Si la France a longtemps soutenu les dictateurs nord-africains, c'est qu'ils constituaient pour elle, du moins ce que croyaient ses dirigeants, un rempart contre les islamistes dont les Frères musulmans les mieux organisés d'entre eux. Quand l'opération " printemps arabe ", fut lancée en 2010, les dirigeants français de droite comme de gauche ont pensé amadouer les islamistes en les soutenant en Tunisie, et en Egypte. Devant l'attitude conquérante et arrogante des Frères musulmans d'Egypte après le départ Hosni Moubarak, les instigateurs des fumeuses "révolutions arabes", se sont ravisés en jouant la distinction entre les islamismes, jusqu'aux fameuses trouvailles :
- d'islamisme modéré, comme celui d'Ennahdha,
- du consensus qui permet aux Frères musulmans de partager le pouvoir avec les progressistes-démocrates,
- dans une démocratie expérimentale, spéciale pour "arabes" !
Les algériens tomberont-ils dans ce piège mortifère qui a paralysé la Tunisie depuis ou résisteront-ils à cette ingérence des occidentaux myopes sinon aveugles pour promouvoir des stratégies aventureuses qui finiront par leur exploser à la figure quand on voit ce qu'est devenue la Tunisie : premier exportateur de terroristes; et ce, aux portes de l'Europe ! C'est dire s'ils fabriquent des bombes à retardement en laissant le wahhabisme gagner tout le Maghreb et prendre ses aises en Europe aussi.
R.B
Depuis le 22 février, début de la mobilisation des
Algériens contre le cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, la
presse française et une partie de la classe politique mettent en garde contre la menace
d’un péril vert, d’«islamistes
en embuscade» [chez Marianne, ndlr], sinon de
jihadistes sur le point de passer à l’acte. Laurent Wauquiez, président du
parti Les Républicains, a même dit sa «grande préoccupation».
L’Algérie est-elle réellement en danger ?
Ce
prisme procède d’une cécité sur les changements sociopolitiques du pays, en
particulier le legs de la décennie noire, le traumatisme engendré et la
mutation du mouvement islamiste algérien.
Chaque vendredi depuis cinq
semaines, des dizaines de milliers d’Algériens se sont pacifiquement
réapproprié l’espace public. Leur mobilisation redonne enfin tout son sens
à la fameuse devise du régime depuis l’indépendance, «min el cha’b, wa ila el
cha’b», «par le peuple, et pour le peuple».
Pris de court, les partis de
l’opposition, y compris les islamistes, n’ont joué aucun rôle dans cette
mobilisation historique. Faut-il rappeler que les partis islamistes n’ont
rejoint le mouvement que tardivement ? Ajoutons à cela que, dès la deuxième
semaine de mobilisation, les appels citoyens à la «vigilance contre la
récupération» n’ont cessé de se multiplier. La société algérienne est
profondément marquée par la trajectoire violente du Front islamique du
salut (FIS) dans les années 90. Elle est aujourd’hui, comme me l’a
confié un manifestant, «vaccinée contre le FIS et ses dérives», et n’a pas
manqué de signifier son hostilité aux représentants actuels de l’islam
politique.
Ainsi, l’islamiste Abdallah Djaballah, chef du Front pour la justice
et le développement (FJD), a été expulsé aux cris de «Dégage !» par les
manifestants. Abderrezak Makri, chef du Mouvement pour la Société et la
Paix (MSP), a quant à lui marché discrètement en queue de cortège dans
l’indifférence générale.
Pour se démarquer de l’islam
radical et de la violence jihadiste, les partis islamistes tels que le MSP et
Ennahdha ont adopté dès 1995 une stratégie «participationniste», prenant
part à plusieurs scrutins législatifs et présidentiels. Leur intégration
politique a été synonyme de cooptation par le pouvoir. Le MSP en est
le parfait exemple, devenu acteur incontournable de la scène politique
algérienne : certains de ses membres sont en effet devenus ministres ou
parlementaires.
Un
processus de professionnalisation de ses cadres et, dans une grande mesure,
d’enrichissement grâce à l’intégration dans les circuits de la redistribution
de la rente s’en est suivi. La peur de perdre ses acquis et ses privilèges a
empêché le MSP d’offrir aux Algériens des solutions concrètes aux problèmes
économiques, aux inégalités sociales et à la corruption généralisée. Son
électorat a fini par s’effondrer.
Désunis et affaiblis par leurs
différends idéologiques et leurs luttes intestines, désireux de préserver leurs
relations clientélistes avec le régime, les islamistes ont fini par se
discréditer aux yeux d’une population qui ne croyait plus en leurs
promesses. Lointain est le temps où les Algériens croyaient au fameux «l’islam est LA solution». Aujourd’hui,
la capacité de mobilisation des islamistes est faible et leur électorat s’est
émietté.
Quant
aux anciens du FIS, leurs manœuvres pour retrouver une certaine visibilité
n’ont pas porté leurs fruits. Ali Belhadj, ancien numéro 2 du parti, a
tenu quelques sermons sur YouTube avant d’être arrêté par les autorités. Quant
à Kamel Guemazi, ancien membre du conseil consultatif du FIS, il a dirigé la
prière du vendredi 7 mars organisée par les forces de l’opposition. La
photo de cette prière a été largement diffusée notamment par la chaîne Ennahar,
proche du pouvoir.
Une
fois de plus, le régime agite l’épouvantail de l’islamisme radical et des
«vilains barbus» prêts à faire basculer le pays dans une nouvelle décennie
noire. Mais cette rhétorique de la peur ne fait plus recette et ne réussit plus
à dissuader les Algériens de protester contre un régime fossilisé et
délégitimé.
Les
islamistes sont dans une approche gradualiste et le retour à une posture
révolutionnaire, de confrontation, serait difficilement imaginable. Des appels
au jihadisme, à la violence et au takfirisme comme ceux des années 90 sont
devenus impensables. A cela s’ajoute un calcul rationnel entre coûts et
avantages, où tout basculement dans la violence serait coûteux. L’activisme à
haut risque, dans cette Algérie où l’armée s’est modernisée et
professionnalisée, leur serait fatal.
Quant aux quiétistes, ils se
concentrent sur la daawa (prédication) et ont
tout à gagner en restant éloignés de la scène politique et en continuant
leur approche non conflictuelle qui leur permettra de continuer d’exister et de
poursuivre leurs activités religieuses.
La
relation des islamistes avec le pouvoir est marquée non pas par la
confrontation mais par la négociation. Dans la phase actuelle de la
mobilisation populaire contre le pouvoir en place, il faut accepter la
multiplicité et la diversité de la pensée, car toute diabolisation des
islamistes risque davantage de desservir la transition que de la consolider.