" Un peuple de moutons, finit par engendrer un gouvernement de loups ".
Agatha Christie
Table des matières : http://latroisiemerepubliquetunisienne.blogspot.fr/2014/04/tables-des-matieres-de-mon-blog.html ...... Ce nouveau blog est ma contribution à la réussite de la révolution tunisienne. PS : J'utilise la rubrique "commentaires" pour "actualiser" l'article, par des commentaires piochés dans FB, ou par des liens vers d'autres articles pour un autre éclairage ...
" Un peuple de moutons, finit par engendrer un gouvernement de loups ".
Agatha Christie
Bernard Cazeneuve *
« Laïcité, liberté et démocratie sont un même mot ».
« Sauf à prendre le risque de condamner l’humanité à ne plus jamais connaître l'altérité, la France ne peut accepter qu’un bâillon entrave la parole des professeurs ».
Les vagabondages mémoriels sont une mode de l’époque. Le plus souvent ils sont l’occasion, pour chacun qui croit que sa statue sera sculptée de son vivant, d’œuvrer à son autopromotion. À ce jeu de narcisse, la culture historique perd en rigueur ce que l’art de la mise en scène gagne en effets spéciaux. Les faits de l’histoire se font alors anecdotes, au point qu’il est possible d’en détourner le sens profond à son seul profit. Sans vergogne, on déambule dans le passé, on en convoque les grandes figures, avec pour arrière-pensée d’apporter la démonstration qu’on est indispensable à son temps.
C’est par ce moyen que Simon Bolivar surgit subitement dans l’imaginaire de la gauche française ou que certaines commissions d’historiens se voient assigner des objectifs diplomatiques et politiques, à la gloire de ceux qui les ont installées. Il faut donc se garder, pour la salubrité du devoir de mémoire, de distendre la relation intime que la Nation entretient avec les évènements de sa propre histoire, sauf à prendre le risque d’une crise profonde d’identité dont les effets, à terme, ne manqueraient pas de se révéler telluriques. À cette fin, l’histoire doit être enseignée et apprise, car comme science humaine, elle ne saurait souffrir la moindre inexactitude.
C’est
fort de ce constat que j’ai pris connaissance, le 9 décembre dernier, d’une étude
de l’IFOP révélant que 56% des professeurs avaient déjà été amenés à modifier
leurs enseignements, de crainte de heurter les convictions philosophiques ou
religieuses de leurs élèves. Il s’agit là d’une dégradation de près de sept
points de la tendance constatée au cours de l’année 2020, qui vit notre pays
affronter le tragique assassinat de Samuel Paty. À l’école donc, le maître se
trouve désormais dans l’obligation de s’autocensurer, dans l’indifférence de la
société à la blessure qu’il s’inflige à lui-même lorsqu’il renonce à
transmettre certaines des connaissances accumulées au fil du temps par la
philosophie, les sciences ou l’histoire. Jadis, cette somme de savoirs s’appelait
les humanités, car sans elles, il n’était pas d’humanisme possible.
Sens commun
Dans la France des Lumières, l’universalisme a toujours pris sa source dans l’ambition de faire accéder le plus grand nombre de jeunes consciences au libre arbitre, en donnant à l’école et à ses hussards noirs le soin de protéger chacun des pressions susceptibles de s’exercer sur lui, en le faisant accéder à la pensée rationnelle. L’enseignant n’avait alors rien à redouter de son élève, car il était son meilleur protecteur face à quiconque avait pour projet d’entraver son accession au statut de citoyen éclairé. Alors que l’islamisme peut parfois conduire jusqu’à la déscolarisation des enfants, vouloir à tout prix les protéger de ce fléau n’est pas une mauvaise manière qu’on leur fait. C’est au contraire le témoignage du respect dans lequel on les tient, guidés par la promesse républicaine, maintes fois réitérée, de donner à chacun sa chance.
On pourra toujours se consoler des résultats de cette enquête, en relisant le très beau discours que Jean Jaurès prononça à Castres, le 30 juillet 1904, lorsqu’il célébra la laïcité en lui donnant cette portée singulière, qui en fit un principe d’émancipation dans le grand sanctuaire qu’est l’école. On trouvera dans cette adresse à la République bandant ses forces, la volonté de ne jamais rien céder à l’air du temps, qui pourrait lui faire perdre de vue sa promesse. Rappelant que « la démocratie n’est autre chose que l’égalité des droits », Jaurès soulignait « qu’il n’y a pas d’égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est pour lui une cause de privilège ou une cause de disgrâce ». Et de poursuivre avec une ardeur qu’on aimerait voir renouvelée par l’affirmation que la démocratie trouve ses fondements en dehors de tout système religieux, car elle suppose « l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque ». Cette voix juste et forte pouvait alors pousser le raisonnement politique jusqu’à son terme, en donnant à la laïcité et à la démocratie un sens qui leur est commun et qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Dans la République, dont elles constituent les piliers, ces deux valeurs demeurent à tout jamais indissociables.
Le grand défi existentiel qui se présente à la Nation est bien celui qui animait Jaurès, lorsqu’il posait la seule question qui vaille : « comment l’enfant pourra-t-il être préparé à exercer sans crainte les droits que la démocratie laïque reconnaît à l’homme, si lui-même n’a pas été admis à exercer sous forme laïque le droit essentiel que lui reconnaît la loi, le droit à l’éducation ? »
Replis communautaires
On ne peut espérer faire longtemps société si ceux qui aspirent
à devenir citoyens ne déposent pas, aux portes de l’école, les croyances
religieuses ou philosophiques – mais aussi marchandes ou politiques – que des
fardeaux familiaux ou culturels inscrivent mécaniquement dans le parcours de
chaque être humain. Vouloir à tout prix revendiquer sa seule identité comme un
horizon indépassable, se résigner à ne jamais la confronter à la connaissance
scientifique et à l’aspiration au progrès, c’est non seulement renoncer à la
liberté, sans laquelle il n’est pas de démocratie possible, mais c’est aussi
favoriser tous les replis communautaires, en prenant le risque de la séparation
voulue et de la confrontation généralisée.
Nul ne saurait s’épanouir pleinement à travers la seule revendication de ce qu’il est, dans un enfermement numérique et une hostilité déclarée à ce que sont tous les autres, à raison de leurs appartenances philosophiques ou religieuses. Sauf à prendre le risque de condamner l’humanité à ne plus jamais connaître l’altérité, la France ne peut accepter qu’un bâillon entrave la parole des professeurs. La censure qu’ils s’imposent à eux-mêmes, lorsqu’ils transmettent leurs savoirs, interpelle la Nation tout entière. C’est pourquoi il relève du devoir de l’État de leur permettre d’exercer librement leurs missions. Le dire c’est déjà reconnaître la profondeur de mal. Agir encore et toujours serait préférable, car l’urgence se confond désormais avec l’essentiel : face à l’intolérance qui monte, aujourd’hui plus qu’hier, laïcité, liberté et démocratie ne font qu’un seul mot. Et une même exigence.
· * Ancien
Premier ministre.
Les socialistes censés être les défenseurs
de la laïcité, ont permis aux Frères musulmans, ses pires ennemis, de
l'attaquer. Et de reculade en reculade devant leurs coups de boutoir dans ses
règles du vivre ensemble, ils ont fait le lit du wahhabisme que les
islamistes de tous poils importent en France allégrement grâce au soutien des pétromonarques. Lionel Jospin lors de "la crise du voile dans
l'école", répondait à l'inquiétude d’Elisabeth Schemla, qui
l'interrogeait : " que voulez-vous que cela me fasse que la France s'islamise ? ".
La droite ne sera pas en reste, puisqu'elle aussi, électoralisme oblige, va
contribuer à l'expansion du wahhabisme au détriment de la laïcité.
R.B
Les enquêtes nous
confirment ce que nous pressentions depuis longtemps : la laïcité ne fait plus
recette, surtout chez les jeunes. Ce consensus d’un siècle n’en finit plus de
se lézarder : pourquoi ? Faut-il la remiser au musée ? La relooker pour la
rendre compatible à l’ère du "venez comme vous êtes" identitaire ? La
rendre accommodante comme certains le demandent à gauche, pour tenir compte des
discriminations et tirer un trait sur nos névroses post-coloniales ? Ou au
contraire en faire une valeur patrimoniale sans laquelle, aux côtés du plateau
de fromages et des citations d’Audiard, il ne serait de conscience nationale
possible ?
Faute d’avoir su penser
dans la sérénité cette situation sociale inédite, qui voit l’émergence d’une
nouvelle religion française, l’islam, dans un pays plus sécularisé que bien
d’autres, notre pays se livre depuis trente ans à toutes sortes de bricolages,
institutionnels et idéologiques, où l’emphase des slogans – "nouvelle
laïcité", "laïcité apaisée", "iconstruction d’un islam
de/en France", etc.- cache mal le désarroi d’une classe politique qui
semble aussi médusée par l’islam et le monde arabo-musulman, qu’oublieuse de ce
qui a fondé, historiquement, la laïcité.
La
laïcité, ou la naissance de la France moderne
On prête à Churchill
d’avoir dit "plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous
verrez l’avenir". Or la laïcité a une histoire. Puisqu’on en parle si peu,
le lecteur me pardonnera que j’en parle un peu longuement ici ; car cette
histoire ne débute pas en 1905, ni même en 1789, et pas davantage avec les
Lumières. Cette "idée laïque", longtemps avant de devenir le principe
politico-juridique que nous connaissons, a lentement mûri chez les légistes
médiévaux. Elle se manifeste déjà, si on veut à tout prix la dater, dans la
querelle qui oppose Philippe Le Bel au pape Boniface VIII.
Nous sommes au
tournant des XIIIème et XIVème siècle , le Pape prétend imposer sa suréminence
à toutes les créatures humaines et à leurs lois, précaires et révocables. Ainsi
le pouvoir manie "deux glaives" : le spirituel, manié "par
l’Eglise", et le temporel, manié "pour l’Eglise". Rien au dehors
de l’Eglise, rien au-dessus d’elle. Philippe Le Bel ne l’entend pas ainsi : en
1302, il convoque pour la première fois les états généraux, et c’est aux
représentants de cette nation qui n’existe pas encore, la France, qu’il demande
leur soutien face aux prétentions papales. Soutien acquis, y compris celui des
évêques. "Ausculta, fili !", l’exhorte le pape, qui le menace
d’excommunication : Philippe Le Bel s’en moque. La lettre apostolique est
brûlée en sa présence, le roi envoie Guillaume de Nogaret menacer à son tour le
pape : celui-ci meurt quelques semaines après une brève séquestration.
Fin de la querelle,
triomphe du roi téméraire, et surtout naissance d’une raison politique qui
n’admet que Dieu au-dessus d’elle, mais non ses intercesseurs. Plus tard, il y
aura la Pragmatique sanction de Bourges (1438), le Concordat de Bologne (1516),
les édits de paix tentant de mettre un terme aux guerres de Religion, dont
l’Edit de Nantes (1598). Avec des succès variables et toujours fragiles, le
propre du politique se libère progressivement de l’ombre portée des sacrements
divins. Ce processus n’établit pas seulement les droits de l’Etat face à la
puissance de l’Eglise : il met en scène une puissance publique qui prend acte
petit à petit, et malgré de violents revirements (la Révocation…), de
l’irréductible diversité des convictions, et qui cherche un équilibre, par
nature instable, entre l’unité, gage de stabilité, et la pluralité,
manifestation de la liberté.
Longtemps après la
Révolution, Michelet et surtout Quinet méditeront sur l’impasse dans laquelle
les premiers républicains se sont trouvés sur la question religieuse. Que faire
: la supprimer ? impossible. En changer ? impraticable. Laisser faire ? Dangereux.
Ce n’est pas un hasard si Aristide Briand, dans son rapport de présentation du
projet de loi de Séparation, donne sur une centaine de pages une magistrale
leçon d’Histoire qui met littéralement les pas de la Nation France dans ceux de
la laïcité. C’est à Jaurès qu’il revient d’ajouter une idée décisive, disons
plus en rapport avec les exigences de l’époque, lorsqu’il affirme que laïcité
et démocratie sont, pour ainsi dire, synonymes.
Il n’en fallait pas
moins pour convaincre un pays traversé par tant de divisions que la Séparation
était possible : beaucoup, à gauche, redoutaient la puissance d’une Eglise
rendue à la liberté ; la droite craignait au contraire que la société ne
s’éloigne d’une Eglise banalisée, privée de son statut officiel, ce qui montre assez
que la suréminence symbolique avait, depuis longtemps, changé de mains.
Un
compromis remis en cause ?
Il a fallu ce lent
travail des siècles, parachevé par la sécularisation accélérée de la société
française contemporaine, pour établir la paix laïque. Il ne faudra que deux
collégiennes portant ce qu’on appelle encore, improprement, un
"tchador", pour la faire vaciller. Cette "affaire de Creil" (1989), nous n’en
sommes pas sortis, et c’est à peine si l’Etat de 2022 est moins sûr de son fait
qu’il ne l’était, lorsque le ministre de l’Education, Lionel Jospin renvoya la
balle au Conseil d’Etat.
A ne vouloir fâcher
personne, l’Etat prend le risque de mécontenter tout le monde : il est toujours
trop mou pour ceux qui, à mots de moins en moins couverts, ont pour obsession
unique de mater l’islam et les musulmans. Mais il sera toujours trop dur, à
l’inverse, pour ceux qui se prétendent les gardiens d’une "Seule et Vraie
Laïcité", au demeurant imaginaire et fantasmée, qui aurait promis la
liberté inconditionnelle des croyants sans lui mettre les solides garde-fous du
titre V de la loi de 1905, au titre explicite : "Police des cultes".
Un culte "placé sous la surveillance des autorités", c’est ce qui
s’appelle une liberté encadrée ! Et ce n’est certes pas, tant s’en faut, le
modèle de séparation tel que les anglo-saxons l’entendent, eux qui, en Amérique
du nord, consacrent dans le droit la possibilité d’écarter la loi commune au
profit de la loi religieuse - c’est cela, "les accommodements
raisonnables".
En niant obstinément
le réel - c’est-à-dire la progression continue d’un islam dur, rigoriste,
intolérant envers les minorités sexuelles et méprisant envers les femmes - et
en cherchant à "faire du judo" avec des prédicateurs réputés parmi
les moins extrêmes des extrémistes, au nom d’un paternalisme typiquement
colonial envers les descendants de l’immigration - tout une génération
intellectuelle et militante a porté cette "laïcité d’apaisement" qui
aura fait bon accueil à Tariq Ramadan et les gros yeux à Charlie. En édulcorant
constamment le rouge-sang islamiste, en le faisant passer pour une bigoterie
new-age et en prétendant qu’il n’y avait pas de problème avec la laïcité en
France, cette école de pensée, forte de son audience et de son aura dans les
milieux éducatifs en particulier, a causé des ravages, car elle a tout à la
fois forgé la conviction, désormais répandue parmi les jeunes enseignants,
qu’il faut assouplir toutes les règles de la laïcité, mais elle a aussi
conforté les partisans d’une laïcité d’exclusion - c’est-à-dire d’une fausse
laïcité – et permis à l’extrême-droite de crédibiliser, contre toute
vraisemblance, sa conversion laïque.
Une
boussole de liberté pour naviguer par gros temps
Ringarde, la laïcité ?
Ce sont ses contempteurs, ou ses zélotes intéressés, qui sont ringards. La
profonde modernité de l’idée laïque consiste à dire que la cité ne se reconnaît d’autres lois que celles qu’elle se donne à elle-même. Aucun principe extérieur
ni supérieur ne lui est opposable ; aucune puissance sociale ne dispose de
droits sur les individus : ils sont libres, et l’Etat démocratique est là pour
garantir que cette liberté soit effective. Contrairement à une critique trop
facilement mise en circulation, aujourd’hui, à gauche, mais qui se laisse
repérer historiquement dans les attaques de la droite conservatrice contre la
République - gauche et droite jouant décidément à fronts renversés -, ces
droits n’ont rien d’abstrait : ils s’éprouvent dans une réalité sociale, celle
du "milieu" dans lequel on naît et on grandit, dont les individus ont
le droit absolu de s’émanciper. La laïcité protège le croyant qui veut croire
et pratiquer, mais elle ne protège pas que cela : en séparant la conviction,
qui est libre, des institutions sociales qui prétendent dire ce que la foi
commande, elle donne à l’individu la possibilité de croire comme il l’entend,
et non selon la norme que le groupe lui impose. C’est un point fondamental que
les tenants du laisser-faire religieux semblent avoir oublié.
Nous connaissons, au
plan mondial, un nouveau temps d’épreuve pour les libertés. Les aspirations à
l’autorité, les manipulations du vrai par la marchandisation des images, la
destruction des savoirs qui fondent une culture commune, sont des défis immenses
dont nul ne peut dire que la démocratie sortira vainqueur. L’idée laïque est un
atout que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger : elle constitue une
boussole de liberté pour naviguer par gros temps.
* Préfet et
cofondateur du Printemps républicain.
Lors de la revolution islamiste, les Iraniennes ont joué avec le feu en s'affublant du tchador, ce voile islamiste; en soutien à Khomeiny contre le Shah ...
Une fois Khomeiny au pouvoir, celles qui ont voulu retirer le tchador; mal leur a pris : Khomeiny a décrété que toutes les iraniennes doivent se voiler. Il a instauré la police des mœurs comme les Ibn Saoud en Arabie pour veiller à ce que toutes les femmes se voilent !
Et depuis, les femmes iraniennes ne savent plus à quels saints se vouer pour se débarrasser du tchador !
Leurs filles et petites filles prennent le risque, au prix de leur vie, pour s'en débarrasser !
Récemment encore, Mahsa Amini est morte pour avoir retiré son tchador ... sous les coups que lui ont assénés les policiers des mœurs et de la vertu !
Un mouvement de révolte s'en est suivi où on voit des Iraniennes bruler sur la place publique leurs voiles ...
Une révolution en marche ? Pas si sûr, quand on connaît le régime totalitaire et dictatoriale des islamistes ... qui inspirent beaucoup Kais Saied en Tunisie, qui cherche le rapprochement avec les Ayatollah d'Iran !
Les Tunisiennes qui se sont voilées en soutien aux islamistes, vont-elles tomber dans leur piège et hypothéquer l'avenir de leurs filles et celui de leurs petites filles qui payeront de leur vie l'envie de se débarrasser de leurs voiles ?
Albert Camus dénonçait en son temps les prétendus journalistes : « L’assez affreuse société intellectuelle où nous vivons, où on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le reflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coups de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence. », disait-il.
Malheureusement la course à l'audimat, fait que ces prétendus journalistes font florès dans tous les médias; et certains* même briguent la présidence de leur pays, persuadés de leur popularité et convaincus de leur ineptie !
Les peuples ont les dirigeants et les journalistes qu'ils méritent, quand ils tombent dans leur piège.
R.B
ALBERT CAMUS : UN JOURNALISTE EXEMPLAIRE POUR NOTRE TEMPS.
L’étude des articles d’Albert Camus au
regard des « modernités littéraires » de cet auteur, m’a paru un sujet
difficile tant la notion de modernité est difficile à cerner et encore plus quand
elle est au pluriel.
J’ai, en effet, du mal à placer le curseur
de la modernité et à en définir clairement les critères.
L’exposé introductif magistral de Madame
Martine Job ne m’a pas rassuré, tant elle a montré la complexité de la notion de
modernité.
J’ai donc pris le parti de me poser deux
questions simples :
Evoquer Albert Camus journaliste dans le
cadre d’une recherche de la modernité de Camus c’est, dans le fond, se
demander si Albert Camus a encore quelque chose à nous dire et à nous apprendre
sur le journalisme et comment il regarderait nos médias d’aujourd’hui.
Je n’entrerai pas dans le détail de sa
carrière de journaliste. Elle est bien connue mais je dirai simplement qu’il a
été journaliste toute sa vie; puisqu’il a commencé très jeune, à 25 ans à Alger
Républicain et a écrit pratiquement jusqu’à sa mort, à Combat, à l’Express, à
Paris Soir; et qu’il a connu et pratiqué toutes les branches du
journalisme : les faits divers, ce que l’on appelle communément « les
chiens écrasés », puis les enquêtes de fond, puis les chroniques
judiciaires, les éditoriaux politiques, les chroniques littéraires et
artistiques (la peinture) et qu’il a même occupé le poste de rédacteur en chef.
Aucun poste dans un journal ne lui est
étranger. Ces expériences ont nourri son œuvre romanesque et il y a un
journaliste dans l’Etranger et dans la Peste.
Dans chacune de ces facettes du
journalisme, il a excellé et est devenu un modèle. Ses textes, pourtant
circonstanciels, peuvent encore être lus de nos jours avec profit. Ce qui, vous
le reconnaitrez, n’est pas si fréquent, les articles des journalistes perdant,
aujourd’hui, de leur intérêt quelques jours après leur parution.
Essayons donc de dire plus en détail ce
que Camus peut apporter au journalisme d’aujourd’hui. Autrement dit, quelles
leçons peut-on tirer de son travail.
Camus a toujours réfléchi sur ce métier. Il a donné quelques pistes et a mis en avant une conception élevée du
journalisme.
Dans un texte du 31 aout 1944 il écrivait
ceci :
« Notre désir, d’autant plus fort
qu’il était muet, était de libérer les journaux de l’argent et de leur donner
un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de
meilleur en lui. Nous pensions qu’un pays vaut souvent ce que vaut sa presse.
Et s’il est vrai que les journaux sont la voix d’une nation, nous étions
décidés, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant
son langage. »
Il y a dans ce texte fondateur trois
exigences : celui de la liberté (les journaux ne doivent pas être
assujettis à l’argent), le souci de la vérité et celui, non moins important du
langage, de la langue mais également l’engagement pour, écrit-il, « mettre le
public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui ».
Par conséquent : liberté, vérité,
langage et engagement.
Commençons par la vérité.
Vaste question car comme le disait André Gide : « J’aime ceux qui la cherchent, je n’aime pas ceux qui la trouvent » ; et il voulait dire par là que la vérité est souvent difficile à trouver, qu’elle nécessite un effort et surtout celui de se soustraire aux idées préconçues, aux idéologies, aux pressions de toutes sortes.
Camus n’était pas loin de partager cette
crainte et il plaçait le doute au centre de son comportement. Il dit
d’ailleurs : « s‘il y avait un parti des gens qui doutent, je serai de
ce parti ».
Albert Camus a donc toujours effectué un
travail d’enquête, de recherche pour éviter de se tromper.
Il faut rappeler ici ses mémorables 11 articles sur la Misère en Kabylie qui sont nourris de faits, de choses que Camus lui-même a constaté alors qu’il sillonnait la Kabylie en car.
Ces articles sont
également nourris de chiffres, de statistiques, d’études des rapports et
documents du pouvoir colonial; et Albert Camus confronte ses documents avec la
réalité qu’il voit.
Dans sa recherche de la vérité, il ne se
laisse pas avoir par la propagande coloniale. Il a le courage (car la
vérité nécessite bien souvent du courage) de dire haut et
fort les injustices criantes qu’il constate. Cela lui vaudra d’être chassé de
son pays !
Et n’oublions pas que ces articles
demeurés fameux, ont été écrit par un jeune de 25 ans qui débutait dans la
presse !
Là où on le voit encore dans la recherche
de la vérité, c’est dans son travail de chroniqueur judiciaire.
Il ne se contente pas de rapporter dans
ses articles ce qui se passe au procès, les péripéties de la procédure ... Il se
plonge entièrement dans le dossier de l’affaire et refait l’enquête. Il juge
l’enquête et la façon dont elle a été menée.
Cette recherche de la vérité, cette volonté
de ne pas en rester aux apparences, le conduisent à découvrir des erreurs graves; au point que l’on voit, au fil des articles de Camus, la vérité se renverser et
que certains des poursuivis ont dû leur acquittement au travail du journaliste
Camus.
Dans l’affaire Hodent il montre toute sa
capacité d’enquête. Michel Hodent est un petit fonctionnaire de la Société de
prévoyance de Tiaret près d’Oran. Il est accusé d’avoir détourné des fonds
issus de la vente de blé au détriment des cultivateurs.
Il est aussitôt incarcéré et poursuivi
sans qu’il existe de réelles preuves de sa culpabilité.
En réalité Hodent a simplement voulu
protéger les pauvres agriculteurs arabes de la spéculation. Il est victime
des « profiteurs » gros colons et de quelques Caïds musulmans de la
zone qui évidement profitaient de la spéculation et ont voulu l’éliminer.
Hodent, incarcéré, adresse une lettre à Alger Républicain et Albert Camus va s’intéresser à son affaire, va faire lui-même l’enquête, va rechercher des témoins.
Ses chroniques sont de journalisme
d’investigation et pas simplement le récit des audiences.
Il met toute sa force dans la bataille. Le
premier article est publié le 10 janvier 1939 et le dernier le 23 mars 1939. Et
les titres de ces articles, disent tout de ce combat pour la vérité :
- « Depuis quand poursuit-on la
conscience professionnelle ? ».
- « L’affaire Hodent. Un homme juste
plaide pour un innocent ».
Dans un autre article paru le 4 février
1939, il expose avec fermeté des arguments de poids : « Un
homme est jeté en prison pour un crime qui n’en serait pas un s’il l’avait
commis. Ce que par surcroit, il n’a pas fait ».
« Il est gardé sur des témoignages qu’un
simple inventaire démolit. Il est maintenu sur une équivoque dont il n’est pas
responsable, grâce à une accusation qu’aucune preuve humaine, sinon l’injustice
et la haine, ne peut fonder; pendant que les sympathies qu’il éveille, sont
dispersées à coup de mensonges gratuits. »
Le 10 janvier 1939 il avait adressé une
lettre ouverte au Gouverneur Général et cette lettre fit grand bruit.
Je me suis un peu étendu sur cette affaire
Hodent parce qu’elle montre bien le travail de Camus journaliste. Mais il
a agi de la même façon dans d’autres affaires judiciaires : celle des
incendiaires d’Auribeau et celle du Cheik El Okbi dont il obtiendra aussi
l’acquittement. Le Cheik El Okbi lui en sera toujours reconnaissant et lorsque
Camus à Alger prononcera son célèbre appel pour une trêve civile, le Cheik El
Okbi, malade, tiendra à y assister et sera amené dans la salle sur une civière.
Dans ces affaires, Albert Camus se hisse
au niveau de Voltaire, de Zola et de Victor Hugo.
La vérité, il est donc en permanence à sa recherche. Il aurait sans doute peu apprécié le monde des réseaux sociaux où circulent tant de contre-vérités, de fake-news, d’utilisation abusive de faits faux ou même trafiqués.
Dans un excellent article de la Revue des Deux Mondes de septembre
2019, Robert Kopp écrit :
« A l’époque où les mensonges d’Etat
et des fake-news envahissent toujours plus tous les médias et se répandent sur
les réseaux sociaux, il est urgent de méditer son exemple, voire de s’en
inspirer. »
Le livre d’André Perrin : Postures médiatiques. Chroniques de
l’imposture ordinaire est un bonheur de lecture, tant il excelle à mettre en
exergue le deux poids deux mesures permanent, l’approximation et même les
fake-news éhontées des donneurs de leçons professionnels qui nous admonestent
sur les ondes quotidiennement
Il écrit aussi que « l’objectivité n’est pas la neutralité »; et
nous aurons à montrer qu’il a toujours été un journaliste engagé.
La vérité il faut donc la chercher en
permanence mais il faut aussi savoir la dire, la faire passer.
Rappelons ici, cette phrase souvent citée
de Camus et qui, selon moi devrait être la devise du journalisme et plus
généralement de tous les intellectuels :
« Mal nommer les choses c’est
ajouter aux malheurs du monde. »
Pour Camus la première règle est donc de
bien nommer les choses, c’est-à-dire être précis, clair et net .
Cette phrase peut paraître anodine mais il
n’en est rien car elle permet de distinguer la vérité, de l’information de la
propagande. Je voudrai vous donner deux exemples :
- Naguère, au moment de la guerre
d’Algérie, la France qualifiait la situation par la formule « les
évènements ». Elle nommait mal les choses et ne voulait pas utiliser la
seule expression vraie : la guerre.
De même de nos jours lorsque M. Poutine
envahit l’Ukraine, un pays indépendant; et parle « d’opérations
spéciales » ; alors que là encore, on est en présence d’une
guerre !
Par ailleurs pour bien faire comprendre la
vérité d’une situation, Camus est d’abord factuel mais il est aussi dans
l’appel aux sentiments, à l’émotion du lecteur. Il s’adresse donc non seulement
à la raison mais aux sentiments des lecteurs.
Un universitaire portugais a étudié les
articles de Camus et montré qu’il fait très souvent appel aux émotions. Il
montre sa propre émotion et fait appel à l’émotion de son lecteur.
Cela est vrai dans les chroniques
judiciaires. Par exemple, dans l’affaire Hodent, il consacre tout un article
à la détresse de la femme d’Hodent. Mais c’est aussi vrai dans ses 11 articles
sur la Misère en Kabylie où après avoir présenté les faits, les chiffres dans
leur sécheresse, il appelle son lecteur à l’émotion.
Permettez-moi de vous lire un extrait de
ses reportages Misères en Kabylie qui fait bien apparaître ce mécanisme. Après
avoir décrit des faits, des statistiques voilà ce qu’il écrit :
« Pour aujourd’hui
j’arrête ici cette promenade à travers la souffrance et la faim d’un peuple. On
aura senti du moins que la misère ici n’est pas une formule ni un thème de
méditation. Elle est. Elle crie et elle désespère. Encore une fois,
qu’avons-nous fait pour elle et avons-nous le droit de nous détourner
d’elle ? Je ne sais pas si on l’aura compris. Mais je sais qu’au retour
d’une visite à la « tribu » de Tizi Ouzou, j’étais monté avec un ami
kabyle sur les hauteurs qui dominent la ville. Là nous regardions la nuit
tomber. Et à cette heure où l’ombre qui descend des montagnes sur cette terre
splendide apporte une détente au cœur de l’homme le plus endurci, je savais
pourtant qu’il n’y avait pas de paix pour ceux qui, de l’autre côté de la
vallée, se réunissaient autour d’une galette de mauvaise orge. Je savais aussi
qu’il y aurait eu de la douceur à s’abandonner à ce soir si surprenant et si
grandiose, mais que cette misère dont les feux rougeoyaient en face de nous
mettait comme un interdit sur la beauté du monde. »
Chroniques Algériennes. Collection Folio
p. 40 et 41
Rechercher la vérité, bien la dire mais
aussi faire de cette quête de vérité un combat pour des valeurs. C’est tout le
problème de l’engagement. Camus a été un journaliste engagé. A ce sujet il
a écrit : « L’objectivité n’est pas la neutralité. »
Camus était indiscutablement un
journaliste engagé, engagé dans une lutte pour la justice, justice pour les
individus mais aussi justice sociale. Mais son engagement très clair ne le
faisait pas, pourtant dévier d’une éthique de vérité. Il estimait qu’il devait
être capable d’envisager une pensée opposée à la sienne, de
dialoguer et de donner même raison à l’adversaire si celui-ci avait raison. Il
pensait que l’adversaire de ses idées n’étaient pas un ennemi et que le
dialogue avec lui devait toujours être possible.
Il s’est toujours refusé à une lecture
manichéenne du monde. Il écrit ceci qui est d’une grande modernité :
« La polémique consiste à considérer
l’adversaire en ennemi, à le simplifier et à refuser de le voir. Devenus aux
trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous vivons dans un monde de
silhouettes … ».
Quelle différence avec les vitupérations
et les insultes que l’on trouve aujourd’hui sur la toile !
Sur l’engagement de Camus, je ne peux que
vous conseiller de lire l’article de l’universitaire portugais : https://journals.openedition.org/carnets/1516
Albert Camus s’est toujours posé la
question de savoir si l’engagement en faveur de certaines causes ou de
certaines valeurs ne conduisait pas à une absence d’objectivité et quels
rapports devaient se faire entre la vérité et l’engagement.
Camus, tout en étant très engagé, ne perd
jamais de vue la nécessité du dialogue, la nécessité d’examiner les idées de
l’autre, d’être à son écoute. Or cette exigence de Camus on a du mal à la
retrouver dans la presse actuelle qui n’est trop souvent que dans la caricature
de l’autre.
Entrer dans les vues des autres ne
signifie pas pour lui, capituler, céder. Il l’a montré de manière très
intéressante dans ses Lettres à un ami Allemand dans lesquelles il dialogue
vraiment avec l’ennemi, entre dans ses vues et essaye de le convaincre, sans
rien céder de ses convictions profondes.
Dans le fond, cette attitude consiste à refuser les idéologies qui emmurent la pensée et conduisent à penser par reflexe, plutôt que sainement. Puisqu’une idée vient d’un bord, d’un parti, elle est nécessairement mauvaise pour l’autre bord. Cela, c’est absolument le contraire de l’attitude d’Albert Camus qui a écrit cette phrase forte : « Si la vérité était à droite, je serai de droite. »
N'oublions pas que c’est celui qui, avec Anna
Arendt, a le mieux pensé les totalitarismes, c’est-à-dire les idéologies qui
interdisent la liberté de penser. Cela reste une leçon des plus nécessaires et
des plus modernes dans notre monde contemporain qui flirte avec les
totalitarismes.
Dans certains cas où la situation politique est tendue, les journalistes ont du mal à trouver ce passage étroit entre engagement et vérité. Ils ont du mal à examiner avec objectivité les arguments de leurs adversaires qui sont d’emblée discrédités.
Si vous me
permettez, je crois que la presse de votre pays (La Tunisie : mais pas
qu’elle), est aujourd’hui dans cette situation et aurait intérêt à s’inspirer
de Camus.
Allons plus loin. Tout cela peut se
résumer dans l’idée de nuance.
Dans un livre récent que je ne saurai trop
vous conseiller : « Le courage de la nuance », Jean Nussbaum
consacre un long développement à Camus.
Il constate d’abord que, notamment sur les
réseaux sociaux, les discussions sont tout sauf nuancées et qu’elles
relèvent plus de l’anathème et de l’exclusion que d’un réel dialogue.
Que l’on examine aujourd’hui les tenants
de la culture wok, de certains écologistes, de l’éco-féminisme et on comprendra ce qu’est l’absence de nuance et de
dialogue ! Cette radicalité, vouée selon moi tôt ou tard à l’échec, aurait
heurté Camus et son sens de la nuance et du respect de l’autre.
L’auteur nous amène aussi à
réfléchir sur cette attitude très dangereuse pour la pensée qui consiste à
dire : « Vous ne pouvez pas dire cela car vous faites le jeu de
l’ennemi » !
Cela a été malheureusement le cas de
beaucoup d’intellectuels qui ont fermé les yeux sur les crimes des régimes
communistes pour, comme le disait si bêtement Sartre, « ne pas désespérer
Billancourt » , c’est-à-dire la classe ouvrière !
Au prétexte de ne pas faire le jeu de
l’adversaire, on est conduit trop souvent à ne pas voir ou à ne pas dire ce
qu’il faudrait voir ou dire !
Jean Nussbaum rappelle donc ces deux
phrases que j’ai déjà citées de Camus :
« S’il y avait un parti des gens qui
doutent, j’en ferai partie. » et aussi « Si la vérité était à droite,
je serais à droite ».
Dans le fond, Albert Camus qui admirait la
civilisation grecque et romaine, adhérait à cette adage : « In medio stat
virtus ». Ce qui signifie que la vertu, l’intelligence et le bonheur se situent non
aux extrêmes mais au milieu.
Alors, ce sens de la modération, du juste
milieu, certains diront que ce n’est pas « sexy ». Il est vrai
qu’il est plus facile de briller en soutenant des thèses extrêmes, excessives.
Enfin Albert Camus sait faire apparaître
les véritables priorités. Lorsque la bombe atomique détruit
Hiroshima, l’ensemble des commentateurs journalistes mettent tous en avant la
grande avancée technique qui a permis cette bombe. Camus était le seul à
attirer l’attention sur le fait que l’on est entré dans un monde où la
destruction de la terre est devenue possible.
Je voudrai conclure en évoquant ce qui
dans notre modernité n’aurait probablement pas plu du tout à Albert Camus.
Je pense qu’il aurait détesté nos réseaux
sociaux, leurs affirmations sans vérification, leurs polémiques incessantes et
sans nuance, leur violence parfois, l’esprit de meute et l’anonymat propice à
tous les excès.
Il aurait sans doute pu écrire à ce sujet
ce qu’il écrivait de la société de son époque :
« L’assez affreuse société
intellectuelle où nous vivons, où on se fait un point d’honneur de la
déloyauté, où le reflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coups de
slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour
l’intelligence. »
Je pense qu’il aurait également
détesté notre société de transparence qui veut tout savoir du comportement des
hommes publiques en quelques domaines que ce soit; et cela, sans respecter le
droit absolu, selon moi, au secret de sa vie. Cette transparence qui
pousse les journalistes à fouiller dans la vie des gens, à les jeter en pâture
aux lecteurs; c’est-à-dire à les détruire psychologiquement avant que la
Justice bien souvent ne les blanchisse.
Il y a indiscutablement aujourd’hui un
réel problème dans l’attitude de certains journalistes qui traquent les
défaillances de certains, en font des sujets, s’affranchissent des règles
juridiques de protection que l’on a mis des millénaires à établir. Camus aurait
ces chasses aux sorcières, lui qui connaissait la faiblesse humaine.
En tant que journaliste, il s’est attaqué
à des politiques mais pas aux hommes.
Enfin, lui qui mettait la réflexion au
premier rang de ses préoccupations, il n’aurait pas apprécié, non plus, les
chaînes d’information en continue où de petits évènements sans importance, font La Une pendant quelques heures et où l’on passe ensuite à autre chose.
Et concluons par cette phrase de Camus qui
est encore d’une totale actualité, sans doute même davantage qu’à son époque
:
« Loin de refléter l’état d’esprit
du public, la plus grande partie de la presse française ne reflète que l’état
d’esprit de ceux qui la font. A une ou deux exceptions près, le ricanement, la
gouaille et le scandale forment le fond de notre presse.
A la place de nos directeurs de journaux,
je ne m’en féliciterais pas : tout ce qui dégrade en effet la culture,
raccourcit les chemins qui mènent à la servitude.
Une société qui accepte d’être distraite
par une presse déshonorée et par un millier d’amuseurs cyniques, décorés du nom
d’artistes, court à l’esclavage, malgré les protestations de ceux-là mêmes qui
contribuent à sa dégradation. »
Que rajouter de plus ?
Je vous remercie.
Enregistrement vidéo de l'exposé de Jean Pierre Ryf lors du colloque International " Les modernités littéraires d'Albert Camus " organisé par le Pr Mustapha Trabelsi à la faculté des Lettres & Sciences Humaines de Sfax, les 11 et 12.11.2022.