lundi 29 avril 2019

La loi électorale à l'origine de la paralysie de la Tunisie

La Tunisie est malade de sa constitution islamiste mais aussi de la loi électorale à la proportionnelle, toutes deux imposées par les Frères musulmans. Il devient urgent de changer de loi électorale ; et ce avant les prochaines élections !
R.B
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En finir avec la représentation proportionnelle avant le 7 octobre 2019

La représentation proportionnelle conduit à ce que, lors d’une élection, les sièges à pourvoir dans une circonscription déterminée soient répartis entre les listes des candidats proportionnellement au nombre de suffrages qu’elles ont obtenues. Elle serait donc plus équitable que le scrutin majoritaire qui attribue les sièges aux candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de voix.
Point n’est besoin de dire l’importance d’un tel choix sur le plan politique. La proportionnelle tend à la justice électorale et assure aux minorités qu’elles soient représentées conformément à leur base réelle.
Elle présente cependant des inconvénients majeurs :
D’une part, les électeurs se voient imposer des candidats qu’ils n’eussent, peut-être pas, spontanément choisis, le plus souvent parce qu’ils manquaient de la compétence nécessaire ou parfois d’un attachement à la circonscription.
Il conduit d’autre part à la subordination de l’élu et parfois de l’électeur. Privé de la liberté de choisir son candidat, l’élu ne dispose pas en effet, de la faculté de discuter librement les mesures présentées à son approbation. Il ne s’agit plus de discuter mais d’enregistrer des rapports de force. Plus concrètement, entré à l’assemblée par la grâce de son parti, le député est lié par les consignes qu’il reçoit et devient plus soucieux de plaire à l’appareil qu’à l’intérêt général.
Dans certains cas, la confiance dans les dirigeants des partis conduit à un abandon quasi-total aux institutions dirigeantes pour mener comme elle l’entendent leur action politique. Le bulletin électoral devient alors un simple blanc-seing. L’élection choisit son parti, il ne choisit pas son candidat.
Plus grave, dans certains cas, ce mode électoral conduit à la colonisation de l’Etat. En effet, au moment de leur apogée, le « tripartisme » en France et la « Troïka » en Tunisie ne limitaient pas leur volonté de puissance à la domination de l’assemblée, mais également à la domination des rouages de l’Etat en installant leurs hommes dans l’administration et les services publics.
En Tunisie, l’accord passé par la « Nahda » avec le « CPR » et « Ettakatol » opère un véritable partage de zones d’influence attribuées à chacun d’entre-elles. Ce partage portait, non seulement sur l’assemblée, mais également sur les divers ministères, la présidence de la République et l’assemblée, ainsi que les directions des services publics.
En Tunisie et après la révolution, le système électoral a été élaboré par un comité composé essentiellement de personnes dépourvues de compétences en la matière.
Seuls quelques « nostalgiques », essentiellement des universitaires et quelques hommes politiques, prêchaient dans le désert en soutenant le scrutin uninominal. La majorité des membres du comité ont choisi la proportionnelle (méthode Hendt et listes bloquées), parce que ce mode leur accorde une prime à laquelle il leur était difficile de renoncer. Ce système ayant été forgé pour se maintenir, beaucoup de partis n’envisagent plus actuellement un autre système qui les contraindrait à se sacrifier sur l’autel de l’efficacité politique et la justice électorale. On en retire l’impression que chaque formation politique, voire même chaque député, est prêt à se sacrifier sur l’autel de sa propre réélection. Pourtant, à l’évidence, ce mode électoral a contribué au malaise « institutionnel » et politique et à la crise actuelle de décroissance économique.
Huit ans après la révolution, les Tunisiens sont témoins de jeux politiques stériles, dans un système qui n’a pas fondamentalement changé et qui provoque de régulières explosions dans les régions toujours en mal de changement.
Mais que peut-on attendre de deux chefs de gouvernement depuis 2014 qui ne doivent rien à aucun parti et qui ne se sont imposés ni par leur compétence ni par leur efficacité en matière économique ou sociale ? Leur seule référence, c’est le président de la République, leur légitimité c’est d’avoir été choisi par lui. Il ne s’agit pas de grands réformateurs qui s’adressent directement au peuple mais de simples gestionnaires.
Les résultats de ces huit ans de « ratage » : une « Tunisie » déchirée et encore à la recherche d’un chef charismatique revêtu d’une aura en raison de ses dons, de son ascendant et aptitudes exceptionnelles et qui serait en mesure de surmonter toutes ces contradictions.
Sortir de la crise
On ne refera pas le passé, mais comment sortir de cette crise profonde qui va malheureusement se maintenir ?
Le ras-le bol des Tunisiens à l’égard des dirigeants est justifié et on ne peut continuer à opposer les catégories sociales les unes aux autres. Les gouvernants se sont révélés incapables de mettre en place un projet de réforme crédible et applicable. Et à la question « quelle trace ces dirigeants laisseront-ils dans l’histoire ?», la réponse est « rien ou presque rien ».
La transition
Elle passe par un changement du modèle actuel. Les objectifs de la révolution ne pouvaient être atteints que dans le cadre d’un choc politique, économique et social. La priorité est dans l’abandon de ce mode électoral qui a tué la politique. Les dirigeants actuels doivent se rendre compte d’un fait : le peuple tunisien s’est réveillé et qu’il avance.
Faut-il le rappeler : La Tunisie a réinventé dans le monde arabe la révolution après la décolonisation. Mais si elle est importante comme expérience dans le monde arabe, elle dérange aussi beaucoup ces pays qui ne veulent ni liberté, ni démocratie.
Le 7 octobre 2019, la Tunisie sera sous le regard du monde arabe (et également de l’occident) car elle constitue une curiosité et une exception aux yeux du monde entier. Elle étonne par le suspense politique entretenue et représente un théâtre politique sans égal. C’est pourquoi cette élection législative n’est pas vraiment comme les autres (2011-2014-2019).
Les tunisiens doivent se résoudre à fournir l’effort que la nouvelle situation exige. Au-delà de la réaffirmation des valeurs de liberté et de démarche contre le pressionnisme de certains pays arabes, nous devons comprendre qu’il ne peut y avoir une démocratie sans le peuple et que l’on ne peut accéder à une véritable démocratie sans une participation effective au vote.
Des gouvernements sans le peuple
Les campagnes électorales de 2011-2014 et 2018 se sont terminées sans que soient invoqués les problèmes économiques et sociaux essentiels. Sans que les comités de partis se rassemblent ou appellent à voter pour l’un ou l’autre des candidats. Sans qu’aucun prétendant à un siège de député ait fait connaitre d’une quelconque façon son attachement à l’un des problèmes qui préoccupe le pays.
Aucun combat frontal ne les a opposés sur aucune des questions majeures. Aucun des candidats ne s’est ouvertement battu pour une réforme majeure en matière économique, financière et sociale. Tout cela a été remplacé par de petites apparitions à la télévision. 
Avec l’image, la politique s’est décrochée de l’histoire. Plus grave encore, le lien entre la pensée et l’action politique s’est rompue et remplacée par des intello-médiatiques faisant du bruit avec de vieux instruments.
Election par défaut
Dans la démocratie, l’idée n’est pas nouvelle. Dans la compagne électorale s’installe l’idée que les électeurs vont voter pour le candidat de leur choix et s’attendent à ce que leur choix indique le bon bulletin.
Les élections de 2011-2014-2018 n’ont pas de signification, ni de portée. L’électeur n’avait à se prononcer, ni sur des choix, ni sur des réformes, ou sur un programme. Il n’avait plus à choisir mais simplement à obéir. Devant un choix impossible, beaucoup d’électeurs ont préféré ne pas choisir en s’abstenant de voter ou de voter blanc.
Aujourd’hui, à moins de quelques mois des élections législatives du 7 octobre 2019, une petite musique se fait insistante dans le concert des analystes politiques : les électeurs seraient à ce point déçus qu’ils envisagent nombreux de s’abstenir ou de voter blanc, faute de pouvoir faire entendre leur désaccord et leur désarroi.
Mais ce qui serait noble et émouvant, c’est que le 7 octobre ? devant un choix impossible, il faudra choisir :
D’abord, parce que la démocratie est une construction intellectuelle qui repose sur des fictions au rang desquelles celle du gouvernement par une majorité, et que faut-il le rappeler, la démocratie est le seul régime où les gouvernés peuvent choisir leur gouvernement.
Ensuite, parce que voter c’est choisir et que voter blanc ou s’abstenir, c’est y renoncer. Dans « Je rêve d’être tunisien » R. Daoud écrit : « l’électeur arabe ne croit pas à sa propre capacité d’opinion publique, ni la société civile capable de défendre l’élu ».
A la différence le tunisien doit Le 7 octobre 2019, faire face aux urnes et voter parce que le vote est à la base de son existence en tant qu’homme libre et faire entendre une opinion contraire. Il appartient à la société civile d’expliquer cette obligation, elle qui est en avance sur les politiques et dispose actuellement de moyens efficaces, dont les réseaux sociaux.
Même si l’on considère que la démocratie est le pire des régimes, il est surtout le seul qui assure que les gouvernés puissent choisir leur gouvernement. Beaucoup de pays estiment que le temps est venu pour le peuple de se gouverner lui-même en tout temps et directement (l’exemple du Soudan et de l’Algérie est signifiant). Bien entendu, la démocratie reste la meilleure à condition qu’on y parle au peuple sérieusement des problèmes économiques, financiers, sociaux, ….
Les élections de 2018
Les partis politiques ne doivent pas perdre de vue, les résultats des élections municipales de 2018 qui ont fait apparaître que la « Nahda » se maintient mieux en l’absence de toutes poussées des autres partis,
 Le problème est qui de « Nahda » ou des autres partis libéraux et de gauche se rend aux urnes le 7 octobre pour élire leurs députés ? Certainement la « Nahda ».
A la différence des libéraux et de la gauche, les électeurs de ce parti n’hésiteront pas à se rendre aux urnes pour élire leurs candidats en octobre prochain. Ils sont citoyens mais également et surtout des croyants. En plus clair, ce sont des croyants et non des engagés politiques.
Pourtant malgré sa force religieuse et d’attraction, la Nahda ne fait pas l’unanimité et il lui faudra des années pour faire oublier ses erreurs pendant la Troïka. Mais il n’empêche que ses électeurs votent pour elle. Comme le souligne R. Daoud dans « Je rêve d’être tunisien », l’électeur arabe ne croit pas que le candidat politique a une morale ou un système de valeurs, mais pense que les islamistes sont pieux et honnêtes. Voter pour eux, c’est une obligation.
S’agissant des autres partis, il existe à leur égard une lassitude qui va jusqu’à l’aversion. L’histoire politique nous enseigne que lorsqu’un parti politique émerge, il ne devient fort que quand ses buts politiques font écho aux problèmes politiques, économiques et sociaux. Si ce parti est soutenu par une masse populaire et lorsque ses buts sont atteints, cela signifie que ses idées sont devenues le nouveau consensus.
Or les partis politiques en Tunisie sont dépourvus, à la fois d’assise, et de programme. Pour l’heure, aucun de ces partis en lice pour la victoire en 2019 ne convainc par ses atouts et les compétences de ses candidats. Le danger dans une telle situation est que le maintien de ces partis dans les prochaines élections ne donne les mêmes résultats qu’en 2018, avec comme conséquence l’achèvement de la démocratisation du pouvoir.
Il ne fait cependant pas de doute que les partis politiques, chacun selon ses propres valeurs, refusent tout changement de ce mode électoral. Ce qu’ils oublient, c’est que la réalité se vengera quand éclatera une ou plusieurs de ces ignobles crises, quand la concentration des richesses et des pouvoirs sera insupportable et que le peuple tunisien se réveillera.
Le plus important dans l’immédiat est d’avoir des partis qui suscitent l’adhésion de la masse nécessaire lui permettant de mener une politique de réformes en profondeur. Pour cela, la Tunisie aura besoin d’une véritable gauche et une véritable droite.
Nécessité de deux grands partis de droite et de gauche
La vie politique en Tunisie, à droite comme à gauche n’est que querelles d’égo, de batailles juridiques, tactiques, voire même religieuses. Alors que le pays a besoin de dirigeants visionnaires qui réfléchissent au monde qui vient et participent au grand débat que le nouveau monde exige, et qu’ils doivent éviter de ne se manifester que par des querelles, les responsables politiques restent attachés à des idées sommaires sur le présent et sont dirigés par des vieux routiers de la politique la plus traditionnelle et la plus classique.
Par ailleurs, la dialectique de l’ordre et du mouvement qui constitue le moteur même de la vie politique dans les démocraties libérales implique la rivalité de deux tendances : conservatisme (à droite) et progressiste (à gauche) et que l’un comme l’autre s’expriment et agissent sur des forces politiques qui résultent de cet affrontement.
Or avec une gauche ramenée à son impuissance et une droite réduite à l’immobilisme en matière économique et sociale, tant elle est attachée au gouvernement, c’est à une dégradation de ce schéma que nous assistons en Tunisie.
La gauche qui normalement porte l’étendant de l’égalité, n’a réussi depuis 2011, ni à construire un schéma doctrinal, ni un programme économique et social commun.
Face à une classe ouvrière qui a perdu tout espoir de promotion, des ouvriers qui se heurtent tous les jours à la précarité et aux incertitudes de l’avenir et qui ont été oubliée par les gouvernements successifs, se trouve une gauche aux abonnés absents et dont le statut actuel se paie de mots.
De l’autre côté, indifférents à l’enfer des autres, l’union des conservateurs et des privilégiés, pour qui les sujets et problèmes essentiels restent tabou, bloquent les réformes indispensables, oubliant qu’en politique nul n’a jamais changé une société par simples lois ou décrets.
La Tunisie aura besoin d’une gauche et une droite
La révolution tunisienne a échoué parce que ses organisateurs n’ont pas su se doter de leaders représentatifs. Et pourtant, c’est une période extraordinaire. Avec la réussite de la révolution, le tunisien s’est trouvé dans l’émerveillement d’être tunisien. Tout semble réussir à ce peuple. En tout cas, la grande surprise, c’est la quasi-unanimité avec laquelle la majorité populaire s’est manifestée. Toute réforme en profondeur est admise. Pour le malheur de la Tunisie, les candidats à ce programme les plus sérieux ont été renvoyés chez eux. Ils sont remplacés par des inconnus, des muets et des amateurs pour lesquels d’une part la transition démocratique est la priorité et d’autre part la révolution ; c’est quoi ? Ils oublient, comme l’a souligné de Tocqueville « sous la révolution de 1789, la liberté n’a duré que quelques mois et a été remplacé par l’égalité.  
Pour le pays, le recours à l’ancien étant impossible, il faut faire du neuf et réinventer le pays. Il faut miser sur les dirigeants solides, visionnaires et une organisation issue d’une réflexion débattue par les citoyens, ainsi que sur les secteurs de l’avenir pour alimenter la croissance et l’emploi.
Il est clair que la Tunisie a besoin de grands partis (droite et gauche), l’un appuyé par l’UGTT et l’autre par l’UTICA, ces deux organisations bénéficiant d’une assise populaire appréciable.
La campagne électorale 2019 sera différente des précédentes. Elle sera l’occasion pour les candidats de présenter aux électeurs un programme complet et détaillé sur leur programme (surtout économique et social) et d’éviter ainsi les mandats des élections précédentes qui ont sombré dans le désordre et le chaos. Pour une fois, des candidats vont porter la voix de ceux qui n’ont pas.
Cela étant dit et même si l’on admet que le scrutin majoritaire interdit que soient représentées à leur juste mesure les sensibilités minoritaires, le maintien d’un scrutin proportionnel ne peut être que partiel et jouer un rôle correctif.

* Professeur émérite à la Faculté des Sciences Juridiques, politiques et sociales de Tunis 2

POUR EN FINIR AVEC LE NOMADISME DES PARLEMENTAIRES ...

IL FAUT REFORMER L’ACTIVITÉ PARTISANE


Article paru dans : Kapitalis


La classe politique tunisienne apparue après la « Révolution » a amplement montré, son immaturité, son absence de convictions réelles et donc son total opportunisme. 
Ce n’est pas avec cela que l’on peut faire une grande politique et développer un projet sérieux pour le pays. Tous ces gens n’ont montré aucun sens patriotique en ce sens qu’ils ne se sont jamais préoccupés vraiment de l’intérêt du pays. Ils se sont contentés de jouer aux petits jeux politiciens, jeux de personnes et de petites ambitions.
Les nouvelles élections ne changeront pas la mentalité immature de ces politiques. Il faut donc dans cette période de démocratie naissante que des règles soient prises pour faire obstacle autant qu’il est possible à cette immaturité et à cette absence de patriotisme.

Un exemple montrera la réalité de cette analyse; il s’agira de voir comment y remédier dans l’avenir.

Chaque Tunisien a été effaré par le nombre invraisemblable de partis politiques (plus de 200 !) qui ne correspondent à rien, en dehors de l’ambition ridicule de certains. 
Il est donc nécessaire que des règles limitent le développement des partis qui, par leur nombre, nuisent à un réel débat démocratique.
Les Tunisiens ont également vu la transhumance touristique pour ne pas dire vagabondage des députés d’un parti à un autre avec des retour au parti d'origine, démonstration là encore d’une maladie politique.
Il serait sans doute possible de mettre un terme à ces allées et venues ridicules en indiquant qu’une fois élu sur la liste d’un parti, il ne serait pas possible de changer de camp et donc de parti sauf à démissionner de son poste de député.  
Cette règle aurait pour mérite que soit respectée par le député, la volonté de ses électeurs. Quand ils l’ont choisi, ils l’ont fait en partie parce qu’il se réclamait de tel ou tel parti.  En quittant le parti - ce qui est son droit -, ce député trahit ses électeurs et devrait être contraint de quitter son poste. 
Cela assurerait une plus grande morale et un respect plus grand de la volonté des électeurs.

Cela aurait aussi le mérite de clarifier la situation et d’assurer des majorités plus stables.

Le droit est fait pour cela. Quand les gens ne sont pas capables par eux-mêmes de respecter ce qui devrait être élémentaire, le droit doit les y contraindre.

Rachid Barnat


dimanche 28 avril 2019

14 JANVIER 2011 : ALORS, RÉVOLUTION OU PAS RÉVOLUTION ?

Pour qu'il y ait révolution, encore faut-il que les conditions pour son avènement soient réunies. Si le mécontentement s'est généralisé suite aux dérives que prenait le système Ben Ali vers une dictature policière étouffante, il fallait un facteur déclenchant pour qu'elle advienne ! Celui-ci, malheureusement, est venu de l'étranger; ourdi par les EU + UE + Israël + Qatar !

Si les tunisiens dans l'euphorie du départ de Ben Ali ont cru en être les instigateurs, ils vont très vite découvrir la manipulation dont ils ont été l'objet.
S'ils ont été fiers de leur "révolution du jasmin" qui a initié le "printemps arabe", ils vont découvrir que tout était orchestré par des étrangers selon des plans préétablis jusqu'aux choix des noms de "printemps arabe" qui va toucher les républiques "arabes" et celui de "révolution du jasmin", clin d’œil aux tunisiens pour leur art de vivre symbolisé par cette fleur !

Ce coup de pouce pour dégager un dictateur, faut-il le rejeter pour autant ? Oui, si on l'estime une ingérence et non si les tunisiens sauraient contrecarrer le projet initial de ses instigateurs, qui ont programmé le chaos créateur pour recomposer le monde "arabe" en imposant aux républiques "arabes" les Frères musulmans par tous les moyens, (le terrorisme ou le consensus) faisant de la Tunisie le laboratoire expérimental pour une "démocratie arabe", démocratie au rabais où le prétendu islamisme modéré des Frères musulmans, comme disent les américains et les européens, serait tout à fait compatible avec la démocratie !

Ils pourraient prétendre à une révolution s'ils parvenaient à libérer la Tunisie de ses envahisseurs islamistes à la solde du Qatar. Alors, ils pourraient envisager d'autres révolutions telle que l'instauration de la laïcité, une démocratie réelle avec un Etat de droit où la justice sera indépendante ... mais pour cela il leur faut d'autres révolutions, dont celles des mentalités !
S'ils parvenaient à l'égalité entre hommes et femmes en matière d'héritage, à dépénaliser l'homosexualité ... ; cela fera d'eux une fois de plus un peuple leader contre l’archaïsme sclérosant qui empêche les peuples de progresser et de se rapprocher des nations civilisées.
Et si aux élections présidentielles, ils élisent une femme ; ce sera alors une grande première et une véritable révolution dans les pays dits "arabo-musulmans" auxquels certains s'obstinent à rattacher la Tunisie !

Rachid Barnat
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LETTRE OUVERTE À ABIR MOUSSI

Maître,
Certes, vous avez raison de dire que la révolution tunisienne s'apparente plutôt à un coup d'État fomenté par des forces étrangères.
Certes, vous avez raison de dire que les khouwanjia (Frères musulmans) en ont profité pour prendre le pouvoir et détruire l'état tunisien.

Cependant, il est évident que la Tunisie ne pouvait pas faire l'économie de ce changement de régime qui a permis de mettre à nu l'état général du pays et ses dysfonctionnements les plus graves :
- La corruption et le banditisme érigés comme principes de fonctionnement de la société.
- La poursuite de la déchéance du système éducatif et de l'enseignement qui a engendré des générations de citoyens facilement manipulables par les discours obscurantistes.
- L'absence totale de toute forme de démocratie et de liberté d'expression.

Cette mise à nu, qu'a permis la révolution était absolument nécessaire pour stopper le pourrissement du pays par la dictature d'une famille qui a régné en maître absolu sur notre pays pendant 23 ans.

Or vous rejetez en bloc la révolution car vous ne focalisez votre appréciation que sur ce qu'en ont fait les khouwanjias et leurs acolytes. Alors que la révolution à laquelle nous avions tous cru un certain 14 Janvier 2011 aura nécessairement un effet salvateur pour peu que nous nous la réappropriions.

Maître Moussi, vous qui avez montré que vous êtes le leader que la Tunisie attendait pour sauver la Tunisie, je m'adresse à vous, aujourd'hui, pour vous dire que le peuple tunisien qui a enfanté sa Révolution, compte sur vous pour la glorifier au lieu de la renier, et surtout pour la réorienter vers la réalisation de ses objectifs.

Votre discours ne sera audible pour les tunisiens que si vous prenez acte du poids historique de la révolution qui ouvre une ère nouvelle pour la Tunisie qui accède enfin à la démocratie sans laquelle aucun progrès réel et durable n'est possible.


Avec tout mon soutien et mon immense gratitude pour votre valeureux combat.

Amina Moalla



mercredi 24 avril 2019

Bourguiba, le visionnaire !


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BOURGUIBA, IMPOSSIBLE AUJOURD’HUI !

Bernard Legendre vient de publier un livre sur Habib Bourguiba qui semble être une somme très documentée et dans laquelle il revient sur ce parcours exceptionnel et sur les réalisations de ce Président dont il est indiscutable qu’il a conduit son pays vers la modernité et le progrès. Sans cacher les ombres de cette longue carrière, il insiste sur les deux apports fondamentaux à son pays : l’éducation et le statut personnel qui ont fait de la Tunisie une exception et un phare dans le monde dit « arabo-musulman ».

Mon propos n’est pas de revenir sur cette vie bien connue maintenant ni même sur ces deux apports au pays qui sont très bien analysés dans un article du Point, mais de démontrer que cela n’a été possible qu’en raison de la majorité dont il disposait et que cela ne serait plus possible aujourd’hui  avec la Constitution calamiteuse mise en place par les islamistes et leurs idiots utiles les prétendus  progressistes.

Par exemple sur son projet en matière d’éducation qui peut être résumé en disant, que premièrement il voulait une éducation solide pour tous les Tunisiens de quelques milieux qu’ils soient (ce qui au passage est une idée plutôt de gauche), que donc il voulait y mettre les financements nécessaires. Qu’en second lieu il voulait une éducation moderne avec une place importante pour le français car il n’avait pas de complexes à l’égard de cette langue ce qui n’est pas le cas de beaucoup et qu’il savait que cette langue était porteuse de valeurs, celles des lumières donc du progrès et qu’elle était un moyen de s’ouvrir sur le monde.

On sait qu’aujourd’hui une grande partie de son apport a été détruit et que l’éducation est en très mauvais état, détruite d’abord par Ben Ali et ensuite par les obscurantistes actuels.
Mais là où je veux en venir c’est qu’aujourd’hui avec la Constitution actuelle et le personnel politique, un nouveau projet de développement de l’éducation, pourtant absolument nécessaire, est absolument impossible car aucune majorité sérieuse et stable ne pourra sortir du système actuel.

Les panarabistes de l’Assemblée comme les islamistes seront par exemple hostiles au développement du français langue du colonisateur (ils ont encore des complexes !) et les islamistes y seront hostiles car ils luttent contre les valeurs véhiculées par cette langue, la liberté, l’égalité, les droits de l’homme et de la femme, la raison.

Il en est de même sur la deuxième reforme emblématique de Bourguiba sur le statut personnel (divorce …). Les obscurantistes ne voudront accepter aucun progrès. On le voit très bien aujourd’hui où le projet d’égalité dans l’héritage a le plus grand mal à sortir et il n’a pas été possible de mettre en place la Cour Constitutionnelle pourtant essentielle et où le pouvoir se contente de gérer au jour le jour !

Voilà donc deux exemples concrets qui démontrent que Bourguiba lui-même s’il avait eu à faire à cette Constitution, n’aurait pas pu réussir ces reformes pourtant fondamentales.

Ces exemples doivent convaincre les Tunisiens qu’avec la Constitution actuelle et le régime électoral voulu par les obscurantistes, aucun grand projet de développement du pays ne pourra voir le jour ; et que la division, l’impuissance organisée, ne permettent plus ce qu’a magnifiquement réussi le Président Bourguiba.

Veut-on continuer comme cela et maintenir le pays dans la régression ? Est-cela que les Tunisiens veulent pour leurs enfants? Ne souhaitent ils pas que le pays adopte un nouveau plan de progrès pour l'avenir?

Tout l’enjeu des prochaines élections est là et seule Abir Moussi a un projet pour permettre de sortir de cette impuissance où les islamistes ont voulu placer le pays.

Sur les traces de Bourguiba

Habib Bourguiba avait offert aux femmes tunisiennes sans qu'elles aient lutté pour les avoir, des droits uniques en leur genre dans les pays dits "arabo-musulmans" ! Et dire qu'il y a des femmes qui souhaitent revenir au statut peu enviable de leurs grands mères et arrières grands, qu'elles n'ont pas connu pour la plupart d'entre elles, juste par adhésion à une idéologie rétrograde d'islamistes incultes qui les exècrent par ailleurs ! Il est vrai qu'elles n'ont pas lutté pour les avoir;  puisque c'est un cadeau d'un homme visionnaire qui savait qu'il ne pouvait construire un état moderne en laissant les femmes dans le statut que leur imposaient les conservateurs. Mais un jour elles se réveilleront et ce sera trop tard. C'est ce qui est arrivé aux iraniennes qui par militantisme et par rejet du Chah, ont porté le tchador; et le jour où elles ont voulu le retirer, certaines l'ont payé de leur vie.
R.B
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L'essayiste et journaliste Bertrand Le Gendre livre une biographie* hors norme de ce personnage historique clé de la Tunisie et du monde arabe. Un travail colossal.


En 2019, Bourguiba est omniprésent. Son image et son héritage sont abondamment utilisés. En cette période politiquement instable, la figure du fondateur de la République tunisienne sert de boussole à une majorité de partis politiques. On loue « l'homme providentiel » qui a négocié l'indépendance avec Pierre-Mendès France puis Edgar Faure, le politique qui a placé l'éducation au cœur du projet national, l'homme qui a accordé aux femmes des droits impensables en 1956. En 2019, son portrait trônait au-dessus du podium installé à Monastir pour le congrès de Nidaa Tounes. Accolé à celui de Béji Caïd Essebsi, l'actuel président de la République. Même les islamistes d'Ennahdh avait offert aux tunisiennes sans qu'elles aient à lutter pour les avoir, des droits uniques en leur genre dans le monde dit "arabo-musulmans".a se réfèrent parfois à lui.

Une biographie qui fera référence

L'entrée de la Tunisie en démocratie libère l'histoire, la grande et la petite. Elle permet d'aborder frontalement, avec force sources, la statue érigée à la gloire de Bourguiba. De faire la part entre légendes, fantasmes et réalités historiques. Bertrand Le Gendre, ex-rédacteur en chef au Monde, auteur d'un excellent essai consacré à Flaubert, s'est attaqué au dossier Bourguiba. Il ne se contente pas de retracer le destin d'un bâtisseur, d'un féroce politique, d'un visionnaire éclairé qui s'est peu à peu transformé en président à vie avant d'être déposé par Ben Ali en 1987. Il l'écrit entre lumières et ombres.
Le voile, un « épouvantable chiffon »

Le nom de Bourguiba demeure singulier, atypique, au fronton des héros des indépendances. Sitôt élu président de la République de Tunisie, la dotant d'une Constitution flambant neuve, il fixe deux caps : l'éducation et l'émancipation de la femme. « Personne ne lui demandait, en 1956, de remédier au statut de la femme musulmane », précise son biographe. Prenant de court la société, Bourguiba édicte un Code du statut personnel (CSP) : interdiction de la polygamie, divorce, mariage n'ayant lieu qu'avec le consentement des deux époux, maîtrise de la natalité... 
Le voile est qualifié « d'épouvantable chiffon ». Il n'ira pas jusqu'à édicter une loi pour l'interdire, misant sur « son abandon progressif ». Dans les années 1970, il tentera d'imposer l'égalité successorale. Le roi Fahd d'Arabie saoudite dira à l'émissaire : « Bourguiba est maître chez lui, mais je ne l'appuierai pas… » Driss Guiga, l'émissaire en question, expliquera : « la Tunisie n'avait pas d'argent, elle avait besoin de l'aide des Saoudiens et ne voulait pas les contrarier ». En 2017, Béji Caïd Essebsi remettra à l'agenda ce projet.
L'éducation, la priorité absolue

Au lendemain de l'indépendance, « la situation dont a hérité le jeune État est catastrophique », écrit Le Gendre, « sur 1 000 habitants, 847 ne savent ni lire ni écrire ». La scolarisation ne concerne que 41 % des garçons et 16 % des filles. En 1958, Bourguiba promet que d'ici dix ans 100 % seront scolarisés. Un défi faute d'infrastructures et d'enseignants en nombre suffisant. Le budget double de 58 à 71. Le nombre d'élèves passe de 200 000 à 800 000. Mahmoud Messadi, secrétaire d'État à l'Éducation nationale, « désislamise » l'enseignement. Le français est conservé à partir de la troisième année de primaire. Un choix pragmatique plus que politique : faute de maîtres arabophones en nombre suffisant, les enseignants français perdurent. Le Gendre n'idéalise pas les résultats de cette politique : « si la massification est méritoire », « 46 % des élèves abandonnent dès le primaire dans les années 1960 ».
Un président autoritaire puis « à vie »

Dans les années 1970, la Tunisie connaît la crise. La société ne regarde plus son leader avec le même enthousiasme qu'au lendemain de l'indépendance. La gauche s'épanouit, ce qui déplaît au fondateur de la République. Le 19 mars 1975, Habib Bourguiba devient président à vie. Les émeutes du pain, janvier 1984, ensanglanteront Tunis. Trois ans plus tard, le 7 novembre, Ben Ali accomplit son coup d'État médical : Bourguiba est jugé inapte à exercer ses fonctions par des médecins aux ordres du futur despote.
Les lignes de force passées et futures

Tout autant que la figure de De Gaulle, que l'on sort rituellement pour les élections, celle de Bourguiba demeure contemporaine. Son style, son érudition, sa modernité (il a divorcé) en font un dirigeant à part dans le monde arabe. Les Tunisiens ne sont pas tous bourguibistes. Mais même ses opposants lui reconnaissent d'avoir mené le pays sur le sentier de l'éducation. En 1958, 16 % des filles étaient scolarisés. En 2019, les deux tiers des diplômés de l'enseignement supérieur sont des jeunes femmes. Et ça, c'est à Bourguiba qu'elles le doivent.
L'Indépendance : les ruses de Bourguiba
Ou comment Habib Bourguiba, fin francophone, se joue des usages républicains pour parvenir à ses fins : la fin du protectorat français en Tunisie. Passant de Pierre Mendès-France, qui a voulu instituer l'indépendance, à Edgar Faure.
« Tout devrait rapprocher Mendès France d'Edgar Faure qui, début 1955, prend en mains les négociations franco-tunisiennes. Le nouveau président du Conseil est le seul homme politique que Mendès France tutoie – ils se sont connus à la faculté de droit – et ils appartiennent tous deux au parti radical (centre gauche). Mais dans les faits, tout oppose l'ondoyant Edgar Faure et le raide Mendès France. Le premier excelle aux combinaisons politiques quand le second les combat. Faure n'a presque que des amis au Parlement où Mendès compte surtout des adversaires. Le profil d'Edgar Faure, que son prédécesseur considère comme un « homme de droite », explique qu'il ait réussi là où Mendès France, l'homme de gauche, a échoué. Moins menacé par sa majorité, le nouveau président du Conseil peut faire aux Tunisiens des concessions que, pieds et poings liés, son prédécesseur leur déniait.
Le 21 avril 1954, Edgar Faure fait un geste auquel Mendès France s'était refusé. Il reçoit au vu et au su de tous Bourguiba à l'Hôtel de Matignon. Le Combattant suprême relate en termes imagés son arrivée, sous les flashes des photographes, au siège du gouvernement :
J'avais comme garde du corps Béchir Zarg El Ayoun qui boitait et portait secrètement sur lui un revolver. Il était tout le temps sur le qui-vive, à dévisager les journalistes pour se rendre compte si quelque énergumène, animé de mauvaises intentions à mon égard, ne s'était pas glissé parmi eux. L'entretien en tête-à-tête avec Edgar Faure dura une heure et demi.

Béchir Ben Yahmed, qui a conduit en voiture Bourguiba à Matignon, raconte que l'entrevue a failli tourner court :
Edgar Faure ne l'a pas reçu dans son bureau mais dans celui de son directeur de cabinet, Jacques Duhamel. Autant Bourguiba avait été impressionné par Mendès – pas de familiarité – autant avec Edgar Faure… Il s'est mis à hurler en feignant de quitter la pièce : « Vous savez bien que c'est moi qui décide ! » Edgar Faure le poursuivait hors du bureau : « Monsieur le président, monsieur le président… » Quand Bourguiba est remonté dans la voiture pour repartir, il m'a dit : « Ça a marché… ».
La colère feinte de Bourguiba a porté ses fruits. Quatre questions épineuses restaient en suspens entre les négociateurs. Conciliant, Edgar Faure proposait de couper la poire en deux. Refus catégorique de Bourguiba, convaincu que si le chef du gouvernement a pris le risque de le recevoir publiquement, il ne peut se permettre un échec. Bon prince, Bourguiba renonce à livrer le fond de sa pensée aux journalistes qui l'attendent au bas du perron, à savoir qu'Edgar Faure « a cédé sur toute la ligne ». Il préfère se faire diplomate : « Nous avons passé en revue les points sur lesquels l'accord n'a pu encore se faire et nous avons essayé de dominer ces points de détail pour envisager une solution d'ensemble et songer surtout à l'avenir et aux relations qui doivent exister entre Français et Tunisiens. »
Bourguiba, qui bouillait de ne pas participer directement aux discussions, peut faire la leçon aux négociateurs officiels, Ben Ammar, Slim et les autres. Sans lui, ces négociations, qui durent depuis neuf mois, seraient toujours au point mort. Dès le lendemain de son entrevue avec Edgar Faure, le terrain déblayé, les deux parties trouvent enfin un accord. Le 29 mai, ils paraphent le document qui entérine celui-ci.
Sa mission accomplie, enfin libre, le Combattant suprême peut rentrer triomphant à Tunis où l'attend une foule éperdue de reconnaissance. Le 3 juin, deux jours après son retour au pays, les deux gouvernements apposent officiellement leurs signatures au bas des conventions d'autonomie. Pour les Français : Edgar Faure et Pierre July, ministre des Affaires marocaines et tunisiennes. Pour les Tunisiens, Tahar Ben Ammar et Mongi Slim qui écrit son nom en arabe. Le 9 juillet, les députés qui avaient refusé leur confiance à Mendès France cinq mois plus tôt ratifient à une très large majorité lesdites conventions, par 538 voix pour, 44 contre et 29 abstentions. Le 4 août, le Conseil de la République (le Sénat) les entérine également, par 253 voix contre 26 et 36 abstentions. Le 27 août, Lamine Bey les « scelle » à son tour. Elles entrent en vigueur. »
Bourguiba et l'émancipation des Femmes
En 1956, « personne ne lui demandait de remédier au statut de la femme musulmane ». Pionnier en la matière, Bourguiba édicte un Code du statut personnel qui accorde aux tunisiennes des droits inédits et dans le monde arabe et dans le reste du monde.
« Personne ne lui demandait, en 1956, de remédier au statut de la femme musulmane. Il a pris seul la décision de la décoloniser, au rebours des attentes de la société, même si les élites modernistes, imprégnées de valeurs occidentales, dont il s'est entouré, l'approuvent. « Sans le préalable de l'évolution féminine, aucun progrès n'est possible », est-il persuadé.
Le 28 décembre 1956 paraît au Journal officiel tunisien, sous la signature de Habib Bourguiba, le décret du 13 août 1956 « portant promulgation du statut personnel ». Ses cent soixante-dix articles sont précédés de la formule rituelle qui n'aura bientôt plus cours : « Louange à Dieu ! Nous Mohamed Lamine Pacha Bey, possesseur du royaume de Tunisie […], sur la proposition de notre Premier ministre, président du Conseil, avons pris le décret suivant… » 
À écouter Bourguiba, le bâtisseur de la Tunisie moderne, ce code est l'une des œuvres les plus importantes et l'une des réformes les plus considérables qu'a connues le pays ». « Dans cent ans, dans mille ans, ajoute-t-il, l'histoire dira ce que l'édification de l'État tunisien […] et la promotion de notre vie nationale auront dû à cette œuvre ». Il a raison. Le nom de Bourguiba reste attaché à ce coup d'audace qui, au XXIe siècle, bénéficie encore à son pays.
Un groupe de juristes autour d'Ahmed Mestiri, le secrétaire d'État à la Justice, a rédigé cette déclaration des droits de la femme tunisienne. Trois de ses articles sont révolutionnaires. L'article 3 : « Le mariage n'est formé que par le consentement des deux époux » et donc aussi, ce qui est nouveau, de la future épousée. L'article 18 : « La polygamie est interdite. » Et l'article 30 qui proscrit la répudiation : « Le divorce ne peut avoir lieu que par devant le tribunal. » Soucieux de ménager la sensibilité des Tunisiens les plus traditionnalistes, Mestiri était d'avis d'autoriser la polygamie si la première épouse y consentait. Refus de Bourguiba. Il « tenait à l'interdiction absolue », témoigne l'ancien ministre.
Dans les faits, la polygamie est rare en Tunisie dans les années 1950 car elle coûte cher. Imprégné de valeurs occidentales, le bourgeois des villes, qui pourrait entretenir plusieurs épouses, ne la pratique pas non plus. Pour justifier cette interdiction à laquelle il tient, Bourguiba recourt à un procédé qui lui est devenu familier : il en appelle au Coran contre le Coran, en l'occurrence à un verset qui en apparence justifie la polygamie : « Épousez comme il vous plaira, deux, trois ou quatre femmes », mais qui, en pratique, la condamne : « Si vous craignez de n'être pas équitables, prenez une seule femme ». Bourguiba ne cessera de critiquer la polygamie qui, bien que minoritaire en Tunisie, a eu cours bien au-delà de 1956. « À Ksar Hellal […] quarante enfants de quatre mères différentes dans le foyer d'un père ! » s'indigne-t-il en 1974.
Le coût de la polygamie limite son usage mais il pousse les maris désargentés à répudier l'épouse qui a cessé de plaire. Bourguiba n'a pas eu à chercher loin pour condamner cette déplorable habitude : « Ma grand-mère a été répudiée après avoir mis au monde ma mère. Un caprice de mon grand-père… »
Entré en vigueur le 1er janvier 1957 sans effet rétroactif, le code du statut personnel ne remet que partiellement en cause la prééminence de l'homme tunisien. Ainsi son article 23 : « La femme doit respecter les prérogatives du mari en tant que chef de famille et, dans cette mesure, lui doit obéissance. » Le code du statut personnel ne modifie pas non plus la règle qui, pour l'héritage, attribue à une fille la moitié de la part qui revient à un fils.
Au fil des années, Bourguiba fera évoluer ce code, veillant à améliorer l'égalité entre hommes et femmes. Cependant, il n'a pas touché à l'inégalité successorale que le Coran prescrit en ces termes : « Quant à vos enfants, Dieu vous ordonne d'attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles. »
* Bourguiba, de Bertrand Le Gendre. Éditions Fayard. 444 pages, 24 euros.