Abdelwahab Meddeb
Encore une fois les salafistes ont détruit des mausolées soufis. Par de telles destructions ils assassinent notre mémoire. Ces ignorantins veulent nous dépouiller d’une ancienneté qui a traversé les siècles pour demeurer vive dans notre imaginaire. Sidi ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî et Sidi Abû Sa’îd al-Bajî sont des personnages tout à fait identifiables qui ont vécu entre le XIIe et le XIIIe siècle et qui continuent d’être vifs dans notre quotidien. D’abord ils ont donné leur nom à des lieux que nous habitons, que nous visitons, que nous aimons. Ce sont des êtres qui incarnent le sublime qui rehausse l’humain. Ce sublime se manifeste à travers le choix du site qu’ils ont dû fréquenter ouvrant chaque fois sur l’immensité marine à partir du faîte d’une colline qui nous élève et nous convie à l’envol céleste. Ensuite, ce sont des personnages de belle intensité comme en témoigne le corpus.
Abû Sa’îd est mort en 1230 (628 de l’hégire). Ses faits
et dits sont parvenus jusqu’à nous. Ses stations et demeures ont, en effet, été
consignées par al-Hawwârî dans Manâqib Abî Sa’îd al-Bâjî. Le manuscrit
est conservé dans notre Bibliothèque Nationale à Tunis. Nelly Amri, professeur
à l’Université de la Manouba, qui a écrit une monographie sur Sayyida Â’isha
al-Mannûbia, le cite et nous rapporte dans un article scientifique une anecdote
concernant notre soufi extraite de cette oeuvre. A l’approche de sa mort, dont
il eut le pressentiment, le maître donna à ses compagnons les biens qu’il
possédait, il leur distribua notamment ses livres et ses habits. L’un d’eux
refusa le don : « pas
de livres ni d’habits entre toi et moi ». Ce compagnon ne
voulait pas que le moindre obstacle matériel vînt obstruer la transparence de
leur relation en pur esprit. Anecdote parmi tant d’autres qui illustrent si
bien le sublime dont l’évocation nous transfigure.
En outre, Sidi Abû Sa’îd demeure actif en nous tant il a été
chanté par les chœurs confrériques des multiples zawiyas et tariqa de Tunis. Il
appartient par le chant au répertoire populaire surtout lorsqu’il est invoqué
comme saint protecteur des marins et des pêcheurs, de tous ceux qui prennent le
risque de naviguer en haute mer. Nos oreilles sont emplies par les modulations
de ce chant : ‘Alâ râyis la-bhâh… Chant qui ne cesse de lanciner surtout après
avoir été revisité et revivifié par Fadhel Jaziri dans sa Hadhra. Là aussi nous
reconnaissons une manière et une matière qui nous transfigurent par le sublime,
catégorie qui l’emporte sur le beau par l’effet qu’elle produit sur les âmes.
Alors que le souvenir de ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî nous est
restauré par la lecture d’Ibn ‘Arabî qui ouvre son œuvre majeure et monumentale
al-Futûhât al-Makkiyya par une épître comptant 117 vers qui sont dédiés à Sîdî
‘Abd al-‘Azîz. Ibn ‘Arabî nous rappelle qu’il a rencontré Sîdî ‘Abd al-‘Azîz
lors de son premier séjour à Tunis en 1194 (590 de l’hégire), après être passé
par Algésiras, Ceuta, Tlemcen. Des années plus tard en 1201 (598), pendant sa
seconde résidence à Tunis sur l’itinéraire qui le conduira définitivement en
Orient, Ibn ‘Arabî, nous dit-il, restera neuf mois auprès de Sîdî ‘Abd
al-‘Azîz.
Je traduis pour vous le passage où le Shaykh al-Akbar
mentionne explicitement Tunis :
«ô errant qui coupe le désert en allant
vers moi pour
atteindre le rang des veilleurs
dis à celui que tu rencontreras parmi les
exilés
un dit me concernant qui serait d’un bon
conseil
sache que tu seras perdu et jeté dans la
perplexité
si tu ignores mon message et mon appel
celui dont je continue de réclamer la personne
celui-là je l’ai fréquenté sur la colline verte
dans la ville très-blanche la ville de Tunis
sur un site plein de faveurs et qui séduit
en ce lieu éminent au sol sanctifié
par sa présence la qibla oblique
vers une bande d’exception bien choisie
sur le banc des nobles et des chefs
c’est lui qui les conduit vers les lueurs de la
science
il les éclaire par la sagesse de la sunna pure
le dhikr ne cesse d’être distinctement chanté
du soir au soir les connaissances se révèlent
en lui
lune de quatorze nuits qui illumine
même les nuits de pleine lune
Fils de murâbit il est unique
par lui les vérités transpercent
et ses enfants tournent autour d’un trône
qui s’érige où qu’il se place
c’est lui l’imam et eux ce sont les substituts
ainsi tous rassemblés ils ressembleraient
à la lune dans le ciel entourée d’étoiles
et chaque sagesse qu’il te transmet
n’est que phénix annoncé »
Tel est le panégyrique spirituel que dédie Ibn
‘Arabî à Sîdî ‘Abd al-‘Azîz et qui apporte gloire universelle à notre bonne
ville de Tunis, devenue par la grâce de ces soufis anciens le théâtre qui
accueille les scènes du sublime. Et c’est à ce don que nos ignorantins
salafistes demeurent insensibles. En forme de rejet, ne disent-ils pas sur les
pages de leurs sites sîdhom, « leur
maître ». La séparation entre nous sera radicale : là où vous dites
sîdhom nous persistons à dire sîdna, «
notre maître ». Ainsi nous nous préservons d’eux. Quand bien même
ils voudraient nous priver de ces splendeurs qui alimentent notre orgueil, ils
n’en seront pas capables. Jamais de telles gloires ne s’effaceront de nos cœurs
ni de nos mémoires. Personne ne nous empêchera de les célébrer dans l’intimité
et en public.
Et c’est dans ce sens qu’ont réagi les gens de Sidi Bou Saïd
lorsqu’ils ont reçu par l’injonction : « Dégage
! » ceux des responsables islamistes qui sont venus verser des
larmes de crocodile sur les cendres fumantes du mausolée qui, avant sa
destruction, était soutenu par une architecture traversée de toutes parts par
les airs et qui littéralement lévite, plateau dallé arraché à la loi de la pesanteur
et qui vole dans les cieux et sur les mers avec ses colonnes et ses arcs et ses
voûtes.
Nous savons que ces destructions qui nous blessent sont un
symptôme. Symptôme qui nous révèle, au-delà de la maladie wahhabite, des gens
déréglés dépouillés du sentiment d’appartenance à la mémoire de nos lieux, cela
même qui constitue l’attachement à la patrie, ce par quoi nos âmes vibrent à
l’unisson. Symptôme à travers lequel nous diagnostiquons la politique maligne
du parti islamiste an-Nahdha qui saura utiliser avec adresse le radicalisme
destructeur des salafistes pour entretenir l’instabilité et le chaos afin de se
présenter comme le recours de la stabilisation et de l’ordre. Ce qui
transformera la transition en état d’exception. Ainsi pensent-il perdurer dans
l’exercice d’un pouvoir auquel ils sont parvenus certes par les urnes mais
d’une manière provisoire et pour des tâches dont l’accomplissement était limité
dans le temps. Sachant, par ailleurs, que le pays et le peuple les
rejetteraient lors de prochaines consultations, ils craignent dès lors
d’aller vers des élections qu’ils risquent de perdre. Aussi cherchent-ils à
maintenir ouvertes les portes qui conduisent au pire. Mais gare aux apprentis
sorciers ! L’histoire nous a appris que toute politique aventureuse et mal
intentionnée finit par se retourner contre ceux qui l’ont initiée.
Les wahhabites, en vertu d'une fatwa prise par le cheikh Muhammad al-Tayyib, ont détruit les mausolées du cimetière d'Al-Baqî` pour empêcher les pèlerinages extra-canoniques sur les tombes des personnages qui y sont enterrés.
RépondreSupprimerIls déconseillent aussi la vénération de la tombe de Mahomet, au dôme vert, comprise
dans l'enceinte actuelle de la mosquée du Prophète.
Néanmoins le roi Abdel Aziz ibn Saoud autorise les pèlerins à venir prier dans la mosquée, les trois quarts des musulmans faisant le pèlerinage à La Mecque se rendent aussi à Médine.
Quelque temps après il en sera de même pour le cimetière de La Mecque.
Cette destruction se réfère à divers hadiths.
Néanmoins le dôme vert, qui abrite la tombe de Mahomet et qui est inclus dans la
mosquée du Prophète, n'a pas été détruit, bien que cela faisait partie des projets de ceux qui ont détruits les tombes d'al-Baqî`.
De nombreux chiites commémorent le jour de la destruction des mausolées d'al-Baqî` et l'appellent « jour du chagrin ».
Pendant une période de 1925 à 1986, l'entrée dans le cimetière a été complètement interdite par l'érection d'un mur de plusieurs mètres de haut entourant tout le site.
En 1982, l'ayatollah Khomeini prend le cimetière d'Al Baqî` comme théâtre de plusieurs
manifestations. Les pèlerins Iraniens avaient pris l'habitude de réciter des prières devant le mur interdisant l'accès au cimetière.
En 1986, le roi Fahd fait une concession en
autorisant de nouveau les chiites à visiter le cimetière.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Al_Baqi