Qui défend la langue française ? Une marocaine arrivée en France à l'âge de 4 ans ! Langue qu'elle a découverte, qu'elle a aimée et qu'elle refuse qu'elle soit massacrée.
Elle a raison de dénoncer le nivellement par le bas, pour adapter la langue française aux élèves en difficultés plutôt que de les armer pour mieux s'insérer dans la société françaises.
Souad Ayada a bien vu la faille du système qui, croyant bien faire, en n'enseignant plus le passé simple, l'école renvoie les élèves à leur milieu. L'enseignement scolaire doit rester scolaire; et la langue orale ne doit pas devenir la norme de la langue écrite. Elle refuse la condescendance et le cynisme des réformateurs du français, comme elle refuse que l'école consente à la destruction de cette langue.
Elle a raison de dénoncer le nivellement par le bas, pour adapter la langue française aux élèves en difficultés plutôt que de les armer pour mieux s'insérer dans la société françaises.
Souad Ayada a bien vu la faille du système qui, croyant bien faire, en n'enseignant plus le passé simple, l'école renvoie les élèves à leur milieu. L'enseignement scolaire doit rester scolaire; et la langue orale ne doit pas devenir la norme de la langue écrite. Elle refuse la condescendance et le cynisme des réformateurs du français, comme elle refuse que l'école consente à la destruction de cette langue.
Elle rappelle qu'à l'école élémentaire, il faut apprendre à lire, à écrire et à compter. Une évidence élémentaire, apparemment perdue de vue par certains technocrates !
R.B
Programmes : « Je ne pense pas que la
grammaire soit négociable »
Fin du prédicat, retour du passé simple, des accents
circonflexes... Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes,
répond aux « pédagogistes ».
En rencontrant Souâd Ayada, au mois de janvier
(voir son portrait dans Le Point « La philosophe qui veut arrêter les âneries »), on
avait compris son peu d'intérêt pour les notions jargonneuses tel le prédicat.
Au grand soulagement de nombreux élèves et professeurs, la présidente du CSP
vient de mettre fin à ce concept de linguistique largement incompris. Dans la
ligne de Jean-Michel Blanquer – à qui elle vient de remettre son « projet
d'ajustement et de clarification des programmes de français, de mathématiques
et de l'enseignement moral et civique » –, l'inspectrice générale de
l'Éducation nationale souhaite un retour au « bon sens ».
Concrètement, à la rentrée prochaine, les élèves apprendront de nouveau le
passé simple à
toutes les personnes, redécouvriront les « leçons de grammaire » et
continueront à mettre des « chapeaux » (accents circonflexes) sur les
« i » et les « u ».
Souâd Ayada, qui tient à
préciser que ces ajustements ne sont pas de nouveaux programmes, nous explique
l'esprit de ses propositions et nous confie ses craintes concernant
l'appauvrissement de la langue. Au passage, elle règle ses comptes avec son
prédécesseur Michel Lussault et avec les « pédagogistes » qui
l'accusent de vouloir « détricoter » la refondation de l'école.
Émilie Trevert : Vous avez été missionnée pour clarifier et préciser les
programmes de 2015, écrits sous Najat Vallaud-Belkacem. Les formules absconses
ne manquaient pas : « verbalisation des inférences »,
« réalisation s langagière s »,
« techniques multimodales », « enchaînement
interphrastique »…
Souâd Ayada : Ne me demandez pas ce que cela veut
dire ! Bien que difficilement compréhensibles, ces formulations
étaient dans les programmes de français. Les professeurs ont dû les
survoler sans comprendre leur sens à la première lecture. Sans
parler de formules qui n'ont pas leur place, à mes yeux, dans des
programmes scolaires de l'enseignement primaire : « posture
d'auteur », « édition » des productions d'écrits…
Émilie Trevert : Sans parler du fameux « prédicat », que vous avez décidé de
supprimer pour revenir aux COD, COI...
Souâd Ayada : Revenons sur le prédicat. C'est une notion qui vient de la logique, cette
discipline qui analyse la langue et les raisonnements. Le prédicat,
c'est une qualité attribuée à un sujet à l'aide d'une
copule (le verbe être). Exemple : le ciel est bleu. Le sujet est
« ciel », la copule « est », le prédicat
« bleu ». Dès la logique d'Aristote,
on a un lien très net entre la logique et la grammaire, jusqu'à la logique de
Port-Royal, au XVIIe, où la notion de prédicat est présente.
Cette notion se retrouve dans la linguistique contemporaine, où
elle possède plusieurs sens. Ce n'est pas le prédicat qui pose problème, la
question est de savoir si une notion aussi complexe et technique a sa place
dans une grammaire scolaire. Ni les élèves ni leurs professeurs n'ont à
entrer dans ces subtilités linguistiques ; les élèves apprennent
la grammaire pour bien écrire, bien parler et bien utiliser la langue. Ce ne
sont pas des « observateurs » de la langue, contrairement à ce
que laissent croire les programmes actuels. Ce sont des « usagers »
de la langue, non des linguistes ! Tout comme les professeurs des écoles
ne sont pas des théoriciens de la langue... Nous sommes revenus à une grammaire
de phrase « classique » – au sens de ce qui doit s'enseigner dans les
classes.
Émilie Trevert : On ose reparler de grammaire – avant, on enseignait « l'observation
réfléchie de la langue » –, même de « leçons de grammaire ».
Souâd Ayada : Le prédicat n'était qu'un symptôme, celui de la confusion de la
linguistique et de la grammaire. Nous avons souhaité parler simplement de
« grammaire » et restituer au mot son sens : la grammaire n'est
pas l'observation réfléchie de la langue, mais sa structure même.
Émilie Trevert : Votre prédécesseur, le géographe Michel Lussault, tenait à cette notion de
prédicat et n'a jamais cédé malgré la polémique.
Souâd Ayada : Mon prédécesseur estimait qu'il fallait introduire dans l'enseignement ce
qui relève de la recherche, des innovations qui, même dans l'enseignement
supérieur, ne font pas l'unanimité. Moi, je crois que l'enseignement scolaire
doit rester scolaire.
Nous n'avons pas la même conception de la grammaire. Pour mon prédécesseur,
la grammaire, c'est quelque chose de négociable. Je ne pense pas que la
grammaire soit négociable. La langue, c'est ce qui préexiste aux individus,
c'est ce qui les structure. Il faut maîtriser la grammaire pour se sentir libre
dans l'usage de la langue. C'est irresponsable de dire aux élèves qu'ils
peuvent négocier l'orthographe, la grammaire… Je ne souscris pas à l'idée que
l'élève construit ses savoirs.
Émilie Trevert : Quant au passé simple, temps jugé « discriminant » – qui n'était
plus enseigné qu'aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel jusqu'en
sixième –, vous le réhabilitez.
Souâd Ayada : L'enjeu est majeur. Ce qui se joue dans ce traitement du passé simple,
c'est l'idée que ce qui règle l'enseignement, ce sont nos manières de
plus en plus appauvries de parler. C'est un parti pris, extrêmement
contestable, qui renvoie à un autre parti pris : la langue orale serait la
norme de la langue écrite. C'est un renversement inquiétant ! Jusqu'à
il y a peu, c'était l'écrit qui constituait la norme de l'oral. On assiste à un
nivellement par la langue orale, qui est soumise à l'impératif de
communication, qui cède à la rapidité, à la simplification. Toutes les
subtilités temporelles disparaissent dans l'expression orale !
C'est une tendance profonde de notre société. J'estime toutefois qu'il est
de ma responsabilité de ne pas y consentir dans les programmes. Je ne suis pas
pour la sacralisation de l'écrit, mais on ne peut pas se réjouir de
l'appauvrissement de la langue. Le langage SMS ne doit pas devenir la norme.
Je ne comprends pas le choix, dans les programmes actuels, de n'enseigner
le passé simple qu'aux troisièmes personnes. Comme si, en mathématiques, on
apprenait 2 x 4 et pas 2 x 6 ! On interdit
ainsi l'accès à des pièces maîtresses de notre littérature. Un élève qui n'a
jamais appris le passé simple, comment pourra-t-il lire des œuvres écrites à la
première personne du passé simple ? Voyez dans Phèdre :
« Je le vis, je rougis, je pâlis. » En n'enseignant plus vraiment le
passé simple, l'école renvoie les élèves à leur milieu, à leur famille.
Émilie Trevert : Sous le couvert de la bienveillance…
Souâd Ayada : Ce n'est pas de la bienveillance, c'est plutôt de la condescendance sur
fond de cynisme. L'arrière-pensée ici à l'œuvre est la suivante :
« Puisque vous n'êtes pas capables d'accéder à toutes les subtilités de la
langue, nous décidons, parce que vous êtes étrangers, parce que vous êtes
pauvres, de ne pas vous les enseigner ! De toute façon, vous n'en avez pas
besoin puisque vous ne lirez jamais Dumas, Balzac… » Condescendance,
cynisme et mépris de classe.
Émilie Trevert : Certains mettent en avant la complexité de la langue française pour
justifier la simplification de ces dernières années.
Souâd Ayada : Les Anglais souffrent aussi de l'appauvrissement de la langue, jugent
sévèrement cette novlangue qui a supplanté la langue anglaise. Je crois qu'il
faut progressivement donner aux élèves accès aux subtilités de leur langue, à
ses difficultés. Ils ne pourront sans doute pas toutes les maîtriser, mais cela
ne doit pas les inhiber. Il ne faut pas que l'école consente à la destruction
de la langue.
Ce qui m'inquiète, c'est qu'on ne s'inquiète pas assez de la destruction de
la langue qui est en marche, c'est que toutes les personnes intéressées par
l'enseignement et la transmission, par-delà leurs convictions politiques, ne se
donnent pas pour but commun la sauvegarde de notre langue, en l'enseignant
méthodiquement, dans un esprit d'exigence qui ménage aussi les progressions.
Dans un passé récent, les promoteurs d'une conception très exigeante de la
langue n'étaient pas tous des « conservateurs ». Je pense aux poètes
du Val-de-Marne qui étaient très proches du PCF.
Émilie Trevert : Ce qui vous inquiète également, c'est la disparition progressive de
l'écriture cursive, qui a déjà été remplacée par le clavier dans la plupart des
États américains et en Finlande.
Souâd Ayada : L'usage du clavier était indiqué dès le cycle 2 (CP, CE1, CE2),
où l'on recommandait une « manipulation régulière du clavier et du
traitement de texte ». Nous avons repoussé cela au cycle 3 (CM1,
CM2, sixième), estimant que l'usage du clavier devait suivre la maîtrise du
geste graphique. Il semble qu'écrire fixe les capacités psycho-cognitives, fixe
l'attention, cela donne aussi une certaine expérience de la
temporalité. Rédiger une lettre, taper un mail sur un clavier, ce
n'est pas la même chose. Le sentiment de la temporalité est très important dans
la construction des apprentissages.
Émilie Trevert : Vous avez constaté que les élèves français n'écrivaient pas assez. Est-ce
la faute des ardoises Velleda, des tablettes numériques ?
Souâd Ayada : Là encore, on ne peut faire abstraction de la réalité sociale. Les petits
sont très tôt exposés aux écrans. Ce n'est plus du tout naturel de tenir un
crayon. Je crois que, dans les classes, on doit protéger les élèves du
« tout-écran ». Je rêve de classes qui soient des lieux où l'on
échappe à l'injonction de la tablette, du téléphone portable… Pas par conservatisme,
mais parce que la classe est l'espace où l'on apprend ! Je pense qu'à
l'école élémentaire il faut apprendre à lire, à écrire et à compter. Les
professeurs sont, j'en suis sûre, conscients de leur responsabilité en la
matière.
Émilie Trevert : C'est un retour au bon sens ? Les pédagogistes appellent cela du
conservatisme. Ne craignez-vous pas de passer pour une
« réac » ?
Souâd Ayada : Le bon sens n'est pas méprisable, surtout quand il n'a qu'un seul
but : assurer à chaque élève une instruction élémentaire qui rend possible
sa vie sociale. Je ne vois là aucun conservatisme, j'y vois plutôt le souci
constant de la transmission, un souci ouvert sur les réalités contemporaines et
donc aux antipodes de toute attitude réactionnaire. Descartes écrivait :
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. » Pourquoi
l'école devrait-elle se priver du partage du bon sens ?
Émilie Trevert : Dans l'enseignement moral et civique, il est préconisé d'apprendre par cœur
la Marseillaise.
Souâd Ayada : Quoi de neuf, là encore ? Elle figure dans les programmes actuels.
Depuis qu'elles existent à l'école, les leçons de morale ou l'instruction
civique font une place à la Marseillaise. Il était prévu
de « chanter, en comprenant le contexte de leur écriture, quelques
couplets de la Marseillaise » en fin de cycle 2. Nous proposons un
enseignement dont les finalités sont plus claires pour qu'il soit vraiment mis
en œuvre, car, dans les faits, à l'école primaire, cet enseignement n'est pas
toujours conduit. En CP, l'élève apprend à la reconnaître ; en CE1, il
commence à identifier le premier couplet ; en CE2, il apprend par cœur ce
premier couplet… Quoi d'étonnant dans un enseignement moral et civique ?
Émilie Trevert : Vous supprimez également la référence à l'orthographe « nouvelle »
(aussi appelée orthographe de 1990) approuvée par l'Académie française. On
avait oublié qu'« oignon » pouvait s'écrire « ognon » et
que les accents circonflexes étaient proscrits…
Souâd Ayada : Les programmes de 2015 ont été écrits en respectant cette règle…
(en effet, on compte 96 fois « maitrise » sans accent
circonflexe et 96 « connaitre », NDLR). En vérité, peu de
gens tiennent compte de ces rectifications orthographiques. Dans les classes,
je n'ai jamais vu de professeur en tenir compte. J'ai toujours vu « maîtrise »
écrit avec un accent circonflexe et « nénuphar » écrit avec
« ph » et non « f ».
Émilie Trevert : Michel Lussault dit que ces ajustements sont très politiques. Que lui
répondez-vous ?
Souâd Ayada : Je ne comprends pas le sens qu'il donne au mot politique. S'agit-il de
remettre en question l'indépendance du CSP en suggérant qu'il participe à un
projet politique ? Le CSP est une instance intellectuelle dont
l'indépendance ne consiste pas à manifester une opposition, mais à faire un
usage réglé d'une liberté intellectuelle totale.
Émilie Trevert : Vous préconisez également la dictée quotidienne. Votre projet y fait
référence à treize reprises, tandis que, dans les programmes de 2015, il y
avait une tendance à désacraliser la dictée et à ne pas faire
la « chasse aux fautes ».
Souâd Ayada : Là encore, rétablissons la vérité : la dictée est préconisée dans les
programmes actuels. Madame Najat Vallaud-Belkacem avait
déjà recommandé, en 2015, la dictée quotidienne. Nous
l'avons simplement mise en avant et valorisée.
Émilie Trevert : Vous conseillez la lecture de cinq à dix œuvres par an dès le CP. N'est-ce
pas un peu trop ?
Souâd Ayada : Nous faisons confiance aux professeurs pour adapter la longueur des textes
étudiés, bien sûr. Cela dit, les résultats de l'enquête Pirls en
décembre 2017 ont été un révélateur : ce qui
avait notamment dérouté les élèves français, c'est qu'ils n'étaient
pas habitués à lire et à étudier des textes aussi longs ! Dans les
classes, de manière générale, on étudie le plus souvent des
textes courts. Il semble donc nécessaire de confronter les élèves, le
plus tôt possible et en ménageant des progressions, à des textes
longs.
Émilie Trevert : Les élèves semblent avoir de moins en moins accès aux « grandes œuvres
du patrimoine », pour reprendre la formule des programmes.
Souâd Ayada : Cette notion de littérature « patrimoniale » me gêne :
nous n'y avons pas touché, mais elle me semble témoigner d'une vision de la
littérature qui réduit les œuvres du passé à des pierres mortes. L'intérêt de
la littérature, c'est que ses auteurs sont toujours vivants, la littérature
relève de l'art parce qu'elle est transhistorique, les œuvres littéraires ne
sont pas des œuvres du passé. Si on lit Le Père Goriot aujourd'hui,
c'est que Balzac est présent pour nous, parce qu'il aborde des questions
éternelles : la blessure d'un père, l'amour filial…
J'entrevois un autre partage qui me gêne : la distinction entre
le français et la littérature. Pour tous ceux qui sont étrangers, comme moi
(Souâd Ayada, d'origine marocaine, est arrivée en France à l'âge
de 4 ans, NDLR), et qui ont appris le français, c'est la littérature
qui les a introduits à la langue française, ce n'est pas la lecture
des journaux. Mettre la littérature dans le patrimoine, c'est un peu une
manière de la reléguer à ce qui est mort.
Émilie Trevert : Au moment où les copies du bac sont en train d'être corrigées,
certains profs dénoncent des notes toujours revues à la hausse et
qui ne correspondent pas au niveau réel des élèves. En tant qu'inspectrice,
avez-vous été confrontée à des consignes ?
Souâd Ayada : Quand j'étais inspectrice pédagogique
régionale ou inspectrice générale, je n'ai jamais donné ce type de consignes.
Jean-Pierre Ryf :
RépondreSupprimerEnfin ! Voilà une femme qui revient aux réalités et qui montre ce que c'est que l'apprentissage d'une langue. Il faut lire le jargon utilisé, il y a peu, pour se rendre compte que l'enseignement avait été vampirisé par des cuistres qui cachaient leur incompétence derrière des mots savants incompréhensibles !
On était revenu au langage des médecins de Molière et encore, eux, étaient plus clairs.
Ne serait-ce que pour cela (qui est d'ailleurs essentiel), je continuerai à soutenir Macron et son Ministre de l'Education Nationale.
Et je rajoute que la gauche a été lamentable dans ce domaine.
Je souscris entièrement à ce que dit cette dame :
" Ce n'est pas de la bienveillance, c'est plutôt de la condescendance sur fond de cynisme. L'arrière-pensée ici à l'œuvre est la suivante : « Puisque vous n'êtes pas capables d'accéder à toutes les subtilités de la langue, nous décidons, parce que vous êtes étrangers, parce que vous êtes pauvres, de ne pas vous les enseigner ! De toute façon, vous n'en avez pas besoin puisque vous ne lirez jamais Dumas, Balzac… » Condescendance, cynisme et mépris de classe."