Professeur de sociologie des religions
RACISME - Globalement, le racisme antimaghrébin et antimusulman actuel est l'héritier de la vision coloniale, elle-même porteuse de tous les stéréotypes de l'inégalité des races. Mais il s'est constitué sur la base d'un stock de représentations négatives visant les Arabes comme ennemis -envahisseurs et conquérants-, dont l'apparition remonte à l'époque médiévale. Et l'on sait par ailleurs que le monde dit "arabe" englobe pour le grand public, outre les nations de la péninsule arabique, les populations non arabes du Maghreb qui furent "arabisées". C'est là ce qui justifie l'emploi du terme "arabophobie", à certains égards mal formé, pour désigner le rejet haineux des populations issues de l'immigration et perçues comme maghrébines ou "arabes".
Dans ces réactions arabophobes, l'islam constitue l'un des principaux facteurs de stigmatisation. C'est pourquoi l'arabophobie apparaît souvent indiscernable de l'islamophobie. En raison des entrecroisements de ces "phobies" idéologisées, le groupe racisé a des frontières variables. Dans tous les cas, il incarne cependant une menace. Il est fabriqué par condensation de trois figures diabolisées: l'immigration d'origine maghrébine, "les Arabes", "les musulmans" (non distingués strictement des islamistes). Cette vision négative du monde arabo-musulman comme incarnant une menace (intérieure et extérieure) a été rationalisée par la doctrine du "choc des civilisations" (Huntington, 1997), puis renforcée par la forte médiatisation internationale des interventions militaires en Afghanistan et en Irak.
Teinté de paternalisme, le colonialisme français s'était donné une mission civilisatrice des "races inférieures" (Jules Ferry, 1885). Dans l'Algérie française, hiérarchisée selon un découpage ethnico-confessionnel, le point culminant fut en 1870 le décret "Crémieux", naturalisant les Juifs qui accédaient au même statut que les Colons, les Arabes/Musulmans restant soumis au Code de l'Indigénat qui les privait de leurs droits fondamentaux.
Le massacre par les forces de police de centaines de manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961, s'inscrit dans la logique raciste d'une puissance qui, refusant de perdre sa principale colonie, n'hésita pas à user de la torture et des exécutions capitales. La vérité sur cette tragédie ne fut révélée au grand public qu'au début des années 1990, lors du procès du responsable de la répression, l'ancien préfet Maurice Papon. Près d'un demi-siècle après cette sombre affaire, et si le racisme institutionnel n'est plus qu'un souvenir, la xénophobie, et tout particulièrement l'arabophobie, perdure. Ainsi, dans son rapport d'activité de 2004, la Commission Nationale Consultative des Droits de L'Homme indique que 81% de la violence raciste touche la population d'origine maghrébine, niveau jamais atteint jusque-là.
Les manifestations de cette violence se poursuivirent en 2005, représentant 66% de la violence raciste totale, allant des menaces jusqu'aux attaques contre les institutions et symboles religieux, comme les profanations de cimetières musulmans ou les attentats contre les mosquées (environ 20% de la violence raciste globale), souvent accompagnés d'inscriptions néonazies, particulièrement en Alsace (voir islamophobie). Il est à noter que l'extrême droite vise moins la communauté juive que les populations perçues comme "arabes" ou "maghrébines", et que ces actes sont moins médiatisés que les actes antisémites.
Le contexte national et international (débats sur la laïcité et sur l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne, attentats islamistes), mais plus encore l'utilisation dans les campagnes électorales du thème de l'immigration, expliquent le regain de la théorie de la suprématie blanche et la percée du Front national lors des élections présidentielles de 2002. Les populations arabes et maghrébines sont fortement stigmatisées par l'association des termes "immigration", "islamisation" et "invasion". Les mouvements extrémistes "Bloc Identitaire" et "Jeunesses Identitaires", dont les responsables sont issus du mouvement "Unité Radicale", dissous en 2002, se sont particulièrement distingués dans les campagnes arabophobes.
Sur l'Internet, de nombreux sites ont été actifs dans la stigmatisation et les attaques racistes à l'endroit des Arabes et des Musulmans, comme "SOS Racaille" (sabordé en 2003), ou encore "Occidentalis". L'injure raciste la plus diffusée est le terme de "bougnoules", que l'on retrouve dans tous les groupes de discussion francophones. Sur le site de "SOS Racaille", des actes de dégradation de mosquées ont été revendiqués, ce qui indique un lien entre la propagande sur l'Internet et le passage aux actes. Selon un rapport du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), il existe une alliance entre des extrémistes se disant "sionistes" et des mouvements d'extrême droite, parmi lesquels des militants du Front national, des royalistes et des intégristes catholiques. Il n'est pas exclu cependant que certains de ces sites instrumentalisent l'inquiétude des Juifs pour dresser les communautés les unes contre les autres.
L'arabophobie touche également des milieux cultivés. S'appuyant sur une lecture caricaturale du "choc des civilisations", Guy Millière, universitaire proche des milieux néo-conservateurs américains et défenseur inconditionnel d'Israël, prône la guerre totale contre les Palestiniens. Prenant comme exemple les émeutes des banlieues, ce théoricien néo-conservateur tend à voir la France, à ses yeux en passe de devenir musulmane, comme un ennemi de la civilisation occidentale. Nombre de clichés racistes se retrouvent dans son discours: xénophobie, haine antimusulmane et amalgames entre maghrébins, délinquants et terroristes. Quant à l'islam, il "n'a, écrit-il, aucunement participé de façon positive à l'histoire et à la culture du pays". Les Arabes sont vus comme nombreux et violents. On retrouve la même vision raciste chez la journaliste italienne Oriana Fallaci dont l'ouvrage, encore plus virulent, est cité par tous les sites extrémistes. Les "fils d'Allah" qui "se multiplient comme des rats", "incapables de contribuer au progrès de l'humanité", souillant les églises, y sont traités de barbares, et comparés aux rats et à des hordes de sangliers.
L'arabophobie ne se manifeste pas seulement par des discours et actes racistes. Elle s'exprime également sous forme de discriminations, en particulier dans l'emploi et la formation, mais aussi dans l'accès aux biens, aux services et au logement. À compétence égale, un Français d'origine "arabe" ou "maghrébine" a six fois moins de chances d'obtenir un entretien d'embauche qu'un Français au nom européen. Une telle discrimination s'étend également aux attributions de logements, à l'accès aux loisirs et à la formation professionnelle.
Dans la vie politique, il n'existe aucun député d'origine maghrébine, et, qu'il s'agisse des législatives ou des municipales, les candidats issus de l'immigration maghrébine sont presque toujours assignés (ou s'assignent eux-mêmes) à des tâches qui touchent aux problèmes des banlieues et des quartiers dits "sensibles" ou difficiles.
Dans les établissements scolaires, la corrélation observée entre l'origine ethnique (majoritairement arabe et africaine), l'origine sociale (défavorisée) et la relégation de ces élèves dans certains établissements favorise la ségrégation urbaine, l'échec scolaire et l'ethnicisation. Le différentialisme et le relativisme culturel, jouant contre l'intégration citoyenne, ne sont pas étrangers aux découpages ethniques "populaires" (Blanc, juif, chrétien, "rebeu") que les élèves reprennent à leur compte et utilisent comme actes de stigmatisation ou injures racistes. Certains enseignants, encore aujourd'hui, traitent leurs élèves arabes de "bougnoules", terme raciste dont l'usage était répandu dans les années 1960 et 1970.
Pourtant, les Français condamnent de plus en plus le racisme et les discriminations, et expriment leur soutien aux mesures de lutte contre toutes les formes de racisme. Un sondage réalisé à la fin de l'année 2004 montre qu'une nette majorité se dit indifférente à la présence des étrangers et des Français d'origine étrangère ou confessant une autre religion. De plus, ceux qui trouvent cette présence "enrichissante" sont nettement majoritaires par rapport à ceux qui l'estiment "gênante". Si la perception de l'islam s'est détériorée, 77% des sondés souhaitent que l'exercice du culte musulman soit favorisé, et 49% qu'il faut former des imams. Il s'avère que ceux qui rejettent la religion musulmane sont ceux-là mêmes qui sont les plus hostiles aux immigrés. Il apparaît donc clairement que le rejet de l'islam s'inscrit dans une attitude xénophobe plus générale. On note aussi que la lutte contre les discriminations prend plus de place que la lutte contre l'extrême droite, ce qui représente une réelle avancée du combat antiraciste.
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ARABOPHOBIE, ISLAMOPHOBIE ... DITES-VOUS ?
Leila Babes fait un rappel historique sur la xénophobie touchant les anciens colonisés de la France.
Elle oublie que la xénophobie s'est exercée aussi à l'encontre des italiens, des polonais, des espagnols, des portugais ... et depuis peu, des roumains ! A ce que je sache, leur rejet n'est pas due à leur confession !
Ce qu'elle semble oublier c'est que depuis la chute du mur de Berlin et la fin du communisme dans les pays du pacte de Varsovie, une autre idéologie tente de remplir le "vide" laissé par le communisme : le wahhabisme !
Les premiers à s'en être servi, ce sont les américains qui ont aidé Ben Laden pour bouter les russes hors d'Afghanistan !
Cela tombait bien pour les Ibn Saoud, c'était l'occasion pour le roi d'Arabie de respecter le deal qui liait sa tribu à celle du père fondateur du wahhabisme Mohamed Abdelwahhab, qui accorde aux Ibn Saoud le rôle de chef temporel des musulmans en se réservant le rôle de chef spirituel, avec charge aux Ibn Saoud de diffuser sa doctrine dans le monde entier !
Ainsi fut fait, et bon nombre de pays musulmans vont basculer dans le wahhabisme au détriment de leurs obédiences ancestrales plus ouvertes que ne l'est cette doctrine obscurantiste et mortifère : Afghanistan, Pakistan, Soudan, Somalie, des pays de l'ancien bloc soviétique ...
Devant le succès, le roi s'attaque aussi à l'Occident aussi bien en Europe qu'en Amérique : usant pour cela de tous les moyens : TV paraboliques pour diffuser le wahhabisme, ouverture d'école coraniques, d'universités religieuses, de centres cultuels et culturels ... tous animés par des hommes au service du pétromonarques faisant du prosélytisme au wahhabisme !
Le printemps arabe sera l'autre occasion pour les Ibn Saoud mais aussi pour leur frère ennemi l'émir du Qatar, pour diffuser le wahhabisme et s'assurer l'hégémonie sur les républiques en révolte !
Là notre professeur oublie aussi de dire la responsabilité des hommes politiques qui au nom de la real politik fermaient les yeux sur ce nouveau prosélytisme en leur banlieues d'abord et qui fait tâche d'huile de plus en plus : en France Chirac n'était-il pas l'ami du roi Ibn Saoud ... et Sarkozy, celui de l'émir du Qatar !!
Comment dés lors, n'y aura-t-il pas islamophobie quand prospère le wahhabisme, obédience agressive et rétrograde adoptée par les islamistes politiquement ? Car si elle choque les chrétiens, elle choque aussi bon nombre de musulmans maghrébins et d'africains étrangers à cette obédience pratiquant le malékisme ou le soufisme de leurs ancêtres !
Si attaquer les dérives de l'islam c'est de l'islamophobie, alors je suis un islamophobe.
Rachid Barnat