Maya Ksouri, une chroniqueuse qui dérange, parcequ'elle appelle un chat, un chat ! Une femme qui ne se laisse pas impressionner par les hommes politiques et plus particulièrement par les Frères musulmans; qui sans cesse dénonce leur double langage, leur mauvaise foi sinon leurs mensonges. Une des rare à ne pas tomber dans leur piège identitaire. Fière de sa tunisianité, qu'elle revendique haut et fort face à ces intrus qui instrumentalisent la religion pour faire de la politique en diffusant le wahhabisme dans la société tunisienne. C'est une laïque convaincue.
R.B
Maya Ksouri, la vérité et l’authenticité pour vaincre
le mensonge et la mesquinerie
Méthodique,
pertinente, éloquente, percutante, directe et précise, ce sont quelques traits
de caractère qui distinguent Maya Ksouri, juriste de formation, avocate et
depuis quelques années l’une des meilleures chroniqueuses de Tunisie, si ce
n’est la meilleure.
Il faut
reconnaître que la formation de juriste est très structurante, reconnaît Maya. «
Parce qu’en droit, lorsqu’on rédige un texte juridique, c’est toujours par des
grands A avec des paragraphes, des sous-paragraphes et ainsi de suite, mais je
ne saurais dire si je suis éloquente ou pas. C’est peut-être parce que je porte
réellement ce que je dis et que je le dis avec autant de passion que les gens
pensent que je suis dans l’éloquence. Je crois plutôt être dans l’authenticité.
L’éloquence me renvoie aux discours froids, ce qui ne correspond pas forcément
à ceux que je tiens moi-même et aux causes que je défends ».
Faute de
piloter un avion - ce qu’elle voulait être -, Maya sait bien conduire ses
entrevues avec les invités qu’elle reçoit et elle les fait très fréquemment
sortir de leurs gongs par force d’arguments et parce qu’elle prépare à la
perfection ses interviews. Pourtant elle n’a jamais suivi des études de
journalisme. « Lorsque j’ai démarré mes émissions en tant que chroniqueuse, je
faisais tellement de recherche et je m’attardais beaucoup sur les détails
touchant à l’invité. Du coup, je me présentais à l’émission avec un dossier
lourd de 60 pages résumant sa carrière, ses déclarations, ses opinions, etc. Je
tiens à la vérité. Elle est sacrée et on peut tout me reprocher sauf de débiter
des mensonges ».
Maya
Ksouri est tellement obnubilée par le respect des règles que détentrice d’un
permis de conduire, elle n’a pas de voiture. « J’ai peur des autres, ceux qui
ne respectent pas la loi ou le code de la route. Conduire un véhicule avec moi
à côté n’est pas une sinécure parce qu’inconsciemment je me mets en mode gardienne
des règles pour une conduite irréprochable !»
A cause de sa myopie, Maya a renoncé à son rêve
d’être pilote de ligne et s’est orientée vers des études littéraires. Elle
adore lire et écrire et c’est ce qui fait sa particularité en tant que
chroniqueuse. Elle n’est pas dans la superficialité et l’ignorance des faits et
des gens. Jeune, elle écrivait les lettres d’amour de ses copines. «
J’étais l’écrivain public. J’étais timide et je n’avais pas de petit ami, mes
copines recouraient à moi pour leurs missives. C’était vraiment amusant ».
Douée en écriture, elle ne s’est pourtant
jamais projetée en tant que journaliste ou chroniqueuse. Ses études de droit
étaient un accident, car détentrice d’une bourse d’études en France parce
qu’elle avait obtenu son baccalauréat avec mention, elle avait intégré la
Faculté des Sciences juridiques, son premier choix, pour y vivre l’expérience
de la vie estudiantine en Tunisie avant son départ à Orléans où la rentrée
universitaire se faisait tard. Très politisée depuis qu’elle était lycéenne à
El Menzah 6, elle suivait régulièrement les papiers d’Abdelaziz Jeridi qui
parlait souvent de Radhia Nasraoui et de beaucoup d’opposants au régime Ben
Ali. Il était de gauche et Maya, sensible à ses discours, s’est fait une idée
idéaliste de la gauche tunisienne. Son premier jour à la Faculté a été celui où
elle a contacté les représentants de l’UGET pour l’intégrer. Ils furent étonnés
car habitués à peiner pour avoir de nouvelles recrues. « J’étais très
passionnée, je voulais militer et je suis restée cette éternelle militante ».
Maya a choisi la Tunisie, elle n’est pas partie
étudier en France bien que son expérience à l’UGET n’ait pas été des plus
concluantes. « Je ne voudrais pas être cruelle, mais c’était surtout un
problème de classes sociales. Je venais des beaux quartiers, Mehdi Ben Jemaa
aussi, du coup, nous étions stigmatisés. Candidate au conseil scientifique au
sein de l’UGET, on me reprochait le fait de venir des nantis, c’était ma
première déception. J’étais désemparée parce que je ne me sentais ni pire ni
meilleures que les autres. J’ai présenté ma candidature et nous avons été
battus par les islamistes, c’était en 91 ».
Ce qui
était choquant, c’était le manque de culture !
L’expérience
de Maya Ksouri à l’UGET a été édifiante. C’est peut-être ce qui lui a permis de
voir la différence entre les érudits - ceux qui lisent, qui s’informent, qui
analysent et qui argumentent - et ceux qui se complaisent dans la démagogie et
les clichés. « Ce qui me choquait le plus est le manque de culture. Les gens ne
lisent pas les doctrines qu’ils défendent. Ils citent Marx sans l’avoir
vraiment lu et sans s’être approfondi dans ses écrits et ses théories. Mon
histoire d’amour avec l’UGET a duré un an, j’y suis restée encore deux ans par
acquis de conscience parce qu’il y avait les islamistes et je devais y rester
pour défendre la cause progressiste, mais j’avais décroché bien avant ».
L’expérience
UGET a marqué le parcours militant de Maya, elle est devenue réticente quant à
l’engagement dans un parti ou un groupe d’activistes ou encore dans la vie
civile. Elle a toujours été surprise par la différence entre ce que certains
disent et ce qu’ils font.
Elle,
elle est dans la gauche des idées, des idéaux et de l’égalité mais elle porte
également les valeurs du mérite, de la compétence et du travail. On ne peut
défendre des idéaux sans les porter soi-même, c’est peut-être ce qui fait que
Maya n’est plus dans l’admiration aveugle de tout ce qui vient de la gauche ou
dans l’adoption systématique de leurs positions.
Jusqu’à
aujourd’hui, elle porte les idéaux de la gauche. Elle défend un modèle sociétal
progressiste égalitaire et parce que ce modèle est, dans son esprit, lié, à
tort ou à raison, à la gauche, elle n’arrive pas à ce jour à changer
d’orientation. « Je ne pourrais pas dire que je suis dans le libéralisme. Je
suis dans la quête de l’égalité mais pas de l’égalitarisme. J’ai du mal à
définir le bord duquel je me sens la plus proche. D’ailleurs, un article paru
ces derniers jours sur Libération m’a interpellé. Il porte le titre
suivant : “Je me sens devenir de droite”. C’est la question que se posent
tous les quadragénaires ou les quinquagénaires lesquels, lorsqu’ils avaient 20
ans, ont été de gauche. Aujourd’hui, ils réfléchissent de nouveau à ce propos.
C’est peut-être parce que je viens d’avoir 45 ans que j’y pense de plus en
plus. Être de gauche ou de droite, est-ce que cela a encore un sens ? Le monde
a changé et les clivages ont changé. Avec la globalisation tout est devenu différent
».
En 2011,
elle avait cru en la révolution, elle faisait partie des révolutionnaires, mais
elle n’était pas dans la logique anarchiste du rejet de toutes les réalisations
de l’ancien régime. Pour elle, il y a eu des réalisations mais aussi des
problèmes bêtes d’après elle. Elle, qui considère que la liberté est
fondamentale pour une vie digne, estime que Ben Ali a mis tout le monde dans le
même sac, les progressistes et les islamistes, ce qui lui a été répréhensible à
lui-même.
Passée
l’euphorie révolutionnaire, il y a eu la déception révolutionnaire. « Dès le
mois de février, nous avons commencé à voir s’affairer les islamistes quoique
discrètement. Et un jour au palais de Justice, avec Abdelaziz (son mari Me Mzoughi), j’ai rencontré feu Chokri Belaid, et je lui ai demandé : « ne
devrions-nous pas avoir peur de ces têtes de plus en plus visibles ? ». Il
m’a répondu avec son enthousiasme et son assurance habituelle : « mais
non c’est une révolution prolétaire et populaire progressiste. Ils ne passeront
jamais ». Le jour où il s’est rendu compte qu’il s’était trompé sur toute
la ligne, on l’a assassiné ».
La
physionomie des rues de Tunis a changé !
Pour
Maya, le pire était là. La physionomie des rues a changé. Avant, femmes et
hommes prenaient leur café dans un café bar de l’Avenue Habib Bourguiba :
« L’Univers » ; ensuite, ceux et celles qui fréquentaient ce lieu l’ont
déserté. Les visages et regards ont changé. Les vents de la division
commençaient à envahir la société tunisienne qu’on pensait homogène. Il y avait
quelque chose qui se tramait contre le pays, et puis, il y a eu les élections
et l’islamisation latente de la Tunisie a commencé.
C’est là
que débuta l’expérience journalistique de Maya. Omar Shabou, fondateur du
journal « Le Maghreb » était un ami à Me Mzoughi, et c’est ainsi que Maya, qui
partageait le même cabinet d’avocat, a fait sa connaissance. Il lui a proposé
d’écrire pour le journal et d’un article bimensuel, sa plume ayant plu, elle
s’était mise au papier hebdomadaire. « Je n’allais plus au cabinet, je me suis
totalement investie dans l’écriture. D’un tempérament combatif, je dénonçais ce
que faisaient les islamistes du pays et c’est ainsi que je fus remarquée et
qu’on m’a proposé d’être chroniqueuse à la télé ».
Au début,
Maya refusait toute invitation sur les plateaux télévisés même en tant
qu’invitée. Elle avait aussi peur qu’on la prenne pour l’usurpatrice d’un
métier qui n’est pas le sien.
Humble,
elle se refusait à se prononcer sur des problématiques nationales. « Je me
disais qui suis-je pour prétendre dire des vérités à la télé. J’ai toujours eu
des doutes, d’ailleurs j’en ai toujours. Cette attitude a été perçue comme
arrogante par Hédi Zaeim, directeur des programmes de la chaîne. C’est son
assistante Wissal qui m’a relancée, elle m’a dit : “écoutez, venez même
pour 5 minutes pour discuter, après vous voyez“. Mon fils était encore jeune,
il m’a dit “maman tu vas devenir célèbre, je veux te voir à la télé“. C’est
ainsi que j’ai pris la décision de foncer ».
Maya a
découvert que l’image qu’elle se faisait de la télévision était différente de
ce qu’elle a trouvé. Le concept de l’émission lui a plu. Elle a toutefois mis
ses conditions pour ce qui concerne les invités politiques. Et elle, qui
comptait limiter sa carrière de chroniqueuse à une année, s’est prise de
passion pour ce nouveau métier qui lui permettait de porter la voix d’une large
frange des Tunisiens. Être la première femme chroniqueuse progressiste à la
télé pouvait aider à faire bouger les choses dans le sens de préserver les
acquis républicains et le modèle sociétal ouvert et tolérant hérité depuis des
millénaires. Il fallait porter cette parole que l’on veut amoindrir et la
véhiculer à travers la télévision.
Au
commencement, Maya préparait ses interventions de manière presque pathologique.
Le journalisme n’étant pas son métier, elle exigeait beaucoup d’elle-même pour
assurer. Elle avait cette obsession de se voir considérée comme une usurpatrice.
Etre surtout elle-même et ne pas prendre la place de quelqu’un d’autre était
important pour cette arrivante sur la place publique. Preuve d’un grand sens
moral, sans toutefois tomber dans la niaiserie ou la pudibonderie. D’ailleurs,
elle a choisi de suivre une carrière d’avocate dans les domaines des Assurances
et des Finances. « C’était un choix délibéré. Lors de mon stage, j’ai travaillé
dans le pénal, et ça m’a posé énormément de problèmes de conscience. Je ne
pouvais pas savoir si on me racontait des bobards et si la personne a commis le
délit ou pas. Je m’en suis sortie en choisissant d’évoluer dans le secteur des
finances ».
Une
enfance accidentée
L’enfance
de Maya Ksouri n’a pas été un long fleuve tranquille. Son parcours a été
douloureux, secoué par des maladies et la mort de sa mère alors qu’elle était
jeune, rejointe ensuite dans son âge adulte par son père. Cette douleur d’avoir
perdu des êtres aussi chers ne l’ont pas bloquée dans sa réussite scolaire ou
universitaire. Tout au contraire, pour elle, les malheurs ou la tristesse de la
jeunesse rendent plus fort et nous incitent à réussir et à surmonter les
difficultés.
Elle
avait dix ans quand elle a commencé à s’assumer toute seule : elle
préparait à manger et tenait la maison entièrement. Elle n’avait pas vécu cette
situation dans la tristesse mais elle s’est rendu compte du poids de la perte
de ses parents le jour où elle-même est devenue maman. « Parce qu’on commence à
faire un plaquage sur son enfance et on se dit que si jamais ça devait nous arriver,
comment notre propre enfant vivra ou réagira, et c’est là où nous réalisons que
c’est vraiment dur. Au début, les épreuves de la vie forgent le caractère avant
que l’on se rende compte qu’on aurait bien voulu vieillir avec ceux qui nous
ont enfantés. Toutefois, je garde plein de souvenirs de ma complicité avec mon
petit frère et c’était une belle ambiance. Nous sortions l’argenterie et la
porcelaine et nous nous mettions à table ensemble et c’était assez spécial ».
Pour ses
amies, Maya reflète la femme qui a su conjuguer l’intellectuelle - elle lit
beaucoup - avec la parfaite maîtresse de maison qui s’occupe des siens, qui
concocte de très bons petits plats et une amie sur laquelle on peut compter, à
laquelle on peut accorder sa confiance. Elle est gentille, généreuse et
émotive, elle adore tout ce qui est culture. C’est une artiste à sa manière.
Gentille
oui mais c’est aussi une battante imprégnée des lectures de Simone de Beauvoir
qui l’ont rattrapée dans son parcours professionnel et surtout ces toutes
dernières années.
Et elle,
qui pensait la lutte entre les sexes révolue pour ne jamais avoir vécu la
misogynie dans sa famille, l’a découverte dans le milieu médiatique. « Je
pensais que les féministes exagéraient un peu cette histoire de machisme et de
misogynie, je me suis rendu compte qu’ils existent toujours. A la télé c’est
pire, parce que les hommes considèrent que prendre la parole est un pouvoir
qu’ils peuvent difficilement céder à une femme. Si un homme joue un match de
boxe avec un homme et perd, il n’en prend pas ombrage, après tout, il a été
battu par un pair, mais s’il est battu par une femme cela devient grave. Il est
dans tous ses états. Il en est ainsi dans les plateaux télévisés, ce qui donne
un ton assez désagréable à des desseins que j’aurais voulu plus amènes. Lorsque
j’interviewe un invité, je m’attends à ce que les échanges se fassent de
manière civilisée et cordiale, mes réactions passionnées sont l’expression de
ma sincérité. D’ailleurs, les gens qui me connaissent hors télé sont très
étonnés lorsqu’ils voient des scènes “mouvementées”, je ne cherche jamais le
clash, juste la vérité, je hais le mensonge, l’hypocrisie et la mesquinerie ».
Maya est
méticuleuse, angoissée, colérique mais pas rancunière : « Je suis très
angoissée, même quand il n’y a pas de quoi l’être. Je crée mes propres
angoisses, j’angoisse beaucoup pour mon fils, à tel point que je me demande
quelque fois si je suis faite pour être une maman. C’est une angoisse
insupportable, cela a peut-être un rapport avec mon vécu. J’ai peur de
reproduire des schémas assez lourds à porter bien que j’en ait tiré le meilleur
pour moi et mon frère, sinon je suis une grande amoureuse, j’ai eu deux grandes
histoires d’amour, mon fils et mon mari. J’aime être amoureuse ».
« Ce
qui constitue ordinairement une âme forte, c’est qu’elle soit dominée par
quelque passion altière et courageuse, à laquelle toutes les autres, quoique
vives, soient subordonnées ; mais je ne veux pas en conclure que les âmes
partagées soient toujours faibles ; on peut seulement présumer qu’elles sont
moins constantes que les autres ». La citation est de Vauvenargues. Elle
illustre quelque part Maya Ksouri.