Ce pan-arabiste, frère ennemi du pan-islamiste Ghannouchi, reprend la guéguerre que leurs idéologies ont connu durant toute leur histoire !
Or ces deux idéologies à vocation de libérer les peuples "arabes" du colonialisme européen, n'ont plus de raison d'être depuis l'indépendance des pays "arabes" !
Mais les complexés de l'Histoire s'accrochent encore à leurs idéologies, qu'ils retournent contre les peuples libérés, pour les ramener au statut de colonisés :
- les uns voulant les soumettre au Rais de "l'Oumma al-arabiya" (Monde musulman);
- les autres, au Calife de "l'Oumma al-islamiya" (Monde arabe).
On comprend mieux pourquoi Bourguiba avait combattu ces idéologies utopiques, voyant le danger qu'elles représentent pour la jeune nation et la nouvelle république tunisiennes.
R.B
Moncef Gouja
LA GUERRE
DES FONDAMENTALISMES
La guerre qui fait rage
entre Rached Ghannouchi et Kais Saied, pour s’accaparer le pouvoir absolu et
notamment, la main mise sur l’appareil exécutif de l’État, via le gouvernement,
n’est pas un conflit politique ordinaire entre deux hommes politiques, mais une
confrontation qui devient de plus en plus violente entre deux fondamentalismes
islamiques, qui ne connaîtra de fin qu’avec l’élimination politique d’un des
deux adversaires. Seront mises à contribution, de part et d’autre, les
institutions de l’État, parlement, présidence de la république, gouvernements,
ministères de souveraineté, police, armée, partis politiques, syndicats,
société civile, médias, réseaux sociaux, et d’énormes moyens logistiques et
financiers… Bref, une guerre totale et sans merci. Car les fondamentalistes
religieux, convaincus qu’ils détiennent la vérité absolue, confondant la foi et
la raison se voient investis d’une mission divine qui est de faire triompher
leurs doctrines et l’imposer par tous les moyens, en éliminant tous ceux qui
leurs font obstacle. La démocratie, les scrutins, le vote, ne sont pour eux,
qu’un moyen de réaliser leurs dessins messianiques. Le danger c’est que cette
guerre idéologique ne s’affiche pas clairement en tant que tel, car les
belligérants, portent des masques civils, parfois même pseudo-modernistes et
cachent leurs dogmatismes religieux, pour être dans l’air du temps. Il n’en
reste pas moins qu’on est en face d’un conflit entre deux personnes,
dogmatiques, religieuses, fondamentalistes.
S’il ne faut plus beaucoup d’efforts intellectuels et
théoriques, pour prouver le fondamentalisme de Rached Ghannouchi, puisque
lui-même, s’en réclame depuis ses débuts, il y’a cinquante ans en politique, et
qu’il avait souvent couché ça par écrit ou sous forme d’interviews et qu’il n’y
a plus que les novices et les opportunistes, pour croire qu’il a renié sa foi,
il n’en est pas de même de Kais Saied, cet OPNI (Objet Politiquement Non
Identifié) qui reste un mystère quant à ses convictions profondes et la
stratégie qu’il compte adopter pour les mettre à exécution.
Un fondamentaliste, qui s’identifie à ‘Umar ibn al-Khattab
L’on sait depuis au moins le début de son mandat, que
Kais Saied est un homme pieux et tout est à son honneur et là il est en accord
avec la Constitution, qui non seulement stipule que la Tunisie, où l’État,
(selon qu’on soit intégriste ou non.) a pour religion l’Islam et seul un
tunisien musulman (ou une tunisienne) a le droit de prétendre à la magistrature
suprême. Mais tant que la religion du chef de l’État, en l’occurrence l’Islam,
reste dans la sphère du privé, il n’y’a aucun problème, mais lorsque cette même
religion est instrumentalisée à des fins politiques ou pire, électoralistes,
voire même pour concurrencer les partis religieux, comme Ennahdha ou Itilaf
al-karama. Kais Saied enfreint cette même constitution, grâce à laquelle il
était élu Président. Car faire d’un acte de prière, en l’occurrence, celle du
vendredi saint, un outil de propagande politique, en témoigne la médiatisation
à outrance de ces sorties « pieuses », et coûteuses, évidement aux frais du
contribuable, voilà qui le fait basculer, du rôle d’un chef d’État à celui de
Messie, ou selon une croyance religieuse musulmane, al-mahdi al muntadhar.
Ses discours, ont toujours eu un aspect messianique plus que politique,
accentué d’ailleurs par un ton et un langage prophétique, où souvent Dieu est
invoqué et ses ennemis voués aux malédictions du peuple. Mais tout le monde a
fini par comprendre que « peuple » signifie moi, à l’instar de Louis XIV
qui disait : « l’Etat, c’est moi ! », Kais Saied croit que le peuple c’est lui.
Mais c’est surtout sur ses références à Umar ibn
al-Khattab, deuxième Calife de l’Islam, qu’il faut se pencher. Évidement il
s’agit d’un Umar mythique, crée par la tradition (sunna) et non le Umar
historique qui avait imposé par l’épée aux « ansars »
(partisans du prophète) et Ali ibn Abi Talib, cousin de l’envoyé de Dieu, par
le glaive et les menaces, de faire allégeance à Abu Bakr.
Kais Saied, suit
exactement ce qu’il croit être la tradition de Umar en rendant des visites
impromptues à ses citoyens, (yazour al raiyya) de nuit comme du jour,
pour prononcer des allocutions souvent incompréhensibles en rapport avec le
contexte, et pour faire régner la justice (al-adl) avec intransigeance (al-farouk).
Importe peu que ses visites soient utiles ou non pour ces pauvres citoyens, car
aucune des multiples promesses, qu’il avait faites, n’avait été suivie
d’effets. Ce qui compte pour lui, c’est l’image qu’il veut donner de lui, un
Umar qui court au secours de la veuve et de l’orphelin, de nuit, de jours,
toute l’année. Il ne manquera pas un jour, de trouver une veuve avec ses
orphelins pour leurs préparer le dîner. Or, il se trouve aussi que cette image
mythique, d’un Umar des temps modernes, le maintien dans les sondages quoique
de plus en plus difficilement, comme celle de l’homme pieux qui ne rate aucune
prière et qui se « mélange » au peuple, bien qu’entouré d’une dizaine de gardes
du corps armés qui veillent au grain, Umar il est vrai n’avait pas ça, ce qu’il
lui avait valu d’être assassiné par un esclave converti alors qu’il dirigeait
la prière du Vendredi.
Mais là où Kais Saied s’est révélé un authentique
fondamentaliste, c’est évidemment sur la question de l’héritage où il s’est toujours
déclaré contre l’égalité entre hommes et femmes rejoignant la position, non
républicaine de la nécessaire inégalité, en raison d’un soi-disant respect du
texte coranique, de tous les fondamentalistes et particulièrement Rached
Ghannouchi. Béji Caid Essebsi qu’on ne peut soupçonner d’athéisme, était pour l’égalité et a
essayé de faire passer une loi dans ce sens. Mais un fondamentaliste n’est pas
forcément un intégriste, le premier prônant le retour aux « oussouls »
(principes fondamentaux), le second prônant une application intégrale de ce
qu’il considère comme la loi divine (chariaa), comme Rached Ghannouchi.
Un intégriste est forcément un fondamentaliste, le contraire n’est pas toujours
vrai. Taher ben Achour, son fils Fadhel, Mohammed Abdou et autres docteurs de l’Islam, furent des fondamentalistes et non des intégristes. La nuance est de taille.
Et autiste de surcroît !
Que le Président de la République soit un
fondamentaliste, rien dans la constitution et les lois de la République ne
l’empêchent de l’être, tant qu’il respecte son magistère. Il doit laisser ses
convictions privés, religieuses ou politiques au vestiaire, et respecter
scrupuleusement la constitution. Or Kais Saied s’est autoproclamé seul
interprète de celle-ci, en absence d’une cour constitutionnelle, allant jusqu’à
paralyser l’action du gouvernement, en pleine crise sanitaire où le nombre de
morts par jour a atteint des chiffres records, et alors que le pays sombre dans
la crise économique la plus profonde et la plus longue de son histoire, pour assouvir
un désir de vengeance contre son ex-poulain politique qui l’aurait trahi en se
jetant dans les bras de son actuel pire ennemi, qui était, il y a un an, son
principal soutien, Rached Ghannouchi. Il a demandé et visé tout simplement sa
démission, risquant de traîner le pays dans une crise politique grave, qui ne
peut que lui être fatale. Pire, il a tenté vainement de mobiliser la populace
pour faire tomber le premier ministre qu’il a lui-même proposé avant que ce
dernier ne tourne casaque.
L’autisme dont il a fait preuve n’est pas seulement
politique, il est clinique. Dans n’importe quelle autre démocratie, on aurait
exigé un bulletin de santé mentale ou physique, devant l’inacceptable, pas dans
notre deuxième république.
Il ne s’agit point comme l’ont soufflé certains
juristes de service, comme ce Iyadh ben Achour de destituer un Président élu
mais il s’agit de limiter ses prérogatives à ce que stipule strictement la
constitution et le contraindre à se contenter de ses attributions aux affaires
étrangères et à la défense, toujours sous contrôle, car n’en déplaise à
Ghannouchi, la fonction de Président de la République est loin d’être
symbolique. C’est le rôle du gouvernement et du parlement actuels de le faire
en attendant des élections générales, présidentielles et législatives, qui
comme les sondages l’indiquent vont balayer tous ce système. Jusque-là, tout
coup de force des uns ou des autres, risque de balancer le pays dans l’inconnu
et dans l’anarchie la plus totale. Lorsque deux fondamentalismes s’affrontent à
la tête de l’État, c’est la désarticulation de ce dernier qui pointe du nez.
Il est clair que Kais Saied n’écoute personne, même ses
supposés conseillers et il agit comme un autocrate, sauf qu’il n’a pas les
moyens de l’être. En ce sens, il se croit Umar ibn al-khattab et il a évidemment
tort, car, ce dernier était entouré des compagnons du prophète et ne pouvait
agir à sa guise.
Cette tendance à l’autisme politique chez Kais Saied découle,
en plus de son autisme réel, de son inexpérience politique et de son incapacité
à juger les hommes, comme lorsqu’il s’est trompé lourdement sur Fakhfakh et
Mechichi, en plus sur ses propres conseillers. Il n’est apte qu’à distiller des
discours vaseux, sans contenu politique significatif et sans portée pratique.
Comme tous les dogmatiques, il se réfugie dans des
diatribes et des proclamations solennelles, qui seront rapidement oubliés et
sans conséquences. Ces diatribes lui ont fait commettre, des fautes graves en
politique étrangère et ont participé à son isolement sur le plan international
et souvent il était obligé de rétro pédaler, pour atténuer les pressions qui
n’ont pas tardé à s’exercer sur lui. Il n’a aucune doctrine, aucune vision et
aucune stratégie, tout au plus un rudiment de connaissances juridiques, qu’il a
accumulé forcement dans son parcours d’enseignant. Mais il reste cependant le
Président élu à une large majorité et il faut faire avec.
Gourou contre illuminé
Rached Ghannouchi n’est pas né de la dernière pluie. Il
sait qu’il s’est trompé sur la personnalité de Kais Saied, le prenant au départ
pour une personne facilement manipulable, car il comptait faire de lui un
second Marzougui. Ce ne fût pas le cas. Pire, il avait décidé de le doubler en
politique étrangère, en se mettant en avant et en multipliant les initiatives, notamment sur le dossier libyen. C’était sans compter sur l’égo du personnage
qui a réagi en passant à l’offensive en se déclarant le seul président des
tunisiens et en s’alliant avec les partis traditionnellement pro-nahdha, altayyar (pan-arabiste) et al-shaab (pan-arabiste) ce qui a poussé Ghannouchi à renverser ses
alliances en faisant appel au parti de Nabil Karoui pour ne pas rester l’otage
de Kais Saied et ses alliés. Il a fini par avoir la peau de Fakhfakh et à
retourner un des hommes clefs de Kais Saied, Hichem Mechcichi, qui s’est aperçu à
temps que ce dernier a voulu le sacrifier et alors il a changé de camp.
La
guerre, maintenue au début en sourdine, a éclaté au grand jour et a fini par
l’élimination des ministres kaisite, ce qui a poussé ce dernier à bloquer tout
le gouvernement en refusant de permettre aux nouveaux ministres de prêter
serment. Mais Ghannouchi, invoquant la situation désastreuse du pays a poussé
au maintien de la formation actuelle, en trouvant des points de chute pour eux,
sans passer par le fameux serment. Mais la guerre va entrer dans un nouveau
tournant, car Kais Saied va se trouver assiégé et isolé dans son palais, et il
fera tout pour dissoudre ce parlement, qui l’empêche d’accomplir son dessin et
en finir avec ses deux ennemis, Ghannouchi et Mechichi. Comment ? Wait and see
!
Cette guerre des deux fondamentalismes a commencé à
gagner la rue. Manifs et contre-manifs vont se succéder sans parler des grèves
et autres actions spectaculaires et voire même subversives comme l’affaire du
Kamour. Le pays va vivre des déchirements sans précédent. La raison principale
est la présence de deux fondamentalistes à la tête de deux institutions clefs :
La présidence et le parlement. Pendant ce temps le gouvernement qui
vraisemblablement va durer, est aligné sur un seul clan et il lui sera
difficile d’être neutre d’autant plus que son chef joue sa tête
(politiquement).
Le point commun entre Saied et Ghannouchi est qu’ils
rivalisent en fondamentalisme, pour des raisons électoralistes et parce qu’ils
puisent dans le même vivier conservateur. La guerre des mosquées ne fait que
commencer et prélude du caractère religieux de l’affrontement futur. Mais ça ne
sera pas la guerre entre modernistes et islamistes, mais entre conservateurs au
nom d’un islam que la Tunisie n’a jamais connu dans son histoire. Certainement
une ruse de l’histoire pour que notre pays sorte définitivement du moyen âge !