" Un peuple de moutons, finit par engendrer un gouvernement de loups ".
Agatha Christie
Table des matières : http://latroisiemerepubliquetunisienne.blogspot.fr/2014/04/tables-des-matieres-de-mon-blog.html ...... Ce nouveau blog est ma contribution à la réussite de la révolution tunisienne. PS : J'utilise la rubrique "commentaires" pour "actualiser" l'article, par des commentaires piochés dans FB, ou par des liens vers d'autres articles pour un autre éclairage ...
" Un peuple de moutons, finit par engendrer un gouvernement de loups ".
Agatha Christie
Bernard Cazeneuve *
« Laïcité, liberté et démocratie sont un même mot ».
« Sauf à prendre le risque de condamner l’humanité à ne plus jamais connaître l'altérité, la France ne peut accepter qu’un bâillon entrave la parole des professeurs ».
Les vagabondages mémoriels sont une mode de l’époque. Le plus souvent ils sont l’occasion, pour chacun qui croit que sa statue sera sculptée de son vivant, d’œuvrer à son autopromotion. À ce jeu de narcisse, la culture historique perd en rigueur ce que l’art de la mise en scène gagne en effets spéciaux. Les faits de l’histoire se font alors anecdotes, au point qu’il est possible d’en détourner le sens profond à son seul profit. Sans vergogne, on déambule dans le passé, on en convoque les grandes figures, avec pour arrière-pensée d’apporter la démonstration qu’on est indispensable à son temps.
C’est par ce moyen que Simon Bolivar surgit subitement dans l’imaginaire de la gauche française ou que certaines commissions d’historiens se voient assigner des objectifs diplomatiques et politiques, à la gloire de ceux qui les ont installées. Il faut donc se garder, pour la salubrité du devoir de mémoire, de distendre la relation intime que la Nation entretient avec les évènements de sa propre histoire, sauf à prendre le risque d’une crise profonde d’identité dont les effets, à terme, ne manqueraient pas de se révéler telluriques. À cette fin, l’histoire doit être enseignée et apprise, car comme science humaine, elle ne saurait souffrir la moindre inexactitude.
C’est
fort de ce constat que j’ai pris connaissance, le 9 décembre dernier, d’une étude
de l’IFOP révélant que 56% des professeurs avaient déjà été amenés à modifier
leurs enseignements, de crainte de heurter les convictions philosophiques ou
religieuses de leurs élèves. Il s’agit là d’une dégradation de près de sept
points de la tendance constatée au cours de l’année 2020, qui vit notre pays
affronter le tragique assassinat de Samuel Paty. À l’école donc, le maître se
trouve désormais dans l’obligation de s’autocensurer, dans l’indifférence de la
société à la blessure qu’il s’inflige à lui-même lorsqu’il renonce à
transmettre certaines des connaissances accumulées au fil du temps par la
philosophie, les sciences ou l’histoire. Jadis, cette somme de savoirs s’appelait
les humanités, car sans elles, il n’était pas d’humanisme possible.
Sens commun
Dans la France des Lumières, l’universalisme a toujours pris sa source dans l’ambition de faire accéder le plus grand nombre de jeunes consciences au libre arbitre, en donnant à l’école et à ses hussards noirs le soin de protéger chacun des pressions susceptibles de s’exercer sur lui, en le faisant accéder à la pensée rationnelle. L’enseignant n’avait alors rien à redouter de son élève, car il était son meilleur protecteur face à quiconque avait pour projet d’entraver son accession au statut de citoyen éclairé. Alors que l’islamisme peut parfois conduire jusqu’à la déscolarisation des enfants, vouloir à tout prix les protéger de ce fléau n’est pas une mauvaise manière qu’on leur fait. C’est au contraire le témoignage du respect dans lequel on les tient, guidés par la promesse républicaine, maintes fois réitérée, de donner à chacun sa chance.
On pourra toujours se consoler des résultats de cette enquête, en relisant le très beau discours que Jean Jaurès prononça à Castres, le 30 juillet 1904, lorsqu’il célébra la laïcité en lui donnant cette portée singulière, qui en fit un principe d’émancipation dans le grand sanctuaire qu’est l’école. On trouvera dans cette adresse à la République bandant ses forces, la volonté de ne jamais rien céder à l’air du temps, qui pourrait lui faire perdre de vue sa promesse. Rappelant que « la démocratie n’est autre chose que l’égalité des droits », Jaurès soulignait « qu’il n’y a pas d’égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est pour lui une cause de privilège ou une cause de disgrâce ». Et de poursuivre avec une ardeur qu’on aimerait voir renouvelée par l’affirmation que la démocratie trouve ses fondements en dehors de tout système religieux, car elle suppose « l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque ». Cette voix juste et forte pouvait alors pousser le raisonnement politique jusqu’à son terme, en donnant à la laïcité et à la démocratie un sens qui leur est commun et qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Dans la République, dont elles constituent les piliers, ces deux valeurs demeurent à tout jamais indissociables.
Le grand défi existentiel qui se présente à la Nation est bien celui qui animait Jaurès, lorsqu’il posait la seule question qui vaille : « comment l’enfant pourra-t-il être préparé à exercer sans crainte les droits que la démocratie laïque reconnaît à l’homme, si lui-même n’a pas été admis à exercer sous forme laïque le droit essentiel que lui reconnaît la loi, le droit à l’éducation ? »
Replis communautaires
On ne peut espérer faire longtemps société si ceux qui aspirent
à devenir citoyens ne déposent pas, aux portes de l’école, les croyances
religieuses ou philosophiques – mais aussi marchandes ou politiques – que des
fardeaux familiaux ou culturels inscrivent mécaniquement dans le parcours de
chaque être humain. Vouloir à tout prix revendiquer sa seule identité comme un
horizon indépassable, se résigner à ne jamais la confronter à la connaissance
scientifique et à l’aspiration au progrès, c’est non seulement renoncer à la
liberté, sans laquelle il n’est pas de démocratie possible, mais c’est aussi
favoriser tous les replis communautaires, en prenant le risque de la séparation
voulue et de la confrontation généralisée.
Nul ne saurait s’épanouir pleinement à travers la seule revendication de ce qu’il est, dans un enfermement numérique et une hostilité déclarée à ce que sont tous les autres, à raison de leurs appartenances philosophiques ou religieuses. Sauf à prendre le risque de condamner l’humanité à ne plus jamais connaître l’altérité, la France ne peut accepter qu’un bâillon entrave la parole des professeurs. La censure qu’ils s’imposent à eux-mêmes, lorsqu’ils transmettent leurs savoirs, interpelle la Nation tout entière. C’est pourquoi il relève du devoir de l’État de leur permettre d’exercer librement leurs missions. Le dire c’est déjà reconnaître la profondeur de mal. Agir encore et toujours serait préférable, car l’urgence se confond désormais avec l’essentiel : face à l’intolérance qui monte, aujourd’hui plus qu’hier, laïcité, liberté et démocratie ne font qu’un seul mot. Et une même exigence.
· * Ancien
Premier ministre.
Les socialistes censés être les défenseurs
de la laïcité, ont permis aux Frères musulmans, ses pires ennemis, de
l'attaquer. Et de reculade en reculade devant leurs coups de boutoir dans ses
règles du vivre ensemble, ils ont fait le lit du wahhabisme que les
islamistes de tous poils importent en France allégrement grâce au soutien des pétromonarques. Lionel Jospin lors de "la crise du voile dans
l'école", répondait à l'inquiétude d’Elisabeth Schemla, qui
l'interrogeait : " que voulez-vous que cela me fasse que la France s'islamise ? ".
La droite ne sera pas en reste, puisqu'elle aussi, électoralisme oblige, va
contribuer à l'expansion du wahhabisme au détriment de la laïcité.
R.B
Les enquêtes nous
confirment ce que nous pressentions depuis longtemps : la laïcité ne fait plus
recette, surtout chez les jeunes. Ce consensus d’un siècle n’en finit plus de
se lézarder : pourquoi ? Faut-il la remiser au musée ? La relooker pour la
rendre compatible à l’ère du "venez comme vous êtes" identitaire ? La
rendre accommodante comme certains le demandent à gauche, pour tenir compte des
discriminations et tirer un trait sur nos névroses post-coloniales ? Ou au
contraire en faire une valeur patrimoniale sans laquelle, aux côtés du plateau
de fromages et des citations d’Audiard, il ne serait de conscience nationale
possible ?
Faute d’avoir su penser
dans la sérénité cette situation sociale inédite, qui voit l’émergence d’une
nouvelle religion française, l’islam, dans un pays plus sécularisé que bien
d’autres, notre pays se livre depuis trente ans à toutes sortes de bricolages,
institutionnels et idéologiques, où l’emphase des slogans – "nouvelle
laïcité", "laïcité apaisée", "iconstruction d’un islam
de/en France", etc.- cache mal le désarroi d’une classe politique qui
semble aussi médusée par l’islam et le monde arabo-musulman, qu’oublieuse de ce
qui a fondé, historiquement, la laïcité.
La
laïcité, ou la naissance de la France moderne
On prête à Churchill
d’avoir dit "plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous
verrez l’avenir". Or la laïcité a une histoire. Puisqu’on en parle si peu,
le lecteur me pardonnera que j’en parle un peu longuement ici ; car cette
histoire ne débute pas en 1905, ni même en 1789, et pas davantage avec les
Lumières. Cette "idée laïque", longtemps avant de devenir le principe
politico-juridique que nous connaissons, a lentement mûri chez les légistes
médiévaux. Elle se manifeste déjà, si on veut à tout prix la dater, dans la
querelle qui oppose Philippe Le Bel au pape Boniface VIII.
Nous sommes au
tournant des XIIIème et XIVème siècle , le Pape prétend imposer sa suréminence
à toutes les créatures humaines et à leurs lois, précaires et révocables. Ainsi
le pouvoir manie "deux glaives" : le spirituel, manié "par
l’Eglise", et le temporel, manié "pour l’Eglise". Rien au dehors
de l’Eglise, rien au-dessus d’elle. Philippe Le Bel ne l’entend pas ainsi : en
1302, il convoque pour la première fois les états généraux, et c’est aux
représentants de cette nation qui n’existe pas encore, la France, qu’il demande
leur soutien face aux prétentions papales. Soutien acquis, y compris celui des
évêques. "Ausculta, fili !", l’exhorte le pape, qui le menace
d’excommunication : Philippe Le Bel s’en moque. La lettre apostolique est
brûlée en sa présence, le roi envoie Guillaume de Nogaret menacer à son tour le
pape : celui-ci meurt quelques semaines après une brève séquestration.
Fin de la querelle,
triomphe du roi téméraire, et surtout naissance d’une raison politique qui
n’admet que Dieu au-dessus d’elle, mais non ses intercesseurs. Plus tard, il y
aura la Pragmatique sanction de Bourges (1438), le Concordat de Bologne (1516),
les édits de paix tentant de mettre un terme aux guerres de Religion, dont
l’Edit de Nantes (1598). Avec des succès variables et toujours fragiles, le
propre du politique se libère progressivement de l’ombre portée des sacrements
divins. Ce processus n’établit pas seulement les droits de l’Etat face à la
puissance de l’Eglise : il met en scène une puissance publique qui prend acte
petit à petit, et malgré de violents revirements (la Révocation…), de
l’irréductible diversité des convictions, et qui cherche un équilibre, par
nature instable, entre l’unité, gage de stabilité, et la pluralité,
manifestation de la liberté.
Longtemps après la
Révolution, Michelet et surtout Quinet méditeront sur l’impasse dans laquelle
les premiers républicains se sont trouvés sur la question religieuse. Que faire
: la supprimer ? impossible. En changer ? impraticable. Laisser faire ? Dangereux.
Ce n’est pas un hasard si Aristide Briand, dans son rapport de présentation du
projet de loi de Séparation, donne sur une centaine de pages une magistrale
leçon d’Histoire qui met littéralement les pas de la Nation France dans ceux de
la laïcité. C’est à Jaurès qu’il revient d’ajouter une idée décisive, disons
plus en rapport avec les exigences de l’époque, lorsqu’il affirme que laïcité
et démocratie sont, pour ainsi dire, synonymes.
Il n’en fallait pas
moins pour convaincre un pays traversé par tant de divisions que la Séparation
était possible : beaucoup, à gauche, redoutaient la puissance d’une Eglise
rendue à la liberté ; la droite craignait au contraire que la société ne
s’éloigne d’une Eglise banalisée, privée de son statut officiel, ce qui montre assez
que la suréminence symbolique avait, depuis longtemps, changé de mains.
Un
compromis remis en cause ?
Il a fallu ce lent
travail des siècles, parachevé par la sécularisation accélérée de la société
française contemporaine, pour établir la paix laïque. Il ne faudra que deux
collégiennes portant ce qu’on appelle encore, improprement, un
"tchador", pour la faire vaciller. Cette "affaire de Creil" (1989), nous n’en
sommes pas sortis, et c’est à peine si l’Etat de 2022 est moins sûr de son fait
qu’il ne l’était, lorsque le ministre de l’Education, Lionel Jospin renvoya la
balle au Conseil d’Etat.
A ne vouloir fâcher
personne, l’Etat prend le risque de mécontenter tout le monde : il est toujours
trop mou pour ceux qui, à mots de moins en moins couverts, ont pour obsession
unique de mater l’islam et les musulmans. Mais il sera toujours trop dur, à
l’inverse, pour ceux qui se prétendent les gardiens d’une "Seule et Vraie
Laïcité", au demeurant imaginaire et fantasmée, qui aurait promis la
liberté inconditionnelle des croyants sans lui mettre les solides garde-fous du
titre V de la loi de 1905, au titre explicite : "Police des cultes".
Un culte "placé sous la surveillance des autorités", c’est ce qui
s’appelle une liberté encadrée ! Et ce n’est certes pas, tant s’en faut, le
modèle de séparation tel que les anglo-saxons l’entendent, eux qui, en Amérique
du nord, consacrent dans le droit la possibilité d’écarter la loi commune au
profit de la loi religieuse - c’est cela, "les accommodements
raisonnables".
En niant obstinément
le réel - c’est-à-dire la progression continue d’un islam dur, rigoriste,
intolérant envers les minorités sexuelles et méprisant envers les femmes - et
en cherchant à "faire du judo" avec des prédicateurs réputés parmi
les moins extrêmes des extrémistes, au nom d’un paternalisme typiquement
colonial envers les descendants de l’immigration - tout une génération
intellectuelle et militante a porté cette "laïcité d’apaisement" qui
aura fait bon accueil à Tariq Ramadan et les gros yeux à Charlie. En édulcorant
constamment le rouge-sang islamiste, en le faisant passer pour une bigoterie
new-age et en prétendant qu’il n’y avait pas de problème avec la laïcité en
France, cette école de pensée, forte de son audience et de son aura dans les
milieux éducatifs en particulier, a causé des ravages, car elle a tout à la
fois forgé la conviction, désormais répandue parmi les jeunes enseignants,
qu’il faut assouplir toutes les règles de la laïcité, mais elle a aussi
conforté les partisans d’une laïcité d’exclusion - c’est-à-dire d’une fausse
laïcité – et permis à l’extrême-droite de crédibiliser, contre toute
vraisemblance, sa conversion laïque.
Une
boussole de liberté pour naviguer par gros temps
Ringarde, la laïcité ?
Ce sont ses contempteurs, ou ses zélotes intéressés, qui sont ringards. La
profonde modernité de l’idée laïque consiste à dire que la cité ne se reconnaît d’autres lois que celles qu’elle se donne à elle-même. Aucun principe extérieur
ni supérieur ne lui est opposable ; aucune puissance sociale ne dispose de
droits sur les individus : ils sont libres, et l’Etat démocratique est là pour
garantir que cette liberté soit effective. Contrairement à une critique trop
facilement mise en circulation, aujourd’hui, à gauche, mais qui se laisse
repérer historiquement dans les attaques de la droite conservatrice contre la
République - gauche et droite jouant décidément à fronts renversés -, ces
droits n’ont rien d’abstrait : ils s’éprouvent dans une réalité sociale, celle
du "milieu" dans lequel on naît et on grandit, dont les individus ont
le droit absolu de s’émanciper. La laïcité protège le croyant qui veut croire
et pratiquer, mais elle ne protège pas que cela : en séparant la conviction,
qui est libre, des institutions sociales qui prétendent dire ce que la foi
commande, elle donne à l’individu la possibilité de croire comme il l’entend,
et non selon la norme que le groupe lui impose. C’est un point fondamental que
les tenants du laisser-faire religieux semblent avoir oublié.
Nous connaissons, au
plan mondial, un nouveau temps d’épreuve pour les libertés. Les aspirations à
l’autorité, les manipulations du vrai par la marchandisation des images, la
destruction des savoirs qui fondent une culture commune, sont des défis immenses
dont nul ne peut dire que la démocratie sortira vainqueur. L’idée laïque est un
atout que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger : elle constitue une
boussole de liberté pour naviguer par gros temps.
* Préfet et
cofondateur du Printemps républicain.