L'UE restera inachevée tant qu'elle
n'aura pas une politique étrangère et une défense communes ! Ce que les
américains empêcheront par tous les moyens.
Les instigateurs de l'UE doivent se
retourner dans leur tombe de voir leurs successeurs accepter l'hégémonie
américaine sur l'Europe.
Le drame du monde dit
"arabo-musulman", vient aussi du suivisme de l'UE derrière les EU, avec à sa tête la France; qui préconise une démocratie au rabais aux peuples "arabes" en leur imposant les Frères musulmans !
R.B
Alexandre Del Valle*
Le
Pentagone abat ses cartes sur son objectif pour l’Europe : empêcher le
rapprochement entre Europe et Russie à tout prix
L'absence de moyens et d'unités de vue des Européens
vis-à-vis de la Russie empêchent la formation d'une véritable politique de
défense européenne. La France et l'Europe sont donc condamnées à s'aligner sur
les intérêts américains. Si Nicolas Sarkozy avait instauré un équilibre entre
rapprochement avec l'OTAN et entente avec la Russie, François Hollande est
engagé dans un atlantisme bien plus radical.
Atlantico : Ash Carter, secrétaire d'Etat à la Défense aux Etats-Unis a présenté un projet de budget 2016-2017 qui multiplierait par quatre les moyens militaires engagés en Europe. A quels objectifs stratégiques répond ce redéploiement ?
Alexandre Del Valle : La logique globale des Etats-Unis est d'empêcher à tout prix un
rapprochement entre l'Union européenne et la Russie.
Depuis au moins un siècle et demi, toute la stratégie
anglo-saxonne (anglaise puis américaine) consiste à empêcher le rapprochement
de la France, de l'Allemagne et de la Russie. Le cauchemar des Américains est
incarné par ce que voulait le général de Gaulle: un axe Paris-Berlin-Moscou et
une Europe des Nations souveraines de l’Atlantique à l'Oural.
Pour les stratèges atlantistes et américains, tout doit
être fait pour empêcher la formation d'une grande Europe continentale
réconciliée (la "Maison commune européenne" chère à Gorbatchev et
Mitterrand), car si les Européens se réconcilient entre eux et si les Russes
font partie d'une défense européenne, la domination américaine sur le continent
européen n'aura plus de raison d'être et cela signifierait la mort programmée
de l’OTAN telle qu’elle existe depuis sa fondation. Structurellement, la raison
d'être de l’Alliance, y compris après la chute de l’ex-URSS, c'est d'accentuer
le fossé avec la Russie post-soviétique. Cela ne veut pas dire que les
Américains ne peuvent pas s'entendre directement avec les Russes s’ils y ont
intérêt - et il y a même des responsables politiques américains qui ne sont pas
antirusses comme Donald Trump ou d’autres "panoccidentalistes" ou
adeptes du Reset, mais ils ne veulent pas que les Européens s'entendent trop
bien avec les Russes...
Le redéploiement militaire des Etats-Unis en Europe
intervient donc en réponse à une préoccupation des Polonais, des pays baltes,
et même des Roumains, également très atlantistes et anti-russes, mais aussi de
certains pays frontaliers de la Russie (Ukraine, Géorgie, etc) qui se sentent
menacés par la réaction russe face à l'avancée européenne et atlantique vers
l’Est ("étranger proche russe"). Un durcissement des positions
américaines envers les Russes et inversement a d’ailleurs eu lieu à cause de la
crise ukrainienne (et des "révolutions colorées" qui l’ont précédée)
puis de la volonté de revanche de plusieurs pays de l'Est de l'Europe qui
utilisent l'Union européenne, l'OTAN et les Etats-Unis comme des boucliers afin
de se protéger contre les Russes et d’isoler la Russie de l’ensemble occidental.
En effet, les pays baltes et la
Pologne étant membres de l'Union européenne, la crise ukrainienne a été
utilisée comme prétexte pour demander une aide supplémentaire américaine dans
le cadre de la solidarité des pays membres de l'OTAN ou alliés, ceci face au
méchant ours russe accusé de dérive "néo-impériale" alors qu’en
réalité l’Union européenne et l’OTAN agissent eux-mêmes comme de véritables
empires en refusant de se fixer des limites à leur extension infinie jusqu’aux
portes de la Russie. Dans ce contexte géo-stratégique et idéologique, les Européens
atlantistes et leurs protecteurs américains ont donné des signes assez
dangereux en encourageant une association bien trop hâtive de l'Ukraine avec
l'Union européenne et l’OTAN. Ils ont ainsi fait très peur aux Russes et ont
laissé pensé que l’Empire occidental se comportait en prédateur, certes au nom
de belles idées…
Ainsi, depuis les révolutions orange
et autres en Ukraine et en Géorgie, les Occidentaux ont donné l'impression que
l'OTAN avec les pays antirusses d'une part, et l'Union européenne d'autre part,
voulaient "manger" un bout de territoire de l'étranger proche russe.
Dans ce contexte, la crise s'est accentuée entre l'Occident et la Russie, et la
Crimée a été récupérée par Moscou afin que la base militaire russe de l’île
ukrainienne et anciennement russe ne soit pas supprimée par une adhésion
ultérieure à l’OTAN ou à l'UE. La politique de reset avec les Russes est donc
un échec total imputable aux deux camps mais dont le premier responsable est
l’Occident qui n’a pas respecté le maintien d’une zone tampon entre les deux
"empires".
Face à la menace de l'Etat islamique, aux provocations russes en Ukraine et à la faiblesse de la défense européenne, ce réengagement des Etats-Unis est-il une bonne nouvelle ? Sous quelles conditions pourrait-il profiter à l'Europe ?
Alexandre Del Valle : Selon moi, ce n'est pas une bonne nouvelle car même si c'était utile, ce dont je doute, cela montre qu'il y a un durcissement entre les Russes et les Occidentaux et que l'OTAN continue à désigner la Russie comme une menace. Le secrétaire d'Etat américain a parlé d'agression russe. Or, quand on parle d'agression, on a affaire à un ennemi. Considérer la Russie comme un ennemi ne peut être une bonne nouvelle pour personne et surtout pas pour ceux qui n'aiment pas la Russie. Les Ukrainiens et les Polonais seront forcément perdants s'il y a un affrontement entre la Russie et l'Union européenne.
Par ailleurs, le secrétaire d'Etat américain a également désigné la Chine comme un ennemi. Se dessine une sorte de nouvelle Guerre froide dans laquelle perdure le camp russo-communiste qui est le camp du mal et le camp du bien incarné par l'Occident libéral et individualiste. Sortir de ce vieux schéma semble très difficile.
La Chine communiste n'a plus grand-chose de communiste
puisqu'elle est intégrée dans le marché mondial et la Russie n'a plus rien non
plus de communiste même s'il y a des nostalgiques de Lénine et de Staline.
C'est un pays d'oligarchie qui n'a rien de marxiste. L'OTAN a tout intérêt à ne
pas changer de logiciel : sa raison d'être est d'endiguer la Russie. Ainsi,
même si les Russes ne sont pas menaçants, tout devra être fait pour faire
croire qu'ils le sont. De la même façon, lorsque la Turquie a abattu un avion
russe, elle cherchait à exciter les pays de l'OTAN contre la Russie au nom de
l'article 5 de l'OTAN qui impose la solidarité entre les pays membres. Les pays
baltes et les Polonais sont dans une logique similaire : ils essaient d'obliger
les pays de l'OTAN à être solidaires dans une position radicalement antirusse
et revancharde. Personne n'a intérêt à faire du revanchardisme.
Sous Nicolas Sarkozy, la France a rejoint la structure de commandement de l'OTAN. François Hollande va plus loin encore : un projet de loi a été déposé le 4 janvier pour une réintégration de la France à l'ensemble des instances de l'OTAN. Ces deux décisions entérinent-elles une rupture historique avec la ligne gaullo-mitterrandienne en matière de politique étrangère?
Alexandre Del Valle : Le premier à avoir rompu avec cette ligne est le fossoyeur du gaullisme, Jacques Chirac. Il a commencé le mouvement de rapprochement avec l'OTAN, Sarkozy n'a fait que le continuer et Hollande est en train de l’achever. C'est malheureusement ou heureusement, c'est selon, une tendance lourde qui est elle-même liée à la faiblesse des budgets militaires des pays européens, de ce fait incapables d’avoir une défense propre autre que celle de l’OTAN pilotée par les Etats-Unis. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs assez intelligemment justifié ce rapprochement, selon lui inévitable dans ce contexte. Sa position était relativement équilibrée : il voulait certes revenir dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, mais tout en se rapprochant considérablement de la Russie. La France était ainsi à la fois très proche de la Russie - c'était le pays le plus pro-russe avec l'Italie parmi les pays d'Europe de l’Ouest - et se rapprochait en même temps de l'OTAN. L'idée de Sarkozy était la suivante : "mieux vaut compter au sein de l'OTAN en étant vraiment intégré que d'être plus ou moins membre sans être associé aux décisions stratégiques". Ce point de vue se tient dès lors que nous n’avons pas les moyens d’une souveraineté militaro-stratégique totale. C’était une position logique car la France était de fait dans l'OTAN mais sans profiter des avantages des pays décideurs membres du Commandement militaire intégré.
Malheureusement, la vision du Gouvernement Hollande,
indépendamment des qualités réelles de son ministre de la Défense, n'est pas
aussi équilibrée puisque, jusqu’aux attentats du Bataclan, la Russie était un
ennemi et traité comme tel par François Hollande. A
contrario, l'Italie qui est membre de l'OTAN mais qui est également
très proche de la Russie, a toujours refusé de diaboliser la Russie. La
position d’équilibre de Rome (de Berlusconi à Matteo Renzi) qui consiste à être
allié avec l'OTAN et à avoir des rapports de bon voisinage avec la Russie, est
selon moi la bonne, à l’opposé de celle du quinquennat de Hollande qui marque
la fin de ce qui restait de la stratégie gaullienne qualifiable de
"continentale".
La rupture avec cette tradition française d'équilibre
continental au profit d'un déséquilibre atlantiste est consommée, même si les
choses peuvent évoluer du côté français si les conflits ukrainiens et syriens
sont résolus (ce dont nous sommes encore très loin). En cela, la politique étrangère
de Hollande se distingue de celles de Sarkozy et même de Chirac : bien qu'étant
libéral et atlantiste, Sarkozy avait quand même renoué avec l’allié russe dans
la tradition gaulliste de sa famille politique d’origine. Malgré le fait qu’il
ait abandonné la plupart de ses principes gaullistes, Jacques Chirac était lui
aussi également en bons termes avec Moscou, bien que se rapprochant de l’OTAN.
A l'inverse, sous François Hollande, on constate un atltantisme assez radical
qui rappelle celui des socialistes sous la IVème République, car il ne
s'accompagne pas d'un rapprochement ou d'une amitié poussée avec la Russie.
Quelles sont les priorités de
l'action extérieure de la France ? Existe-t-il toujours une spécificité
française dans le domaine de la politique étrangère, ou bien cette dernière
est-elle définitivement condamnée à s'aligner sur les intérêts stratégiques
américains ?
Alexandre Del Valle : Je ne sais pas si la France va s'aligner totalement sur les intérêts stratégiques américains, car la France est malgré tout une puissance moyenne, au sens positif du terme qui signifie qu’elle est une puissance géostratégique malgré son affaiblissement : elle est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, elle dispose d'une certaine liberté d’action géopolitique du fait de la détention du feu atomique autonome et de ses fleurons industriels et de la puissance de son Etat puis de ses possessions maritimes.
De ce point de vue, sa puissance stratégique est
supérieure à celle de l'Angleterre au niveau international, puisque
l'Angleterre partage sa bombe atomique avec les Américains. La France restera
donc parmi les pays européens un des plus souverains d’un point de vue
diplomatique et géopolitique. Toutefois, elle a de moins en moins de moyens
concrets : l'armée a de moins en moins les moyens de faire face sur plusieurs
fronts, elle est de plus sous-équipée au niveau conventionnel, elle vend des
appareils de haut niveau aux autres mais peine à s’équiper à la hauteur de ses
ambitions et de sa présence partout dans le monde. La France n'a plus les
moyens de sa puissance, elle ne peut plus faire cavalier seul, et c'est
peut-être dans ce cadre-là et pour cette raison basique qu'elle approfondit son
enracinement dans l’OTAN, et donc perd de son autonomie stratégique.
La France aurait tout intérêt, comme elle l'a fait dans
le passé jusqu'à Chirac et Sarkozy, à promouvoir une Europe de la défense dont
elle serait le pivot. Malheureusement, dans la démocratie européenne
aujourd’hui, caractérisée par la démagogie et l'Etat-assistanat, augmenter les
budgets de défense est très mal vu, sauf en cas d'attentats terroristes dans le
cadre de déclarations démago-électoralistes peu ou pas suivies d'effet. Dans
des pays sociaux-démocrates comme les pays européens, il n'existe aucune
volonté politique déterminée à augmenter les budgets militaires de façon assez
satisfaisante pour avoir une vraie politique de défense européenne, inexistante
depuis la fondation même de l’UE qui se repose sur l’OTAN de façon volontaire,
comme cela est officialisé dans tous les traités européens jusqu’à Lisbonne. Je
ne suis donc pas d’accord avec ceux qui accusent les Etats-Unis : les premiers
responsables de la faiblesse stratégique européenne, de sa division et de
l’absence de défense européenne et donc de la domination étatsunienne sont les
Européens eux-mêmes, atteints du syndrome de la "volonté
d’impuissance".
La situation est la suivante : personne ne veut
investir ce qu'il faudrait investir pour avoir une vraie défense européenne et
il n'y a aucune convergence de vue des pays de l'UE concernant la Russie : Les
Grecs, les Hongrois, les Chypriotes, les Italiens (et demain les Serbes) sont
par exemple favorables à Moscou, tandis que les Polonais, les Roumains, les
Baltes et les Britanniques sont outrancièrement anti-russes et soumis aux
intérêts atlante-étatsuniens. La direction politique de l’UE n’a non seulement
"pas de numéro de téléphone unique", comme disait Kissinger, mais
elle est chaotique et atomisée/divisée diplomatiquement et géopolitiquement, et
même économiquement et idéologiquement, sans oublier les cultures et histoires
nationales divergentes. Du fait de ce manque de moyens et d'unité de vues,
personne n'a envie de construire une vraie défense européenne qui nécessiterait
une convergence sur ces points aujourd’hui impossible. Ne reste alors qu'une
solution de partage des coûts avec le protecteur américain qui, lui, consacre
près de 600 milliards d’euros à sa défense, puis d'alignement sur l'OTAN.
L'Europe est donc condamnée à rester une "puissance
molle", à la remorque des Etats-Unis, un continent qui devient une sorte
de marche de "l'empire américain". Comme l'affirmait de façon un peu
cynique Zbigniew Brzeziński, grand stratège américain, dans son best seller Le Grand Echiquier,
l'Europe est vouée à être une possession de l'empire étasunien, tant d’un point
de vue géostratégique que culturel, idéologique et comportemental ("Culture Mc World"),
et je n’en blâme pas les Américains qui ont un réel projet politique,
idéologique et civilisationnel et une "volonté de puissance", alors
que les Européens traumatisés par les guerres civiles européennes passées et
plongés dans le confort de l’Etat-providence semblent, comme l’écrivait peu
avant sa mort mon ami et maître le Général Pierre Marie Gallois, "sortis de l’Histoire".
* Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Ancien éditorialiste à France Soir,
il enseigne à Sup de Co La Rochelle et est chercheur associé à l'Institut
Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les
Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique. Il est notamment auteur des livres Le Chaos Syrien, printemps
arabes et minorités face à l'islamisme (Editions Dhow
2014), Pourquoi on tue des chrétiens dans le
monde aujourd'hui ? : La nouvelle christianophobie (éditions Maxima), Le dilemme turc : Ou les vrais enjeux
de la candidature d'Ankara (Editions des Syrtes) et Le complexe occidental, petit traité de déculpabilisation
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