Le régime républicain, supplantant les monarchies, a produit des
dictateurs chez les peuples dits "arabes". Dans le monde arabe le
déclin des libertés et des droits de l'homme a immanquablement suivi le passage
de pays monarchiques à un système républicain. Ce fut le cas en Libye, en
Tunisie, en Égypte, en Irak, en Afghanistan, où les monarchies tempérées ont
laissé place à des républiques radicales dirigées d'une main de fer par des
dictateurs.
Faut-il pour autant revenir
au régime monarchique ?
Faut-il pour autant rejeter les partis politiques ?
Il faut aux tunisiens plus de vigilance s'ils ne veulent pas
voir pérenniser les républiques bananières soumises aux dictateurs, comme
cherche à l'instaurer Ghannouchi et ses frères musulmans pour ramener la Tunisie dans le giron du VI éme Calife Erdogan !
R.B
« Si on confiait au diable l’organisation de la
vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux » nous dit
Simone Weil.
Dans ce court essai écrit en 1943, la philosophe
Simone Weil s’intéresse aux partis politiques au sens européen, en excluant la
réalité différente qui est, selon elle, celle des pays anglo-saxons :
L’idée de parti n’entrait pas dans la conception
politique française de 1789, sinon comme mal à éviter. Mais il y eut le club
des Jacobins. C’était d’abord seulement un lieu de libre discussion. Ce ne fut
aucune espèce de mécanisme fatal qui le transforma. C’est uniquement la
pression de la guerre et de la guillotine qui en fit un parti totalitaire.
Le poids des passions collectives
Or, selon elle, le mal des partis politiques saute aux
yeux. Et donc, quel intérêt y-a-t-il à conserver quelque chose de mal ?
Elle commence donc par s’interroger sur les critères
du bien (la vérité, la justice, l’utilité publique), avant de voir si la démocratie, en tant que pouvoir
du plus grand nombre, peut y répondre.
En réalité, l’idéal républicain repose sur la notion d’intérêt général de Rousseau, dont l’idée est sujette à caution.
Sans doute le philosophe avait-il sous-estimé le poids des passions collectives,
qui peuvent mener à l’amplification des crimes.
Si 1789 et les cahiers de doléances avaient pu laisser
entrevoir une véritable expression des préoccupations légitimes du peuple
français, l’espoir démocratique ne fut que de courte durée et lui a rapidement largement échappé.
Dans ce que nous nommons de ce nom [la
démocratie], jamais le peuple n’a le moyen ni l’occasion d’exprimer un avis sur
aucun problème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux intérêts
particuliers est livré aux passions collectives, lesquelles sont
systématiquement, officiellement encouragées.
Que sont les partis politiques ?
Un parti politique est une machine à fabriquer de la
passion collective.
Un parti est une organisation construite de manière à
exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui
en sont membres.
La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin
de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.
Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en
germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que
ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui.
De fait, il règne une confusion permanente entre fins
et moyens. Et seul le bien devrait constituer une fin. Pour cela, encore
faudrait-il que les partis aient une réelle doctrine. Ce que l’on ne peut
jamais réellement constater dans une collectivité. C’est pourquoi il est inévitable
que le parti soit, en fait, sa propre fin. Et on sombre alors dans
une forme d’idolâtrie.
Quelles en sont les conséquences ?
L’impuissance des partis au pouvoir est toujours
attribuée, nous dit l’auteur, à l’insuffisance de pouvoir dont il dispose. Ce
qui explique sa recherche, ou du moins son désir, de la puissance totale. Ce
qui explique la priorité (consciente ou inconsciente) accordée à la recherche
de sa croissance matérielle. Qui constitue alors, qu’on le veuille ou non, un
critère du bien.
Il s’ensuit naturellement et inévitablement une
pression collective du parti sur les pensées des hommes. De manière avouée. Et
le principal instrument en devient la propagande, sans laquelle le parti
disparaîtrait au bénéfice d’un autre, concurrent. Ce qui est incompatible avec
la recherche de la vérité, qui n’est qu’une. Et donc du bien.
L’appartenance à un parti, par discipline collective,
implique le mensonge. Le représentant d’un parti ne peut, de fait (ou si peu),
se permettre de trahir les siens par la défense de ses pensées personnelles.
Il en découle que l’existence des partis, selon Simone
Weil, est un mal.
C’est en désirant la vérité à vide et sans tenter d’en
deviner d’avance le contenu qu’on reçoit la lumière. C’est là tout le mécanisme
de l’attention. Il est impossible d’examiner les problèmes effroyablement
complexes de la vie publique en étant attentif à la fois, d’une part à
discerner la vérité, la justice, le bien public, d’autre part à conserver
l’attitude qui convient à un membre de tel groupement. La faculté humaine
d’attention n’est pas capable simultanément des deux soucis. En fait quiconque
s’attache à l’un abandonne l’autre.
Ce qui en découle
Or, comme nous le savons tous, nul ne peut espérer
intervenir efficacement dans les affaires publiques s’il n’entre pas dans un
parti, puis n’en joue pas le jeu. C’est là que le bât blesse. Et c’est ce qui
aboutit à ce que nombreuses soient les mesures contraires au bien public, à la
justice et à la vérité à être exécutées.
C’est pourquoi Simone Weil rêve qu’en lieu et place
des partis s’imposent des individus sans étiquette, plus libres de leurs
propos.
Et, comme pour répondre par avance aux évidentes objections,
elle ajoute :
On se dit : si c’était si simple, pourquoi est-ce
que cela n’aurait pas été fait depuis longtemps ? Pourtant, généralement,
les grandes choses sont faciles et simples. Celle-ci étendrait sa vertu
d’assainissement bien au-delà de affaires publiques. Car l’esprit de parti en
était arrivé à tout contaminer.
Et il est de fait que :
On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun
domaine, qu’en prenant position « pour » ou « contre » une
opinion. Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit
contre. C’est exactement la transposition de l’adhésion à un parti.
C’est ce qui définit la transposition de l’esprit
totalitaire : ceux qui ont pris position pour une opinion ne consentent
pas, la plupart du temps, à examiner quoi que ce soit qui lui soit contraire.
État d’esprit que l’on retrouve aussi bien en
sciences, mais également dans l’art et la
littérature.
Des formes de militantisme qui s’étendent même au
milieu scolaire, ajoute l’auteur, ou au lieu d’inciter à développer une
réflexion, déjà à l’époque on demandait de développer des arguments pour ou
contre (on sait qu’on en est loin
maintenant).
En conclusion, Simone Weil justifie son sujet de la
manière suivante :
Presque partout – et même souvent pour des problèmes
purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou
contre, s’est substituée à l’obligation de penser. C’est là une lèpre qui a
pris origine dans les milieux politiques, et s’est étendue, à travers tout le
pays, presque à la totalité de la pensée.
Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre,
qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques.
Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques,
Allia, La très petite collection, février 2017, 48 pages.
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