* Ifrîqiya : ancien nom de la Tunisie qui s'étendait alors jusqu'à Tripoli à l'Est et jusqu'à Constantine à l'Ouest. Ce nom désignera par la suite tout le continent africain : Afrique.
La
Tunisie de tout temps a été une terre de passage et de colonisation ... dont
celle des Beni Hilal, des arabes venus d'Arabie. S'ils ont
arabisé les berbères du cru, cela n'en fait pas pour autant des arabes !
Comme les
français qui ont colonisé l'Afrique du Nord, devenue francophone, ne fait pas
des berbères des Français !
Au fait
la Tunisie est un melting-pot de tous les peuples qui y sont passés :
sicilien, sarde, maltais, crétoi, grec, espagnol, normand, turc ... arabe et
français .... sans parler des esclaves venus de tous les pays d'Afrique noire
et d'Europe de l'Est et plus particulièrement du Caucase dont les peuples fournissaient
les janissaires des Sultans ottomans mais aussi les odalisques pour leurs
harems; et qui ont fait souche en Tunisie.
Alors
pourquoi certains s'obstinent-ils à se dire Arabes parcequ'arabophones ?
Le Belge
et le Canadien bien que francophones, ne sont pas pour autant des Français !
Mais
voilà à des fins politiques, certains hommes à l'idéologie lunatique, s'obstinent à
réécrire l'Histoire pour n'en retenir que l'arrivée des arabes et de l'Islam
dans leurs bagages, pour démarrer l'histoire officielle à partir de cette "colonisation bénie" : plus particulièrement les pan islamistes (les Frères
musulmans, salafistes ... ) et les pan arabistes !
Or il est
une chose que tous ces prétendus arabes d'Afrique du Nord ne savent pas : c'est
le mépris dans lequel les tiennent les arabes d'Arabie, détendeur de la pureté
de la race arabe vous assurent-ils !
R.B
François Decret
Professeur honoraire des universités
spécialiste de l'Afrique du Nord antique
Les invasions hilaliennes en Ifrîqiya
C'est sous ce terme
d'invasion qu'on désigne l'arrivée, au milieu du XIe siècle, en Ifriqiya –
transcription du nom de l'ancienne province romaine d'Africa, les actuelles
Tunisie et Algérie orientale – de tribus arabes, les Banû Hilâl et les Banû
Sulaym, jusqu'alors cantonnées à l'est du Nil. Cette « invasion » a
souvent été présentée comme un véritable fléau pour les régions et les
populations africaines.
Dans
son Histoire des Berbères, compilation importante, mais peu
critique, des traditions relatives en particulier à la conquête de l'Afrique du
Nord, le célèbre Ibn Khaldûn écrivait lui-même, reprenant une comparaison
coranique : « Semblables à une armée de sauterelles, ils détruisaient
tout sur leur passage. » Il dénonce surtout l'incompatibilité d'une
civilisation urbaine avec la vie de ces envahisseurs nomades : « Si
les Arabes ont besoin de pierres afin de caler leurs marmites sur un foyer, ils
dégradent les murs des bâtiments afin de se les procurer ; s'il leur faut
du bois pour en faire des piquets ou des mâts de tentes, ils détruisent les
toits des maisons. » Ces jugements catégoriques opposant les populations
sédentaires aux tribus nomades ont été repris par bien des auteurs modernes,
certains les ont toutefois revus et tempérés.
Les
Fatimides et la venue des Hilaliens en Ifriqiya
Les Fatimides – qui
tirent leur nom de Fatima, fille du Prophète et épouse d'Ali – ont répandu la
doctrine du chiisme – de shi'a,
le parti. Résolument « légitimistes », ils enseignent que le khalifat
doit revenir à la descendance d'Ali, les « gens de la Maison », et
que les trois premiers califes qui se sont succédé depuis Abû Bakr – pourtant
qualifiés par la tradition de rashidûn,
les « bien dirigés » – sont des usurpateurs. Usurpateurs donc
également les califes des Omeyyades et des Abbassides, tous étrangers à la
famille d'Ali et de Fatima.
Il n'est pas de notre
propos de développer la doctrine de ces « partisans d'Ali » – scindés
d'ailleurs en très nombreuses sectes. Parmi celles-ci, les Ismaéliens
considéraient le septième imam comme le dernier des imams visibles, l'imam
caché, Al-Mahdi, devant revenir en gloire aux derniers temps pour conduire la
communauté dans la « voie droite » et la préparer au Jugement. Bien
qu'occulte, une intense propagande aboutit à un véritable élan de ferveur
populaire dans l'attente de ce « guide ». Il apparut enfin au début
du Xe siècle en la personne d'Obayd Allah, fils d'un certain Mohammed al-Habîb.
L'imam tant espéré tint son quartier général à Salamiya à l'est de l'Oronte,
petite ville de Syrie, centre de la propagande ismaélienne.
Un missionnaire, ou dâ'i, du mouvement, le Yéménite
Abû Abdallah, qui avait rencontré à La Mecque des pèlerins berbères de la
Petite Kabylie, les Qutama, vint lui-même en Ifriqiya, s'installant à Ikjan
près de Sétif, pour y développer son prosélytisme. Il s'attaqua au royaume des
Aghlabides créé par Ibrahim ben al-Aghlab, investi comme émir par l'illustre
calife abbasside de Bagdad Haroûn ar-Rachid. L'émir s'était installé à Kairouan
en 800, et son territoire, dont la capitale fut ensuite installée à Raqqada,
recouvrait l'actuel Maghreb central et oriental. Appuyé sur un autre dâ'i et par les tribus des Kutama formant
une armée fanatisée, l'action du prosélyte ismaélien fut telle qu'en une
quinzaine d'années (893-909), l'émirat aghlabide disparaissait.
Abû Abdallah s'empressa
alors d'aller chercher le mahdi en captivité chez les kharidjites ibadites à
Sijilmassa, dans le sud du Maroc. Celui-ci fit enfin une entrée solennelle à
Raqqada où il revêtit son titre et celui d'amîr al-mou'minîn. Toutefois,
se montrant un souverain autoritaire et intolérant, veillant à une politique
fiscale rigoureuse et voulant imposer le chiisme, il se heurta à forte
opposition et eut, dès l'année 911, à déjouer un complot fomenté par des chefs
Qutama et dans lequel Abû Abdallah lui-même avait trempé ; les conjurés
furent exécutés. Pour mieux marquer le nouveau régime mis en place et ses objectifs
dirigés vers l'Orient musulman, le mahdi se donna pour capitale Mahdiya, entre
Sousse et Sfax, première capitale établie par les Arabes au bord de la mer.
L'État fatimide s'était
progressivement imposé à toute l'Afrique du Nord, avec le contrôle des routes
caravanières et le commerce avec les régions sub-sahariennes, ainsi le Soudan
et son or. Disposant d'une puissante armée et d'une flotte importante héritée
des Aghlabides, le souverain dut mater une révolte en Sicile avant de lancer
contre l'Égypte trois expéditions consécutives (914, 916, 919), désireux qu'il
était de se hausser au plan du califat abbasside. C'était dans les cadres
privilégiés de cet Orient prestigieux que les Fatimides voyaient en effet leur
avenir. Parlant des Berbères, le mahdi, plein de mépris, les traitait « de
racaille et de canaille ».
Après le règne du mahdi
(909-934), trois autres souverains fatimides devaient lui succéder : Abû
al-Qâssim al-Qâim (934-946) – qui eut à lutter difficilement contre les
insurrections kharidjites, dont le foyer était installé à Tâhert (Tiaret) – ;
Ismaîl al-Mansûr (946-952). Quant au dernier, Al-Mu'izz, il ne passa qu'une
partie de son règne en Ifriqiya, où il avait porté sa domination jusqu'à Fès,
Ceuta et Tanger. Mais lui aussi n'avait que dédain pour ces populations :
« Les habitants de ce pays, disait-il, sont les plus sauvages, les plus
stupides et les plus sots qui soient, et Allah les a rendus humbles par sa
politique digne d'éloge ». Sans abandonner pour autant sa suzeraineté sur
l'Ifriqiya, mais confiant alors à Bulukkîn ibn Zîrî – éponyme de la dynastie –
le soin de gouverner la province en son nom, il lança une expédition vers cet
Orient tant espéré, où il allait fonder Le Caire (973) et inaugurer la
dynastie des Fatimides d'Égypte.
Les Sanhâja, berbères
montagnards du Maghreb central ont bénéficié du départ des Fatimides. Ziride
lui-même et fils de Bulukkîn, Al-Mansûr (984-996) commença à se conduire comme
un prince indépendant : « J'ai hérité ce royaume de mes pères et de
mes aïeux » (Ibn Idhari). Son fils, Bâdis, qui lui succéda pour un règne
de vingt et un ans (996-1016) entretint de bons rapports avec Le Caire,
mais il eut à souffrir de son oncle Hammad. Celui-ci fit sécession et reconnut
la suzeraineté des Abbassides. Ses successeurs étendirent leur domination sur
tout le Maghreb central, de Tlemcen à Constantine, et fondèrent une capitale
puissamment fortifiée, la Qal'a des Banû Hammad, au nord du bassin du Hodna.
Pour les Zirides,
installés d'abord à Kairouan avant de se réfugier à Mahdiya (1057), la rupture
avec les Fatimides serait intervenue en 1048, à l'initiative d'Al-Mu'izz ibn
Bâdis (1016-1062), qui reçut alors du calife de Bagdad, en retour de son
allégeance, le titre de « commandeur des croyants au gouvernement de tout
le Maghreb ». En rompant avec son suzerain fatimide, Al-Mu'izz répudiait
une domination politique et inaugurait ainsi l'ère de l'émancipation berbère.
Le pouvoir en Ifriqiya se trouvait aux mains d'une dynastie maghrébine que les
souverains zirides allaient diriger chez eux en toute indépendance avec le
soutien du peuple. Mais les Normands, déjà établis en Italie méridionale et en
Sicile, avaient projeté de longue date de s'installer au-delà de la
Méditerranée et, en 1156, ils prenaient Mahdiya, l'ancienne capitale fatimide, où
ils devaient se maintenir une douzaine d'années. On vit alors l'Ifriqiya
partagée entre les Hammadides, les derniers Zirides, les Normands de Sicile et
les princes hilaliens qui arrivaient et s'imposaient à leur tour.
À
l'origine de l'« invasion » des tribus Banû Hilâl et Banû Sulaym
À suivre une longue
tradition, l'envoi des tribus nomades arabes en Ifriqiya aurait été la réplique
des Fatimides du Caire à la décision du Ziride al-Mu'izz de rompre ses
liens de vassalité. Il s'ensuivrait ainsi que l'arrivée des Hilaliens
remonterait à 1048. Il n'y a certes pas unanimité à accepter cette thèse, même
si elle peut parfaitement satisfaire la logique de l'histoire. Une autre
chronologie fait remonter cette rupture bien avant cette date et les premières
victoires des Hilaliens remonteraient alors à cette époque antérieure.
Les Banû Hilâl suivis
des Banû Sulaym – on a estimé à cinquante mille le nombre des guerriers et à
deux cent mille le nombre des Bédouins quand ils arrivèrent – connus pour
leurs pillages et que le calife fatimide avait relégués en Haute Égypte, furent
lancés sur l'Ifriqiya (1051-1052). Des actes d'investiture des régions à
occuper, villes et terres de parcours pour les nomades, véritables titres de
propriété, furent distribués au nom des chefs de tribus. Munis de ces dotations
territoriales – iqtâ' signifiant à la fois la pièce de
terre et le droit de percevoir l'impôt sur les agriculteurs – par le calife
fatimide, qui se considérait toujours comme le suzerain du pays rebelle, les
émirs arabes à la tête de leurs guerriers, suivis de leurs familles et de leurs
troupeaux, se mirent en route vers ce pays, cette Afrique romaine riche et
fertile dont on gardait le mirage.
Pour enrayer cette avancée,
Al-Mu'izz décida de se lancer contre eux avec son armée. Mais il subit un
désastre à Haydarân, près de Gabès. Kairouan, sa capitale, pourtant fortifiée,
résista pendant cinq ans, mais finit par être occupée. Les boutiques pillées,
les édifices publics abattus, les maisons saccagées, « rien de ce que les
princes Sanhâja avaient laissé dans leurs palais n'échappa à l'avidité de ces
brigands » (Ibn Khaldûn, Berbères,
1, 37). De toutes les cités de l'Ifriqiya, la plus cruellement éprouvée fut
sans doute Kairouan. De nombreux habitants, étouffés par les exigences des
Bédouins avaient pris le chemin de l'exil : l'Égypte, la Sicile,
l'Espagne, Fès accueillirent des bandes de fugitifs.
Les Zirides durent se
réfugier à Mahdiya, prenant alors conscience de l'intérêt du littoral et de
son ouverture sur le monde maritime. Les nomades continuaient à se répandre sur
le pays, emmenant femmes et enfants. Outre la Tunisie, ils tenaient la majeure
partie du Constantinois, en occupant les plateaux et les plaines, mais évitant
les zones montagneuses, qui servirent donc de refuge aux indigènes évincés de
leurs terres. La Grande Kabylie conserva son peuplement berbère, comme aussi la
Petite Kabylie, mais la plaine maritime de Annaba comme l'arrière-pays de
Tabarka étaient au pouvoir des « Arabes », comme on appelait les
Hilaliens.
L'Ifriqiya était livrée
à l'anarchie, et les Hammadides qui avaient tenté un moment de se faire des
alliés de ces tribus en furent pour leurs frais. En effet, à force d'incursions
dévastatrices, les Hilaliens arrachèrent au sultan Al-Mansûr (1089-1105) la
moitié de ses récoltes, ce qui l'amena à déplacer sa capitale de la Qala'a à
Bejaïa (1104), dans une région montagneuse, peu accessible aux nomades et qui,
grâce à ses forêts, avait aussi l'avantage de pouvoir alimenter un chantier
pour la construction navale. « Il y a un chantier, écrira El-Idrîsî (XIIe siècle),
où l'on construit de gros bâtiments, des navires et des galères, car les
montagnes et les vallées environnantes sont très boisées et produisent de la
résine et du goudron d'excellente qualité. » (Description de l'Afrique,
trad. fr. p. 105.) En réalité, la vie de la Berbérie orientale, et son
activité économique en particulier, ont reflué vers le nord. La vallée de la
Medjerda devint la seule route fréquentée par les marchands, se poursuivant
vers l'ouest sans quitter le littoral.
Pour leur part, et bien
que ne bénéficiant pas des mêmes conditions favorables, les Zirides
entreprirent de se créer également une puissance navale. Ibn el-Athîr relate la
malheureuse expédition lancée par Al-Mu'izz répondant à l'appel des musulmans
de Sicile menacés par les Normands : en 1026, une tempête d'hiver
engloutit toute une importante flotte dans les parages de Pantellaria :
« Le désastre fut pour Al-Mu'izz une cause d'affaiblissement et servit
d'autant les affaires des Arabes qui finirent par le dépouiller de ses États. »
En 1087, sous Tamîn, fils d'Al-Mu'izz, trois cents navires cinglaient vers
Al-Mahdiya, et les chrétiens, Pisans et Génois, encouragés par le pape Victor
III, entrèrent dans la ville et la mirent à sac. Ils ne rembarquèrent qu'après
avoir perçu une lourde indemnité. Sous Yahiâ (1108-1116), fils de Tamîn, le
développement de la marine semble avoir été la principale préoccupation et,
écrit Ibn Khaldûn : « Par ses courses maritimes, Yahiâ s'acquit une
grande renommée. » S'il n'est jamais fait mention de conflits avec la
Sicile et ses maîtres normands, c'est qu'il existait entre eux un pacte
d'alliance tacite : les Zirides avaient tout intérêt à développer des
échanges entre leurs ports et ceux d'outre-mer, les droits de douane alimentant
leur trésor.
Ayant échoué dans leur
tentative de s'installer durablement en Sicile et de se tailler un royaume
d'outre-mer, les Zirides s'efforcèrent pendant quatre-vingt-dix ans de
récupérer du moins une partie de leur royaume pour organiser des expéditions de
piraterie et chercher à s'enrichir grâce au commerce maritime. Les Africains
n'étaient d'ailleurs par les seuls à s'engager activement dans la piraterie
maritime.
Le Sud constantinois fut
abandonné aux nomades, et une partie de la tribu des Ma'qil, les derniers arrivés,
se dirigea vers le Tafilalet. Pour empêcher les Hilaliens de poursuivre leur
avancée vers l'ouest, les Hammadides comptaient sur les Zanâta de l'Oranie.
Aspects
négatifs et positifs de l'arrivée des Hilaliens sur le Maghreb musulman
Les historiens arabes
sont unanimes à considérer que la migration hilalienne fut l'événement le plus
marquant du Moyen Âge maghrébin. Si ses conséquences furent sans doute
négatives sur les plans politique – l'Ifriqiya éclatée en principautés rivales
– et économique, force est de reconnaître en revanche que, plus qu'aucune
autre, cette période marque un temps majeur pour le Maghreb musulman. Cette
« invasion » des nomades ne fut pas marquée par de grandes batailles
ni par une occupation militaire des régions recouvertes, mais plutôt par une
progression diffuse de familles entières. L'afflux de ces populations
étrangères rompait l'équilibre traditionnel entre Zanâta nomades et sédentaires
berbères.
Au plan politique, la
chute de Kairouan signifiait certes l'effondrement du pouvoir central ziride.
Dépouillés de leurs privilèges et de leurs profits sur le commerce dans le
Maghreb central, les Zanâta s'efforcèrent de retrouver les mêmes avantages en
se déplaçant plus à l'ouest et, ne pouvant plus contrôler les axes routiers et
caravaniers, ils vont compenser les dommages financiers par un contrôle fiscal
plus strict des villes elles-mêmes. On voit ainsi de véritables petits fiefs
s'instaurer à Sfax, Gabès, Gafsa, Bizerte. Cet effritement de l'Ifriqiya,
conséquence de la disparition des Zirides, plongea le pays dans l'anarchie. Les
autorités locales payaient tribut aux chefs hilaliens contrôlant leurs zones.
Certaines levaient des impositions pour organiser des bandes armées chargées de
protéger leurs sujets. La ville de Tunis ayant fait appel à l'émir de la Qala'a
des Banû Hammâd pour qu'il lui envoie un gouverneur, un officier d'origine
sanhâjienne assuma cette charge. Pour éviter les pillages des Hilaliens, il
leur versait une redevance annuelle et, à la satisfaction de la population,
créa ainsi une principauté indépendante et fonda la dynastie des Banû Khurâsân.
Mais, comme Al-Mahdiya et les autres villes d'Ifriqiya, de Sfax à Tripoli,
Tunis tombera au pouvoir de l'armée du sultan almohade Abd al-Mûmin lors de son
expédition qui avait appareillé du Nord marocain en 1159.
Les conséquences
économiques furent tout aussi dommageables, avec toutefois des aspects
positifs. Dès leur arrivée, les Hilaliens s'étaient attaqués aux vastes terres
de parcours qui s'étendaient en Ifriqiya, de Tozeur et du Jérid tunisien
jusqu'au Sud oranais, refoulant du même coup les Zenâta nomades vers le Tell.
Quant aux agriculteurs sédentaires, ils voyaient les troupeaux des intrus
dévaster leurs cultures, saccageant leurs jardins. Leurs villages pillés, ils étaient
contraints d'aller chercher leur sécurité dans les cités fortifiées. Les
citadins eux-mêmes devaient recourir aux « envahisseurs » pour
garantir, à haut prix, leur sécurité et leur ravitaillement.
Ces vues, opposant
nomades Arabes aux Berbères, ont souvent été exposées pour tenter d'expliquer
« l'immense catastrophe » qui s'abattit sur l'Ifriqiya et la frappa
de paralysie. E. F. Gautier, dont la thèse d'une opposition fondamentale
entre sédentaires et nomades est connue, pouvait ainsi écrire : « Le grand
nomade a les instincts exactement inverses [de ceux du sédentaire].
Politiquement, c'est un anarchiste, un nihiliste, il a une préférence profonde
pour le désordre qui lui ouvre des perspectives. C'est le destructeur, le
négateur » (Histoire et historiens de l'Algérie, p. 31). On a
déjà noté que les vues de Ibn Khaldûn n'étaient pas éloignées.
En réalité, il ne faut
pas ramener l'Afrique du Nord à la seule Ifriqiya. En effet, les Hilaliens
furent aussi recrutés comme mercenaires par des souverains et des chefs locaux
de Berbérie. « Et cantonnés sur le point le plus menacé… Leur départ sera
regardé comme une déplorable perte. Pour les fixer, on leur accordera des
concessions » (G. Marçais, Les
Arabes en Berbérie, p. 720). Sédentaires et nomades ne sont pas
nécessairement opposés et ils peuvent même se comporter en associés. Si les
Hilaliens ont souvent été présentés comme des éléments perturbateurs, il
convient aussi d'en rechercher l'origine dans des organismes urbains anémiés.
Sans parler d'une désorganisation politique et des querelles entre souverains
et prétendants au pouvoir, Zirides et Hammadides, querelles dans lesquelles les
Bédouins étaient utilisés par tel ou tel parti, ces nomades devenant alors un
mal nécessaire.
Les troupeaux de ces
« Arabes » s'adonnant au nomadisme comptent essentiellement des
chèvres, des moutons et des ânes, animaux mieux adaptés que les bovins à la
médiocrité des pacages trop secs, plus capables de supporter les longs
déplacements. La transhumance leur fait gagner, pendant l'été les parcours du
nord jusque dans le Tell où ils trouvent un peu d'herbe. La multiplication des
chameaux, ou plus exactement des dromadaires – surtout à compter des IVe et
Ve siècles, à partir de la Tripolitaine – va modifier les conditions de
vie des pasteurs en leur permettant de s'avancer plus au sud. En somme, en
renforçant par leur arrivée la population nomade des Berbères, et
particulièrement les Zanâta, les Hilaliens ont été d'un poids négligeable au
plan démographique, mais déterminant au plan culturel.
Les conséquences
sociales et ethniques ont en effet marqué définitivement l'histoire du Maghreb.
Si quelques groupes parmi les nomades immigrants conservèrent leur cohésion
originelle, la plupart se sont progressivement fondus dans la grande masse des
Berbères et disparaîtront en tant que groupes ethniques individualisés. Il
s'ensuivra tout naturellement un métissage de la population berbère. Comme on
sait, le sultan fatimide qui les avait envoyés en Ifriqiya avait fait
distribuer à leurs chefs des actes de donation de fiefs, les iqtâ' : les Bédouins
arrivent donc avec un titre de propriété, comme héritiers de l'ancien pouvoir
politique et ne se considèrent nullement comme des étrangers.
Certes, les Hilaliens
n'ont pas introduit en Afrique du Nord des genres de vie inconnus jusque-là,
mais leur arrivée a rompu un certain équilibre auquel étaient parvenus les
nomades et sédentaires berbères. Par ailleurs, de vastes domaines cultivés, qui
vivaient jusqu'alors en symbiose avec les agglomérations urbaines dont ils
ravitaillaient les marchés, retournent à la steppe ; cet arrêt des
échanges commerciaux entraînera un marasme dans l'économie locale et les
royaumes du Maghreb extrême vont l'emporter sur l'Ifriqiya.
Bien avant l'arrivée des
Hilaliens, et à compter de la seconde moitié du VIIe siècle – Kairouan fut
fondé en 670 – la Berbérie s'était certes ouverte à l'islam, mais la langue
arabe classique était demeurée l'apanage des élites citadines et des gens de
cour. Il ne faut pas en effet confondre islamisation avec arabisation. Avec
l'invasion hilalienne, les dialectes berbères vont, sinon céder la place à la
langue arabe, du moins devenir plus ou moins marqués par l'arabisation, à
commencer par ceux de l'Ifriqiya orientale. Cet arabe dialectal, populaire et
marqué de termes berbères, est issu de la langue des Bédouins Hilaliens, car ce
sont eux, en effet, qui ont véritablement arabisé une grande partie des
Berbères, à commencer par les Zanâta, à l'exception de ceux qui étaient fixés
dans les zones montagneuses, comme l'Ouarsenis ou dans les oasis du Sahara
septentrional, ainsi la pentapole du Mzab. Et ce ne fut pas le moindre apport
de ces tribus envoyées par le calife fatimide d'Égypte.
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