

La « massification » de l’enseignement, qui s’est opérée dans les années 1990 et qui permet aujourd’hui à la Tunisie de compter près de 400 000 étudiants sur une population de 11 millions d’habitants, est-elle en cause ? « Le retour au malthusianisme scolaire n’est pas une option, prévient Jaoua. On ne peut pas faire comme si l’immense effort de scolarisation consenti par le pays depuis l’indépendance n’avait pas produit une hausse significative du niveau moyen d’éducation, même si celle-ci s’est accompagnée de la baisse du niveau individuel. On ne peut pas revenir à l’école élitiste que j’ai moi-même connue, qui était accessible à une minorité tandis que la majorité était confinée à l’apprentissage manuel. »
Une chose est sûre : en dépit d’un effort budgétaire soutenu – 7 % du PIB consacré à l’éducation -, les performances du système d’enseignement ne cessent de se dégrader. Les indicateurs, alarmants, montrent que le système est gangrené à la base et au sommet. À la base de la pyramide : 120 000 élèves « décrochent » chaque année et quittent l’école sans aucun diplôme. Au sommet : l’université s’est transformée en une gigantesque machine à produire des diplômés-chômeurs. Le taux de chômage de ces derniers atteignait, en 2013, 31,4 % (40,8 % des diplômées et 21,2 % des diplômés). Aucune université tunisienne ne figure dans le « top 500 » des universités mondiales, même si quelques pôles d’excellence subsistent (facultés de médecine, certains instituts technologiques et écoles d’ingénieur).
Plus inquiétant : à en croire une enquête de l’Organisation internationale du travail (OIT) parue en 2013, le nombre d’enseignants titulaires a doublé et le nombre d’élèves par classe a diminué de 25 % entre 2002 et 2012. Ce qui laisse à penser que le problème se situe peut-être non pas au niveau de l’exigence linguistique, mais de l’excellence pédagogique. Une vérité pas forcément bonne à dire pour un ministre mis en difficulté, d’entrée, par une grève dure des enseignants, et qui a été obligé de capituler sur le front des revendications salariales. Pas sûr que l’arabisation renforcée du primaire soit la panacée. Au contraire, disent certains de ses détracteurs : elle pourrait stimuler l’exode des élèves issus des familles les plus aisées vers l’enseignement privé, au bilinguisme décomplexé, ou vers les écoles de la mission française, et consacrer définitivement un enseignement à deux vitesses. Les acteurs du dialogue national sur l’éducation ont du pain sur la planche s’ils veulent rectifier le tir.

À LIRE AUSSI :

4 commentaires:

  1. L'ARABISATION EN ALGÉRIE, AVAIT FAIT LE LIT DES FRÈRES MUSULMANS : celui du FIS !

    Zine Belcadhi​ :
    C'est par là que le virus a été introduit par Ben Bella, en Algérie en arabisant à outrance !

    Pour cela il a importé des milliers " d'arabiseurs " égyptiens; dont bon nombre faisaient partie des Frères musulmans !

    Ce fut une véritable bombe à retardement avec l'islamisation de la société algérienne, car sous prétexte de lui faire recouvrer son identité "arabo-musulmane" qu'elle aurait perdue, les Frères musulmans y diffuseront le wahhabisme !

    Et cette bombe explosera avec un effet destructeur massif dans les années 90, années sombres pour l’Algérie où 150 000 morts ont été victimes du terrorisme du GIA, bras armé du FIS branche algérienne de l'organisation internationale des Frères musulmans !

    RépondreSupprimer
  2. L'ARABISATION : Une concession aux islamistes ?

    En arabisant, Mohamed Mzali trahissait son pan arabisme et sa proximité avec les Frères musulmans, pan islamistes !!
    Nidaa Tounes projette-t-il une arabisation accrue sous la pression des Frères musulmans ?
    Neji Djelloul, ministre de l'Education Nationale,​ jouera-t-il leur jeu ??

    Ammar ElArbi :
    L'arabisation de la philosophie opérée sous le gouvernement Mzali, ne visait pas la facilitation de la transmission des connaissances pour les élèves de la pensée philosophique; mais s'était traduite plutôt par le changement du programme !

    En effet, on a imposé ce qu'on considérait la vision arabo-musulmane du monde et de l'homme et on a bourré les manuels scolaires de textes écrits non par des philosophes mais par des auteurs de la pensée islamique !

    RépondreSupprimer
  3. Une langue morte est une langue qui n'a pas su s'adapter aux innovations de son époque; et ce dans tous les domaines !
    Ce qui est le cas du latin, du grec et ... de l'arabe !

    Alors que les nostalgiques de "l'âge d'or" de ces langues cessent de nous bassiner qu'elles vont rattraper leur retard millénaire !!

    Si Bourguiba a tenu au bilinguisme, c'est qu'il a compris la richesse que cela apporterait aux tunisiens, qui ont adopté la francophonie sans complexe !

    Le français pose problème qu'aux complexés de l'histoire ... qui tiennent à leurs lubies pan arabiste & pan islamiste refusant d'admettre l'échec de ces deux idéologies ... tout comme le communisme !

    L'Histoire avance, mais pas eux !!

    RépondreSupprimer
  4. A PROPOS DE MZALI, Le premier à vouloir arabiser ...

    Le niveau de l'enseignement en Tunisie est à l'image du niveau de ses deux ministres de l'Education Nationale : Mahmoud El MESSAIDI et Mohamed MZALI !
    Si le premier a rehaussé son niveau; avec le second commencera son déclin !!

    Zine Belcadhi​ :
    Mohamed Mzali était l'allié objectif des islamistes, qui fréquentaient assidûment sa résidence de la Soukra, et qui lui servaient éventuellement de porte plume !

    Dans les dîners officiels, il se ridiculisait, en demandant aux serveurs, de lui expliquer le "Menu" en arabe littéraire, et de leur servir son habituelle réflexion, sa "Lapalissade" bien connue : "Al insan houa al hayawan al wahid alladhi yaarifou annahou sa yamout" ! (L'homme est le seul animal qui sait qu'il va mourir).

    Quelle différence entre Mahmoud El Messadi et son érudition; et ce prof d'arabe et ses réflexions à épater les serveurs !

    RépondreSupprimer