5 ans après, les internautes ne voient rien venir de leur "révolution" : une contre révolution menée par les Frères musulmans semble gagner du terrain de jour en jour, d'année en année. Baisseront-ils les bras pour autant ?
La lassitude les guette : c'est ce qu’espèrent les "Frères" et ceux qui se sont compromis en se rapprochant d'eux !
Pour le moment la résistance sur la "toile" se poursuit ...
R.B
Engagés dans l’opposition au
régime Ben Ali par leurs blogs, leurs vidéos satiriques ou encore le piratage
de sites officiels, ils ont vu leurs espoirs écrasés après la
chute du dictateur.
En cinq ans, les traits ont vieilli. L’air poupin a
disparu, le visage s’est émacié, des poches se sont creusées sous les yeux. La
rage, elle, reste intacte quand il s’agit de revenir sur le quinquennat
post-révolutionnaire. «J’attends que le vieux [Béji
Caïd Essebsi, le président tunisien], ce dictateur élu, meure», lance
Yassine Ayari, de son exil parisien. «La situation est merdique,
l’Etat policier n’est jamais parti», critique Line Ben Mhenni
au sortir d’un rassemblement citoyen à Tunis. «Au matin
du 15 janvier 2011 [lendemain du départ du dictateur,
Zine el-Abidine ben Ali], on rêvait d’une certaine
Tunisie. On en est très loin aujourd’hui», constate Skander
ben Hamda, dans le bureau de son entreprise de sécurité informatique et de
gestion de réputation numérique. Malgré ce désenchantement, les
activistes 2.0 partagent une même conviction : Internet, s’il n’est pas la
cause principale, a joué un rôle d’accélérateur de l’histoire. La
cyberdissidence tunisienne existait déjà à la fin des années 90, notamment
à travers la figure de Zouhair Yahyaoui. Mais c’est le mouvement contre la
censure d’Internet, lancé au printemps 2010, qui a permis d’élargir la
contestation. Les vidéos ironiques de Yassine Ayari, Aziz Amami et Slim Amamou
(aujourd’hui responsable du parti Pirate) font mouche auprès des jeunes
Tunisiens. «Il fallait des porte-parole : Slim et Aziz, c’était des jeunes
comme nous, c’est pour ça que ça a marché», explique
Nasreddine ben Maati, réalisateur du documentaire Génération maudite (Nomadis
Images et Propaganda Productions) sur le rôle des cyberactivistes lors de la
révolution.
«Super-héros».
Dans le même temps, la contestation virtuelle a bénéficié de la
démocratisation du Web. Au tournant des années 2000, le gouvernement
favorise l’achat d’un ordinateur dans les foyers grâce à des aides au crédit.
Plus tard, l’opérateur Orange proposera la 3G et l’accès à
«0.Facebook», qui permettra de consulter gratuitement une version simplifiée du
réseau social. En hackeur confirmé - il a été emmené au poste de police
à 13 ans pour avoir pénétré le site internet d’une société - Skander
ben Hamda utilise ces moyens pour faire de la pédagogie numérique. Membre de la
plateforme Takriz, de tendance anarchiste, il fait connaître l’utilisation des
proxys pour contourner la censure au plus grand nombre, en plus de pirater les
sites de propagande de Ben Ali. «J’étais influencé par les
super-héros, je voulais combattre le mal en diffusant les articles des
opposants sur le vrai Internet», explique celui qui n’a alors
que 16 ans. Comptant une dizaine années de plus, les trois autres
opposants sont bien placés pour mesurer l’apport des réseaux sociaux. Leur
activisme politique, ils le doivent en partie à la révolte du bassin minier de
Gafsa, en 2008. Internet existait, mais «les blogs de l’époque étaient
plus faciles à censurer que Facebook ou Twitter», explique
Lina ben Mhenni. C’est sur ce terreau fertile que s’est développée la
révolution et que leur vie a basculé. Lina ben Mehenni publie en 2011 Tunisian Girl, blogueuse pour un printemps arabe (Indigène
éditions) sur son rôle de cyberactiviste. Elle est pressentie pour le prix
Nobel de la paix, se fait traiter d’impie par les religieux conservateurs. «Je suis entrée en dépression, raconte-t-elle. Je n’arrivais plus à gérer les insultes. J’espérais ne pas avoir
le prix, même si la célébrité permettait de faire passer mes messages.»
Brutal.
Depuis deux ans, Lina ben Mhenni vit sous protection policière.
Au chômage après la fin de son contrat comme enseignante d’anglais à la faculté
des sciences humaines de Tunis en septembre, elle a l’impression de payer son
nouveau statut. «Quand on me dit que je suis
surqualifiée pour un poste, moi je traduis par "trop engagée".» Lina
ben Mhenni préfère garder les bons souvenirs, ceux de février 2011, lors
des sit-in appelant au départ du Premier ministre Mohamed Ghannouchi : «Je dormais place de la Kasbah [où siège le gouvernement] et le
matin je partais enseigner à la fac. Je me souviens avoir pleuré quand les bus
sont arrivés pour faire partir tout le monde. C’est là que j’ai compris que
c’était la fin de la révolution.»
Sa période post-révolution, Sofiene Bel Haj la
définit comme un «trou noir» avec
des éclairs lumineux. Lui, qui se définit comme un «loup solitaire», se revoit
intégrer l’Instance supérieure chargée, entre autres, de l’élaboration de la
loi électorale. «J’avais le sentiment de poser
les fondements de la nouvelle Tunisie, se remémore-t-il. Il y avait aussi les pauses déjeuner où je racontais des blagues
salaces avec Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi», deux hommes
politiques assassinés en 2013. Pour Skander Ban Hamda, le contrecoup a été
encore plus brutal : «J’ai l’impression d’avoir
passé 2011 enfermé dans ma chambre.» Comme Sofiene
Bel Haj et d’autres, il est détenu plusieurs jours au sein du ministère de
l’Intérieur aux dernières heures de l’ancien régime. Lui n’est même pas encore
majeur. Traumatisé, il refuse d’en parler et se terre physiquement et
mentalement. En mars 2014, le hackeur cofonde la société Digital Kevlar.
S’il n’a jamais totalement coupé les ponts avec le cyberactivisme, c’est
l’histoire de Afraa ben Azza qui le décide à revenir sur le devant de la scène.
La jeune femme, 17 ans, est arrêtée le 16 décembre 2015
pour avoir protesté contre la fermeture d’un café. Ses conditions de détention
font écho à sa propre histoire. Il décide alors de la raconter
le 6 janvier 2016, cinq ans jour pour jour après son
arrestation. «J’inventais des histoires pour
qu’ils arrêtent de noyer ma tête dans le seau. Je savais que je n’allais pas
mourir, mais j’avais peur de mourir», révèle-t-il sur la
plateforme numérique d’information Nawaat.
Cheval de Troie.
Yassine Ayari a également connu la prison, mais plus tard. Il
est arrêté le 25 décembre 2014 et condamné par le tribunal
militaire pour avoir diffamé des officiers et cadres du ministère de la
Défense. L’activiste, dont le père, colonel, a été tué en mai 2011 par un
groupe de jihadistes, dénonçait la corruption de l’appareil militaire. A cette
époque, c’est le parti du futur président Béji Caïd Essebsi qui est au pouvoir.
Yassine Ayari est relâché après quatre mois de prison. Il décide de partir en
France pour fuir «la prison et la restauration». Ses
attaques se font alors plus violentes contre le nouveau pouvoir. Il est accusé
de jouer le cheval de Troie pour le parti islamiste Ennahdha. Lui se définit
comme proche des idées de l’ex-président Moncef Marzougui. Yassine Ayari
n’épargne pas non plus ses anciens compagnons de lutte, qu’il qualifie de «petits bourgeois». Il a rompu les ponts avec
tous les cyberdissidents, y compris Slim Amamou. Des querelles personnelles ?
Pas seulement. Pour Yassine Ayari, la rupture est surtout politique : «On assiste à une banalisation de la torture, et eux ne se
préoccupent que de faire abroger la loi 52 sur le cannabis ou
l’article 230 sur la criminalisation de l’homosexualité. Mais ce
n’est pas la réalité de ce que vivent les Tunisiens dans les régions.» Sofiene
Bel Haj répond du tac-au-tac : «Je ne pense pas que les
milliers de jeunes arrêtés au titre de la loi 52 ou ceux qui
subissent des tests anaux soient tous des petits bourgeois. Et nos mobilisations
remportent des victoires.»
Lina ben Mhenni, Skander ben Hamda,
Sofiene Bel Haj et les autres continuent de se mobiliser sur la Toile et dans
la rue, même si leur relation n’est plus aussi fusionnelle qu’avant. Tant mieux
pour la Tunisie, car à la question de savoir qui a unifié la cyberdissidence
en 2011, la réponse est unanime : Zine el-Abidine Ben Ali.
Un timbre-poste à l’effigie de Lina Ben Mhenni
RépondreSupprimerhttp://www.webdo.tn/2020/02/04/un-timbre-poste-a-leffigie-de-lina-ben-mhenni-bravo-la-poste-tunisienne/?fbclid=IwAR0xwkrXx_WJzLfz0ICPX87mUVKlgXlq8ljX13Zw2wW5NX6MwGgomxqRXrQ