.... ou comment les derniers empires ont disparu entre complots et services secrets et que d'autres prennent leur place sous de nouvelles formes. Une série qui retrace les manipulations de la politique par les services secrets où chaque nation défend ses intérêts, quitte à vendre son âme au diable. Ce qui perdure de nos jours sur le fond; avec de nouvelles formes que permettent les réseaux sociaux, produits d'une technologie informatique de plus en plus sophistiquée.
R.B
« Nous voilà devenus l'oubli que nous serons »
Jorge Luis Borges
« COMPLOTS * » raconte comment, depuis au
moins 1895 – c’est antérieur, mais nous partons de là – les principaux services
secrets de la planète ont cherché à manipuler la politique et les opinions
publiques, chez eux et plus souvent chez le voisin ou l’ennemi. En particulier
les services russes, puis soviétiques, puis russes, mais aussi les allemands,
les français, les britanniques et bien sûr les américains, sans oublier les
chinois, les iraniens les israéliens ou les syriens.
Ces actions clandestines et sournoises ont déclenché ou contribué à déclencher les pires catastrophes du XXème siècle : les deux guerres mondiales, l’expansion de l'islamisme wahhabi et la prolifération atomique. Elles continuent au XXIème.
A0 - 1895 : Sionisme et Jihad
Cour des Invalides, Paris, le 5 janvier
Devant le public venu assister à sa
dégradation, le Capitaine Dreyfus hurle son innocence. Trois hommes l'entendent.
Trois seulement, qui vont changer la face du monde. Marc Debrit et Theodor
Herzl sont journalistes, tandis que le Colonel Picquart est le nouveau patron
du 2ème Bureau, le contre-espionnage français. Accusé d'espionnage au profit de
l'Allemagne, Dreyfus vient d'être condamné au bagne à perpétuité.
Debrit, du Journal de Genève, est le
premier à oser douter publiquement de sa culpabilité, contre toute la presse
française déchaînée, charriant des torrents de haine antisémite. Même Zola, à
l'époque, accuse le capitaine.
Dirigée par des radicaux francs-maçons
emmenés par James Fazy, Genève est alors à la pointe du combat pour la laïcité
qui divise toute l'Europe. La papauté et l'establishment catholique qui tient
les campagnes anciennement savoyardes, y mènent un combat d'arrière-garde, mais
le Journal de Genève est protestant.
Le Capitaine Dreyfus est issu d'une
vieille famille juive alsacienne, qui a choisi la France quand l'Allemagne
s'est emparée de l'Alsace 25 ans plus tôt. Son patriotisme ne fait aucun doute
aux yeux du colonel Picquart, qui fut son professeur à l'école de Guerre.
Catholique conservateur, mais Alsacien également, le chef des espions français
clame l'innocence de Dreyfus. Selon lui, c'est un agent double de son 2ème
bureau, le commandant Esterhazy, aristocrate déchu, qui a manigancé toute
l'affaire pour éloigner les soupçons de sa propre personne.
Ancêtre du lanceur d'alerte, Picquart
s'oppose à son église et à sa hiérarchie... en vain : le juif Dreyfus fait un
coupable idéal et le colonel Picquart ne fait pas le poids. Trainé dans la
boue, dégradé à son tour, il est condamné à un an de prison. L'injustice pousse
alors Zola à écrire sa célèbre lettre ouverte, « J'accuse », qui ranime la
mèche allumée par le Journal de Genève.
On pense aujourd’hui que l’état-major
français connaissait la vérité, mais souhaitait conserver l'agent double
Esterhazy en liberté, car on espérait intoxiquer l'Allemagne en lui
transmettant, à travers lui, de fausses informations. Il fallait donc un autre
coupable, puisqu’il était de notoriété publique qu’il y avait bel et bien eu
trahison et transmission de renseignements essentiels à l’Allemagne. Dreyfus
n'était qu'un officier sans importance, juif, sacrifié sans son consentement
pour que la manip réussisse. Mais à l’époque, personne ne comprend cela.
Après Zola, la polémique enfle entre la
droite catholique conservatrice, anti-dreyfusarde et la gauche républicaine,
appuyée par les minorités juives, protestantes et franc-maçonnes. Ce qui
débouche sur la séparation de l'église et de l'Etat, en 1905 après dix années
de déchirement. L'année suivante, Dreyfus sort du bagne et retrouve son grade,
tout comme Picquart, qui devient général, et même Ministre de la Guerre.
Le 3ème homme à avoir cru à l'innocence
de Dreyfus, Theodor Herzl, est un journaliste hongrois, juif lui aussi,
correspondant à Paris du plus grand quotidien autrichien. Depuis que la
Révolution française a accordé des droits égaux à tous, la Ville Lumière est
devenue un phare pour les juifs d'Europe de l'Est, toujours victimes
d'injustices et d'oppression. La vague antisémite qui submerge Paris est un
choc. Jusqu’alors chaud partisan de l'intégration, Herzl commence à penser que
les juifs auraient plutôt besoin d'avoir un Etat bien à eux.
Herzl s’investit et met sur pied à Bâle,
en deux ans, le premier congrès sioniste mondial. Les délégués affluent de
toute l'Europe et s'engagent à lutter pour la création d'Israël. Qui à l’époque
s'appelle encore la Palestine, possession ottomane...
Palais Yildiz - Istanbul 1895
Pour autant que les juifs et les
diverses minorités acceptent leur statut de dhimmis (qui
implique des droits réduits et une fiscalité accrue), le Sultan se fait fort de
les protéger et d’empêcher les pogroms, de fait plus rares que dans le monde
chrétien. Mais si l’Empire ottoman a dominé la Méditerranée, il a raté le
virage des lumières et son ombre rétrécit à vue d'œil. Moscou, Vienne, Paris et
Londres se disputent ses dépouilles et les terres chrétiennes d’Europe relèvent
la tête, luttant férocement pour gagner leur indépendance. Chassés sans
ménagement de Crimée et des Balkans, des dizaines de milliers de musulmans se
réfugient en Anatolie, réclamant vengeance. Des milliers de chrétiens,
arméniens et assyriens sont alors massacrés par leurs voisins turcs et kurdes.
Paris, Londres et Moscou menacent d'intervenir pour mettre fin aux « Massacres
Hamidiens ».
Le Kaiser Guillaume, Empereur
d'Allemagne, fournit argent, conseillers, techniciens et chemin de fer au
Sultan Abdul Hammid II, son allié... Officiellement, il condamne les Massacres
Hamidiens, mais le Baron Max von Oppenheim, son émissaire secret, chuchote un
autre discours.
Le Baron Max est l'héritier d'une
dynastie de banquiers juifs. Son père s'est converti au christianisme pour
pouvoir épouser sa mère. Du coup, lui s'intéresse à la 3ème religion du livre.
Il apprend l'arabe, lit le coran, collectionne l'art oriental. A 32 ans, il
part « faire la route », hippie avant l'heure, de l'Andalousie à Damas.
A Beyrouth, il devient l’ami de l’émir
panislamiste druze Chekib Arsalan. Ensemble, ils se persuadent que la
technologie allemande et la force du jihad, alliées, pourraient repousser
russes et franco-britanniques … à condition qu'Abdul Hamid, khalife des
musulmans, appelle à la guerre sainte !
Le Baron Max utilise sa qualité de
représentant officieux du Kaiser pour obtenir une audience du Sultan. Il le
rencontre en compagnie d’Arsalan et les deux hommes tentent en vain de le
convaincre. Abdul Hammid craint de s'aliéner les autres puissances européennes
et temporise.
On ignore toujours si l'appel au jihad
du Baron Max avait reçu l’appui secret de la chancellerie allemande. Ou pas.
Mais ce qui est certain, c’est que Berlin envoie ensuite von Oppenheim prêcher
la guerre sainte contre les anglo-français, au Caire, puis au Maroc. Sans
succès immédiat, mais des jalons sont posés. En 1909, les officiers Jeunes
Turcs chassent Habdul Hamid, jugé trop mou, dans le but d’instaurer un état
nation moderne, républicain laïc et homogène, à l'européenne.
Issu d’une grande famille libanaise,
Chekib Arsalan ne soutient pas la révolution. Il conforte au contraire ses
choix panislamistes et panarabes en se convertissant, lui le druze, à l’islam
sunnite. A l’inverse, ses deux frères se rapprochent de la franc-maçonnerie et
du nationalisme turc : ils finiront ministres.
Les minorités religieuses font les frais
de la « turquisation » des restes de l’Empire ottoman. Chrétiens, arméniens,
assyriens, alévis et même islamistes sont pourchassés, perçus comme autant de
vestiges du passé. Le soulèvement arabe est combattu, car allié des
Britanniques.
A la fin de la guerre de 14-18, quand la
France s’empare de la Syrie en vertu des accords Sykes-Picot, Chekib Arsalan
doit s’exiler en Europe. Grâce à l’argent allemand du Baron Max von Oppenheim,
l’émir s’installe à Genève, dont il va faire le centre mondial du mouvement
anticolonial islamique, soutenu par les fonds discrets de Berlin, en marge de
la SDN.
A1 - 1914 : La Paix assassinée
Hôtel de Ville, Sarajevo, le 28 juin
Héritier désigné du double trône
austro-hongrois, François Ferdinand aime tous les peuples de son Empire :
tchèques (comme son épouse), musulmans, slaves, juifs, allemands ou tziganes.
Il a soif de réformes et rêve de tous les réunir dans une Confédération de
peuples égaux en droits, sur le modèle helvétique. Le problème, c’est que ce
n'est pas du goût des pangermanistes qui peuplent ses services secrets. Leur
idée, c’est au contraire l’union des peuples germaniques d’Allemagne et
d’Autriche pour dominer les peuples slaves et les minorités d’un grand Empire
central unifié. Le IIIème Reich avant l’heure. François-Joseph, l’Empereur
d’Autriche en titre, vient d’ailleurs de mutualiser ses services secrets avec
ceux de son cousin le Kaiser et c’est un officier prussien, le Colonel Walter
Nicolaï, chef du Drei B le renseignement militaire allemand, qui les
supervise.
Parlant allemand, russe et français,
Nicolaï est un maître espion expérimenté et surtout retors. Fin 1916,
insatisfait des rapports sans intérêt que lui envoie de Madrid Mata Hari, alias
Margaretha Geertruida Zelle, il aurait fait en sorte que les Français
l’identifient et l’arrêtent en envoyant un message radio qu’il savait devoir
être intercepté et décodé par le 2ème Bureau français. La manœuvre aurait eu
pour but de protéger une autre agent double, Marthe Richard, manipulée comme
Margaretha Geertruida par une femme officier du Drei B, Elsbeth Schragmüller
von Cramer von Clausbruch. Une aristocrate, Docteure ès sciences politiques,
qui gère une écurie de prostituées et de demi-mondaines déployées dans toute
l’Europe, pour le compte de Nicolaï.
Marthe et Margaretha Gertruida partagent
également le même contact à Madrid, le colonel Denvignes et le même agent
traitant à Paris, le capitaine Ladoux, qui sera lui aussi accusé (et blanchi)
de travailler pour l’Allemagne. Marthe Richard, qui avait commencé sa carrière
de « fille à soldats » à 16 ans, dans une maison d’abattage de Nancy, s’en
sortira indemne, mais Margaretha sera fusillée.
En 1914 donc, le roué colonel Nicolaï a
déjà compris que les gentilles idées de Franz Ferdinand contrecarrent les plans
bellicistes des états-majors de Vienne et Berlin… D’autant qu’il sait qu’à
Saint Petersbourg, les généraux russes rêvent de suprématie slave et projettent
d’ajouter Croatie et Slovénie au grand Royaume des Slaves du sud qu’ils
préparent : la future Yougoslavie ! Elle devra évidemment être dirigée par les
Serbes orthodoxes.
A l'inverse, pour Nicolaï, Croatie et
Slovénie doivent évidemment intégrer le futur Reich pangermanique unifié,
puisqu'elles sont catholiques... Qui prendra l’autre de vitesse ? Les deux
empires ont le même problème, celui de tout empire : comment gérer ses
minorités ethniques, linguistiques et ou religieuses ?
Vu de Moscou, c'est simple : l'Okhrana,
la police secrète du Tsar est pléthorique et tient d'une main de fer le
patchwork de l’Empire russe. Photocopie inversée des pan-germaniques, les
pan-slavistes voient en Moscou la 3ème Rome qui doit diriger le monde au profit
des slaves. L'idée du prince héritier autrichien leur déplait tout autant
qu'aux huiles de Berlin et Vienne. Pensez-donc, des peuples égaux en droits
dans l’Empire austro-hongrois ? A quelques verstes de la Place Rouge ? Ce
serait un très mauvais exemple.
Mieux vaut qu'ils demeurent des Slaves,
certes catholiques, mais bel et bien slaves et opprimés par les méchants
germanistes. Il sera beaucoup plus simple de les intégrer dans le projet de
regrouper tous les slaves du sud dans un pays sous domination orthodoxe.
Heureusement, tout comme le Grand Duc
chez les germanistes, les slaves sont loin d'être tous des extrémistes.
Sazonov, Le Ministre russe des Affaires étrangères et Pasiç, le premier serbe,
maintiennent le dialogue avec leurs homologues de Vienne et Sarajevo. Au
contraire, le Baron Von Hartwig ambassadeur russe à Belgrade est un
pan-slaviste déclaré. Ou peut-être un agent double, tant il est vrai qu’ils
endossent souvent les couvertures les plus extrémistes.
En tout cas, von Hartwig d'origine
Allemande, complote avec Apis, le Colonel Dragutin Dimitrevic. Un dur, chef des
services secrets serbes et créateur de la Main Noire. Une société pas très
secrète, puisque Pasiç apprend qu'un attentat menace l'archiduc Ferdinand à
Sarajevo. Il prévient Vienne. Où l'état-major refuse une escorte militaire,
l'épouse de l'Archiduc étant roturière.
Le jour dit, l'Archiduc est assassiné.
Le tireur, Gavrilo Princip, est un jeune anarchiste serbe sans le sou, condamné
par la tuberculose. A-t-il vendu son méfait ? Torturé, il lâche facilement le
nom de la Main Noire. Mais qui se cache derrière cette organisation mystérieuse
? L'Ambassadeur Hartwig meurt d'une crise cardiaque en pleine audition - qu’on
imagine houleuse - à l'Ambassade autrichienne.
Son complice Dimitrievic est cependant
arrêté à Belgrade, sur ordre du Gouvernement serbe, mais la Serbie n'extrade
pas ses ressortissants. Vienne et Berlin lui déclarent alors la guerre. Moscou
vole à son secours, entraînant ses alliés, Paris et Londres. Ravis d'être
débarrassés du gentil Ferdinand, les état-majors allemand et autrichiens
espèrent une victoire rapide. Ils ont bien préparé la guerre. Tout n'est
pourtant pas encore joué.
Bruxelles, le 29 juillet 1914
Deux ans plus tôt, les chefs socialistes
de toute l'Europe se sont jurés de déclencher une grève générale internationale
si la guerre devait être déclarée. Ils se réunissent en urgence à Bruxelles,
fin juillet. Jean Jaurès, le tribun français, croit encore pouvoir empêcher la
boucherie. Une grève des transports paralyserait les mobilisations. Mais ce
doit être dans chaque pays, sinon, c'est livrer la nation à l'ennemi.
Hélas, les dirigeants allemands et
autrichiens font faux bond et refusent la grève. Ils ne laissent même pas Rosa
Luxembourg la pacifiste russo-allemande s'exprimer à la tribune. Les pacifistes
russes sont particulièrement remontés mais leur principal tribun, qui sait si
bien galvaniser les foules, un certain Lénine, est retenu par la police
autrichienne. Sa maîtresse Inès Armand, le remplace au pied levé à la tribune,
mais ce n'est évidemment pas pareil. Libéré par les Autrichiens après le
congrès raté, Lénine se réfugie en Suisse.
Rentré à Paris, Jaurès croit encore à la
paix. Son ami le Secrétaire d'Etat Jules Ferry le prévient qu'il va se faire
assassiner, s'il persiste. D'autant que l'Allemagne veut en découdre : elle
lance un ultimatum à la France, qui s'apprête à le refuser. Jaurès se prépare à
dénoncer publiquement ce qu'il appelle la trahison du gouvernement. Son
assassin, Raoul Villain, ne lui en laisse pas le temps et Jaurès meurt le 31
juillet.
Aussitôt arrêté, Villain, étudiant
catholique, répète les accusations de la presse nationaliste : Jaurès trahit la
patrie... Mais Villain a sur lui une forte somme d'argent. De plus il connaît
l'Ambassadeur de Russie. Alexandre Izvoski bétonne depuis des années l'alliance
franco-russe et les liens avec Londres. Jaurès l'a accusé d'utiliser les fonds
de l'emprunt russe pour arroser la presse nationaliste française. De fait, la
presse « nationale » vante l’emprunt russe et attise la haine du boche... La
propagande médiatique n’est pas une invention récente. Si Jaurès avait pu
empêcher Paris d'entrer en guerre, Moscou se serait retrouvée seule face à
Berlin et Vienne. Izvoski le savait et trois jours après l'assassinat, au soir
de la déclaration de guerre, il lâche, euphorique : « c'est « ma »
guerre ...»
Comme souvent dans les affaires
d'espionnage, les preuves font défaut. Jaurès entravait l'effort de guerre et Villain
aurait pu agir seul ou même actionné par le 2ème bureau français. Dès
l'assassinat, les socialistes se rallient à l'Union Sacrée et entrent au
gouvernement. A son procès, après la guerre, Villain est acquitté, tandis que
la veuve de Jaurès est condamnée aux dépens...
A2 - 1915 : La Guerre en Suisse
Genève, consulat de France, le 21 avril
Lorsque la guerre éclate, l’invasion,
puis l’occupation sanglante de la Belgique neutre et du Luxembourg scandalisent
la Suisse romande, francophone. Un quart des 80 000 Français de Suisse
repassent la frontière pour rejoindre les rangs, tandis que près de 20 000
volontaires suisses romands s'engagent. La moitié dans la légion étrangère et
pour le reste dans les troupes régulières, la France offrant sa nationalité à
ceux qui s’engagent pour la durée de la guerre. Les légionnaires combattront
sur la Somme, les troupes régulières à Verdun. L'écrivain chaux-de-fonnier
Blaise Cendrars y laisse un bras. Des milliers d’autres n'en reviendront pas.
Sur les 200 000 Allemands résidents en
Suisse alémanique, au contraire, la plupart y reste. Il est vrai qu’ils sont
mobilisés sur place par le Drei B du Colonel Nikolaï, pour une mission de
propagande… Le but est de pousser la Suisse à déclarer la guerre à la France,
au nom de la solidarité germanique. Ils ont un allié de poids en la personne du
Général Wille, nommé à la tête de l'armée suisse par le Conseil fédéral qui
compte alors 6 alémaniques et un seul romand.
Issu d'une famille d'officiers
neuchâtelois au service de la Prusse, le Général Wille est un proche du Kaiser,
qui est le parrain de son fils. Il est aussi le gendre de Bismarck et il
prépare des plans d'invasion de la France, tous repoussés par le Conseil
Fédéral. Chaque matin, ses adjoints, les colonels d'Etat-Major Eggli et
Wattenville renseignent l'attaché militaire allemand. Ils lui fournissent entre
autres les notes secrètes de l’Ambassade russe, interceptées par le chiffre
suisse.
Un officier romand, de mère russe, fait
informer « l'homme au Ruban Rouge ». Charles Fabiani, de son vrai nom, organise
la contre-propagande française, depuis l'Hôtel Beau Rivage, à Lausanne.
Président du parti radical français, il dispose en Suisse d'un petit magot, qui
lui vient d'un arbitrage rendu par la Confédération dans un conflit opposant
son père au Venezuela. Il met sa fortune personnelle au service de son pays, ce
qui lui vaut le respect de ses hôtes romands : politiciens, officiers et
journalistes.
Les journaux romands soulèvent alors le
scandale. Eggli et Wattenville disent avoir agi « pour le bien du pays », un
service de renseignements « possédant des règles propres qui le placent souvent
au-dessus de la morale et de la neutralité ». Sous la pression francophone, le
Conseil Fédéral exige un procès. Le Général Wille obtient qu'il soit militaire
et les deux colonels écopent ... de trois semaines d'arrêts de rigueur !
Le Drei B allemand surveille aussi les
agents français. Franc-maçon savoyard, François Genoud dirige à Lausanne une
entreprise de papier peint. Pour ses affaires, il voyage en Allemagne
recueillant des renseignements.
Arrêté à Francfort, son beau-frère
suisse crache le morceau. Le Drei B informe Berne et Genoud passe trois
semaines au trou à Lausanne. Son fils alors âgé de deux ans, également prénommé
François, deviendra plus tard le plus incroyable agent multiple du XXème
siècle, travaillant pour les nazis, les Algériens, les Syriens, les Américains
et peut-être aussi les Français et les Soviétiques, mais toujours aussi pour la
Suisse.
Également dénoncé par le Drei B, Reiser,
pauvre bougre alsacien, est arrêté par la police suisse, alors qu'il se prépare
à faire sauter des voies ferrées allemandes. Son officier traitant du 2ème
bureau français témoigne lors de son procès à Berne. Il estime que Reiser
devrait bénéficier de circonstances atténuantes, puisqu'il a agi par
patriotisme et que l'affaire Eggli-Wattenville crée en Suisse une jurisprudence
favorable.
Pourtant, les juges civils suisses ne se
sentent pas concernés par une jurisprudence militaire. Ils estiment au
contraire que la Suisse « se doit de protéger également les biens situés à
l'étranger, au nom de la communauté des intérêts des peuples ». Une
condamnation claire du terrorisme, qui ne figure pas encore à l'époque dans les
conventions de Genève. La lutte contre les exactions à l'égard des civils et
des infrastructures n’en est encore qu’à ses balbutiements et pour les services
secrets, le mot d’ordre c’est plutôt « tout est permis tant qu’on reste dans
l’ombre ».
Le 2ème Bureau français gère ainsi une
maison close, à 500 mètres de la frontière de Mon Idée, près d'Annemasse. Tout
le gratin genevois y défile : espions, consuls, militaires et marchands d'armes
en goguette, enclins ou non aux confidences sur l’oreiller. De même, si le
patron du Royal d'Evian s'avère être un agent allemand, « l'Homme au Ruban
rouge » monte un solide réseau serré d'informateurs français dans les palaces
helvétiques. Les 5 étoiles du Léman continuent en effet d'accueillir les grands
de ce monde, en dépit de la guerre.
Pourtant, c’est vraiment la guerre :
plusieurs membres du personnel de ces grands hôtels meurent mystérieusement
durant cette guerre des palaces et Fabiani lui-même échappe à Bâle à un
enlèvement. Avant de manquer d'être empoisonné, lorsque son propre médecin lui brûle
les cordes vocales au nitrate d'argent, pour l'empêcher de parler !
Conflit oblige, la Suisse est le dernier
bastion de la liberté d'opinion. Révolutionnaires et leaders anticolonialistes
s'y sont réfugiés par centaines, surveillés de près par leurs gouvernements
respectifs. Syriens, Serbes, Grecs et Arméniens se plaignent du Consul Ottoman.
Sa résidence est perquisitionnée par la police genevoise : le consul et deux
épouses de généraux allemands de l'armée turque sont arrêtés. Tandis qu'un
inspecteur de police genevois, suspecté d'être un agent français, s'enfuit à
Lyon la veille de son arrestation.
Les tribunaux suisses jugent plus de
cent affaires d'espionnage par an. Nombre d'entre elles mêlent des agents
allemands aux terroristes internationaux.
Le Colonel Nikolaï a une obsession :
déstabiliser les alliés, en déclenchant grèves et révoltes anticoloniales. Ce
que Berlin appelle « Guerre par la Révolution ». Depuis le Tessin, le Drei B «
traite » les anarchistes italiens qu'il sponsorise généreusement. Quand les
Autrichiens lancent leur grande offensive sur Venise en 1917, la grève générale
éclate à Turin, paralysant l'approvisionnement du front. C’est bien plus
efficace que les attentats anarchistes dans les gares, qui avaient tué surtout
des civils, avec des explosifs fournis par le Drei B !
Alors que la défaite allemande se
profile, un énorme stock d'armes et d'explosifs est découvert à Zurich, à la
Nordstrasse. Il y a même des bacilles, capables de déclencher d'horribles
épidémies. Hans Schreck, le chef du Drei B en Suisse, est arrêté. Curieusement
interné en psychiatrie à l'Hôpital de Zürich, il s'évade aisément et gagne
l'Allemagne, gardant ainsi le secret de ses complicités helvétiques.
A3 - 1915 : L'arme nationaliste
Palazzo del Quirinale, Rome, le 23 mai
L'entrée en guerre de l'Italie aux côtés des Alliés résonne comme un coup
de théâtre. Pour y parvenir, Paris a misé sur deux redoutables tribuns.
Considéré comme le plus grand poète italien moderne, Gabriele d'Annunzio
brûle de ferveur nationaliste. Il rêve d'arracher les derniers territoires
italiens des griffes autrichiennes et ses discours font mouche. Ça tombe bien,
car il est aussi criblé de dettes : la France paie sans sourciller l'équivalent
de plusieurs millions d'aujourd'hui.
Il n'est pourtant pas le seul, le Roi étant pris en tenaille : à l'autre
bout de l'échiquier politique, la France a su trouver le cœur et le
portefeuille du jeune directeur de l'Avanti, le quotidien socialiste. C'est par
la SFIO, le parti socialiste français, entré au Gouvernement après l'assassinat
de Jaurès, que Paris subventionne les articles de Benito Mussolini. Surnommé «
le Duce », déjà, par ses camarades et très remonté contre « les Empires
centraux réactionnaires », qu'il accuse de cléricalisme et d'entrave à la
liberté des peuples.
De Vagabond à Dictateur
Jadis jeté en prison pour ses activités anticolonialistes, puis déserteur,
il s'était réfugié en Suisse, où il a organisé des grèves à Berne et à Genève,
puis étudié à Lausanne, tout en dormant sous les ponts. Endurci par la prison
et l'exil, rentré en Italie à la faveur d'une amnistie, l'ancien journaliste
pacifiste est désormais va-t’en guerre. Comme de larges pans de la gauche
européenne, touchée par le nationalisme.
Joints aux envolées lyriques de D'Annunzio, les discours populistes de
Mussolini emportent les derniers scrupules de Vittorio Emanuele III di Savoia.
Le Roi avait déjà été appâté par les promesses de gain territoriaux dans les
Alpes et l'Adriatique, qui toutefois font tiquer la Serbie et l’allié russe.
L'Italie entre donc en guerre, sans l'accord de son parlement.
D'Anunzio et le Duce s'engagent aussitôt. Le poète multiplie les coups
d'éclats et survole Vienne pour y lâcher des tracts. La presse alliée s'extasie
sur ses exploits. Il viole les ports autrichiens de Croatie, à bord de
motoscaphes vénitiens, puissamment remotorisés et armés de torpilles. Il côtoie
le Comte Ciano dans ces actions commandos, dont le fils épousera la fille du
Duce.
L'action de ce dernier est moins flamboyante. Versé dans l’infanterie,
Mussolini est blessé dans les durs combats du Tyrol et l'ancien déserteur est
rendu à la vie civile.
C'est désormais le Mi5 britannique qui le rétribue pour recruter du monde
et faire le coup de poing, sur les chantiers et dans les manifs, contre les
anarchistes qui sabotent l'effort de guerre. Eux-mêmes payés et armés par le
bureau tessinois du Drei B allemand.
Le jihad islamique contre la Route des Indes
Entretemps, le Drei B s’est doté d'un Nachrichtenstelle den Orient, ou «
FsO », dirigé par le fameux Baron Max von Oppenheim. Qui voit plus que jamais,
dans le jihad islamique, l'arme qui va briser les empires français et
britanniques. Berlin financera les conférences panislamiques de Genève et ce
fervent supporter du nationalisme arabe est qualifié par Lawrence d'Arabie de «
meilleur spécialiste du Moyen orient ! ».
Sauf que le Moyen Orient étant alors ottoman et donc allié de Berlin, la
vision du Baron Max portait en fait bien plus loin, au-delà du monde arabe :
les Indes britanniques étaient la cible !
Réfugié en Californie, l'anarchiste et indépendantiste hindou Lala Har
Dayal y est jeté en prison, sous la pression de Londres. Libéré sous caution,
il file en Suisse à l'anglaise. Où le Baron Max le met en contact avec Hans
Schreck, le chef du réseau allemand en Suisse, qui doit lui fournir armes et
explosifs pour soulever les Indes. Mais l'affaire fait long feu. Le réseau
allemand est surveillé par le 2ème Bureau français et la police zurichoise est
prévenue qu’un véritable arsenal est dissimulé dans une écurie de la
Nordstrasse. La rumeur évoque aussi l'ombre d'Allen Dulles, futur fondateur de
la CIA, alors attaché d'Ambassade à Berne, qui aurait été informé par Dayal, en
échange de la promesse d’un soutien américain à l’indépendance des Indes.
Renseignement français ou américain, le mystère demeure.
Les Lawrence allemands
Autres réfugiés à Genève, Khrishna Varma et Mahendra Pratap sont à leur
tour contactés par le Baron Max, qui s’entête à soulever les Indes. Varna refuse
de travailler « pour une autre puissance impérialiste », mais Pratap accepte.
Il se voit propulsé « Président du Gouvernement Indien en Exil » par le Comité
Indien pour l'Indépendance, financé par Berlin. Et embarqué aussitôt dans
l'expédition germano-turque qui rejoint Wilhelm Wassmuss, le Lawrence allemand,
en Afghanistan.
Les lieutenants Niedermayer et Von Hentig doivent convaincre le Khan
Habibulah de chasser les Britanniques de Kaboul. Avant d'attaquer les Indes où
Pratap déclencherait une rébellion. Prudent, le Khan préfère temporiser,
attendant de voir comment tourne la guerre. L'expédition a plus de succès avec
les tribus turques djangali, vivant sur les champs de pétrole iraniens, qui se
soulèvent. Cela ne suffit pourtant pas à interrompre les livraisons d'or noir
perse aux Britanniques.
Le soutien allemand au sionisme
De leur côté, Lawrence d'Arabie et les Anglais ont lu Von Oppenheim et
s’ils lui rendent hommage, ils ont aussi bien compris la leçon. Ils parviennent
à soulever les Arabes contre les Ottomans, alliés de Berlin. Le FsO change
alors de tête, le Baron Max payant l’échec flagrant de sa politique.
Son remplaçant, Eugen Mittwoch est aussi spécialiste de l'islam, mais de
religion juive. Il se fait assister d'un Suisse alémanique, ancien correspondant
à Istanbul, Max Rudolph Kauffman et de Nahum Goldman, chargé des relations avec
le sionisme au Ministère allemand des Affaires étrangères.
Dorénavant et jusqu'à la fin de la guerre, l'appui de Berlin au sionisme
remplacera le soutien au jihad. Non sans arrière-pensée : l’immense majorité
des juifs habitent alors dans l’Empire russe, que le Bund et les mouvements
révolutionnaires à dominante juive font vaciller. Avec l’appui déterminé de
Berlin.
Après l'armistice, Londres coupe
brutalement les vivres à Mussolini, qui ne lui est plus d’aucune utilité. Le
Duce invente alors le fascisme, pour pouvoir continuer à payer son armée
privée, grâce à l'argent des industriels et propriétaires terriens italiens,
pour lesquels il travaille dorénavant. En face, les communistes sont désormais
soutenus par Moscou.
A4 - 1916 : Sir Lawrence & Dr Picot
Palais du Chérif Hussein Ben Ali, la
Mecque, le 6 juin.
Susciter des révoltes et entraîner dans
la guerre de nouveaux alliés, c'est le grand jeu des espions du monde entier.
Cette année-là, c’est un trio d'archéologues britanniques qui remporte la
partie. Dirigés par une femme, Lady Bell, ils soulèvent le monde arabe contre
l'Empire ottoman, allié de Berlin. Trois mousquetaires, en fait quatre,
puisqu’aidés sur le terrain par un officier français, bardé de 15 années
d'expériences marocaines. Avec ses 1200 tirailleurs algériens et marocains, le
Colonel Brémont s’empare de la voie ferrée du Hijaz, empêchant l’arrivée des
renforts ottomans, ce qui permet à Lawrence et à Fayçal de prendre La Mecque et
Médine puis Jeddah.
Appelons ça ricochet, ou effet papillon,
c'est l'action de l'Allemagne au Mexique qui les rend célèbres. Berlin et
Vienne poussent en effet Mexico à attaquer les Etats-Unis, dans le but de
récupérer le Texas et la Californie. Intercepté, le projet d'alliance fâche
très fort Washington et le Président Wilson charge Hollywood de filmer la
guerre en Europe pour la rendre héroïque, sinon jolie, afin d'y préparer les
Américains.
Vu le peu de glamour des tranchées,
c'est au Moyen Orient que Lowel Thomas trouve le romantisme dont il a besoin
pour ses actualités cinématographiques. Il en fera même un long métrage, «
Lawrence in Arabia », vu par 4 millions de spectateurs. Ce qui motivera Sir
Edward Lawrence à écrire son bestseller « Les 7 piliers de la sagesse ». Il y
racontera sa guerre contre les Ottomans, comme Conseiller militaire de Fayçal
el Hachem, le fils du chérif hachémite de la Mecque.
Lady Bell, l’espionne romantique
Si le hasard et la magie de Hollywood
font de Sir Lawrence un héros mondial, ses deux acolytes n’en sont pas moins
intéressants. Cheffe de ce brelan d'espions arabophones, Lady Gertrude Bell est
une alpiniste réputée. Le Piz Gertrude, dans les Grisons, lui doit son nom.
L'Allemagne l’appelait « la Reine du Désert » et « Gertrude » était le plan
nazi d'invasion de la Turquie. Werner Herzog lui a consacré un film, avec
Nicole Kidman.
Lady Bell est une vieille amie du Chérif
Ali Hussein et surtout de son fils Fayçal el Hachem, qu'elle veut aider à
moderniser la nation arabe. D'origine juive, elle voit dans le sionisme
l'opportunité d'aider à la fois les arabes et les juifs. Elle se méfie en
revanche des chiites, craignant « le risque d'une théocratie qui créerait
toutes sortes de problèmes ».
Mais les premiers problèmes viendront du
très réactionnaire wahhabisme saoudien, sorti du désert avec
l'aide de Saint-John Philby, le 3ème mousquetaire.
Si le Chérif Ali el Hachem est tolérant
et humaniste, protecteur des minorités religieuses de l’Empire ottoman (il sera
le premier à dénoncer le génocide arménien), son concurrent wahhabite est conservateur et intolérant.
Saint-John Philby, aide de camp de Fayçal
al Saoud
Soucieux de ménager la chèvre et le
chou, le MI6 a placé Philby comme conseiller auprès d'Al Saoud. Or Fayçal al
Saoud, le rival wahhabite, sort du désert après le départ des Turcs, au moment
où Lawrence, le conseiller de Fayçal el Hachem, le fils d’Ali, rentre faire le
beau en Angleterre et profiter de sa célébrité. Saint-John Philby, lui, reste
au côté de Fayçal al Saoud et se convertit à l’Islam.
Né à Ceylan, socialiste excentrique,
Cheikh Abdullah Philby aidera même al Saoud à chasser de La Mecque le père et
le frère de Fayçal el Hachem, avant de fonder l'ARAMCO avec les dollars
Américains.
La traîtrise de Saint-John Philby n’est
cependant rien comparée à celle de son fils Kim, qui deviendra le plus célèbre
agent double de la guerre froide, trahissant le MI5 pour le compte du KGB. Une
appétence filiale pour la trahison motivée par la haine du colonialisme,
symbolisé par les accords Sykes-Picot.
Dessine-moi un pays
A l'époque, pour dessiner un pays, on
prend une carte et on trace des traits. Les diplomates Edward Sykes et Georges
Picot se partagent ainsi l'Empire ottoman, avec leurs alliés russe et italien.
Francophile et catholique, Sykes est spécialiste du monde kurde, tandis que
Picot, ancien consul à Beyrouth, est anglophile et très attaché à la défense
des chrétiens d'Orient.
La France joue la carte culturelle et se
réserve les anciens royaumes francs côtiers de Phénicie plus la Cilicie
arménienne, l'Assyrie chrétienne et un gros morceau du Kurdistan, recoupant
grosso modo l'ancien royaume franc. La Grande-Bretagne (et la British
Petroleum) préfèrent s’arroger le Koweït et l'Est de l'Irak riches en pétrole,
jusqu'à Bagdad. L'Italie hérite des îles de la mer Egée et des anciens
territoires vénitiens. La Russie, protectrice des orthodoxes, vise l'Arménie et
le nord de l'Iran.
Alep, Homs, Damas et les principales
villes syriennes restent indépendantes, mais dans une zone d'influence
française, tandis que le reste de l'Irak et la Transjordanie deviennent zone
d’influence britannique. Dans les accords, la Palestine est internationalisée,
ouverte à l’immigration sioniste.
Pétrole arabe et Appétit russe
Seule la Péninsule arabe reste
entièrement libre et indépendante et Fayçal el Hachem en est informé. Mais pas
son rival homonyme Fayçal al Saoud, qui le sera par les Bolcheviks. Ils ont
trouvé les accords dans l'ancien Palais d'Hiver au cours de la révolution et
ils les publient au nom de la Liberté des peuples. Et aussi un peu pour embêter
les grandes puissances, la liberté des peuples étant à géométrie variable, pour
les bolcheviks.
Financée à l'origine par le Baron
islamiste Max Von Oppenheim, la révolte djangali de Kucek Xan, au Nord de
l'Iran, reçoit après 1918 le soutien du Kremlin, non sans arrière-pensée.
Moscou convoite elle aussi cette région pétrolière. Sur le conseil de Trotski,
Iakov Blumkine amène 3000 hommes en armes et des bateaux de guerre sur la mer
Caspienne, sous faux drapeau azeri. Mais Kucek Xan, le très islamiste chef du
soulèvement djangali, tient à son indépendance, « vis à vis de n'importe quel
pays », même l'URSS. Du coup, quand Staline délaissera l'internationalisme
prolétarien pour le très nationaliste « socialisme dans un seul pays », les
djangalis seront les premiers sacrifiés. Iakov Blumkine recevra même l'ordre de
les livrer au shah de Perse.
Entretemps, ulcérés par la défaite face
aux arabes alliés aux anglo-français les officiers Jeunes Turcs ont renversé le
Sultan, avec le soutien de leurs nouveaux alliés bolcheviks. L’Empire Ottoman
est mort, victime désignée des accords Sykes Picot. Place à la Turquie moderne,
qui reprend à la France le Kurdistan, la Cilicie et les zones assyriennes.
Paris se rattrape en Syrie, occupant Damas et la zone protégée, aux dépens de
Fayçal el Hachem, déjà chassé d'Arabie à cause de ces mêmes accords.
Modifiés à Genève en 1919, puis à
Lausanne en 1923, les accords Sykes-Picot ne seront jamais appliqués comme ils
avaient été conçus. Ils demeurent néanmoins le symbole des partages coloniaux,
rejetés par les peuples.
A5 - 1916 : Génocide et Révolution
Où l'on reparle de la Mer Noire, des
Empires russe et ottoman, des "dönme", juifs convertis à l'Islam et
du génocide arménien…
Trébizonde, Anatolie, au bord de la mer
Noire le 15 avril
Les troupes russes entrent dans une
ville vidée de ses habitants chrétiens, massacrés par l’armée ottomane qui se
replie. En 1895 déjà, les communautés chrétiennes de l’Empire ottoman avaient
réclamé bruyamment la fin des taxes spéciales qui leur étaient imposées en tant
que « dhimmi », déclenchant
une répression féroce et la mort de 20 000 d'entre eux dans ce que l’on a
appelé les Massacres Hamidiens.
Avec l'entrée en guerre de la Turquie
aux côtés de l'Allemagne, la contestation reprend, attisée par les services
secrets russes et franco-britanniques. 4 millions d’Ottomans, un sur cinq, sont
alors chrétiens. La moitié ne survivra pas à la guerre.
C'est l'Ambassadeur Freiherr von
Wagenheim qui arrache l'entrée en guerre d'Istanbul. Mettant en application les
idées du baron Max von Oppenheim, son patron du FSO le desk orient des services
allemands, il réussit à convaincre le Sultan et les dirigeants Jeunes Turcs de
décréter le jihad islamique contre les franco-britanniques. Avec un succès
mitigé puisque les Arabes refusent et s’allient au contraire avec les
démocraties.
L'appel au jihad se traduit en revanche
aussitôt par de nouveaux massacres de chrétiens et notamment d’Arméniens. Von
Wagenheim les condamne, tout en les justifiant. A ses yeux, comme à ceux des
Jeunes Turcs, les chrétiens sont une 5ème colonne prête à aider les ennemis de
l'Empire ottoman. De fait, si l'Allemagne utilise le jihad contre les alliés,
les Turcs cherchent à utiliser les Arméniens contre les Russes et les alliés
effectivement, tentent de soulever les chrétiens contre les Turcs.
Dès le début de la guerre, des agents
turcs ont tenté de soudoyer des anarchistes arméniens pour fomenter des
troubles chez leurs cousins russes. Mais les Arméniens se souvenaient que leurs
parents avaient été massacrés par les Turcs 20 ans plus tôt et ils ont dit non.
Et oui aux services russes et français qui leur suggéraient l'idée inverse. 150
000 arméniens turcs s'engagent donc dans l'armée russe, tandis que Moscou et
Paris arment les villes frontalières. Les notables arméniens sont effondrés et
apeurés : « Pour éviter la destruction de nos villes, nous ne devons pas
répondre aux provocations. Même si les Turcs nous brûlent quelques villages ».
Hélas, les Jeunes Turcs vont faire bien
pire, en organisant l'assassinat dans le désert de la moitié de la population
arménienne ottomane : plus d'un million de civils, femmes enfants et
vieillards. Un demi-million de Grecs et 300 000 assyriens sont aussi massacrés
par les Turcs et les Kurdes, ensemble, à la même période. Pendant ce temps, au
front, un jeune général, laïc et nationaliste, pétri d’idées modernes et formé
au lycée français de Thessalonique, parvient à repousser les offensives alliées
: Mustapha Kemal.
Après guerre, pour punir la Turquie, le
Traité de Sèvres reprend le plan Sykes Picot, réduisant la Turquie à une partie
de l'Anatolie, sans Istanbul ni minorités. Mais si le traité est signé par le
Sultan, il est rejeté par Mustapha Kemal, qui commande désormais toute l'armée.
Il prend le pouvoir et parle de faire juger les responsables du génocide
arménien, mais attaque l’Arménie nouvellement indépendante, qu’il veut
réintégrer dans la Turquie. Les puissances occidentales attaquent alors
Istanbul pour faire respecter le traité de Sèvres.
Seulement, les peuples sont plus que las
de la guerre. Les soldats français et britanniques sont déjà occupés à
contre-cœur en Russie contre l'armée rouge, née de la Révolution bolchevique.
Kemal, progressiste, reçoit le soutien moral de Washington et aussi des armes
de Trotski, qui veut prendre l’Arménie en tenailles. Francophone et
républicain, Kemal fait campagne auprès de l’intelligentsia française. Paris
fait alors volte-face et dès 1921, abandonne la Cilicie à la Turquie et livre
des armes à Istanbul.
Les Britanniques se battant à reculons
et la France ayant changé de camp, l'Arménie indépendante est écrasée par
l’armée turque. Seule une petite partie subsiste, vite absorbée par l'URSS.
Lâchée, la Grèce est acculée et Mustapha Kemal devenu « Atatürk » signe le
traité de Lausanne en vainqueur, en 1923. Plus question de juger les Jeunes
Turcs coupables du massacre des chrétiens. Hormis trois chefs en fuite à
l'étranger, Atatürk a eu besoin d'eux pour gagner sa guerre et ils sont devenus
des héros intouchables.
Occidentaux et soviétiques font une
croix sur deux millions de cadavres chrétiens en échange d'une paix durable.
L'accord de Lausanne échange le million et demi de chrétiens orthodoxes vivant
en Turquie contre trois-cent mille musulmans vivant en Grèce. Quitte à les
forcer à déménager.
Le calviniste genevois Raymond de
Candolles, nouveau patron du chemin de fer local, décrit l'exode affolé de
milliers de Grecs de Smyrne, tandis qu'un autre Genevois, Lew, fabricant de cigarettes,
filme l'enfer rouge des flammes qui dévorent la ville.
Cela aurait pu être pire et Vénizelos,
le Premier Ministre grec, qui avait ouvert les hostilités mais perdu la guerre,
propose Atatürk au Prix Nobel de la Paix. Ce dernier obtient comme il le
voulait une Turquie homogène, incluant les Kurdes. A qui on ne demande pas non
plus leur avis, sauf au Kurdistan irakien, riche en pétrole. Le Roi Fayçal
d'Irak, protégé de Londres, et Atatürk s'en disputent la possession devant la
SDN, à Genève, qui envoie une commission sur place. Cousin de Fayçal el Hachem,
le général irakien Yassin al Hachimi galvanise les populations locales, qui
youyoutisent la délégation. Les Kurdes clament sur tous les tons qu'ils ne
veulent pas redevenir turcs et Mossoul, son pétrole et ses réserves d'eau
resteront donc irakiennes.
Atatürk profite de son aura victorieuse
pour moderniser à marches forcées. Il impose laïcité, égalité de la femme et
alphabet latin. Le pays entier passe ou repasse à l'école. L'Iran et l'Afghanistan
se briseront en voulant moderniser si vite, un demi-siècle plus tard. La
Turquie survit, mais malgré tout, au bout d'un siècle, subit à son tour un vrai
choc conservateur. Les islamistes accusent même Atatürk d'avoir été un agent
sioniste.
En fait, Kemal était natif de Salonique
dont les 3/4 des 120 000 habitants étaient alors juifs et la moitié du
reste dönme, secte de juifs convertis à l'Islam pour
éviter la taxe de la dhimmitude. Philosémite, Atatürk s'est opposé à Hitler,
qui l'admirait pourtant. Il n'est pas intervenu en Palestine et ses successeurs
ont ménagé Israël. En trois ans Kemal Atatürk a doublé la superficie de la
Turquie, qui rétrécissait sans cesse depuis deux siècles. Trop fort, pour un
agent du grand complot cosmopolite international...
A6 - 1917 : Le train de Lénine
Ou comment les services allemands aidèrent Lénine à prendre le pouvoir et
comment ça aurait pu marcher, si les Etats-Unis n'étaient pas entrés en
guerre...
Palais d’Hiver, Petrograd, le 23 février
Lorsqu’éclate la révolution, l’Okhrana
(la police secrète tsariste) de Saint-Petersbourg est dirigée d’une main de fer
par le Général Alexandr Guerassimov, un nom assez répandu, aujourd’hui encore.
Il multiplie les agents provocateurs dans les milieux révolutionnaires, au
point d’encourager l’ascension de Lénine au sein du parti socialiste, car il a
truffé son entourage d’agents doubles. Et puis l’extrémisme de Lénine lui
semble devoir servir de repoussoir et diviser les socialistes. Un plan typique
des services secrets, mais pour le moins risqué !
De son côté, le Drei B allemand ne reste
pas inactif. Israël Alexander Gelfand, dit Parvus, est un socialiste biélorusse
basé à Bâle. Ami de Lénine et de Rosa Luxembourg, il livre des armes bulgares
aux Turcs, qui se battent contre les Russes dans le Caucase et contre les
Alliés dans les Balkans. Rappelons que les socialistes allemands ont
massivement voté la guerre et participent activement à la mobilisation,
affichant volontiers un nationalisme débridé.
Parvus déteste le Tsar et assure que la
débâcle d'une guerre perdue précipitera la fin du régime. En 1905 déjà, il a
soutenu l'insurrection révolutionnaire, après la défaite de la Russie face au
Japon. Affairiste avisé, il avait accentué les tensions en jouant contre le
rouble, mais sa crise financière et l'insurrection du soviet de Leningrad,
menée par Trotski, n'avaient pas suffi à renverser le Tsar qui l'avait fait
jeter en prison. A sa sortie, Parvus s'est réfugié en Suisse, comme tous les
révolutionnaires de l'époque.
A Istanbul, l'Ambassadeur d'Allemagne,
Von Wangenheim, est séduit par les idées de Parvus qui rejoignent le concept
allemand de « Guerre par la révolution ». Peu avant de mourir empoisonné par
les alliés, l'Ambassadeur envoie l'aventurier à Berlin, présenter au « Drei B »
un mémoire de 20 pages sur la révolution russe. Dès lors, des sommes
considérables vont quitter l'Allemagne au profit de sociétés contrôlées par
Parvus en Russie, par le biais de sociétés écrans, dans les pays scandinaves et
en Suisse. Pour financer la Révolution, on ne rechigne à aucun moyen :
escroqueries et trafics d’armes sont mis à contribution.
Il faut en effet payer des nervis pour
créer des troubles et des hommes de paille pour entretenir l’activisme
économique de Parvus, qui joue en bourse contre les intérêts russes. L’ancêtre
de la guerre économique …
Mais l’affairiste n'oublie jamais de
prélever sa dîme quand il se bat pour la cause. D'où ses fâcheries avec
quelques révolutionnaire russes, qui l'accusent d'avoir détourné les recettes
d'une pièce que Maxime Gorki avait offert au parti.
Parvus doit le gros de sa fortune à son
association avec le comte Zahroff, richissime patron de la Vickers. Ce grec
d'Istanbul a coutume de vendre des armes aux pays en guerre, aux deux parties à
chaque fois. Voire même de créer des conflits – et des achats d'armes – en
allant voir les responsables militaires d'un pays pour leur expliquer que leur
voisin, ennemi héréditaire, vient d'acheter tel ou tel canon, apparemment dans
l'intention de s'en servir.
En février, les mencheviks (socialistes
modérés) ont certes renversé le Tsar, mais ils veulent poursuivre la guerre
contre l'Allemagne. Parvus est alors mandaté par le DreiB allemand pour
contacter Lénine, qui depuis la Suisse, milite pour l’arrêt de la guerre.
Proche de Rosa Luxembourg, Parvus parvient à un accord : le transfert de Lénine
et de toute son équipe, de Suisse en Russie, aux frais du Kaiser. Les séides de
Parvus en Russie, ainsi que ses moyens financiers, seront mis à sa disposition.
En échange, Lénine s'engage à signer la paix.
C'est Zinoviev qui représente Lénine
dans les négociations avec Parvus et c'est le parlementaire socialiste suisse
Fritz Platten qui organise le départ, avec l'accord du Conseiller Fédéral
radical Arthur Hoffman. Celui-ci, avec l’appuis de l’Allemagne, vient déjà
d’envoyer le socialiste suisse Robert Grimm à Saint-Petersbourg, pour proposer
une paix séparée. Sauf que les échanges entre Grimm et Hoffman, interceptés par
les alliés, mettent une grosse tâche sur la neutralité suisse et contraignent
le Conseiller Fédéral à la démission.
La légende bolchevique, forgée après
coup, parle d'un wagon plombé. L'idée d'une collusion avec l'Allemagne est en
effet dérangeante et Lénine a d'ailleurs cherché d'autres moyens de gagner la
Russie. Il a même sollicité un visa pour les Etats-Unis où se trouve déjà
Trotski. Ce dernier, comme les mencheviks veut poursuivre la guerre contre
l'Allemagne, même en cas de révolution, pour aider les spartakistes, l'extrême
gauche allemande de Rosa Luxembourg à prendre le pouvoir. Ce qui consoliderait
la révolution mondiale.
A Washington le Président Wilson,
démocrate, s'accommoderait volontiers d'une Russie républicaine ouverte aux
intérêts américains, qui poursuivrait la guerre à l'Allemagne. Trotski
s'embarque pour la Finlande avec la bénédiction de la Maison Blanche et
l'argent de businessmen américains. La paix projetée par Lénine permettrait au
contraire à l'Allemagne de transférer ses troupes de l'Est à l'Ouest, au moment
où les troupes américaines débarqueront en France. Futur chef de la CIA, Allen
Dulles, en poste à l'Ambassade de Berne, refuse donc tout visa à Lénine.
Parvus et l’argent allemand tombent donc
à pic et deux trains emportent Lénine, tout son staff révolutionnaire et autant
de mencheviks favorables à la paix. En tout, une cinquantaine d'activistes
issus des minorités ethniques, qui vont parvenir à prendre les commandes de
l'URSS et du Komintern, par un coup d’état à Saint Petersbourg, dans la nuit du
25 octobre.
Lénine fait aussitôt signer, à
Brest-Litovsk une paix très favorable à Berlin. Trotski finit par s'y rallier
et l'Armée Rouge est alors attaquée par les armées blanches monarchistes,
soutenues par des corps expéditionnaires occidentaux. La violence est extrême,
de part et d'autre. Des aviateurs britanniques sont crucifiés du côté d'Odessa,
où la marine française se mutine, mais finalement embarque les milliers de
Russes blancs partant pour l’exil.
En Allemagne, les spartakistes se
soulèvent et le Kaiser abdique, pour laisser la République de Weimar négocier
l'armistice et stopper la révolution. Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont
assassinés. L'Armée Rouge de Trotski tente de sauver les spartakistes et les
Hongrois de Bela Kun, mais son offensive échoue devant Varsovie.
Aidés de 400 officiers français, dont
Pétain, Weygand et un certain colonel de Gaulle, les Polonais défendent
vaillamment leur nouvelle indépendance. Le déchiffrage suisse des codes de
l'Armée russe aide aussi.
Terrassée de l’intérieur par sa propre
théorie de « La Guerre par la Révolution », l'Allemagne capitule sans avoir été
écrasée militairement. Ce qui n’empêche pas Londres et Paris de lui imposer des
conditions draconiennes. Erreur fatale !
Fritz Platten, quant à lui s’exile à
Moscou. En 1942, le fondateur du PC suisse sera fusillé dans un camp du Goulag,
sur ordre de Staline, soucieux d’éliminer tout ce qui pouvait avoir un lien
avec l’Allemagne.
A7 - 1917 : La déclaration Balfour
Où l'on découvre comment et pourquoi le
sionisme a changé le Moyen Orient engendrant haines et luttes farouches, à
l'opposé de ce dont rêvaient ses fondateurs.
Foreign Office, Whitehall, le 2 novembre
D'origine juive russe, Chaïm Weizman a
commencé sa carrière de professeur de chimie à l'Université de Genève. C’est là
qu’il a fondé son parti « Fraction démocratique », actif au sein du sionisme,
dont il devient l'un des leaders mondiaux. Recruté ensuite par l’Université de
Manchester, il est devenu sujet britannique. A la déclaration de guerre, il a
inventé un nouveau procédé de fabrication d'acétone, bien plus rapide et
économique. Or l’acétone permet la fabrication de la cordite, l’explosif alors
utilisé dans toutes les balles et les obus.
Weizmann offre le gros de ses énormes
royalties à la Grande-Bretagne, en soutien de l’effort de guerre. En échange,
Lloyd George, premier ministre, le charge de rédiger une motion qui va
révolutionner le monde. Signée par Lord Balfour, le Royaume Uni s'y déclare
favorable au pour un foyer pour les juifs d’Europe et leur regroupement en
Palestine, dans le respect des autres religions, musulmanes et chrétiennes.
L’Allemagne le voit comme une invite à
sa propre population juive et réoriente à 180° l’action de ses services secrets
: plus question d’appel au jihad, il faut éviter que les très nombreux juifs
allemands se sentent trahis et mieux défendus par Londres que par Berlin. En
plus leur allié ottoman est devenu turc, plus laïc que religieux alors que les
arabes sont désormais clairement alliés aux Britanniques. De nombreux agents
sont alors recrutés dans les milieux juifs par les services secrets allemands.
Depuis le Congrès Juif mondial de 1897,
la Palestine enregistre chaque année l’afflux de milliers de familles juives au
milieu d'arabes pas vraiment ravis, à qui on ne demande pas leur avis. En une
génération, de 1890 à 1914, le nombre de Juifs en Palestine a quasiment doublé
(de 43 000 à 85 000, + 197 %), dépassant le nombre de chrétiens (de 57 000 à 70
000 + 162 %) et explosant la natalité arabe (de 432 000 à 525 000 soit + 121 %
seulement). Ils viennent principalement des Empires austro-hongrois, russe et
allemand.
Prima donna des services britanniques au
Moyen Orient, Lady Getrude Bell a un point commun avec Chaïm Weizman : son
grand-père juif, Isaac Bell, a fait une fortune colossale dans la chimie. Et
lorsque le N° 2 du sionisme mondial débarque au Proche Orient à la fin de la
guerre, elle le met en rapport avec son vieil ami, qui vient de chasser les
Turcs, Fayçal el Hachem, que la France ne veut pas voir monter sur le trône de
Damas, contrairement aux promesses de Lawrence !
D'après les accords Sykes Picot, la
Syrie doit entrer dans l'orbite française et Fayçal est bien trop proche des
Britanniques aux yeux de Paris. La France, qui recule déjà en Turquie, ne veut
pas tout perdre. En plus, Londres prévoit un statut spécial pour la Palestine,
favorisant le sionisme, tandis que les milieux juifs français, républicains,
sont alors majoritairement hostiles au sionisme. Ils prônent l'intégration des
juifs dans leur pays de résidence. Et puis les juifs traditionnalistes de
Palestine voient d’un mauvais œil l’afflux d’occidentaux venus de Russie et
d’ailleurs, qui n’ont pas vraiment les mêmes habitudes.
Hussein ben Ali, chérif de la Mecque et
père de Fayçal, bien plus conservateur que son fils, refuse le sionisme et se
fait nommer Khalife des Musulmans, après que le dernier Khalife ottoman ait
abdiqué sous la pression des Jeunes Turcs.
Fayçal, au contraire, conclut un pacte
avec Weizman : le mouvement sioniste mondial militera contre les accords
Sykes-Picot, pour une Grande Syrie intégrant Liban, Palestine et Jordanie.
Fayçal s'engage en retours à protéger les juifs, en leur offrant un abri sûr en
Palestine. L'apport de nouveaux habitants mieux formés et bien financés doit
booster le développement arabe. Les deux hommes se rendent ensemble à Versailles,
où les négociations de paix se compliquent.
A Versailles, en 1919, le Président
démocrate américain, Woodrow Wilson, veut remplacer les guerres par un
mécanisme de règlement des conflits. Une sorte de tribunal pour Etats, sur une
idée du franc maçon français Léon Bourgeois, qui s'appellera « Société des
Nations ». Hélas, à Washington le Congrès, dominé par les Républicains, est
très isolationniste et il interdit aux Etats-Unis d'intégrer la SDN ; qui
se crée malgré tout à Genève, bancale de ce fait, dès sa fondation. Washington
y délègue tout de même un observateur, Allen Dulles, futur patron de la CIA,
qui siège à la commission du désarmement.
Paris, en position de force à
Versailles, en profite pour imposer ses vues à l'Allemagne, condamnée à payer
des dommages de guerre exorbitants. En guise de main tendue, Berlin est poussée
à la revanche. Idem en Syrie, où la France maintient son opposition au
couronnement de Fayçal, réduisant à néant l'espoir d'une union
judéo-arabe.
A Londres, Lady Bell obtient malgré tout
deux couronnes pour consoler son ami arabe : son jeune frère Abdallah el Hachem
est nommé émir de Transjordanie, tandis que Fayçal lui-même est installé sur le
trône d'Irak : « pour que la couronne n’aille pas aux chiites, ce qui finirait
en théocratie », dit-elle à Londres. Sauf que la majorité irakienne est chiite
et se révolte aussitôt contre l'arrivée d'un souverain sunnite ! Londres doit
faire donner la troupe. Par contre, des armes britanniques sont livrées aux
Saoud, qui attaquent le chérif de la Mecque Hussein ben Ali, le père de Fayçal
et d’Abdallah.
En plus de lâcher les Saoud sur la
Mecque, Londres coupe les vivres à Hussein, pour le contraindre à admettre le
sionisme, ce qu’il refuse. Hussein préfère transmettre à son fils aîné Ali le titre
de chérif de la Mecque, fonction familiale depuis 5 siècles, mais garde celui
de Khalife des Musulmans. Aidés par les anglo-saxons, les Saoud chassent Ali de
la Mecque et Hussein doit se réfugier à Chypre. Deux de ses fils, hachémites,
règnent sur deux Etats arabes officiellement indépendants, mais en réalité sous
tutelle. La mainmise anglo-française, chrétienne, remplace celle des Turcs qui
eux, au moins, étaient sunnites.
La grogne se répand dans les souks et
les mosquées. Les vieilles familles rivales des hachémites, comme les Hussein
de Jérusalem appellent les Turcs à l’aide. Mais Kemal Atatürk refuse. Son plan
est nationaliste et laïc, il veut moderniser la Turquie, pas s’embarrasser de
solidarités religieuses avec des bédouins du désert. Il refuse d'intervenir
hors de Turquie et en échange, les Occidentaux lui offrent le généreux traité
de Lausanne.
Le sentiment arabe d'avoir été floués
par les anglo-français s’accentue, renforçant la fièvre anticoloniale, attisée
par les communistes et bientôt aussi par les nazis, dans la grande tradition de
l’anticolonialisme germanique, qui peut désormais se donner libre cours puisque
l’Allemagne a été privée de ses colonies.
Islamiste et antisémite, issu d'une
famille palestinienne proche du pouvoir ottoman, Amin Al Husseini se pose en
rival déterminé des hachémites. Pour ménager la chèvre et le chou, les
Britanniques le nomment Grand Mufti de Jérusalem. Il va devenir leur pire
ennemi, allant jusqu'à faire assassiner le Roi Abdallah de Transjordanie,
symbole de l'alliance des modernistes avec le pouvoir colonial.
Aux portes du désert, après avoir chassé
Ali et son père Hussein du Hedjaz, la famille Saoud fonde l'Arabie saoudite,
avec le soutien actif de Saint-John Philby. L'espion britannique s’est converti
à l'Islam et collabore avec les Américains et l’ARAMCO pour mettre l’or noir au
service du wahhabisme. La vision saoudienne très traditionnaliste de l’Islam va
désormais régner en maître sur le monde sunnite.
A8 - 1926 : Des complots juifs ou antisémites ?
En résonnance avec l'actualité, Complots nous emmène aujourd'hui en 1926, à la découverte de l'un des tous premiers complots staliniens : l'assassinat à Paris du leader de l'indépendance ukrainienne, qui nous rappelle une constante : l'antisémitisme profond des polices secrètes russes, quelle que soit leur couleur politique.
Rue Racine, Paris, le 25 mai
La première guerre mondiale s'est terminée par l'implosion des quatre empires allemand, russe, austro-hongrois et ottoman, ce qui libère des dizaines de pays, qui deviennent indépendants.
Au prétexte des « Peuples Frères », l’Armée Rouge soviétique s’emploie aussitôt à reconquérir les territoires perdus, à commencer par l’Ukraine, tout en semant le trouble dans les empires coloniaux français et britanniques. Ces derniers semblaient sortis renforcés de la guerre, mais l’appui étasunien est plus que mitigé et le Komintern soviétique recycle très efficacement la théorie allemande de « guerre par la révolution », coalisant les forces nationalistes et communistes.
Les colonies, c’est loin, mais le quartier latin, par
contre …
Quand le leader indépendantiste ukrainien Simon Petlioura est assassiné entre la Sorbonne et la Faculté de Médecine, à deux pas du Boulevard Saint-Michel, le tout Paris politique s’enflamme. L'assassin a été arrêté. C’est un juif d’Odessa, qui clame avoir voulu venger les pogroms d'Ukraine. Sauf que le franc-maçon Petlioura les a toujours combattus. Il avait conclu un accord avec Jabotinski, le leader sioniste polonais et fait fusiller des auteurs de pogroms. Social-démocrate modéré, pro-occidental, Petlioura était en revanche l'ennemi juré des communistes russes.
De la SDN à Genève, Allen Dulles, futur fondateur de la CIA, crie au complot soviétique. Ce que Lavrenti Beria, nouveau chef de la Guépéou confirmera dès 1930. Ayant travaillé pour tous les avatars successifs de la police secrète russe, de l’Okhrana tsariste au KGB, en passant par la Tchéka, l’OGPU et le NKVD, Beria sait de quoi il parle. Pour son maître Staline, l’assassinat de Petlioura est une réussite absolue : actionné par les Soviétiques, l’assassin est acquitté par la France, pour n’avoir fait que venger les victimes des pogroms de la guerre d’indépendance ukrainienne. Ce qui conforte la thèse soviétique - mensongère - attribuant ces pogroms aux seuls indépendantistes ukrainiens.
En plus, le fait que l’assassin soit « un dangereux terroriste juif » sera même utilisé par Staline contre la vieille garde bolchévique « cosmopolite », qui lui fait de l’ombre : les juifs sont des assassins en puissance, dangereux pour « la Révolution dans un seul pays ». A Paris, l’Action Française hurle au complot juif. L’antisémitisme est encore ancré très profondément dans toutes les sociétés européennes, qui n’ont libéré les juifs qu’une ou deux générations auparavant.
L'un des acquis de la Révolution française était l'émancipation des juifs, qui fut étendue à l'Allemagne et à l'Autriche par Napoléon, en s’appuyant sur la franc-maçonnerie. Seulement les églises, tant catholique qu’orthodoxe, n'avaient jamais été d'accord et la Russie avait toujours maintenu « ses » juifs dans un statut inférieur. Au Congrès de Vienne, qu’il domine en vainqueur, le Tsar Alexandre 1er impose à l’Europe le retour aux lois médiévales antisémites. Les juifs devront attendre un demi-siècle pour obtenir enfin des droits égaux.
Les dates de l’émancipation des juifs : - France 1791 - Empire Ottoman 1839 - Royaume de Sardaigne 1848 - Autriche 1867 - Allemagne 1870 - Algérie française 1870 (Décret Crémieux) - Suisse 1874 - Russie 1917
Souvent bien éduqués, urbains et cosmopolites, les anciens parias véhiculent des valeurs d'ouverture et d'échanges, mal perçues par les communautés nationales traditionnelles. En Ukraine, alors autrichienne, ainsi qu'à Vienne et en Allemagne, de nombreux réfugiés affluent de Russie et de ses colonies polonaises, où l'inégalité demeure, mais aussi les pogroms et les tensions politiques.
Metternich, chancelier d'Autriche disait de la Suisse qu'elle était « un cloaque d'entrepreneurs en mouvements sociaux ». A Genève, en 1900, des centaines de révolutionnaires se mêlent aux milliers d'étudiants étrangers. Les deux tiers sont sujets de l'Empire russe, espionnés par l'okhrana. A Genève, un millier de russophones habitent Plainpalais, surnommée « la Petite Russie ». Les 3/4 sont juifs, car privés d'accès aux universités russes. Les débats sont sans fin : les bolcheviks veulent la mort des nations ; les sionistes, de gauche ou de droite, rêvent d'une nation juive en Palestine ; tandis que le Bund veut une nation juive laïque en Russie.
Comme la question juive, la question nationale est sur toutes les lèvres. Entre le Congrès de Vienne de 1815 et celui de Berlin en 1878, une petite douzaine d'Empires et autant d’Etats indépendants se sont partagé le monde. Même les pays d'Amérique latine n'échappent aux empires ibériques que pour entrer dans l'orbite étasunienne. Ces Empires vivent sous la coupe d'un pouvoir central fort, ethnique, qui opprime ses minorités nationales. Or qui dit oppression dit rébellion et donc police politique. En Russie, c'est le rôle de l'Okhrana, qui étend sa toile partout où sont exilés des réfugiés politiques russes.
Près de Montreux, l’Okhrana fait cambrioler la villa d'un médecin russe, Elie De Sion. Elle vient y chercher l'un des rares exemplaires existant du « Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu », de Maurice Joly. Un roman français de politique fiction de 1860, interdit et détruit au pilon, dans lequel Napoléon III et les francs-maçons s'emparaient du monde. La police du Tsar avait appris que le Dr De Sion prévoyait de faire circuler des copies du roman pour discréditer le ministre De Witte, un franc-maçon qui modernise la Russie au pas de charge
L'ouvrage est envoyé à Paris, d’où l'Ambassadeur de Russie dirige l'Okhrana en Europe occidentale. Dans la foulée de l’affaire Dreyfus, il veut convaincre le Tsar de ce qu'il nomme la fourberie juive. Il charge Matveï Golovinski de remplacer partout, dans une copie du livre, Napoléon III par « les juifs ». Indicateur, Golovinski était déjà payé par l'Okhrana pour écrire des calomnies sur les rivaux de son cousin Lénine, dont l’Okhrana privilégiait l'ascension politique. La popularité d’Oulianov détournait nombre d'ouvriers du socialisme modéré des Mencheviks, qui constituaient le vrai danger aux yeux du régime. Et puis Malinovski, l’adjoint d’Oulianov dit Lénine, était un agent de l'Okhrana.
Devenu « Protocole des Sages de Sion », le roman est
présenté au Tsar, mais Nicolas II, francophile et francophone, reconnaît
l’histoire et devine qu'il s'agit d'une provocation. Il interdit sa diffusion.
Plus tard, en 1922, pour contrer le traité de Versailles qui interdit le
réarmement allemand, des officiers de la Reichswehr sont envoyés s’entraîner en
URSS. Ils en ramènent le Protocole des Sages de Sion que les nazis commencent à
répandre en Europe. En 1933, à Berne, un procès interdira la diffusion du «
Protocole » en Suisse. Chaïm Weizman y expliquera la diversité des juifs et
Alexandre du Chayla, officier de renseignement français, brandira le roman
original de 1860, dont des passages entiers sont recopiés.
A9 - 1934 : Le tombeur du Dahir Berbère
Ou comment Genève abrita la 1ère
conférence islamiste mondiale dans les années 30, avec l'argent de Hitler
Palais Wilson, Siège de la SDN à Genève
le 6 juin
Depuis sa création, la Société des
Nations est agitée de questions fondamentales. Le Japon réclame avec insistance
que les races soient déclarées égales, ce que refusent les anglo-saxons,
officiellement par peur de l’immigration. Le Japon de son côté maltraite
Coréens et Chinois considérés comme inférieurs, au prétexte qu’au moins, cela
se passe entre asiatiques. En tout cas, le discours anticolonial séduit les
peuples des empires franco-britanniques, répandu discrètement par l’Allemagne
et plus ouvertement par l’URSS.
L’arrivée au pouvoir des nazis remet en
selle les théories jihadistes de l’ancien chef du desk orient des services
allemands. Max von Oppenheim est même nommé « aryen d'honneur » par Hitler, qui
oublie opportunément son ascendance juive. Dans le monde arabe, le Baron Max
est surnommé « Abu Jihad », le père du jihad ! Il ne crie pas sur les toits
qu'il s'est converti à l'Islam, mais sa popularité en terre d’Islam intéresse
au plus haut point les nazis.
Von Oppenheim a installé à Genève son
vieil ami le cheik druze Chekib Arsalan et c'est grâce à l'argent allemand que
ce prédicateur syrien est devenu le leader mondial de ce que l'on n'appelle pas
encore l'islamisme. Le précurseur francophone de l'Egyptien Hassan el Banna,
qui fonde les Frères Musulmans au Caire en 1928, sur la même base : le jihad ne
doit pas rester uniquement défensif, mais au contraire devenir une guerre
offensive. La revue d’Arsalan, « la Nation Arabe » est lue du Maghreb en
Malaisie et il a ses entrées à la SDN, en tant que représentant des arabes de
Palestine et de Syrie.
Le premier objectif du cheik druze est
d'obtenir la condamnation de la France à la SDN pour avoir introduit le dahir berbère au Maroc. Une
vieille idée du Père de Foucauld et du Maréchal Liautey, qui meurt cette
année-là. Reprenant le vieux principe « diviser pour régner », Liautey rêvait
de séparer les arabes des berbères ("berbères" est un
qualificatif péjoratif donné par les arabes aux peuples du Maghreb quand ils
les ont colonisés. Il vient du grec, comme pas mal de mots d'arabe, et c'est
tout simplement "barbares". Aujourd'hui, on dit plutôt amazighs)
pour reconvertir ces derniers au christianisme, qu'ils pratiquaient avant
l'invasion arabe plus de mille ans auparavant !
A à la clé, une nationalité française
pleine et entière, qui serait offerte aux amazighs, comme elle l'a été aux
juifs algériens par le décret Crémieux. Dans ce but, le dahir,
décret signé par le futur roi Mohammed V, formalise l'existence de tribunaux
berbérophones, basés sur les coutumes amazighes ou chleuhs, plutôt que sur la
charia. Une attaque frontale des tribunaux islamiques qui disent, en arabe le
droit musulman. Or en droit international, le Maroc n'est pas une colonie, mais
un protectorat : un pays sous tutelle, mais indépendant qui reste
officiellement de droit musulman. La France ne peut pas y faire ce qu’elle
veut.
La proclamation du Dahir soulève
un tollé immédiat dans les écoles coraniques, suivi de manifestations le
vendredi à la sortie des mosquées. Arsalan soutient le mouvement dans sa revue
« La Nation Arabe », à la Tribune de la SDN et aussi dans ses prêches du
premier congrès islamo-européen, qu'il organise à Genève avec l'argent de
Berlin, passée depuis peu sous la coupe nazie.
Des dizaines de délégués musulmans
accourent à Genève. Tous les nationalistes arabes de passage en Europe ou y
étudiant viennent y voir le cheik. Le futur ministre syrien Jamil Mardam Bey ;
l'officier franco-libanais et agent double du 2ème bureau, Fawzi Al Qawudji et
même deux étudiants syriens de la Sorbonne, Salah al Din Bittar et Michel
Afflak, pourtant proches du parti communiste, violemment combattu par Arsalan
parce que « dominé par les juifs ». Ils fonderont après-guerre le parti Baas.
Ancien communiste également, l'Algérien Messali Hadj déménage à Genève pour se
rapprocher du cheik et le Marocain Mohamed Ouazzani est alors son secrétaire.
Tous deviendront les hommes clés de l'indépendance de leurs pays respectifs.
Les campagnes efficaces du Baron Max et
de Chekib Arsalan à la SDN poussent la France à retirer le Dahir berbère. Les
nazis engrangent leur première victoire diplomatique et peu après, en
remerciement, la banque Von Oppenheim peut changer de nom et officiellement, de
mains, pour ne plus être « une banque juive ».
Vecteur de l'influence allemande en
Orient, le NFO d’Oppenheim avait connu une période pro sioniste après
1917, pour contrecarrer l’écho de la déclaration Balfour parmi les juifs
allemands. Des centaines d’israélites avaient alors été recrutés comme espions,
encadrés par des officiers allemands pro-sionistes, comme Otto Von Hentig. Sans
scrupules, les nazis récupèrent tout le monde et les recyclent dans l'Abwehr,
aux bons soins de L'Amiral Canaris. Qui deviendra au fil de la guerre un
véritable vivier d'opposants au nazisme, Canaris lui-même terminant pendu à un
croc de boucher.
A l'époque, la conférence islamiste de
Genève avait attiré aussi quelques jeunes suisses de la mouvance nationaliste,
séduits par l'idée anticoloniale, comme François Genoud et Jean-Maurice
Beauverd. Vivant en colocation à Lausanne avec trois étudiants syriens, ils les
accompagnent écouter les prêches incendiaires d’Arsalan. Ils font ainsi la
connaissance du futur ministre syrien Nazem Koudzi. A 18 ans, Genoud et
Beauverd militent à l'Union Nationale, le parti fasciste de Géo Oltramare,
représentant du Duce à Genève. Mais l'Italie fasciste est elle-même en train de
devenir une puissance coloniale, en Libye, en Somalie et en Ethiopie.
L'Allemagne nazie au contraire n'a aucune colonie, ce qui leur paraît plus en
accord avec l’idée nationale !
Si Beauverd est issu de la grande
bourgeoisie genevoise, Genoud est le fils d'un petit patron vaudois d’origine
savoyarde, espion au service de la France et condamné pour cela, à Lausanne,
pendant la guerre de 14. Pour lui apprendre l’allemand, le père avait envoyé
son adolescent de fils en séjour linguistique dans une famille d’outre-Rhin.
François Genoud y avait croisé Hitler et lui avait serré la main ; pendant
quelques mois, il avait même participé aux activités des Hitlerjugend, le moule
des héros antisémites et il en avait ramené le Protocole des Sages de Sion,
aussitôt prêté à son copain Beauverd. Les deux ados croient désormais, et pour
le restant de leur vie, au complot juif mondial. D'ailleurs la preuve,
répètent-ils, c'est que les bolcheviks sont quasiment tous juifs.
En fait, dans la Russie tsariste, entre
aristocrates et paysans orthodoxes, les juifs formaient une classe à part, d’individus
non asservis, contrairement aux moujiks. Par contre, ils étaient surtaxés
(comme en terre d'Islam, sous prétexte de dhimmitude), interdits
d’université et parfois pourchassés. Ils avaient donc naturellement très envie
de changement. Pour autant, les juifs n'étaient de loin pas tous bolcheviks et
tous les bolcheviks n'étaient pas juifs, très loin de là. Encore moins après
que Staline ait entreprit d'éliminer systématiquement tous ses « camarades »
juifs !
Ainsi au Kremlin, le délégué du
Komintern pour les pays latins est un pasteur protestant, Jules Humbert Droz.
Natif de la petite ville ouvrière suisse de la Chaux de Fonds, tout comme son
agent de liaison au Bureau politique du PCF, Maurice Tréand. Ce dernier a
rédigé les « listes noires des escrocs ennemis de la Révolution », qui seront
chassés du parti à l'arrivée au pouvoir de Staline. Presque tous sont juifs.
Tréand, sur les consignes de Thorez et Duclos, prend contact en 1940 avec la
Propagandastaffel allemande et obtient de l'Ambassadeur Otto Abbetz, qui rêve
d'allier communisme et nazisme, que l'Humanité puisse reparaître légalement,
après son passage par la censure allemande.
A10 - 1935 : Les Suisses islamophiles de Hitler
Palais Wilson, Genève
Organisé en marge de la SDN, le premier congrès mondial panarabe est discrètement financé par de l'argent nazi. Il s'agit évidemment de nuire aux intérêts franco-britanniques, qui se partagent la colonisation des pays arabes et plus généralement musulmans. Deux tendances s'affrontent, chacune dirigée par un Syrien. Pour l'islamiste Chekib Arsalan, c’est moins la nation arabe qui compte que la oumma, qui englobe tous les croyants, y compris non arabes. En son sein, toutes les minorités religieuses doivent se plier aux règles très conservatrices de la charia.
A l’inverse, le nationaliste panarabe Sati el Housri, ministre de l’Éducation du Royaume d'Irak a des vues progressistes. Il veut construire l'unité arabe - et arabe seulement - sur une base laïque et linguistique, avec des droits égaux pour tous, indépendamment de la religion. Les arabes chrétiens, Yézidi ou autres, jamais convertis à l'islam, restent en effet nombreux et les nombreux juifs d’Irak ne se différencient pas vraiment de leurs voisins, hormis la religion. El Housri prône également l'éducation des filles, comme en Turquie. Mais comme Arsalan, il pense que le nationalisme allemand est le seul allié possible contre les pouvoirs coloniaux.
El Housri a été nommé par le Roi Fayçal, monté sur le trône d’Irak grâce
aux Britanniques, mais Fayçal est décédé à l’hôpital de l’Ile, à Berne, en
1933. C’est son jeune fils Ghazi qui lui a succédé, à 21 ans. Eduqué par son
grand-père Hussein, le très anti-colonialiste chérif de la Mecque, Ghazi n’aime
guère les Anglais et tombe rapidement sous la coupe de l’entreprenant
ambassadeur du Reich en Irak, Herr Doktor Fritz von Grobba. Un parfait nazi qui
fait traduire en arabe Mein Kampf et « Le Protocole des Sages de Sion », avant
d’acquérir un quotidien de Bagdad pour les publier en feuilleton.
Dès 1934, plusieurs dizaines de fonctionnaires juifs irakiens sont licenciés.
En Suisse, les deux chefs romands des jeunesses de l’Union Nationale (le parti fasciste local) sont des militants anticolonialistes, qui partagent une colocation à Lausanne avec des étudiants syriens. Admirateurs de Hitler, François Genoud et Jean-Maurice Beauverd assistent évidemment au congrès panarabe de Genève et même y travaillent en tant que bénévoles. Les débats passionnés et la rumeur d’un soulèvement imminent les décide à prendre le chemin de Damas, en proposant à la Tribune de Genève d’y raconter leurs aventures. A tout juste 18 ans, ils partent en voiture, comme c'est la mode à l'époque. Quand deviennent-ils des espions allemands ? Lors d’un voyage linguistique en Allemagne, Genoud a fréquenté les Hitlerjugend et ils ont probablement rencontré les agents de l'Abwehr qui finançaient le congrès panarabe.
Ils commencent par Nüremberg, à l’assemblée annuelle des Hitlerjugend, dont
Genoud a été membre quelques mois lors d'une année d'étude en Allemagne. Puis à
la frontière tchécoslovaque, ils repèrent les défenses militaires des Sudètes,
qualifiées de « ligne Maginot tchèque ». Les pronazis viennent de gagner les
élections locales et les usines Skoda fabriquent les meilleurs chars du monde.
Qui soupçonnerait deux jeunes suisses francophones d’espionnage au profit de
l’Allemagne ? Trois ans plus tard, à Munich, Daladier et Chamberlain remettront
gracieusement fortifications et usines de chars à Hitler, sans coup tirer.
Dans les Balkans, le duo rend visite aux musulmans bosniaques, alliés des oustachi, fascistes croates et catholiques soutenus par Mussolini. Tandis que les serbes orthodoxes sont eux soutenus par Staline. A Athènes, le Général Metaxas vient de prendre le pouvoir. Formé en Prusse, admirateur de Mussolini, il leur accorde audience. Mais 4 ans plus tard, Metaxas dira « Non » à son mentor, Mussolini, qui veut annexer la Grèce. Les Grecs célèbrent encore chaque année ce jour où les deux dictateurs se sont déclaré la guerre !
Tandis qu'éclate la guerre d'Espagne, déclenchée par un autre fasciste, les deux Romands parviennent enfin au Moyen-Orient. Beauverd décrit dans la Tribune de Genève les émeutes de Bagdad, qui chassent le 1er ministre pro-britannique, mais maintiennent le jeune Roi Ghazi sur le trône. Deux généraux issus de minorités, un kurde et un turcoman se partagent brièvement le pouvoir, mais en coulisses, Herr Doktor Fritz von Grobba et les Britanniques se livrent une lutte acharnée, qui se traduit par une valse des premiers ministres, ponctuée de coups d’Etat.
Sati el Housri, que Genoud et Beauverd ont connu à Genève, participe à plusieurs de ces gouvernements. Genoud, 19 ans, conseille ses nouveaux amis arabes pour la création d’Al Futuwwa, sur le modèle des Hitlerjugend, qui rassemblera bientôt plus de 60 000 adolescents, défilant en uniformes. Mais la « grande révolte arabe » menace de mettre la Palestine à feu et à sang et le duo gagne Jérusalem, porteurs des messages de Von Grobba pour le Grand Mufti Amin al Husseini. Suite à quoi les jihadistes du cousin du mufti, Abd el Khader al Husseini, s’allient aux nationalistes de Khaouji, ancien officier français de renseignement ayant changé de camp (ou pas), pour attaquer juifs et Britanniques.
Fondateur des Frères Musulmans, l’égyptien Hassan el Bana se mêle à la révolte palestinienne avec plusieurs militants. La lutte contre Israël deviendra un élément clé de sa doctrine. Les organisations paramilitaires juives, Lehi, Betar et Haganah, répliquent sans ménagement. La Grande révolte fait plus de 5000 morts, essentiellement arabes : les « traîtres » pactisant avec les Britanniques ou vendant leurs terres aux juifs sont égorgés sans ménagement. Au bout de trois ans, alors que la 2nde guerre mondiale se profile, Londres finit par céder et ordonne la suspension de l'immigration juive.
Entretemps, les deux Genevois ont gagné Damas pour retrouver leur ancien copain Nazem Koudsi, rentré en Syrie pour se présenter aux élections. Il les remporte sur la liste de Jamil Mardam Bey et se retrouve ministre. La victoire des nationalistes déclenche une grève générale de 60 jours contre le protectorat français. En France, le Front Populaire est au pouvoir et Mardam Bey obtient l'autonomie de la Syrie, mais pas l'indépendance, le PCF retournant sa veste pour plaire à Moscou : oui à une Syrie indépendante d’une France capitaliste, mais si la France passe dans le camp des travailleurs, plus question qu’elle abandonne des territoires ! Ce qui fâche tout rouge Salah Bittar et Michel Afflak, deux anciens étudiants communistes de la Sorbonne, devenus profs à Damas. Le duo suisse en profite pour leur expliquer que décidemment, l'Allemagne nazie est bien le seul vrai recours des nations opprimées par le colonialisme.
Cap pour Beyrouth, où toutes les confessions politiques et religieuses se pressent à l'enterrement de l'ancien premier ministre irakien Yassin al Hachimi. Les « chemises de fer » du nationalisme arabe ouvrent le cortège, suivi du Grand Mufti Al Husseini et du premier syrien Mardam Bey. François Genoud ignore encore qu'il montera une banque genevoise avec son fils et son neveu, pour financer la révolution algérienne. Aflak et Bittar songent au nom de leur futur parti. Social Nationaliste, le nom est déjà pris par le chrétien Antoun Saadé. Ce sera donc le Baas (on l'écrit aussi Baath et Ba'th).
Le duo suisse reprend sa route vers l'Inde, dressant au passage le relevé
des défenses anglaises des cols afghans. Mais la maladie les contraint au
retour. A son arrivée en Suisse, François Genoud est longuement débriefé par le
service de renseignements de la Confédération.
A11 - 1938 : Roosevelt et l'échec de la conférence d'Evian
Ou comment les Etats-Unis sont entrés en guerre.
Grand Hôtel d'Evian d'Evian-les-Bains, le 10 juillet
Le vent mauvais de l'antisémitisme souffle sur l'Europe des années 30. Du Portugal de Salazar à la Pologne de Pilsudski, les peuples s'inventent une pureté culturelle ou religieuse. Des millions de juifs paniqués quittent l'Europe pour les Amérique et, de plus en plus, pour la Palestine mandataire.
22 000 juifs y résident en 1882, 175 000 en 1932 et 350 000 en 1936 !
Les 600 000 arabes de Palestine s'affolent et les nazis soutiennent discrètement leur Grande révolte anti-britannique.
En URSS, Staline « épure » ceux qu'il appelle cosmopolites. Des centaines de milliers de juifs sont déportés au Birodbidjan, un oblast créé de toutes pièces à cette fin, au fin fond de la Sibérie. Sa capitale est construite par le Suisse Hannes Meyer et les déportés ont l’interdiction de quitter l'URSS. En Allemagne, les nazis créent des camps de travail dès 1933, qui ne sont pas encore des camps d'extermination. Des droits restreints sont mis en place, qui limitent l'emploi et ruinent les familles. Les enfants juifs sont chassés des piscines publiques, les synagogues brûlent et la nuit de cristal n'est qu'un pogrom géant. Berlin pousse les juifs à l’exil, mais en laissant leur fortune au Reich ou à ses dignitaires !
En Autriche, l'Anschluss, l'annexion voulue par Hitler
a déclenché des pogroms encore plus violents qu’en Allemagne. Plus de cent
mille juifs cherchent à fuir le pays, Freud en tête, mais Londres bloque toute
immigration en Palestine, pour calmer les arabes. Tétanisés, les Etats-Unis
refusent d'augmenter le nombre de visas aux juifs de peur d’une judéisation
massive du pays, leur préférant une immigration de protestants.
La Suisse obtient de l'Allemagne un tampon J pour Juden sur les passeports des citoyens allemands juifs, pour pouvoir les reconnaître à la frontière. Berne bloque l'accès aux Autrichiens. Déjà, pour le Conseil Fédéral, « Das Boot ist voll » (la barque est pleine).
De son côté, la France de Léon Blum vient d’accueillir des milliers de juifs polonais et allemands, pas encore intégrés. Opposé au sionisme, Paris mise sur l'Alliance israélite universelle, qui prône l'intégration des populations dans un contexte moderne, à droits égaux. Une réussite française et franc-maçonne, depuis Napoléon, dont l’affaire Dreyfus a cependant montré les limites. Prudemment, Paris préfère limiter les visas à l'entrée en France.
Initiée par l'épouse du Président Roosevelt, la conférence d'Evian se tient en marge de la SDN. L'idée est de trouver un point de chute à ces cent mille colons potentiels. Golda Meir y représente l'Agence juive, avec rang d'observateur. Toutes les solutions sont passées en revue, de l'Algérie à Madagascar, projet du nazi Rademacher, refusé par Paris. Trujillo, dictateur de Saint-Domingue, veut les accepter pour remplacer, par des blancs, sa population noire d'origine haïtienne, qu'il massacre par milliers. L'offre est rejetée, pour ne pas couvrir un génocide. Le seul accord est la création du Comité International des Réfugiés, qui deviendra le HCR.
L’échec de la conférence souligne l’absence de réaction à l’annexion de l’Autriche suivie de peu par les accords de Munich, qui confirment la veulerie des démocraties. Londres et Paris offrent à Hitler la puissance industrielle tchèque, en échange d'une vague promesse d’arrêt de son expansion. Quant à la question juive, on fait mine de l’oublier.
Converti à l’Islam, l’ancien chef du desk orient du Drei B, le Baron Max Von Oppenheim critique vertement l'émigration en Palestine, au contraire de ses anciens adjoints comme Werner Otto Von Hentig. Polyglotte, vétéran d'Afghanistan, Von Hentig apprécie le leader sioniste, Chaïm Weizman, qu'il rencontre à plusieurs reprises en tant que chargé de la Palestine aux affaires étrangères, où l’ancien SA Franz Rademacher est chargé des questions juives. Ouvertement critique du nazisme et du jihad, Hentig s'excuse publiquement, après la Nuit de Cristal, mais les nazis ont besoin de ses compétences et il reste en place.
C’est encore un vrai débat, à l’époque en Allemagne, de savoir si les juifs font partie de la nation allemande ou pas, d’autant qu’ils ont très loyalement combattu et versé leur sang durant la première guerre mondiale. Hentig refuse l’antisémitisme par patriotisme et il accepte d’ouvrir des discussions avec les fascistes juifs de la Lehi, en compagnie de Rademacher, en vue d’une alliance pour combattre ensemble les Britanniques en Palestine.
Dans ses rapports, l’Ambassadeur Fritz von Grobba
soutient également l'émigration en Palestine, mais uniquement parce qu'elle
pousse les arabes au jihad et déstabilise le pouvoir britannique. A Bagdad, von
Grobba ne perd au contraire jamais une occasion de dénoncer la colonisation
juive et de stigmatiser les juifs en général.
A Berlin, l’intellectuel et écrivain SS Johann von Leers, très intéressé par l’Islam, propose de mettre en place un statut de dhimmi, comme dans la Oumma, qui accorderait aux juifs allemands la protection du Reich, accompagnée d'impôts spéciaux et d’interdictions diverses, l’idée étant de les maintenir en sujétion, sans possibilité de s’enrichir.
Finalement, Goebbels tranche en faveur de l’alliance arabe contre le sionisme, que lui fait miroiter von Leers. L’émigration est interdite et les Juifs dépouillés de leurs biens, avant d’être déportés. La spoliation des biens juifs financera la mise en place de la « solution finale ». Von Hentig parvient encore à sauver quelques milliers d'enfants juifs, en organisant leur départ, avant d’être arrêté et emprisonné. Nommé aryen d’honneur par Hitler, le Baron Max von Oppenheim échappe aux persécutions et la banque familiale à la spoliation, en changeant de nom pour devenir « Bankhaus Pferdmenges & Co », du nom de l'économiste « goy » qui la gère.
Désormais tout entier orienté vers la guerre, le Reich développe sa propagande aux Etats-Unis dont il rêve de se faire un allié. Les descendants d’allemands y sont nombreux et une part non négligeable de l’opinion publique apprécie l’idéologie nazie, perçue comme un rempart contre le communisme. Hitler fait parfois référence à Ford et Rockefeller qu’il considère comme des maîtres à penser et il fait décorer l’aviateur Charles Lindbergh par Göring. Le racisme est aussi ouvertement pratiqué aux Etats-Unis, par de larges pans de l’establishment, tant à l’égard des noirs que des juifs.
Nombre d’entrepreneurs sont sensibles aux sirènes nazies : le père des frères Kennedy, ambassadeur à Londres ; le père de Georges Bush, qui investit en Allemagne ; ou encore le père de Donald Trump, lui-même né en Allemagne et membre actif du Ku Klux Klan. La propagande nazie joue sur du velours et, outre les pro-germaniques, cible les isolationnistes, dont le credo est de ne plus se mêler des affaires du monde, en dehors des Amérique. Hans Thomsen, de l’Ambassade d’Allemagne cherche à rassembler les membres du Congrès hostiles à une entrée en guerre, qu’ils soient démocrates ou républicains.
Avocat, Herr Dr Gerhard Westrick représente en Allemagne les intérêts de firmes américaines comme Kodak, Ford, General Motors (qui possède Opel) ou encore ITT, en association avec le gros cabinet new yorkais Sullivan & Cromwell, où travaille un certain Allen Dulles, très actif en Suisse pendant la 1ère guerre mondiale. Westrick est envoyé à New York par l’Abwehr pour recruter des dirigeants d’entreprises favorables à l’Allemagne. Il organise des réceptions où accourent les patrons de Texaco, d’ITT, de Ford et le franco-américain Charles Bedaux, qu’il recrute. Texaco accepte de contourner les sanctions de Washington pour livrer du pétrole au Reich.
Conscient de l’absolue nécessité de l’entrée des Etats-Unis dans la guerre, Churchill a envoyé à New York un homme d’affaires canadien, William Stephenson, vétéran décoré de 14-18, passionné d’espionnage. Antinazi, Stephenson va appliquer leurs méthodes de propagande et de guerre psychologique à grande échelle. Ayant l’appui discret du Président Roosevelt et de J.E. Hoover le patron du FBI, qui lui confie des infos qu’il ne peut exploiter officiellement, par exemple sur les réceptions de Westrick, Stephenson lance d’efficaces campagnes de presse. Westrick rentre en Allemagne, Texaco renonce à livrer le Reich et Lindbergh est discrédité. Stephenson va jusqu’à produire de faux documents pour prouver que le Reich envisage d’envahir l’Amérique latine. Ce qui est vrai, mais les preuves sont fabriquées de toutes pièces.
Stephenson travaille main dans la main avec William
Donovan, un autre vétéran décoré de 14-18, que Roosevelt met à la tête de
l’OSS, le nouveau service d’espionnage américain. L’ancêtre de la CIA recrute
aussitôt Allen Dulles, envoyé en Suisse pour superviser l’ensemble des
activités de l’OSS en Europe. En novembre 41, les 2/3 de l’opinion publique
étasunienne sont convaincus qu’il faut battre l’Allemagne, alors qu’un an plus
tôt, la même proportion refusait de s’en mêler. L’attaque japonaise sur Pearl
Harbor vient parachever le travail en projetant les USA dans la guerre.
A12 -1941 : Or noir et chair à canons
Avec des Musulmans en nombre dans la seconde guerre mondiale, des deux côtés.
Palais Royal, Bagdad 1er avril
Véritable coup de théâtre, le pacte Molotov-Ribbentropp a marié le socialisme dans un seul pays de Staline au national-socialisme de Hitler. Leurs similitudes s’avèrent plus grandes que leurs divergences. On échange pétrole russe contre navires de guerre allemands, sur les ruines de la Pologne. Staline demande à intégrer l'Axe Rome-Berlin-Tokyo, réclamant l'Afghanistan, l'Irak et l'Iran en retour. Hitler le juge cependant trop gourmand et temporise. Il fait ralentir la fabrication du cuirassé promis à Moscou, mais le pétrole russe lui reste nécessaire : C’est en partie le manque d'essence de la Wehrmacht qui a sauvé les Britanniques à Dunkerque.
Coup de chance pour Hitler, les accords d’armistice signés par Pétain ouvrent au Reich les ports syriens. Les pétroliers italiens pourront s'y remplir d'or noir irakien, qui arrive en Syrie par pipeline. A condition que l'Irak cesse de livrer les Britanniques.
C’est là qu’intervient Rachid Al Ghilani, qui chasse les Anglais de Bagdad,
avec l’aide de Fritz von Grobba qui fait envoyer quelques appareils de la
Luftwaffe pour protéger la révolution. Le deal est simple : le pétrole pour la
Wehrmacht, contre le soutien à la révolte arabe.
De Beyrouth vichyste où il est réfugié, le Grand Mufti de Jérusalem Al Husseini accourt à Bagdad. De Damas arrivent Michel Afflak et Salah Bittar, avec une armée de volontaires, commandés par al Khaouji, l’ancien officier du 2ème bureau français.
Heureusement pour Londres, le Régent Ali el Hachem a pu s'échapper, avec le petit roi Fayçal II, 6 ans, dont la photo a servi de modèle à Hergé pour Abdallah. Le 18 avril, une division anglo-indienne débarque à Bassora. Les Gurkhas avancent rapidement dans le désert, malgré les trois avions de la Luftwaffe. En baroud d’honneur, le 1er juin, la veille de l’entrée des Britanniques dans la capitale, les nationalistes déclenchent le farhoud, la mise à sac du mellah, l'important quartier juif de Bagdad, qui abrite 90 0000 israélites. Plusieurs centaines sont tués. Saddam Hussein n'a encore que 4 ans, mais son oncle maternel et futur mentor, Kairallah Kalfa, dirige le pogrom. Il deviendra l'un des penseurs du Baas irakien, distillant un discours raciste de suprématie sunnite.
Les Allemands sont faits prisonniers et l'oncle de Saddam Hussein jeté en prison. Von Grobba et Al Husseini parviennent à s'enfuir par le désert et Von Grobba se réfugie chez les Saoud, ennemis traditionnels des hachémites qui viennent de récupérer leur trône d'Irak. Converti à l'Islam, Von Grobba tente de convaincre les Saoud de livrer leur pétrole au Reich. Mais Washington a la main sur l'or noir saoudien et soutient de plus en plus ouvertement Londres.
Après Bagdad, les Britanniques poursuivent jusqu'à Damas, accompagnés des Forces Françaises Libres de De Gaulle, composées de légionnaires et de volontaires du Pacifique qui attaquent l'Armée de Vichy. Fin politique, De Gaulle promet l'Indépendance à la Syrie et au Liban et les forces de sécurité locale rallient la France Libre.
En désespoir de cause, Hitler décide d'aller chercher son pétrole lui-même, directement à Bakou, en URSS. Il donne le feu vert à l'Opération Barbarossa, préparée dans le plus grand secret. La Wehrmacht enfonce les frontières soviétiques, prenant Staline de court. Le plan d’action allemand prévoit d’entrée de jeu l'élimination ou la déportation dans les usines du Reich des populations slaves et juives, qui seront remplacées sur place par des germains. Il s’agit d’étendre le Lebensraum, l’espace vital germanique.
En Afrique du Nord, Rommel et l'Afrika Korps ont pris la Libye et foncent
sur le Caire où des agents allemands promettent l'indépendance aux jeunes
officiers égyptiens.
Anouar el Sadate est arrêté et emprisonné pour espionnage au profit de l'Allemagne. Son ami et condisciple de l’école de guerre, Gamal Abdel Nasser, passe entre les gouttes bien qu’ayant fait plus jeune de la prison pour ses participations à des manifs anti-Britanniques. Renforcés de volontaires africains, les Français libres sont positionnés à Bir Hakeim, pour stopper l'Afrika Korps, à un contre dix. Les radios confiées aux volontaires du Pacifique émettent en tahitien. Les Français tiennent deux semaines, permettant la contre-attaque victorieuse d'El Alamein.
Le nazi genevois Jean-Maurice Beauverd organise l'exfiltration du Grand mufti de Jérusalem, coincé en Iran. Ils passent par l'Italie, au nez et à la barbe des services italiens, qui tentent d'intercepter Amin al Husseini dont ils craignent l'influence islamiste sur leurs colonies d'Afrique du Nord. Une ambiguïté du fascisme que déplore Hitler, qui reproche à Mussolini de lui avoir coûté une alliance fondamentale avec le monde musulman.
Finalement, le grand mufti arrive à Berlin, où il retrouve plusieurs figures du nationalisme arabe dont Rachid Ali Al Ghilani, le leader du coup d'Etat de Bagdad, le palestinien Hassan Salameh et Fawzi al Kahouji, l'agent double franco-libanais, plus nationaliste qu'islamiste qui refuse son autorité. Amin Al Husseini devient en effet Président du gouvernement Palestinien en exil et Beauverd son secrétaire. On les entend à la radio, ils rencontrent Goebbels et même Hitler, avant de quitter Berlin pour Sarajevo. Beauverd, qui connaît bien la région, veut y recruter des divisions SS de volontaires musulmans, projet appuyé par von Leers et Himmler.
Ce que Hitler apprécie dans l'Islam, c'est que les jihadistes mourant au combat accèdent directement au Paradis, comme les Germains au Walhallah. Il reproche au christianisme d'avoir ruiné cet idéal, particulièrement utile à une armée dont les combattants tombent comme des mouches. Himmler lit assidûment le Coran et Hitler en personne autorise les soldats musulmans à prier cinq fois par jour, ainsi qu’à manger halal. Immams et mollahs sont adjoints aux recrues, alors que les SS n'avaient jusqu'alors pas d'aumônier. Ces derniers sont dès lors autorisés également dans les unités SS de recrutement d’origine chrétienne.
Au même moment, pour soutenir spirituellement la grande hécatombe patriotique, Staline, soudainement éclairé par la lumière divine, organise le retour en grâces de la religion orthodoxe, jusqu'alors âprement combattue. Il va clairement s’en servir comme d’un opium du peuple, pour galvaniser les Russes que l’amour de la patrie socialiste peut laisser froid.
Dans les Balkans, les SS bosniaques se distinguent par leur férocité à l'égard des civils serbes et le grand Mufti collabore à la déportation des communautés juives de Sarajevo et Salonique, aux côtés d'un certain Aloys Brünner. Une poignée d’officiers français musulmans et de Palestiniens engagés dans la SS sont formés au combat derrière les lignes alliées. Par groupes de 5, dont un officier allemand parlant arabe, ils sont parachutés en Algérie et en Palestine. Parmi eux, le futur colonel du FLN et co-fondateur du FIS Mohammed Saïdi, ou Hassan Salameh, dont le fils dirigera Septembre Noir aux JO de Munich.
A contrario, les hommes de la seconde division SS bosniaque, stationnés en
France dans le Massif central, rejoignent massivement la Résistance, où
combattent déjà quelques 5000 maghrébins. Ils seront même plus de 200 000 dans
les troupes de la France Libre, qui combattront en Italie, en France et jusqu’en
Allemagne.
A13 - 1942 : Les Immeubles de Radò
Ou comment les renseignements suisses aidèrent Staline à gagner la guerre.
Château-Banquet, Genève le 09 décembre
Née Ursula Kuksinsky, alias Beurton, alias Hamburger,
alias Sonia, Ruth Werner a débarqué en Suisse en 1938 avec un impressionnant
pedigree. La guerre menaçant, la mission de cet as du GRU, le renseignement
militaire soviétique, était de relier les nombreux contacts qu'elle possédait
encore dans son Allemagne natale avec un réseau créé en Suisse par une autre officier
du GRU, Maria Poliakova. Puis de remplacer Maria, qui était rappelée à Moscou,
où son père et son frère seront exécutés dans les grandes purges staliniennes.
Née de parents communistes ayant vécu aux Etats-Unis, Ruth Werner a été la maîtresse de Richard Sorge, l'as des espions soviétiques, qu’elle a connu en Chine. Où elle est aussi devenue l'amie de Roger Hollis, futur patron du MI5 britannique.
A la signature du Pacte Molotov-Ribbentropp, elle reçoit l'ordre de gagner Londres en se disant dégoûtée par le pacte Hitler-Staline sur le dos de la Pologne. Son frère, resté aux Etats-Unis, se fait de même recruter par ce qui va devenir l'OSS américaine, tout en restant en contact avec le GRU. A Londres, Ruth est débriefée par le MI5, qui finit par l’engager et l’affecter au service des opérations spéciales en Allemagne et en France occupée, le S.O.E qu'elle truffe d'agents secrets communistes.
Avant de partir de Genève, Ruth a confié le réseau à Alexander Radò, cartographe hongrois travaillant à la SDN, et agent de longue date du Komintern. Radò est juif, comme Ruth et comme aussi Maria Poliakova, mais comme aussi plusieurs agents allemands travaillant pour l'Abwehr de l'Amiral Canaris. Ce qui entraîne une certaine défiance de leurs chefs, qui se méfient peut-être d’ailleurs encore plus à Moscou qu’à Berlin. Si bien que quand le réseau Radò avertit le Kremlin de la prochaine attaque allemande, Staline refuse d'y croire. Pas plus qu’il ne croit Sorge. Il se passera encore plusieurs épisodes du genre avant que Radò soit pris au sérieux.
Il était temps, parce que ce sont les plans de Winttergewitter que Radò transmet le 9 décembre. 3 jours plus tard, la contre-attaque allemande doit briser le siège de Stalingrad, prenant l’Armée Rouge par surprise. Averti, Joukov fait effectuer un mouvement tournant à ses T-34. Dans le plus grand secret, ils surprennent les colonnes blindées allemandes et les attaquent par le flanc. Rebelote 7 mois plus tard, où les informations de Radò permettent à Joukov de terrasser les Panzer qui attaquent le saillant de Koursk.
L’étonnante qualité de ces informations demeure un
mystère. A l’évidence, elles émanent du Haut Quartier Général et leur source
reste l'une des grandes énigmes de la guerre. Les amis juifs et communistes de
Ruth Werner en Allemagne sont décimés. Peu probable qu’ils aient pu conserver
des antennes au QG de Hitler ! Le SR suisse en revanche avait d’anciens
contacts avec de hauts gradés protestants, ce que l’on a appelé la « ligne
Viking ».
De plus, bien que communiste, le réseau Rado est protégé sans le savoir par le SR de la Confédération. Deux des trois appartements d'où émettent ses radios clandestines appartiennent à la famille du lieutenant Sillig, homme de confiance du Colonel Masson, le très anglophile patron des services suisses. Sillig lui-même est proche des réseaux français du Général Giraud, qui finiront par rallier De Gaule. Sa sœur est d’ailleurs mariée à l’un de ses officiers supérieurs.
L’autre piste est britannique. Grâce à leurs machines
« Bomb », ancêtres de l'ordinateur, inventées par les Polonais, les
Britanniques décodent en temps réel les communications de la Wehrmacht. Le
fruit d'un long travail, commencé avant-guerre par les services français,
amélioré en Pologne et achevé par Alain Turing à Bletchley Park grâce à la
capture d'une machine de codage Enigma, dans un U-Boot capturé par surprise.
Sauf que Londres veut à tout prix éviter que les Allemands l'apprennent et se
méfie des soviétiques. En glissant quelques infos clés dans le flux des
messages envoyé par le réseau Radò, les Britanniques peuvent aider les
soviétiques sans le leur dire.
Est-ce un hasard si Alexander Foote, le principal « radio » du réseau, ancien des brigades internationales, est soupçonné d'être un agent du Mi5 ?
Toujours est-il qu’en 43, le SS Schellenberg, nouveau chef du contre-espionnage nazi, contacte le colonel Masson : les récepteurs allemands captent des émissions venant de Genève et utilisant des codes russes. Il menace la Suisse d'invasion. Pour prouver qu’il ne plaisante pas, il arrête et fait torturer l'attaché militaire suisse en Allemagne. Encerclée, la Confédération est truffée d'agents du Reich, comme le Lieutenant SS Heinz Felfe. La mission numéro un du Colonel Masson étant d'éviter à tout prix l'invasion. Il cède à Schellenberg et fait arrêter les opérateurs radio du réseau.
En vérité, la Suisse entière fourmille d’espions, travaillant pour l’Axe ou pour les Alliés.
Les services de Masson surveillent tout le monde, sans être pour autant vraiment neutres : sur les 33 espions condamnés à mort durant la guerre en Suisse (la peine de mort n’existe qu’en temps de guerre en Suisse), 33 sont des agents nazis. Les alliés écopent au plus de légères peines de prison. C’est le cas des membres du réseau Radò, qui écopent de quelques mois de prison.
Radò lui-même échappe à la souricière et rejoint la résistance française, avant d’être contraint à regagner Moscou dans un avion soviétique en compagnie de Leopold Trepper, le chef de l’Orchestre Rouge. Radò tente de s’échapper à l’escale du Caire, mais il est repris. Radò et Trepper craignent d’être maltraités par Staline, comme les autres espions juifs qui ont pourtant servi l'URSS au péril de leur vie. De fait, ils seront tous deux condamnés à dix ans de camp. Le vent a tourné, la guerre froide se profile et Staline soupçonne les juifs d'être vendus en masse à l'Occident.
La seule qui trouve grâce à ses yeux n'est autre qu'Ursula Kuksinszky Beurton, alias Ruth Werner. C'est elle en effet qui va livrer les secrets de la bombe atomique à Moscou, grâce à ses nombreux contacts dans les réseaux britanniques et américains mais aussi, surtout, dans les milieux scientifiques. A commencer par son frère physicien. Les anciens communistes du réseau Radò sont également mis à contribution, comme le savoyard Jean-Pierre Vigier, physicien diplômé de l'Université de Genève. Recalé comme assistant d'Einstein aux USA, suite au veto de la CIA, il devient président du Tribunal Russell pour la Paix, l’une des institutions qui fit dire à Mitterrand : « Les pacifistes sont à l’ouest, les missiles à l’est. »
Outre son vieil ami Roger Hollis, patron du MI5,
Ursula est protégée à Londres par Kim Philby, le fils de Saint-John Philby qui
trahit Lawrence d’Arabie en se mettant au service des Saoudiens. Kim est le
chef de la cellule URSS du Mi6 et son anticommunisme apparent lui vaut d'être
chargé de débusquer les infiltrés soviétiques ... dont il est le chef !
La liste de ses méfaits va de l'assassinat du Général
Polonais Sikorski au choix de Tito comme allié privilégié pendant la guerre,
parmi les différentes factions de la résistance Yougoslave.
Kim Philby apprend aussi à Pékin que les Américains n'ont pas l'intention d'utiliser la bombe en Corée. Et c’est encore lui qui donne à Moscou les centaines d'agents infiltrés en Ukraine et en Albanie, qui sont aussitôt exécutés.
A trois reprises, Philby sera soupçonné d'être « la
taupe au plus haut niveau du Mi5 », mais faute de preuves, il sera toujours
relaxé. Jusqu'au jour où il s'enfuit à Moscou !
A14 - 1943 : Genoud et Dickopf
Comment Moscou a utilisé les anciens nazis pour infiltrer les renseignements occidentaux et déstabiliser le Moyen Orient.
Refuge du Lieu, frontière franco-Suisse VD-Jura, le 1er septembre
Contrairement à son copain Beauverd, le Vaudois François Genoud n'a pas gravi les échelons dans l'appareil nazi. Pendant la guerre, il vit de trafics d'or et de devises entre Berlin, Bruxelles et Genève, connaît tous les passeurs du Jura. Il rend compte régulièrement aux services suisses tout en collaborant avec celui qu'il appelle « mein bruder », mon frère, son agent traitant du Sicherheitsdienst, le lieutenant SS et commissaire de police Paul Dickopf. Pour qui travaille vraiment Genoud, on ne le saura sans doute jamais. Probablement pour qui le paie, mais d'après ses propres dires d'agent multicartes, c'est son engagement nazi qui est le plus sincère.
Cet été là, l'armée rouge taille en pièces les panzers divisions à Koursk et les alliés débarquent en Sicile, en s'appuyant sur la mafia. Les Allemands les plus lucides comprennent que l'Allemagne a perdu la guerre et commencent à préparer leurs arrières. Dickopf demande à Genoud de l'aider à passer en Suisse. Ce que ce dernier finit par accepter. Le SR suisse interroge longuement le lieutenant SS, bien disposé à rendre service.
Conséquence de la désertion de Dickopf, l’officier SS Heinz Felfe, chef du poste d'espionnage allemand à Berne, est rappelé précipitamment à Berlin. L'une de ses tâches en Suisse consistait à changer une partie des 134 millions de fausses livres sterlings imprimées par le IIIème Reich. Il est probable qu'une partie de cette fausse monnaie arrivait en Suisse par les valises de Genoud. Ce dernier ouvre alors un bar à Lausanne, en association avec Paul Dickopf, qui entretemps s'est fait recruter par Allen Dulles, chef de poste de l’OSS à Berne, d’où il supervise le renseignement américain en Europe occupée. Après un long débriefing sur l'état du Reich, Dickopf finira par rejoindre les armées américaines et françaises qui pénètrent en Bavière, où il sait à nouveau se montrer utile.
Partout, des réunions secrètes préparent l'après-guerre. A Genève se réunissent les chefs des réseaux de résistance humanistes et chrétiens. Un pasteur hollandais, fondateur du Conseil Œcuménique des Eglises, a invité Français, Italiens, Hollandais, Belges et Allemands à publier la Déclaration des Résistances Européennes.
Identifiant le nationalisme comme cause première des guerres, Altiero Spinelli, Henri Frenay, Ernesto Rossi et Willem Visser't Hoof appellent à la dissolution des souverainetés nationales dans une Fédération Européenne, qui sera l’une des matrices de l’Union Européenne. Contrairement aux empires multiethniques asservis par une ethnie dominante, ils veulent construire une Europe de peuples égaux en droits.
En Alsace, alors que les troupes alliées approchent, un aréopage discret se prépare à préserver la puissance de l'économie allemande d’après-guerre. A cette fin, ils cotisent tous pour rassembler un trésor de guerre qui sera caché en Suisse. Ces industriels et grands commis de l'Etat ne sont pas des nazis convaincus. Ils sont même plutôt proches des auteurs de l'attentat contre Hitler et bien qu’ayant fonctionné à très haut niveau durant tout le IIIème Reich, ils seront adoubés par les Américains, soucieux de ne pas acculer l’Allemagne comme en 1918 et de lui laisser une chance de se reconstruire aux côtés des démocraties.
Washington refuse en revanche la proposition de paix séparée des SS, transmise par les Services Suisses, même si le chef du SD Schellenberg promet l'arrêt de l'holocauste en échange.
Sauver l’Allemagne, oui, mais sans les nazis. D’ailleurs, début 45, les
Soviétiques sont encore des alliés et les nazis des ennemis. Eisenhower
interdit tout contact avec eux, pendant ou même après la guerre. Dickopf et ses
quelques homologues se retrouvent donc sans ressources. Quelques-uns vont alors
commencer à travailler pour l’URSS.
De son côté, Genoud aide le Général Ramke à s'enfuir des prisons françaises. Un exploit, sans doute facilité par les services français, qui vont utiliser Genoud à plusieurs reprises. La France n’a pas les mêmes scrupules qu’Eisenhower et n’hésite pas à recruter d’anciens nazis, quand elle pense qu’ils peuvent l’aider à reprendre en mains son empire colonial. C’est le cas de très nombreux anciens soldats allemands incorporés dans la Légion qui partent en Indochine. Ou du très antisémite grand mufti de Jérusalem, que la France exfiltre et aide à gagner l’Egypte en échange de son soutien, ou plutôt de sa neutralité en Afrique du Nord. En tout cas, l’affaire Ramke fait rentrer Genoud dans l'intimité de dignitaires nazis et il en profite pour éditer les mémoires de Hitler, Goebbels et Bormann. Ce qui va lui assurer de confortables revenus.
En 1948, la chape de plomb soviétique qui s'abat brutalement sur l'Europe de l'Est fait remonter la cote des anciens espions SS. Devenu big boss de la CIA, Allen Dulles va les utiliser plus que de raison. Son protégé Dickopf se retrouve propulsé à la tête du BKA, la police criminelle ouest-allemande, qui supervise le contre-espionnage. Ancien chef de l'espionnage allemand en URSS, proche de Canaris et des auteurs de l'attentat contre Hitler, le général Reinhard Gehlen met tous ses réseaux dans les pays de l'Est au service de la CIA, devenant le premier patron du BND, le bureau de renseignement fédéral allemand.
Chef de cabinet du nouveau chancelier Adenauer, Hans Globke est l'un des
auteurs des lois juives d'avant-guerre. Démocrate-chrétien, sa candidature au
parti nazi avait néanmoins été refusée. Le voilà chapeautant tout le système de
sécurité Ouest-Allemand. Robert Pferdmenges, ami d'enfance d'Adenauer, devient
ministre des Finances. C'est lui qui a géré la banque Solomon Oppenheim pendant
la guerre, après que le Baron Max von Oppenheim, le père du jihad allemand, ait
été fait aryen d'honneur.
Le problème, c'est que des dizaines de ces anciens nazis sont des doubles soviétiques ou le deviennent. Le KGB a récupéré les archives nazies, à Berlin, et s'en sert pour les faire chanter. Heinz Felfe, l'ancien faux-monnayeur de Berne, où il a bien connu Allen Dulles, est ainsi devenu le chef de la lutte anti-communiste au contre-espionnage allemand. Mais 15 ans durant, il est aussi rétribué par le KGB. De l'autre côté du mur et dans les goulags où croupissent 2 millions de prisonniers de guerre allemands, la STASI est-allemande recrute aussi beaucoup d'anciens nazis.
Tous les anciens agents islamisants et/ou arabophones du Baron Max vont
ainsi se retrouver sortis de prisons pour être envoyés au Moyen Orient. Et à
Bandoeng, en 1955, à la conférence des pays non alignés voulue par Nasser,
Nehru, Soekarno et Zhou en Lai, tous les pays arabes sont conseillés par
d'anciens nazis, payés par Moscou à une exception près : Von Hentig conseille
l'Arabie Saoudite avec la bénédiction des Américains. Lui aussi est un ancien
du Drei B de Von Oppenhem de la guerre de 14, mais il est philosémite, il a
organisé l'exfiltration de centaines d'enfants juifs avant la guerre et il a été
jeté en prison par les nazis.
A15 - 1944 : Radios et Propagande
Sporting d’Hiver, Monte Carlo, 1er mars 1944
Ou comment deux Genevois ont joué un rôle clé dans les radios nazies francophones en 39-45, puis dans la montée de l'islamisme au Moyen Orient ... et comment la radio romande a aidé la Résistance !
Fort de son expérience réussie de propagandiste aux côtés du Grand mufti de Jérusalem, le Genevois Jean-Maurice Beauverd est imposé par Himmler à Otto Abbetz, le chef de la Propagandastaffel, à la tête de la toute nouvelle Radio Monte Carlo, sous le pseudonyme de Charles Morice. Née radio de propagande nazie, la future RMC émet sur toute la Méditerranée, du Levant au Maroc, pour diffuser des nouvelles de la guerre aux populations mais aussi des messages codés aux parachutés, comme le faisait Radio Londres aux résistants. Sauf que les parachutés, en Algérie et en Palestine, sont des commandos SS islamistes chargés de soulever les populations musulmanes !
Le tour de table de la nouvelle radio mélange capitaux nazis, vichystes et fascistes italiens mais c'est Berlin qui donne le la. Le jihad islamiste reste l’argument de la dernière chance pour le Reich au sud de la Méditerranée, qui doit désormais compter avec l’évolution des discours américains et gaullistes, qui parlent d'indépendance nationale et d'égalité républicaine aux peuples colonisés. C’est un échec pour Berlin, les commandos parachutistes SS ne parviennent pas à désorganiser les lignes alliées et les colonies envoient des centaines de milliers d’hommes libérer l’Europe. Le fascisme ne fait plus vraiment rêver en 44.
Beauverd n'a pas été choisi par hasard. A Genève avant-guerre, dans l'entourage de Chekib Arsalan qu’il fréquentait, il a croisé la crème des nationalistes arabes. Comme Messali Haj et son adjoint Mohammedi Saïdi, alias Si Nasser, chefs du Mouvement Nationaliste Algérien. Bien qu'emprisonné par la France, Messali Haj interdit au MNA d'accepter les offres de soutien allemandes. Au contraire du pieux Saïdi, qui s'engage dans la SS avec le grand mufti, avant d'être l'un des parachutés allemands en Algérie.
La déchirure poussera Saïdi à éliminer des dizaines de membres du MNA, son ancien parti, pour les beaux yeux du FLN, dont il devient le premier colonel, en prémices de la Guerre d’Algérie. A cet effet, il est formé au Caire par des officiers allemands conseillers de Nasser, mandatés par la STASI. Trente ans plus tard, Saïdi sera encore l'un des fondateurs du FIS Algérien, le Front Islamique du Salut, qui installera l'islamisme au Maghreb.
Beauverd n'est pas le seul nazi genevois à vociférer sur les ondes françaises. Geo Oltramare, son ancien chef de l'Union nationale, le parti fasciste suisse, est l'une des voix les plus écoutées de Radio Paris, que le gaulliste Pierre Dac assassine d'une ritournelle : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». C'est sous le pseudonyme de Charles Dieudonné qu’Oltramare, rejeton d’une excellente famille calviniste, se fait connaître sur les ondes françaises, tandis que sous son nom d'acteur d'André Soral, il joue dans les films du Genevois Jean Choux, qui continue de tourner en France, sous l'occupation, avec Michel Simon, autre Genevois, en vedette.
Coïncidence étrange, les deux pseudonymes d’Oltramare deviendront les noms de scène de deux porte-voix de l'antisémitisme français, réunis dans un projet de rapprochement de l'extrême-droite et de l'islamisme financé par l'Iran d’Ahmadinejad, au début du XXIème siècle. Soral est le nom d’un petit village de la frontière franco-genevoise et le faux nom du père d’Alain Soral, qui s’appelait en réalité Bonnet, franco-suisse longtemps emprisonné à Genève pour escroquerie. Quant à Dieudonné, c’était le prénom du père camerounais de l’humoriste déchu.
Réfugiés à Sigmaringen en Allemagne à la fin de la guerre en compagnie de Pétain, Céline et d’un milliers d’autres collaborateurs de haut vol, Géo Oltramare et Jean-Maurice Beauverd s’arrangent pour passer en Suisse, où ils croupissent quelques mois en prison. Oltramare échappe ainsi à la condamnation à mort par contumace que ses diatribes antisémites lui ont valu en France. Dès leur sortie, ils s'envolent pour le Moyen Orient, où affluent les anciens nazis spécialistes de la sécurité et de la propagande, souvent convertis à l'islam. De Johann von Leers à Skorszeny en passant par Aloys Brunner, ils sont des dizaines, invités par les amis du Grand Mufti de Jérusalem.
Capturé par les Français en Bavière, mis au frais à Paris dans une villa cossue, le leader islamiste a échangé sa liberté contre la promesse d’accepter la présence française au Maghreb. Paris fait la sourde oreille aux demandes d'extradition serbe et britannique, comme aux remontrances israéliennes. Muni de vrais faux papiers, Al Husseini prend tranquillement son vol pour le Caire au départ d’Orly. Sitôt en Egypte, il oubliera sa promesse et c’est avec son plein soutien que son ancien secrétaire, Jean-Maurice Beauverd, crée Radio Damas, tandis que Géo Oltramare prend la direction du service français de Radio le Caire. Ciblant Israël, les deux Genevois diffusent sur ondes courtes leur propagande antisémite, mais aussi anticoloniale et pro-FLN, de Bagdad à Marrakech.
Mais toutes les radios de la guerre n’ont pas été les outils du Reich, loin de là. Si tout le monde connait les fameux messages de Radio Londres à la Résistance ; Radio Sottens, devenue depuis la Radio Suisse Romande, fut aussi très écoutée. Elle était en effet la seule à donner des nouvelles des différents fronts sans propagande et le plus objectivement possible. La France entière et la Belgique écoutaient religieusement les bulletins quotidiens de René Payot. Même les miliciens de Vichy et les Allemands y croyaient davantage qu'à la propagande officielle.
En apprenant la nouvelle du débarquement en Provence, le 15 août 1944, les nombreux maquis de Haute-Savoie décident de se soulever. Appuyés sur la Suisse, ils ne risquent guère d’être pris à revers dans les villes frontières. Le 17, Evian et Thonon sont libérés au prix de violents combats auxquels participent quelques volontaires helvétiques. Le 18, c’est au tour d’Annemasse et de Saint-Julien. Prises d’assaut, les garnisons allemandes se rendent, y compris celle de l’hôtel Pax dont les caves abritaient les prisons et les salles de torture de la Gestapo. La garnison est laissée libre de se réfugier en Suisse. Des centaines d'allemands sont faits prisonniers dans tout le département.
Il ne reste plus que les 3 850 hommes de la garnison d'Annecy, lourdement
armés. Les résistants qui encerclent la ville sont six fois moins nombreux et
ne disposent que d’armes de poings et de quelques malheureux fusils, plus les
mitraillettes prises aux Allemands. Mais ils s’organisent pour faire croire
qu'ils sont beaucoup plus nombreux. C'est alors que Radio Sottens annonce de
Lausanne qu'Annecy est encerclée par près de 10 000 hommes lourdement armés.
Les Allemands qui écoutent religieusement les nouvelles du front à la radio
suisse depuis des années ne peuvent qu'y croire. Ils se rendent le 19, sans
combattre. Grâce à quoi la Haute-Savoie sera le premier département français à
s’être libéré seul, sans intervention des troupes alliées.
A16 - 1944 : Guerre Froide à Hollywood
Comment passer du statut d'alliés à celui d'ennemis ou comment le maccarthysme a sauvé le cinéma européen.
Bretton Woods, New Hampshire, le 22 juillet
Pour les économistes comme John Keynes, l'échec de la Société Des Nations est d'abord dû à des désaccords commerciaux, qui ont débouché sur la seconde guerre mondiale. Il faut donc créer un mécanisme de règlement des conflits économiques pour éviter qu'ils dégénèrent en conflits militaires. Ce à quoi s'attellent les alliés dans un grand hôtel en pleine nature, près du Mont Washington, au nord de New York.
730 délégués de 44 pays sont présents. Les empires français et britanniques existant encore, cela représente les trois quarts de la planète. L’URSS n’a toutefois envoyé qu’un seul diplomate, au simple rang d’observateur. Le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et let GATT, ancêtre de l'OMC, naîtront de cette conférence, qui assoit jusqu’à nos jours la suprématie du dollar.
Les différends économiques ne sont cependant pas la cause unique des guerres et il faut bien régler aussi les conflits politiques. Ce qui signifie inventer quelque chose de plus efficace que la défunte SDN. Ce sera les Nations Unies et cette fois, les Etats-Unis veulent en faire partie, ce qui réjouit tout le monde. Par contre, Washington refuse que la nouvelle Organisation des Nations Unies soit basée à Genève, ou plus exactement, c’est Edgard Hoover, le tout puissant patron du FBI, qui exige un siège américain. Il se raconte que c’est pour pouvoir y poser des micros, comme il le fait lors de la réunion de constitution, qui se tient à San Francisco, au moment où la guerre se termine en Europe, d’avril à juin 1945. Toutes les délégations y sont minutieusement écoutées. Car la situation se tend, entre les alliés d'hier.
Aux grands raouts publics entre diplomates, Staline
préfère les rencontres en tête à tête entre dirigeants. Roosevelt vient de
mourir et c’est Harry Truman qui le remplace à Potsdam, fin juillet 45, pour
tenter de limiter les appétits de l’ogre, en Europe, mais aussi en Asie. Alors
que les Occidentaux se battaient sur tous les fronts, Staline avait toujours
refusé d'attaquer le Japon, fort d’un pacte de non-agression, conservant les
forces de l'Armée Rouge pour déferler sur l'Europe. Ce qui relativise
considérablement la propagande selon laquelle la Russie aurait gagné la guerre
à elle seule.
Après la reddition nazie le 8 mai, le Japon a refusé l'ultimatum des anglo-saxons et de la Chine. L’Empire du Soleil Levant continue de se battre. L'URSS lui déclare la guerre à l’issue de la Conférence de Potsdam et s'empare rapidement d'immenses territoires au nord de la Chine, mal défendus par l'armée nippone dont les meilleures troupes font face aux Américains. Truman décide alors d'utiliser la bombe atomique, pour hâter la fin de la guerre avant que Moscou ne se soit emparé des deux tiers de l'Asie. Montrant au passage à Staline ce qui l'attendait s'il se montrait trop gourmand.
La démonstration l’impressionne, mais ne surprend pas Staline, parfaitement informé de ce qui se tramait dans le Nevada. En fait, il compte bien être sous peu capable d’en faire autant. La recherche nucléaire a commencé en URSS en 43, mais Staline compte surtout sur ses espions et tout ce dont il a besoin, c’est d'un peu de temps. Le GRU, le renseignement militaire soviétique, a introduit des agents dans le projet Manhattan. Des hommes et des femmes, jusque dans l’entourage immédiat de Oppenheimer.
On retrouve aussi à Londres une vieille connaissance, Ursula Kakszinsky, qui avait dirigé le réseau Rado de Genève. Elle œuvre dorénavant officiellement pour le Mi5 britannique et elle a ses entrées à Cambridge, dans le projet atomique anglais, dont les chercheurs travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues américains de Los Alamos. C'est Ursula qui fournit les plans décisifs à Moscou, plus que les époux Rosenberg qui n’étaient peut-être même qu’un leurre. Poutine l'a d'ailleurs saluée comme « la plus grande espionne de tous les temps ».
Nonobstant, aux Etats-Unis, après la première explosion atomique russe en 49, l'hystérie anti-communiste devient délirante. Les époux Rosenberg vont être arrêtés en 1950 et exécutés en 53, véritables victimes expiatoires. Un avocat a pris la tête du mouvement anti-communiste. Ancien officier de renseignement pendant la guerre du Pacifique, Joseph Mc Carthy s’est fait connaître en défendant des soldats nazis accusés de meurtres de prisonniers.
La carrière politique de McCarthy fait un bond lorsqu’après la première explosion atomique russe, il dénonce « la présence de dizaines d'agents soviétiques au Secrétariat d'Etat », le nom américain des affaires étrangères. C’est démenti, mais McCarthy est bien décidé à exploiter le filon. Dans la culture populaire américaine, communiste devient synonyme d'espion soviétique et le seul endroit des Etats-Unis où les communistes sont alors en nombre, c'est à Hollywood.
Qu’importe si certains communistes sont par exemple trotskistes et n’ont rien à voir avec l’URSS ! Dix scénaristes et réalisateurs de Hollywood sont arrêtés, comme Dalton Trumbo et Edward Dmytryk. Le réalisateur William Wyler, né à Mulhouse, de père suisse et qui a grandi à Lausanne, crée le comité du 1er amendement pour les défendre. John Huston, Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Groucho Marx ou Frank Sinatra manifestent en leur faveur, mais malgré ce soutien de poids, les dix vont en prison. Les grands studios commencent à dresser des listes noires de ceux qu'il est interdit d'employer.
Plusieurs créateurs traversent alors l'Atlantique, comme Ben et Norma Barzman, prévenus de leur arrestation imminente par une jeune starlette blonde qui s'appelait elle aussi Norma : Norma Jeanne Baker, alias Marylin Monroe.
Le cinéma européen était à genoux après la guerre, entre le bombardement de nombreux studios et le plan Marshall, qui laissait entrer sans restriction ni taxe tous les films américains sur les marchés européens. Ironiquement, c'est le maccarthysme qui relance l'industrie européenne, en favorisant la production de gros films humanistes, voire carrément de gauche, avec des financements américains, grâce au secret bancaire helvétique.
William Wyler (12 oscars au compteur) réalise ainsi Vacances romaines et Ben Hur à Cinecitta, où Kirk Douglas s'établit. Joe Losey travaille à Londres, John Berry et Jules Dassin à Paris et Athènes. Sam Bronston, alias Samuel Bronstein, neveu de Trotski, monte ses productions dans l'Espagne franquiste, à la barbe du FBI. L'argent du « Cid » ou de « la Chute de l'Empire Romain » lui est avancé par la très protestante Dupont de Nemours.
Le siège européen de Dupont, à Genève, réalise des bénéfices copieux en Espagne, mais n'a pas le droit de les sortir du pays en raison d’un contrôle des changes espagnol très strict. Les bénéfices espagnols sont prêtés à Bronston qui tourne ses films avec, en construisant des décors colossaux avec une main d’œuvre à l’époque extrêmement bon marché. Les films sont ensuite distribués dans le monde entier et les recettes internationales servent à rembourser la multinationale de Genève ... sous l’œil intéressé de Washington, qui surveille ce petit monde.
Ava Gardner, qui a déménagé à Madrid, organise ainsi des fêtes somptueuses chez un ami américain, qui n’est autre que l’honorable correspondant en Espagne de la CIA. Et Ben Barzman, le principal auteur de Bronston, racontait volontiers comment il s'était jeté à plat ventre en pleine rue dans Paris, en entendant une pétarade de pot d'échappement, croyant que le FBI lui tirait dessus.
Parmi les films d’auteurs américains tournés en Europe à cette époque, on peut encore citer « Spartacus », « Jamais le Dimanche », « Les Sentiers de la Gloire », « Exodus », « Tamango », « Les Dix Commandements », « Ulysse », « Du Rififi chez les Hommes », « Les 55 jours de Pékin », « Roi des Rois » ou « John Paul Jones ».
Juifs, plusieurs de ces cinéastes se tournent alors vers Israël, dont la lumière naturelle, ouverte à l'Ouest, permettrait de créer un nouvel Hollywood. Intéressés, les responsables du tout nouvel Etat juif déclinent cependant finalement la proposition « pour ne pas déplaire à Washington ».
A17 - 1948 : L'ONU assassinée
Ou comment Staline a poussé à la création d'Israël ... avant de faire volte-face.
Rue Hizkiyahu HaMelesh, Jérusalem le 17 septembre
Trois ans seulement après sa création, l'ONU montre déjà ses limites et les difficultés qu’elle éprouve à mettre en place un semblant d'ordre mondial. Son émissaire en Palestine, le comte Folke Bernadotte, chargé de superviser le retrait britannique et la partition du pays, est assassiné par la Lehi, le fameux « Groupe Stern ». Après avoir tenté de s'allier avec les nazis et Mussolini contre les Anglais, pour faciliter l’immigration juive en Palestine, cette organisation fasciste israélite est passée sous la coupe du KGB
En se positionnant en défenseur de la liberté des peuples, l'URSS parvient à détourner l'accusation d'impérialisme qui lui pend au nez. Hormis en URSS où les peuples sont censés être libérés par le communisme (!) le KGB utilise désormais plutôt les nationalistes pour lutter contre « l’impérialisme américain » dans le monde. La mainmise impérialiste soviétique sur les nouveaux pays du bloc de l'est n'est en rien comparable, puisqu'il s'agit de "pays frères". Malgré l'évidente contradiction, les tombereaux de propagande déversée à l'époque ont encore des effets aujourd’hui, alors même que la Russie n’a plus rien de communiste et que le suprémacisme russe blanc éclate au grand jour.
Izthak Shamir n'a jamais été suspecté personnellement d’être un agent du KGB, au contraire de Nathan Yalin Mor, son alter ego à la tête de la Lehi, qui a participé personnellement à l'attentat. Responsable de la réorientation idéologique « anti-impérialiste » du groupe Stern, ce nationaliste belliqueux deviendra l'un des leaders du mouvement pacifiste israélien, quand Moscou retournera sa veste pour soutenir désormais la cause palestinienne.
Ceci-dit, il n’y a pas que la Russie que l’attentat arrange…
L’intrication des hommes du commando et des responsables de la sécurité israélienne est très étroite. Le commando attaque dans une jeep de l’armée, avec des armes et des uniformes règlementaires de Tsahal. Plus troublant encore, le tireur, Yehoshua Cohen, qui assassine Bernadotte sera le fondateur d’un kibboutz dans lequel se retire Ben Gourion lorsqu’il abandonne le pouvoir. Cohen restera le garde du corps personnel de Ben Gourion jusqu’à la mort de ce dernier.
Arrêtés immédiatement, mais sortis de prison 15 jours
après l'attentat, les assassins de la Lehi bénéficient effectivement d'une
étonnante clémence de la part du gouvernement du tout jeune Etat. Il s'est
écoulé moins d'une année depuis le vote de l'ONU entérinant sa création. Vote
surprise, largement motivé par les pérégrinations des réfugiés de l'Exodus, organisées
par le Mossad et montées en épingle dans la presse internationale.
Encore sous le choc de la révélation des camps d’extermination, l’opinion occidentale ne peut se résoudre à abandonner 4500 survivants dont une majorité de femmes et d’enfants, entassés sur un vieux rafiot de moins de 100 mètres de long, prévu pour 700 personnes. Il leur faut un abri sûr.
A l’ONU, 33 pays approuvent la création d’Israël en tant qu'Etat Indépendant en Palestine. Parmi eux, l'URSS et tous les pays du bloc de l'est. 13 votent contre, pour la plupart des pays arabes et 10 s'abstiennent. L'Afrique et une bonne partie de l’Asie sont encore colonies françaises ou britanniques et n’ont pas voix au chapitre. Londres est très opposé au partage de la Palestine, prédisant un chaos sans fin, mais s'abstient. La France est contre, les juifs français étant fort peu sionistes, mais change d'avis et vote pour au dernier moment, en partie à cause de l’Exodus, parti de Sète. En fait, c'est surtout l'URSS qui pousse à la fondation d'un Etat juif, plus encore que les Etats-Unis et c'est ce qui va changer après 48.
Les relations du stalinisme et du monde juif ont toujours été compliquées. La plupart des leaders de la révolution d'Octobre étaient juifs, mais Staline ne l'est pas et a construit son pouvoir contre eux. Lorsqu'il signe le pacte Molotov Ribbentrop avec Hitler, il lui livre même des centaines de juifs allemands qui se sont réfugiés en URSS ou qui étaient restés en Allemagne comme agents soviétiques.
Le petit père des peuples ne garde que les plus précieux, comme Ursula Kakzinsky, Léoppold Trepper (le chef de l'Orchestre Rouge), ou Sandor Radò. Mais quand Hitler l'attaque, Staline fait volte-face et envoie des émissaires juifs à New York, pour solliciter l'aide des milieux juifs américains, aussitôt accordée.
Une fois la guerre terminée, les juifs n’ont plus guère qu’une utilité aux yeux de Staline : la création d’Israël. Il avait déjà créé le Birobidjan, déportant les juifs au fin fond de la Sibérie, à la frontière chinoise, avec un succès très relatif. Avec la création d'Israël, il fait d’une pierre deux coups : il réduit leur importance en URSS et il met un pied en Méditerranée … parce que l'URSS abritant la plus grosse communauté juive du monde, il ne fait aucun doute pour Staline qu’on y parlera russe.
De plus le sionisme est un projet d’inspiration socialiste à la base. Un porte-avion rouge au beau milieu d’un Proche-Orient très conservateur inféodé au capitalisme occidental, ça fait rêver Staline, qui prévoit même d'envoyer en Israël des juifs soviétiques formés par le KGB, d’où ils pourront rayonner ensuite dans tout le proche Orient et même le monde Occidental. Pour commencer, il donne l'ordre aux Tchécoslovaques de fournir des armes en quantité, qui passent par la Hongrie et la Yougoslavie. La guerre de 1948 est gagnée par Israël grâce à l'armement fourni par le bloc de l'est. En face, les monarchies arabes, très conservatrices, n'ont aucun atome crochu avec l'URSS, tandis que les partis communistes moyen-orientaux, tous dans l'opposition, sont essentiellement juifs.
Bref, à l'ONU, Gromyko pousse à la création d'Israël et Moscou est la première capitale à reconnaître le nouvel Etat. Mais en quelques mois, Staline va complètement changer d'avis. Il comprend que si les partis communistes piétinent dans le monde musulman, c'est précisément parce qu'ils sont perçus comme juifs ce qui les coupe de toute assisse populaire. De plus Golda Meir, la « Mère d'Israël », est nommée Ambassadeur auprès du Petit Père des Peuples de l’URSS. Ce qui va tout changer
Lorsqu'elle inaugure une synagogue à Moscou, des dizaines de milliers de personnes accourent. De même, le bureau des visas de la nouvelle Ambassade croule sous les demandes d'immigration. Des centaines de milliers. Pour Staline, qui ne s’attendait pas à un tel succès, c'est un camouflet. Sa paranoïa naturelle prend le dessus et le conforte dans son idée que les juifs sont ses ennemis. Il retourne brutalement sa politique à 180°. KGB et GRU sont purgés de tous leurs cadres juifs, puis c’est le tour des milieux scientifiques et des politiques, ouvrant le Procès des blouses blanches et la nouvelle vague de procès de Moscou.
Dans la foulée, l'URSS se profile désormais en alliée
des Arabes contre Israël … tout en préparant le renversement des monarchies
pétrolières par les nationalistes. Entre temps, le KGB a mis la main sur les
archives nazies et - directement ou à travers la STASI crée en 1950 - recycle
les anciens nazis spécialistes de l’Islam. En Egypte, le Grand Mufti de Jérusalem
Amin al Husseini prend la tête du Haut comité arabe palestinien, remis en selle
par les Frères Musulmans. Il y prend des positions jusqu'auboutistes, refusant
tout contact avec les émissaires de l'ONU et déclenchant une grève générale à
leur arrivée. Il fait venir par dizaines ses anciens amis de Berlin, comme
Johann von Leers, Hans Eisele ou Aloys Brunner. En Irak, en Syrie, en Egypte, à
Aden, là où le nationalisme arabe prend le pouvoir avec le soutien plus ou
moins discret de Moscou, les anciens nazis organisent les services de sécurité
et nourrissent la propagande antisémite.
A18 - 1949 : Le Billy Graham Musulman
Comment les Frères Musulmans s'implantent en Iran avec l'aide de Moscou et à Genève avec celle de la CIA.
Al Saleeba, Le Caire, le 12 février
Venu ce jour-là au siège des jeunesses islamistes pour y rencontrer un émissaire du Roi Farouk, Hassan al Banna est assassiné d’un coup de revolver, probablement par un agent de la police secrète. Six semaines plus tôt, le premier ministre égyptien avait lui aussi été assassiné, mais par un jeune Frère Musulman. Bien qu’Al Banna ait condamné l'attentat, il n'en était pas moins le fondateur des Frères Musulmans. Instituteur de tradition soufie, historiquement influencée par le chiisme bien que sunnite, Al Banna prônait une révolution panislamique, s'appuyant sur le coran et la technologie pour combattre l'Occident impie.
Pendant la guerre, al Banna a milité contre les Britanniques aux côtés de Nasser et Sadate, proches des idées du 3ème Reich, comme son mentor, le Grand mufti de Jérusalem, Amin al Husseini. La lutte contre l'arrivée des juifs en Palestine - perçue comme une insulte à la vraie religion - est son leitmotiv et l'une de ses batailles favorites. Son gendre et secrétaire particulier, Saïd Ramadan, apprend sa mort au Pakistan, où il se trouve depuis l’échec de la guerre arabe contre Israël un an plus tôt.
Cette guerre, Ramadan l’a vécue sur le terrain, comme volontaire combattant aux côtés d’Abd el Kader al Husseini, qui dirigeait le siège de Jérusalem. Neveu du Grand Mufti, Abd el Kader était un pro de l’agitation, l'un des pères de l'insurrection pro-nazie de Bagdad. En 1941, la rage des militants devant l’échec de ce soulèvement nationaliste s’était soldée par un violent pogrom antisémite, dirigé par Khalilallah Thalfa, oncle, tuteur et beau-père du futur Saddam Hussein.
Abd el Kader est tué le 7 avril 1948, dans les combats aboutissant à la levée du siège de Jérusalem, deux jours avant le massacre de Deir Yassin, perpétré par la Lehi et l’Irgoun. La guerre semblant perdue, Saïd Ramadan gagne Karachi, où se tient la Conférence Islamique mondiale. Il y organise la rencontre entre Sayyd Ala Mawdudi, grand prédicateur pakistanais, et un Frère musulman de premier plan, l’égyptien : Sayd Qutb.
Cette rencontre entre "les trois Saïd" reste connue dans l’histoire islamiste comme celle des trois glaives de l’Islam (même si Saïd et Sayyd ne sont pas le même prénom). Ils partagent la même critique violente de la démocratie et du marxisme. Sunnites, ils sont également très lus dans le monde chiite. Au point qu'après une rencontre avec Qutb organisée par Ramadan, l'iranien Navvab Safavi, leader des fedayin de l'Islam et disciple de Khomeiny, fusionne son organisation avec celle des Frères Musulmans, devenant leur section iranienne.
En 1952, le colonel Gamal Abdel Nasser renverse la monarchie égyptienne, avec le soutien affiché des camarades soviétiques et des Frères Musulmans, mais aussi celui, plus discret des Américains, qui vont jouer la carte des Frères Musulmans pour barrer la route au KGB. Miles Copeland, le père du batteur de Police, en charge du dossier Egypte à la CIA, expliquait qu'il s'agissait de trouver « Un Billy Graham musulman », pour barrer la route aux Soviétiques.
A l’époque, le Kremlin et la Maison Blanche s'accordent à chasser les Européens de leurs colonies ... pour mieux prendre la suite, mais l’un contre l’autre. C'est ainsi qu'en Indochine, la CIA aide discrètement Ho Chi Minh, jusqu'en 49. Idem au Canal de Suez, qu’une coalition franco-anglo-israélienne occupe en 56, lorsque Nasser le nationalise. Moscou menace Paris et Londres de représailles nucléaires et Washington intervient en étranglant militairement et économiquement Londres et Paris. Les Européens se retirent et achèvent la décolonisation au cours des six années suivantes, ouvrant la moitié du monde aux intérêts rivaux de l'URSS et des Etats-Unis.
Au Caire, les rivalités sont vite devenues inconciliables. Nasser penche de plus en plus du côté soviétique et se profile en dirigeant moderne, laïc et progressiste. Ce qui fâche les Frères Musulmans, qui rêvent de voiler les femmes égyptiennes. La rupture est brutale et les « Frères » sont à nouveau interdits en Egypte. Ce qui confirme l’intérêt que leur portent les Américains, au motif que l’ennemi de mon ennemi est mon ami.
Propulsé prédicateur anti-communiste par la CIA qui rêve d’en faire un Billy Graham musulman, Ramadan est invité aux Etats-Unis, avec Qutb, à la Conférence islamique de Princeton. Talcott Syllie, jeune diplomate américain né à Beyrouth, préconise de réduire les échanges avec Israël au profit des islamistes, pour contrer le Kremlin, qui souffle sur les braises du monde musulman. Ramadan est même présenté au nouveau Président Eisenhower, à la Maison Blanche.
Le nouveau patron de la CIA, Allen Dulles, connaît bien la Suisse où il a commencé sa carrière et s’est retrouvé en poste à plusieurs reprises, tant à Genève qu’à Berne, notamment pendant les deux guerres mondiales et à la SDN. Ramadan ne peut plus rentrer en Egypte, mais refuse de rester aux Etats-Unis. La CIA lui cherche un point de chute et c'est à Genève qu'il atterrit, avec une lettre de recommandation officielle de Washington. Il ouvre une petite mosquée dans le quartier des Eaux-Vives, succédant au Syrien Chekib Arslan. Genève redevient un centre européen de l'islamisme.
Le Service de Renseignement de la Confédération n'étant ni aveugle ni sourd, on retrouve bientôt dans les parages l'éditeur nazi François Genoud. Ami d'al Husseini, le grand mufti de Jérusalem, chez qui il a croisé Al Banna dans les années 30, le Vaudois connaît personnellement toutes sortes de personnages, dont Allen Dulles. Ramadan et Genoud sympathisent au point que l'Egyptien convertit le Vaudois à l'Islam. Ce qui tombe bien pour Genoud, justement en train de fonder à Genève la Banque Commerciale arabe avec de l'argent saoudien, tout en plongeant jusqu'au cou dans la guerre d'Algérie.
Entretemps, Allan D. Wolfe, basé à Islamabad, devient « le » spécialiste de
l'Islam à la CIA, tandis qu’Evgeni Primakov, son homologue du KGB s’installe au
Caire comme correspondant de la Pravda. Leur affrontement dans le monde
musulman va durer plus de 20 ans, notamment à Téhéran, où le premier ministre
Mossadegh, Dr en droit de l'Université de Neuchâtel, nationalise le pétrole
iranien, jusqu’alors joyau de la couronne britannique. Ce qui fâche
considérablement Churchill et le MI6.
Les grandes manifestations populaires qui renversent Mossadegh sont pilotées par l’armée et le clergé chiite, coalisant jusqu’au parti communiste Toudeh, inféodé à Moscou, mais infiltré par la CIA. Les Fiddayin de l'Islam de Navvab Safavi, les Frères Musulmans chiites, sont en première ligne. A l’époque la CIA et le KGB se marquent à la culotte, plaçant des hommes à eux dans toutes les organisations révolutionnaires, qu’elles soient nationalistes ou communistes. Du coup, il est parfois impossible de savoir qui fait quoi et tire les ficelles en dernière analyse, mais dans le cas de l’Iran en 1953, c’est clairement la CIA et le MI6 qui sont à la manœuvre. En 1979 par contre, le rôle du KGB est des plus suspects.
Après le départ de Mossadegh, le Shah d'Iran est réinstallé au pouvoir par l’armée et prend aussitôt une orientation très pro-occidentale et moderniste qui va déplaire autant au Toudeh marxiste qu'aux islamistes de Safavi et Khomeiny. Leur coalition, houleuse, aura raison du shah 26 ans plus tard, quand même les libéraux démocrates seront lassés des violences de la Savak, sa police politique.
Sur le terrain, en 1979, c’est Ali Khamenei qui est l’artisan de la révolution des mollahs, pilotée depuis Neauphle-le-Château par Khomeiny. Ali Khamenei est le traducteur en persan des ouvrages de Sayid Qutb, mais il a aussi étudié quelques mois au MGIMO de Moscou « l'université du KGB ».
A19 - 1950 : Guerre tiède & Coups d'Etats
En 1950, Sartre répétait les mensonges de Staline pour justifier l'agression ...75 ans plus tard, Poutine utilise son veto pour poignarder l'ONU et absoudre l'agresseur.
38e Parallèle, Corée, le 25 juin
Lorsque les troupes nord-coréennes déferlent sur le Sud, un jour de fête
nationale, les 3/4 de l'armée sud-coréenne sont en permission. Ce qui n'empêche
pas la presse communiste mondiale et Jean-Paul Sartre de dénoncer « l'agression
fantoche sud-coréenne à la solde de l'impérialisme yankee ». Les documents
publiés à la chute de l'URSS racontent comment Staline insistait pour que ce
soit le Sud qui fasse figure d'agresseur. La même tactique que celle utilisée
aujourd'hui en Géorgie ou en Ukraine.
Kim Il Sung ne devait pas laisser aux Américains le temps de réagir et l'opinion publique occidentale, manipulée par Moscou, devait ensuite prendre le relais pour les dissuader d'intervenir après coup, pour éviter une guerre atomique.
Staline possède la bombe A depuis août 1949. Il sait par Kim Philby, son espion au sein du MI6, que les USA n’ont pas l’intention d’utiliser l’arme nucléaire en Asie, en Chine en particulier, où Mao Tse Toung veut se constituer son glacis protecteur, comme celui que Staline s’est bâti en Europe. En 1949, le Kuomintang est chassé de Chine continentale. Tchang Kaï Chek se retranche à Taïwan, mais conserve le siège de la Chine au Conseil de Sécurité de l’ONU. Ce qui pousse Staline à refuser d’y siéger tant que le siège n’aura pas été réattribué à Mao.
Au printemps 1950, ce dernier s’empare de la grande île de Haïnan et à l’automne, du Tibet, chassant le Dalaï Lama qui se réfugie en Inde. Dans les plans communistes, l’été doit être consacré à la Corée et de fait, Séoul tombe en trois jours, mais le reste du pays tient trois mois, reculant lentement jusqu’à être acculé dans l’extrême sud. Le plan de Staline, basé sur la rapidité et le fait accompli, a échoué, malgré l’envoi de MIG pilotés par des aviateurs soviétiques.
L’absence des Soviétiques et de leur veto à l’ONU, leur joue un mauvais tour, puisque cela permet de lever une armée de casques bleus, qui débarquent à Incheon. Ce sera la seule opération à ce jour à engager l’ONU dans une vraie guerre en tant que belligérant. Menées par les Etats-Unis les troupes onusiennes, issues d’une vingtaine de pays, repoussent en un mois les Nord-Coréens jusqu’à la frontière chinoise
Là, Mao se décide à intervenir massivement. 1,7 millions de soldats chinois, officiellement des « volontaires » déferlent sur la Corée. Ils submergent les forces de l’ONU par vagues humaines successives, malgré des pertes énormes. Les alliés reculent à nouveau jusqu’au sud, perdent même un temps Séoul, puis se ressaisissent et remontent le front jusqu’au 38ème parallèle au printemps 51. Le front n’évoluera plus guère, durant deux ans de négociations et de bombardements réciproques des tranchées, pendant qu’en Indochine, les combats font rage.
Les Américains sont alors accusés par la propagande communiste et ses nombreux relais de larguer des bacilles de la peste sur les populations, à l'instar des Japonais en Chine. Ils démentent et demandent au CICR d'envoyer sur place une commission d'enquête. Pékin et Pyong Yang la refusent et Washington fait alors voter une résolution de l'ONU, à laquelle Moscou, qui vient de réoccuper son siège, oppose son veto. C’est à ce moment que Staline décède subitement. Pris de court et avides de changement, les nouveaux maîtres du Kremlin proposent d'oublier pêle-mêle accusations et projets d'enquêtes.
Pékin est alors avisé que Moscou considère désormais avoir été mal informé, ce qui fâche définitivement Mao Tse Toung avec les successeurs de Staline. Le Kremlin annonce également à Kim il Sung que « les ouvriers soviétiques impliqués dans la fabrication de la soi-disant preuve d’emploi d’armes bactériologiques devront être sévèrement punis.» En clair, les témoins de la fabrication de la magouille stalinienne sont appelés à disparaître.
Ce revirement autorise la fin de la guerre et la signature d’un armistice qui dure encore, avec une frontière fixée sur le 38ème parallèle. Comme avant l’attaque du Nord. Aujourd’hui sur des superficies équivalentes, la Corée du Sud est 2 fois plus peuplée que la Corée du Nord et 60 fois plus riche. Ce qui n’empêche pas le dictateur du nord de menacer régulièrement son voisin du sud d’anéantissement nucléaire !
Au Moyen-Orient à la même époque, le KGB prend nettement l'avantage sur la
CIA. Sous la houlette du correspondant de Tass au Caire, Evgeni Primakov, les
deux tiers du Monde arabe tombent dans l'escarcelle soviétique qui utilise -
comme les occidentaux - des officiers nationalistes ayant souvent frayé avec
l'idéologie nazie.
Passé du côté soviétique de la Force, le Grand Mufti Amin al Husseini est la cheville ouvrière de cette conquête invisible et l'existence d'Israël cristallise les passions. Mais la laïcité et le rapport à l’Islam divise nationalistes et panislamistes.
La Syrie connaît ainsi trois coups d'états en 1949. Arrivé au pouvoir, l'ancien colonel vichyste Al Zaïm accepte de la CIA 300 000 réfugiés palestiniens et un projet de paix avec Israël. Il accorde le droit de vote aux femmes et ridiculise les religieux qui s'en plaignent. Toutefois, l'ex premier Ministre Nazem Kudsi, ancien étudiant genevois, lui reproche la dissolution du parlement et appuie le coup d'Etat d'un second colonel, qui rétablit les libertés et se rapproche des Anglais. Ce qui fâche un troisième colonel, fondateur du parti « social nationaliste », qui chasse le précédent
Les Américains doublent alors la mise, offrant 400 millions de dollars, 10 milliards d'aujourd'hui, pour accueillir définitivement 500 000 palestiniens sur les rives de l'Euphrate. L'idée permettrait une paix définitive avec Israël. Ce qui serait brader le droit au retour des Palestiniens, tempêtent le Grand Mufti et les fondateurs du parti baath, Michel Afflak et Salah Bittar, tous trois amis des nazis Romands Jean-Maurice Beauverd et François Genoud. Le Grand Mufti fait même assassiner Abdallah, Roi de Jordanie, jugé trop proche d'Israël.
Soutenu par Moscou, le baath syrien s'empare du pouvoir à Damas les années suivantes, mais finit à chaque fois par organiser des élections qu’il perd, avant de reprendre le pouvoir par la force. Le nom qui sort toujours victorieux des urnes, c’est celui de l'ancien genevois Kudsi, qui joue la carte des libertés, du libéralisme et de l'apaisement. Jusqu'à ce qu'un autre baasiste, le capitaine d'aviation de l'Armée Rouge Hafez el Assad, supprime définitivement l'idée même d'élections. Et offre une base navale à Moscou, dont la flotte vient d'être chassée d'Egypte à la mort de Nasser.
Au Maghreb, si le Maroc et la Tunisie ont accédé à l'indépendance dans le calme, sans grosse ingérence soviétique, ce n’est pas le cas de l'Algérie. Les soviétiques y soutiennent même le FLN nationaliste contre le MNA communiste, plus enclin à discuter avec la France. A la tribune de l'ONU, à New York, le délégué des Philippines dénonce l'hypocrisie du discours soviétique qui conspue régulièrement la France : la conquête du Caucase n'était-elle pas contemporaine de celle de l'Algérie et tout aussi sanglante ? Ecumant, Nikita Kroutchev l'interrompt en tapant sur son bureau d'une chaussure vindicative.
Réagissant à l’expansionnisme soviétique, Allen Dulles tente alors de rassembler les Etats arabes à Bagdad, autour d'un pacte anti-communiste. Peine perdue : en 1958, le général Kassem, marxiste nationaliste, appuyé par le parti Baath, renverse le jeune roi d'Irak Fayçal II, petit-fils de Fayçal el Hachem qui est exécuté avec toute sa famille. Le régent et son premier Ministre sont dénudés et démembrés en public. Un baasiste de 22 ans, Saddam Hussein tente alors d'assassiner le Général Kassem au profit du colonel Aref, mais il échoue et s'enfuit en Syrie. Aref et le Baath irakien récupèrent cependant le pouvoir un peu plus tard et, comme en Syrie, nouent avec Moscou une alliance forte.
En Afrique, au Moyen-Orient et même en Amérique latine, le Kremlin semble préférer de plus en plus ouvertement les régimes nationalistes aux partis communistes, de plus en plus souvent travaillés par la Chine de Mao, avec qui la brouille est consommée. L'utilisation par Moscou de l'extrême droite populiste, qui deviendra une évidence avec Poutine après la chute du mur, se dessine en fait clairement dès les années 50 au moins.
Le 28 mars 2025 à l'ONU, 75 ans après le déclenchement de la guerre de
Corée, Poutine oppose son veto à la reconduction de la commission d'experts qui
examinent le respect des sanctions par le régime nord-coréen, supprimant de
fait les sanctions internationales puisque leur transgression ne sera plus
contrôlée. C'est l'un des aspects du deal passé entre Moscou et Pyong Yang pour
obtenir les livraisons de munitions nord-coréennes indispensables à Moscou dans
sa guerre en Ukraine. C'est un coup de poignard russe à l'organisation des
Nations Unies et la porte ouverte au déferlement des guerres d'agression dans
le monde.
A20 - 1957 : Les Romands du FLN
Suisses, Allemands et Soviétiques dans la guerre d'Algérie
Genève Eaux-Vives, le 19 septembre
Dans l’allée de son immeuble, devant les boites aux lettres, Marcel Léopold porte soudain la main à son cou. Après avoir fait fortune en Chine, il a passé trois ans dans les cellules et les camps de rééducation de Mao. Rentré à Genève, il s’est remis à la vente d’armes et fournit le FLN en explosifs. Ce qui déplait à la Main Rouge, alias le SDECE français. La fléchette empoisonnée qui vient de le blesser mortellement au cou a été tirée par une pompe à vélo transformée en sarbacane. 10 jours plus tôt, à Genève déjà, c’est un fabricant de détonateurs, Georges Geitser, qui a été poignardé.
La guerre d’Algérie fait rage en Suisse aussi. Des milliers de Romands ont des intérêts entre Oran et Tamanrasset et les services français jouissent de l'appui discret de quelques éléments des services de justice et police suisses. Les nationalistes algériens bénéficiant d'appuis tout aussi solides dans les milieux d'extrême-gauche ... et d'extrême droite. L’édition européenne du Moujahid, par exemple, le journal du FLN, est imprimée sur les presses de la Voix Ouvrière, l’organe du POP, le parti communiste vaudois.
La victime la plus célèbre de cette guerre de l’ombre reste néanmoins le Procureur de la Confédération, René Dubois, qui se suicide après que la presse ait révélé qu'il transmet à Paris les écoutes de l'ambassade d'Egypte par les grandes oreilles de Berne. Les trafiquants d'armes et les militants FLN européens utilisent en effet ce canal pour communiquer avec leurs chefs, Ben Bella et Mohammed Khider, réfugiés au Caire.
Le rouage essentiel des trafics d'armes du FLN est un contrebandier allemand basé à Tanger, Georg Puchert. Ancien officier de la Kriegsmarine, il bénéficie du soutien du BND, le Bundesnachrichtendienst fondé par Reinhard Gehlen sur les décombres de l'Abwehr de l'Amiral Canaris. Piloté de loin par la CIA, mais aussi infesté de taupes du KGB et de la STASI, le renseignement ouest-allemand est particulièrement actif au Moyen-Orient et au Maghreb, utilisant les nombreux anciens nazis réfugiés dans les pays arabes.
Le FLN lui renvoie l'ascenseur en récupérant les soldats allemands de la légion étrangère, incités massivement à déserter. Prisonniers de guerre en France en 45, ils avaient échappé à leurs dures conditions de détention, fort éloignées des conventions de Genève, en s'engageant pour l'Indochine. Plus de dix ans après, plusieurs centaines d'entre eux, dont l'un des héritiers Krupp, rentrent en Allemagne en passant par les maquis des Aurès.
Au cœur de ces dispositifs, on retrouve Jean-Maurice Beauverd et François Genoud. L'ancien secrétaire du Grand Mufti de Jérusalem, après avoir créé Radio Damas, s'est retiré en Espagne franquiste. Avec son grand ami Skorszeni, surnommé l'espion de Hitler, ils alimentent Puchert en explosifs, tandis que François Genoud, entre Genève et Lausanne, réunit les fonds nécessaires aux achats d'armes. Promu apporteur d’affaires du FLN, Genoud exploite principalement deux sources, à l’opposé l’une de l’autre :
- l'or noir des arabes du Golfe, surtout saoudiens,
qui agissent par solidarité islamique et fournissent à Genoud de quoi monter la
Banque Commerciale Arabe à Genève, avec un ancien premier ministre syrien,
Jamil Mardam Bey comme associé. Ces connexions-là sont clairement
nationalistes, voire nationales socialistes.
- Les travailleurs algériens en France, contraints de cotiser pour la cause, le fruit de leur racket arrivant à Lausanne par le biais des « porteurs de valises ».
Le « réseau Curiel » est composé d’intellectuels de gauche, généralement français, volontaires de l'anticolonialisme et dirigés par Francis Jeanson, un philosophe communiste. Henri Curiel, juif égyptien, fils de banquier et militant communiste actif en est la cheville ouvrière. Son cousin dont il est très proche, George Blake fut l'un des plus dangereux agents double du MI6 britannique, au service du KGB. C’est l'avocat communiste Jacques Vergès qui concentre l'argent à Genève et le remet à François Genoud.
D’origine vietnamienne par sa mère, élevé à la
Réunion, Vergès a longtemps été le secrétaire mondial de l'Union Internationale
des étudiants, sous la houlette de Chélépine, le futur patron du KGB. D'anciens
soldats français prétendent avoir été interrogés par lui, dans les camps de
prisonniers du Vietminh, après Dien Bien Phu. La Main Rouge tentera de
l’éliminer, mais ce jour-là, l’auto des assassins du SDECE refusa de démarrer
et l’essai ne fut pas rejoué.
Le banquier nazi et l'avocat communiste ont au moins deux points communs : leur amour de l'Islam (ils se convertiront tous deux) et leur franche détestation d'Israël. Ce qui vaut à Vergès des discussions homériques avec Isabelle Vichniac, correspondante du Monde à Genève, d'origine juive russe, dont l'appartement sert de point de chute aux porteurs de valises. Se sachant sur écoutes, Vichniac s'amuse un jour à lire à une amie tout un magazine de tricots avec les patrons, les diminutions et le nombre de mailles à l'endroit et à l'envers. Quelques années plus tard, bien après les Accords d'Evian, un responsable de la police suisse se présente à elle dans un dîner, lui demandant quel code elle utilisait ? Le policier insiste : il y a prescription ! Elle peut bien le révéler maintenant, son service s'est arraché les cheveux des nuits durant pour essayer de le déchiffrer.
Les services soviétiques agissent aussi sur l’opinion publique. Peu après la fondation de l’Express, Jean-Jacques Servan-Schreiber y est rejoint par un jeune journaliste, Philippe Grumbach, qui a comme lui fait sa formation militaire aux Etats-Unis en 1944. Sauf que si JJSS est resté pro-américain, Grumbach est devenu un agent du KGB. Les deux ont pourtant le même but politique : favoriser la décolonisation, dont l’Express va faire avec succès son cheval de bataille, jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie.
Ce n'est pas un hasard si les accords ramenant la paix en Algérie sont négociés, puis signés à Evian. Tout une partie de l'Etat-Major du FLN est réfugiée en Suisse et peut venir jusqu'au lieu des négociations en bateau, ou en hélicoptère, sous escorte helvétique. La Confédération s'est engagée en profondeur pour faciliter ces pourparlers, à l'initiative du Conseiller fédéral Max Petitpierre. Ce grand humaniste, beau-frère de Denis de Rougemont, est aussi le beau-père de l'écrivain voyageur Nicolas Bouvier. Chargé des Affaires étrangères à Berne, c'est lui qui reconstruit la Genève internationale et le CICR, sortis passablement chamboulés de la seconde guerre mondiale.
Reste qu’on ignore encore qui était la source -
potentiellement suisse - qui informait la Main Rouge sur les trafiquants
d'armes du FLN à éliminer ? Deux thèses s’opposent : la première incrimine des
policiers genevois, en rappelant que peu avant son assassinat, Leopold avait
été arrêté à Cointrin en possession d’explosifs, en compagnie d’hommes du FLN.
La seconde suspecte Genoud, dont on sait qu’il broutait volontiers à tous les
râteliers.
A21 - 1958 : Le nerf de la guerre secrète
La décolonisation dans la douleur. De Sékou Touré au trésor de guerre du FLN en passant par le Franc CFA.
Conakry, Guinée, le 2 octobre
Lorsque l'ancien syndicaliste Sékou Touré tourne le dos à la France pour tester la voie socialiste avec l’appui de Moscou, la Guinée pénètre dans un univers parallèle. L’expérience se soldera par 50 000 assassinats politiques et l’exil des élites fuyant un pays en ruine. Ses voisins, le Sénégalais Senghor et l'Ivoirien Houphouët-Boigny essaieront par tous les moyens de le renverser, pour éviter « la contagion communiste ». Jacques Foccart, le Monsieur Afrique de De Gaulle s’en mêle et les services français noient le pays sous un déluge de faux billets, déclenchant une grave crise économique qui décuple la paranoïa du régime.
Que ce serait-il passé sans ces interventions hostiles ? La violence du régime aurait-elle été la même ? De Gaulle en a décidé autrement. Occupé à négocier la fin de la guerre d'Algérie à Evian, il veut maintenir la grandeur de la France et donc des liens économiques avec les ex-colonies françaises. Puisque la Guinée refuse le schéma néocolonial de la Communauté française, elle servira de repoussoir. Il lui coupe les vivres. Fonctionnaires et administrateurs français quittent le pays en 24 heures. Le Mali voisin faisait mine des mêmes velléités que la Guinée, mais préfère rentrer dans le rang. Contrairement à Sékou Touré, qui s'entête, d’autant que la Chine et l’URSS volent à son secours, attirées par les richesses du sous-sol guinéen.
A Moscou justement, les Algériens de la promotion Tapis Rouge ont achevé leur formation. Une volée entière d’officiers de renseignements formés en URSS. Le KGB leur a enseigné toutes les ficelles du terrorisme d'Etat et ils prennent en mains les services secrets et la production d'armes du FLN, sous les ordres de Boussouf Si Mabrouk, adjoint du colonel Boumediene. Remercié par Ben Bella à l’indépendance, Si Mabrouk deviendra conseiller à la sécurité d'Hafez el Assad puis de Saddam Hussein. Les autres agents très spéciaux de Tapis Rouge font profil bas, mais jurent tous fidélité à Boumediene, pour qui ils vont préparer le coup d'Etat militaire et l'éviction de Ben Bella.
En face, le terrorisme de l'OAS révèle une nouvelle extrême-droite
française, faite d'ex-agents-secrets, de militaires et de gaullistes déçus, de
communistes pieds noirs prônant l'égalité sous drapeau français et même de
sépharades, alliés aux ex-collabos antisémites qui leur avaient ôté la
nationalité française 20 ans plus tôt. Ils vont mettre du temps à comprendre
qu’on ne conquiert pas les cœurs en posant des bombes, on leur fait juste peur.
C'est d’ailleurs pourquoi le terrorisme est si souvent manipulé, car il soude
les populations, mais contre lui. En Algérie, il rendra impossible le maintien
sur place du million de pieds-noirs que De Gaulle, plusieurs dirigeants du FLN
et les pieds-noirs eux-mêmes auraient voulu voir rester.
Ces partisans algériens de la démocratie et de la réconciliation ont fait la guerre en Algérie même et arraché la paix des braves négociée avec De Gaulle. On les appelle l’Armée de l’Intérieur, en opposition à l’armée des Frontières, prosoviétique et panarabe, qui n’a pratiquement pas combattu, restant le plus souvent à s’entraîner, dans les camps de Tunisie ou du Maroc. Son chef, le Colonel Boumediene, est prudemment resté à l'abri des capitales arabes, au Caire généralement.
L’armée des frontières ne combat vraiment qu'à l’Indépendance, pour prendre le pouvoir et le plus souvent contre les willayas FLN de l’intérieur, dont plus d'un millier de braves sont tués. Leurs leaders sont massivement exécutés, emprisonnés ou exilés. Ce qui laisse augurer du pire quant au sort du demi-million de harki ayant combattu dans les rangs français. De Gaulle, fondamentalement raciste, ne veut pas voir ces musulmans arriver dans l'Hexagone : entre 60 000 et 150 000 d’entre eux seront assassinés.
Quelques officiers français, contre les ordres reçus, réussissent à ramener 42 500 harki en France, leur épargnant un sort funeste. Dans la panique, 150 000 juifs, présents depuis l'Antiquité mais Français depuis le décret Crémieux, fuient l'Algérie. 90% d'entre eux choisissent la France, plutôt qu'Israël. Dans l’Hexagone, ils sont assimilés aux « pieds noirs », plus ou moins ostracisés à leur arrivée, mais au moins égaux en droits et libres de leurs mouvements, contrairement aux harki qui sont parqués dans des camps pour de longues années.
On pourrait s’en étonner, mais c’est logique : l'OAS s'équipe en explosifs chez les ex-fournisseurs du FLN, les nazis Otto Skorzeny et Jean-Maurice Beauverd. Entre nationalistes, on se comprend et Skorzeny travaille pour qui le paie. Même pour le Mossad, lorsqu’il assassine les ingénieurs allemands du programme de missiles égyptiens. Ex-partenaire de Beauverd en Syrie, le vaudois François Genoud, est aux premières loges. Devenu le banquier du FLN, il crée en 1963 la Banque Populaire Arabe à Alger, avec des capitaux provenant de sa Banque Commerciale Arabe en Suisse. Il fait engager son meilleur copain, l'ex policier SS et agent de la CIA Paul Dickopf, comme conseiller sécurité du Président Ben Bella.
Pour qui travaille vraiment l’énigmatique Genoud? Son père a été un agent français. Lui-même, malgré son CV de parfait nazi, rend compte aux services suisses. Dont un officier vaudois, homme de main du colonel Masson pendant la guerre, et dont la sœur est mariée à un général français, veille à la sécurité des intérêts suisses en Algérie. Genoud reste aussi au contact des services français. S'il a pu entrer dans le cercle des anciens dignitaires nazis après la guerre, c'est en faisant évader un général Allemand des prisons françaises. Malgré cela (ou peut-être grâce à cela, si l'idée était de l'infiltrer dans les premiers cercles nazis), et bien qu’elle n’ignore certainement rien de ses activités banquières, la DST le laisse accéder aux dirigeants du FLN emprisonnés au secret à la Santé, puis à l'Ile d'Aix. Alors, Genoud renseignait-il les services français ?
Emprisonné brièvement à Alger par les services de Boumediene, qui suspectent des liens avec la CIA, Genoud est libéré par Ben Bella … qui est renversé peu après par Boumediene, pour le plus grand profit de l’URSS. Moscou s’installe solidement à Alger. Le banquier vaudois joue alors un méchant tour au FLN en aidant Mohammed Khider, trésorier du mouvement, à transférer sur un compte à numéros les 42 millions de Francs suisses du trésor de guerre algérien.
Khider répartit une partie de la somme entre plusieurs leaders algériens de différentes obédiences, pour les aider à bâtir une démocratie pluraliste, contre le monolithisme social nationaliste de Boumediene. Mais Khider est assassiné à Madrid par les séides de Boumediene. La démocratie attendra et en Algérie, elle attend toujours.
L’affaire du trésor de guerre du FLN empoisonne durablement les rapports
entre la Suisse et l’Algérie, occasionnant plusieurs procès, jusqu’à la mort de
Boumedienne qui s'opposait à un règlement amiable. En 1979, l'Algérie reçoit
gracieusement une banque d'investissements clés en main, transférée à Zurich
plutôt qu'à Genève "pour rendre plus difficile aux politiciens algériens
la corruption et l'accès délictueux aux comptes, grâce à la barrière de la
langue" selon les dires du responsable de la partie algérienne à la
négociation. Sauf que l'usage du schwyzerdütsch n'empêchera nullement la
Sécurité Militaire algérienne d'utiliser la banque pour le financement de ses
opérations extérieures.
A22 - 1960 : Le Che, l'Algérie et la CIA
En Afrique,
la Guerre Froide recycle les résidus de de la 2nde Guerre Mondiale
Léopoldville - Ex-Congo Belge, le 30 juin
La guerre froide, c'est le refus des deux super puissances de s'affronter en direct, pour éviter toute escalade atomique. Mais sous les radars, c'est aussi l'expansion constante de l'URSS, qui cherche à s’emparer des anciennes colonies françaises, britanniques et portugaises. Le socialisme n'est plus un préalable pour le KGB, qui lui préfère le nationalisme et, en terres d'Islam, le panarabisme, nettement plus mobilisateur que le communisme.
Vingt pays d'Afrique et du Moyen Orient tombent ainsi dans son escarcelle en 20 ans. Sans compter les échecs. La vieille idée du jihad anti-occidental de von Oppenheim et von Leers a repris du service et les anciens du Drei B, comme Fritz von Grobba, ont vendu contacts et expertise à Moscou. A la conférence des non-alignés de Bandung, en 1955, 7 nazis allemands conseillent les pays arabes, pour le compte du KGB. Plus le grand mufti al Husseini, promu représentant du Yémen, qui passe dans le camp soviétique.
Exception notable, Otto von Hentig confirme la règle. Cet ancien du Drei B est un anti-nazi notoire et il conseille l'Arabie Saoudite, allié clé de Wahington, qui mène la fronde anti-soviétique à Bandung. A l’époque, il est impossible de trouver un cadre allemand qui n’ait pas eu de responsabilités dans l’administration du Reich, mais le critère, en Allemagne de l’Ouest est qu’il n’ait pas de sang sur les mains.
Être un ami
du chancelier Adenauer peut aider, comme Robert Pferdmenges entré en politique
à la CDU, qui devient président du Bundehaus et conseiller économique
d’Adenauer. Le même Pferdmenges qui avait pris la tête de la banque von
Oppenheim, lui évitant d’être saisie en tant que « banque juive ». Les nazis
convaincus doivent s’exiler et les spécialistes de l’Islam choisissent
logiquement les pays arabes, comme Johann Von Leers au Caire, auprès du grand
mufti ou Rademacher en Syrie.
Inégalités et injustices aident l'agitation et la propagande à déstabiliser un pays, pour y prendre le pouvoir. L'idéal communiste s'arrête là, car les cibles de Moscou possèdent d’abord des sous-sols extrêmement riches. Comme l'ex-Congo belge ou émeutes, viols et assassinats de Belges se succèdent.
La province minière du Katanga fait alors sécession sous la direction de Moïse Tschombé, au profit d'intérêts belges. L'ONU envoie des casques bleus, mais le 1er Ministre congolais, Patrice Lumumba réclame l’intervention de militaires soviétiques. Il est aussitôt renversé par le colonel Mobutu, lié à la CIA. Lumumba est livré aux Katangais de Tschombé qui l'assassinent après deux jours de torture, en présence d'officiers belges.
La
propagande soviétique l'érige en héros du tiers monde et rebaptise « Patrice
Lumumba » l'université du KGB, à Moscou. Yasser Arafat, Nelson Mandela ou
l'Iranien Ali Khamenei y font des stages, comme Mohammed Boudia, l'Algérien du
FPLP ou Illich Ramirez Sanchez, dit Carlos, qui finira islamiste, tandis que
Hawatmeh, diverge et fondera le FDLP, maoïste.
Coachée par les anciens de « Tapis Rouge » formés justement à Moscou, l'Algérie devient l'épicentre de la Révolution mondiale, sous l'œil intéressé du conseiller sécurité du Président Ben Bella. L'Allemand de la CIA Paul Dickopf reçoit Mehdi Ben Barka, Che Guevara, Hamilcar Cabral ou même Malcolm X. Après l'éviction de Ben Bella, Boumediene sort Dickopf du jeu en le proposant à la tête d’Interpol.
Fidèle allié de Moscou, le dictateur algérien veut venger la mort de Lumumba. L'avion de Moïse Tchombé, commanditaire de l’assassinat, est détourné et atterrit en Algérie. Devenu entretemps premier ministre du Congo, Tchombé mourra, lentement, dans son cachot d'Alger. Dans la foulée, Boumediene finance la réunion de la Tricontinentale, à Cuba, qui fait des USA l'ennemi principal du tiers-monde. Moscou exulte.
En Afrique, Che Guevara tente en vain de s'emparer du Congo, pour Laurent-Désiré Kabila. Kadhafi prend le pouvoir en Libye, destituant le vieux Roi Idriss pro-occidental. Réunissant communistes et islamistes, Gaafar Nimeiri s'empare du Soudan, comme Syad Barré en Somalie, Nyerere en Tanzanie, Mugabe au Zimbabwe. Un coup d'état prosoviétique, soutenu par la Syrie et l'Egypte, entraîne le Yémen dans 5 ans de guerre civile. Au Bénin, Mathieu Kérékou installe sa dictature marxiste. En Ethiopie, le Colonel prosoviétique Mengistu chasse le vieux Négus. Du coup, en Ogaden et en Erythrée, ce sont des régimes prosoviétiques qui s'étripent. En Angola aussi, pro-russes et prochinois se déchirent au départ des Portugais. Cubains, Sud-Africains et Français en profitent pour s'en mêler, au prix de plus d'un demi-million de morts, comme au Mozambique.
Arabophone, de mère juive, Evgeni Primakov est officiellement le correspondant de la Pravda au Caire, mais il est surtout la cheville ouvrière du succès russe dans le monde musulman. Habile, ce cadre du KGB utilise Israël comme ciment de la haine anti-occidentale, sans jamais apparaître officiellement. Le but est de gagner du terrain, tout en évitant qu’une vraie guerre entraîne les deux supergrands dans une spirale à l’issue fatale. Il est le maître des horloges. Mais en face, la CIA ne reste pas inactive
A la mort de Nasser, Anouar el Sadate fait repasser l'Egypte du côté occidental de la force et chasse l'URSS de sa base navale d'Alexandrie. C’est un revers grave pour Primakov, mais vite compensé par Hafez el Assad. Syrien formé en Russie, cet ex-pilote de chasse de l'Armée Rouge prend le pouvoir en Syrie et offre le port de Tartous à la flotte soviétique. Le précédent et la peur de la contagion communiste donne des idées à la CIA d'Allen Dulles qui commence à avoir recours de plus en plus souvent à des dictatures d'extrême-droite, voire à des islamistes, jouant dieu contre Marx.
Rappelé à
Moscou, Primakov y dirigera la thèse d'histoire de Mahmoud Abbas. Le futur
successeur d'Arafat à l'OLP y explique que nazis et sionistes ont collaboré en
vue de la création d'Israël. Une réécriture de l’histoire digne de Staline,
travestissement typiquement complotiste d'une parcelle de vérité : il y a bien
eu bien quelques rares contacts, entre la Lehi d’extrême-droite et les SS, des
négociations ouvertes dans l'espoir de sauver des juifs, en leur permettant de
fuir l’Allemagne. Elles n’empêchèrent hélas pas 6 millions de morts.
A23 - 1967 : Le Temps des Colonels
Où l'on voit comment la propagande soviétique a secrètement ancré le « 2 poids, 2 mesures » dans nos esprits, peignant le diable américain sur la muraille, même quand il était russe...
Place Syntagma, Athènes, le 20 avril
Contrairement à un préjugé pavlovien résultant d’années de propagande, tous les coups d'Etat de droite, réussis ou non, ne sont pas forcément le fait de la CIA. A Alger en 58, comme pour le « quarteron de généraux factieux » de 61, la CIA soutient l'Indépendance algérienne contre le colonialisme français, tout comme son ancêtre l'OSS aidait Ho Chi Minh, en 46.
C’est la même chose en Grèce où Papandréou, l'homme de la CIA, tente par deux fois de restaurer la démocratie, mais est mis en échec par ses collègues colonels. Hypernationalistes, ces derniers finissent par le chasser, avant de s'en prendre à la Turquie, pilier de l'OTAN. Ce qui causera leur perte. C’est typique des «natios» : il y a toujours un moment où leur obsession nationale leur fait oublier l’intérêt commun. Généralement pour le plus grand plaisir de Moscou, ravi de voir deux piliers de l'OTAN en venir aux mains.
En matière de propagande, qui sait que « Z », l’admirable film de l'excellent Costa-Gavras qui dénonce les Colonels grecs, fut financé par l'Algérie et à travers elle, l'URSS ? Il fut tourné à Alger, sous Boumediene, dont le régime était pourtant nettement plus meurtrier que celui des Grecs. Et puis les Colonels d’Athènes n'étaient certainement pas des tendres, mais contrairement à Boumediene, ils finirent par laisser la place à la démocratie, sous la pression internationale.
Tourné en 3 langues (v.o. française, anglaise et russe), « Z » reçut un Oscar et un Globe à Hollywood. Le Producteur, l'excellent Jacques Perrin, Costa Gavras et Montand devaient toutefois se sentir un peu piégés par le financement soviétique, parce que dans la foulée, ils sortirent « l’Aveu », qui démonte les procès staliniens. Bien que Staline soit mort, « l’Aveu » fut interdit en URSS jusqu’à la Chute du mur.
De même, dans les années 70, les Rencontres Internationales de Films pour la Jeunesse rassemblaient chaque année des milliers de lycéens de tous les ciné-clubs d'Europe de l'Ouest, dûment encadrés par des animateurs communistes, pour aller admirer des films à la gloire du productivisme de la « safra » (la coupe de la canne à sucre cubaine) ou de la lutte armée du vaillant peuple cambodgien. Leurs homologues lycéens des pays du pacte de Varsovie avaient évidemment le plus grand mal à voir des films occidentaux et jamais ceux qui pouvaient être considérés par les censeurs de Moscou comme de la propagande.
Cette propagande soviétique incessante, essentiellement anti-américaine, même dans les milieux de gauche anti-communiste, finit par imprégner toute la culture européenne. A l'inverse, les Etats-Unis maintenaient une forme de cordon sanitaire tout aussi primaire pour tout ce qui venait de l’autre côté du rideau de fer. Le simple terme de « communiste » était une insulte et même un anathème en Amérique du Nord. Ce rideau étanche, les Etats-Unis comptaient bien l’étendre sur le Cône Sud.
Du coup, en Amérique latine, les généraux et les nervis fascistes étaient souvent l’instrument de la CIA, mais il arrivait qu’ils préfèrent le KGB, comme le Colonel Videla en Argentine. Comme au Moyen-Orient, les anciens nazis jouèrent un jeu trouble, dans des sociétés fort peu solidaires où les différences sociales étaient (et sont toujours) extrêmes. L’inégalité brutale des sociétés latifundiaires a généré de nombreuses guérillas, soutenues par Moscou, La Havane ou Pékin. Des européens comme Pierrot Goldman et Régis Debray y jouèrent un rôle important d'agitateurs, à l'instar de leurs aïeux du Komintern.
En face, les milices d'extrême-droite et les militaires au service des possédants recevaient parfois le soutien de la CIA ... qui n’avait pas toujours celui de la Maison Blanche. Pour financer, sous les radars du Congrès, des livraisons d'armes aux contrats antisandinistes du Nicaragua, des officiers du Pentagone ont même été jusqu’à vendre des armes à l'Iran islamiste, en guerre contre l’Irak. De même, des bimoteurs de la CIA ont transporté de l'héroïne laotienne durant la guerre du Vietnam.
Ce qui met en lumière le problème numéro un des services secrets: la société ne saurait s'en passer, si elle veut mener une lutte efficace contre ses ennemis, mais il arrive régulièrement que le remède concurrence le mal...
Communistes et islamistes avaient aussi leurs problèmes de financement et n’hésitaient pas davantage à recourir aux pires trafics. Les FARC colombiennes se sont ainsi fait une spécialité de l’exportation de cocaïne, en passant par le Venezuela chaviste ou en travaillant avec la N’dranghetta calabraise et le Hezbollah libanais (piloté par des pasdaran Iraniens).
Des connections étonnantes entre mafieux, révolutionnaires marxistes et islamistes, réunis par leur détestation de l’ordre américain. Un anti-américanisme qui lie aujourd’hui encore le régime de Maduro aux mollahs iraniens et aux oligarques russes qui sont pourtant l’antithèse d’une révolution sociale. Simon Bolivar doit se retourner dans sa tombe.
Dans tous les cas, l’argent de la drogue doit être blanchi. Le KGB et la STASI fréquentaient les banques allemandes et suisses (où Washington avait parfois des antennes). La CIA leur préférait le Banco Ambrosiano, très discrète banque privée du Saint-Siège. Quand le scandale de la Loge P2 éclate, deux responsables de l’Ambrosiano sont assassinés, sans qu'on sache encore aujourd'hui si les placements de la CIA, ou ceux de la maffia expliquent ces meurtres. Même le banquier suisse vraiment au-dessus de tout soupçon chargé de l'enquête ne parviendra jamais à faire la lumière sur les caves du Vatican.
N'empêche que la main de Washington reste moins brutale que celle de Moscou, même quand on compare leurs interventions « secrètes » dans l’histoire mouvementée des « golpe » sud-américains. En 1972, à Pékin, Kissinger et Nixon se sont partagés le monde avec la Chine, en lui abandonnant le Vietnam et potentiellement Taïwan, à la seule condition que cela se fasse progressivement, sans invasion militaire. En échange, la Chine reconnaît de fait la doctrine Monroe qui laisse les Amérique aux USA, ces derniers s'abstenant de leur côté d'envahir militairement Cuba.
L’accord se fait sur le dos de leur ennemi commun, l’URSS, qui s’immisce partout en Amérique Latine. Au Chili, Allende, soutenu par Moscou, s'accroche au pouvoir et prend des mesures fortes, au nom du socialisme. Pourtant, il ne dispose plus que d'un tiers des voix au parlement et ses mesures socialistes sont prises sans légitimité démocratique. Un accord électoral avec les démocrates-chrétiens lui avait apporté un 2ème tiers des voix et l’avait porté au pouvoir, mais la radicalité des mesures prises, en contradiction formelle de l’accord passé, lui ont aliéné ces voix. Le parlement vote dès lors systématiquement contre sa politique et la classe moyenne manifeste tous les jours. Allende a reçu des financements de Moscou en échange du fait qu'il persiste et poursuive sa politique, profitant d’un flou de la constitution.
En 73, les militaires et la CIA le renversent, avec le soutien de Kissinger. Les « Chicago Boys » arrivent au pouvoir, un groupe d’économistes chiliens formés aux Etats-Unis qui relancent l’économie à coups de fouet. Le bilan est spectaculaire et le pays redémarre, malgré une aggravation du chômage et des conditions sociales. Le coup d'état et la répression qui suit fait 3000 morts, soulevant l'opprobre dans le monde entier.
L’implication des Etats-Unis est nettement moins évidente pour ce qui concerne les généraux argentins, à qui l’on impute officiellement 30 000 disparus, soit dix fois plus qu’au Chili. On sait que Kissinger fut informé du golpe argentin une semaine à l’avance et que globalement, les Etats-Unis de Gerald Ford ont laissé faire, sans intervenir, occupés qu'ils étaient à réduire les tensions avec l'URSS dans la foulée des accord d'Helsinki. Elu peu après le golpe, le président démocrate Jimmy Carter se montrera même extrêmement hostile à la junte de Buenos Aires. A un point tel que celle-ci recherchera – et obtiendra – le soutien de L’URSS et de Cuba.
Les échanges économiques avec Moscou firent un bond spectaculaire et l’Argentine attaquera même les Malouines britanniques. Les partis communistes du monde entier s’opposèrent au boycott de la coupe du Monde de Foot en Argentine, réclamé par les partis de gouvernement et les militants des droits de l'homme des démocraties. Les généraux argentins mirent en place une répression féroce avec l’aide de leurs homologues des pays voisins, notamment des Cubains, dont les agents dans les mouvements révolutionnaires argentins jouaient un double jeu !
Tout cela reste très peu connu en Europe, où la propagande communiste était omniprésente et souvent masquée. Ainsi, des dizaines d'organisations pacifistes, culturelles ou d'amitié entre les peuples étaient dirigées par des agents relevant ou sous l'influence du KGB. Elles réunissaient des millions de membres en Occident, sensibles aux valeurs de gauche et de paix entre les peuples, tandis que leurs homologues soviétiques étaient impitoyablement pourchassés dans le bloc de l'Est. Comme le résumait Mitterrand : « Les pacifistes sont à l’ouest et les missiles à l’est ! ».
A24 - 1968 : Le banquier du FPLP qui parlait à Interpol
Où l'on retrouve un ancien nazi à la tête de l'anti-terrorisme mondial ... et son meilleur copain, garçon de course du terrorisme !
Lyon siège d'Interpol, 1968
Lorsque Houari Boumediene chasse Ben Bella et prend le pouvoir à Alger pour le compte des Soviétiques, Paul Dickopf est remercié et rentre en Allemagne. Commissaire de police, ancien officier SS, Dickopf émarge au budget de la CIA depuis 1943. L'année où il s'est réfugié en Suisse avec l'aide de son meilleur copain, qu'il appelle « mein Bruder », le banquier lausannois du FLN et éditeur des mémoire de Hitler et Goebbels, François Genoud.
Leur ancien agent traitant de Berne, Allen Dulles est devenu le patron de la CIA, mais le Président Kennedy, démocrate, hostile à ses méthodes discutables, l'a renvoyé. Avant d'être lui-même assassiné. Son successeur, Lyndon B. Johnson, nomme Allen Dulles à la commission Warren, chargée de faire la lumière sur l'assassinat de JFK ... dont la CIA est l'un des suspects. Histoire de mettre, peut-être, le ver dans le fruit ? En Allemagne, Paul Dickopf est nommé à la tête du BKA, la police criminelle fédérale. Il supervise la lutte contre le terrorisme en cette fin des années soixante, particulièrement agitées dans le monde entier.
En 68, les Algériens, avec qui Dickopf est resté en relativement bons termes, le proposent à la présidence d'Interpol. Il y coordonne désormais la lutte anti-terroriste mondiale, cumulant ses nouvelles fonctions à Lyon avec la direction du BKA à Bonn ... tout en émargeant toujours au budget de la CIA ! Ce qui ne l'empêche pas forcément d'avoir d'autres allégeances. Il recrute ainsi plusieurs anciens nazis au BKA, dont certains s'avèrent, à la chute du mur, être des infiltrés de la STASI est-allemande
Tout aussi intrigant, son « frère d'armes », François Genoud reprend du service ... au profit du terrorisme palestinien. Mais qui espionne qui, au final ? Lorsque les « Journaux Intimes » de Goebbels refont surface ... c'est en URSS ... et c'est de Moscou, qu'ils sont envoyés à Genoud, qui s'empresse de les éditer. La vente de produits russes à très bon prix pour une diffusion en Occident, cela reste aujourd'hui encore un bon moyen d'acheter les consciences. Ou à l’inverse, la diffusion en russe, en Russie, d’œuvres d’auteurs occidentaux dont on veut s’assurer la fidélité.
C’est d’autant plus commode et rémunérateur qu’en Russie, comme déjà du temps de l’URSS, les droits d’auteurs ne dépendent pas du volume des ventes, mais du tirage. Vous pouvez faire un bide retentissant, s’il a été imprimé à des centaines de milliers d’exemplaires, vous serez royalement payé. Les services de Poutine ne s’en privent pas, qui éditent à gros tirages des œuvres d’auteurs occidentaux plutôt obscurs, à condition qu'ils tressent des couronnes au tsar et à la Russie à chaque chapitre.
Sur fond d'américanophobie et d'antisémitisme, des liens se tissent dès cette époque entre le KGB et l'extrême-droite européenne ou turque. L'avantage, c'est que quand des nervis fascistes se font prendre après un mauvais coup, nul ne songe à incriminer les soviétiques. En 68, Jean-Marie Le Pen édite des disques de marches nazies et des chœurs de l'Armée Rouge (obtenus à bon prix) lorsqu'il se lie d'amitié avec un peintre soviétique, Ilya Glazounov. Cet agent du KGB sera plus tard le parrain de la famille le Pen dans ses contacts avec Vladimir Poutine.
En 1969, Swissair subit plusieurs attaques de pirates de l'air et un commando palestinien est arrêté à Kloten. Fort de son amitié avec Chekib Arslan, Al Husseini, Saïd Ramadan et Jacques Vergès, François Genoud joue les bons offices, avec la bénédiction implicite des services suisses. Les Palestiniens emprisonnés lui conseillent alors d'aller voir directement Waddie Haddad et George Habache à Beyrouth.
Au Liban, le courant passe avec les chefs du FPLP et pendant plusieurs mois, Genoud fait la navette entre Genève et Beyrouth, obtenant finalement l'arrêt des attaques contre la Suisse. Peut-être au prix fort, dira Jean Ziegler qui laisse entendre qu'il y aurait été mêlé, avant de se rétracter. En tout cas, Genoud rend quelques menus services à la cause palestinienne, elle-même subventionnée discrètement par le KGB et la STASI est-allemande.
Ainsi, le 23 février 1972, lors du détournement d'un 747 de la Lufthansa en provenance de Tokyo, Genoud apporte lui-même la demande de rançon au siège de la compagnie allemande. Rassemblés avec l'accord de Dickopf, toujours à la tête du BKA et d'Interpol, 5 millions de dollars sont versés à Damas, en présence de Genoud. Six mois plus tard, aux JO de Munich, Septembre Noir massacre les athlètes Israéliens.
L'organisation Septembre Noir a beau dépendre du Fatah et non plus du FPLP, Dickopf doit quitter Interpol et le BKA. Il meurt peu après, officiellement d'une crise cardiaque. Deux néo-nazis allemands au moins, dont le futur scénariste de Tatort, Willy Pohl, ont aidé le commando. Son chef, Ali Hassan Salameh est le fils d'un ancien officier SS palestinien du régiment bosniaque d'Amin Al Husseini, parachuté en Palestine en 44.
Formé lui-même au Caire et à Moscou, play-boy marié à une miss Univers libanaise, Ali Hassan Salameh sera exécuté par le Commando Kidon du Mossad israélien, comme tous les membres de son groupe. Un Mossad particulièrement bien renseigné. Deux ans auparavant, à Beyrouth, Genoud a aidé un jeune aventurier suisse, Bruno Bréguet, à rencontrer les chefs du FPLP. Arrêté peu après en Israël, porteur d'explosifs, Bréguet, 19 ans, est jeté en prison, avec les détenus palestiniens.
Vu d'Europe, le conflit Israélo-Palestinien semble lointain, mais les terroristes d’alors, tant d'extrême-gauche que d'extrême-droite, multiplient les allers-retours au Moyen Orient, où ils sont formés dans les camps d’entraînement palestiniens. Les membres de la Bande à Baader ont ainsi passé plusieurs semaines en 1970 dans un camp dirigé par Ali Hassan Salameh. Ils s’y fournissent en explosifs provenant des pays de l’Est. Aussi Bruno Bréguet n’a-t-il rien d’un extra-terrestre pour ses codétenus arabes, qui le voient comme un combattant acquis à leur cause, parmi d’autres.
En 1977, Genoud, le banquier nazi, parvient à faire libérer son jeune protégé, grâce à une pétition mondiale d'intellectuels de gauche, de Chomsky à Sartre en passant par Dario Fo, Moravia ou Dürrenmatt. Italophone, puisque tessinois, Bréguet part s'installer à Rome où il fréquente les milieux d’extrême gauche. Qui vont être bientôt arrêtés.
A25 - 1973 : L'OPEP et Carlos
Canal de Suez, Egypte, le 17 octobre
Conclus à la fin de la seconde guerre mondiale pour réguler l'économie, les accords de Bretton Woods consacraient la toute-puissance du dollar. Ils ont permis les trente glorieuses, mais génèrent néanmoins des effets négatifs. Par exemple, l'essor des paradis fiscaux est mis à profit par le crime organisé … et par le Kremlin. Moscou y fait tranquillement fructifier ses réserves de devises dans l’économie capitaliste, à l'abri de la voracité américaine. Le KGB utilise ensuite les bénéfices pour financer ses opérations clandestines hors d’URSS.
Plus grave, l'endettement public américain s'accroît considérablement, générant une forte inflation en Europe. Le renoncement aux principes de Bretton Woods, au début des « seventies » provoque la chute du dollar ... et donc aussi des revenus du pétrole, libellés en billets verts. Ce qui pousse l'OPEP à réduire la production d'or noir, pour faire remonter les prix. C’est un tournant majeur dans l'histoire du monde. Pour la première fois, des pays en développement surmontent leurs divergences, grâce à quoi le Venezuela et les pays arabes font plier les pays développés.
C’est l'Europe et le Japon qui trinquent, tandis que les Etats-Unis s'en tirent à bon compte. Gros producteurs de pétrole, ils bénéficient de l’augmentation, alors que pour les Européens ou les Japonais, qui doivent tout acheter, c’est une perte sèche. La hausse des cours arrange même passablement les compagnies américaines, en rendant rentables de nouveaux gisements aux frais d’extraction coûteux, en Alaska et dans le Golfe du Mexique.
Si le fond de la décision est économique, le déclencheur est politique. Les dirigeants arabes de l’OPEP veulent aussi faire pression pour obtenir l’arrêt de la guerre du Kippour. Bien qu’initiée par l'Egypte et la Syrie, la guerre voit assez vite Israël prendre le dessus. L’affaire avait pourtant bien commencé pour les Arabes, qui avaient réussi à surprendre Israël. La manœuvre égyptienne reste l’un des hauts faits de l’histoire mondiale de l’espionnage !
Proche des Frères Musulmans et soutenu par les occidentaux, Anouar el Sadate tenait à récupérer le Sinaï, perdu par Nasser pendant la guerre des Six Jours. Il s’allie donc dans ce but avec le Syrien prosoviétique Hafez el Assad, qui voulait récupérer le Golan. Sadate commence par faire chanter Moscou, menaçant de rompre tous les liens déjà distendus, si l'URSS ne fournit pas à l’Egypte ses armes les plus sophistiquées. Il exige notamment un système de protection aérienne, décisif contre les Mirage israéliens.
L’effet de surprise est essentiel pour déjouer la suprématie israélienne et percer les défenses du Canal de Suez, qui sert alors de frontière difficilement franchissable. Les Egyptiens se savent surveillés de près par le Mossad. Impossible de préparer une offensive sans être repérés. Le Gihaz al Mukhabarat al Amma (جهاز المخابرات العامة), (GMA, le SR égyptien) imagine alors d’intoxiquer les Israéliens en leur fournissant les plans des préparatifs, mais avec de fausses dates.
Le propre gendre de Nasser, Ashraf Marwan, qui fut l'assistant personnel du Raïs, est mis à contribution. Conseiller sécurité de Sadate, il n’ignore rien des préparatifs de guerre et lorsqu’il contacte les Israéliens, se disant mis sur la touche pour ses liens avec le défunt Raïs, les Israéliens sont convaincus d’avoir mis la main sur une perle. De fait, le « traître » leur raconte tout, absolument tout, y compris la date de l’attaque. Les Israéliens entament donc leurs propres préparatifs en fonction de ce planning. Sauf que la vraie attaque est déclenchée deux mois plus tôt qu’annoncé, prenant de cours l’armée israélienne, qui recule fortement dans le Sinaï.
La félonie de Marwan est cependant à double tranchant, car après dix jours de recul, l’armée israélienne redresse la situation grâce à la connaissance précise des plans égyptiens. Tsahal reprend l’offensive en traversant le Canal de Suez. Ce qui vaudra à Ashraf Marwan d'être honoré par les deux pays, Israël et l'Egypte !
La partie semblant perdu, l'Egypte fait appel à la solidarité arabe pour éviter le désastre. C'est là que l'OPEP appelle à refuser toute livraison de pétrole aux pays qui soutiennent Israël ou lui livrent des armes. Par exemple la France, qui a vendu des Mirage. Le boycott pétrolier est appuyé par une pression conjointe de Moscou et de Washington pour stopper la guerre, comme lors de la crise de Suez en 1956.
Le prix du baril d'or noir est multiplié par 4, mais en dépit du boycott, des pétroliers partis d'Arabie Saoudite continuent d'approvisionner l'Armée américaine, qui se bat au Vietnam. Après tout, Washington fait ce qu'il faut pour stopper Israël et le Roi d’Arabie est très anticommuniste. Reste que les Saoud ont pris conscience de leur puissance. Les pétrodollars commencent à inonder le monde islamique et les communautés musulmanes dans le monde. Le Royaume commence à financer partout des mosquées à la mode du Golfe et aide sociale, en échange d'une pratique plus rigoriste, wahabite, de l'Islam.
Cependant en pleine guerre froide, malgré l’unité de façade, l’OPEP reste divisée. L'URSS n'est pas membre de l'organisation, mais l'Algérie, l'Irak et la Libye lui sont clairement inféodés. Le Venezuela oscille entre les deux blocs, tandis que les autres pays exportateurs sont plutôt dans le camp occidental. Un rien pourrait renverser les équilibres. L'assassinat des ministres délégués du shah d'Iran ou du Roi d'Arabie Saoudite, suivis d'une révolution ou d'un coup d'Etat par exemple ... ce qui ferait basculer l’OPEP tout entier dans le camp russe, vieux fantasme de Moscou, de plus en plus actuel
C'est la mission confiée au Vénézuelien Carlos par ses chefs du FPLP, lui-même financé par Moscou. Parmi les membres du commando qui attaquent une réunion de l'OPEP à Vienne, la jeune allemande Gabriella Kröcher, passée par le Yémen, fera dix ans de prison en Suisse pour avoir tiré sur deux douaniers à Porrentruy. Anis Nakache, Arménien converti au chiisme et disciple de Khomeiny, sera plus tard emprisonné en France pour avoir tenté d'assassiner Chapour Bakthiar. L'avion présidentiel libyen est offert par Kadhafi pour exfiltrer les 42 diplomates pris en otage ... mais aussi les preneurs d’otages ! Un périple haletant les mène à Alger, puis à Tripoli, où les ministres iranien et saoudien sont relâchés par Carlos, moyennant rançon. Une idée non prévue au départ, qui lui vaut d'être exclu du FPLP.
Carlos gagne alors Damas, base arrière du terrorisme mondial, où il retrouve les membres de la RAF allemande, les brigadistes italiens et l'ex SS Aloys Werner, qui poursuit son combat antisémite en formant les terroristes palestiniens. A Damas, on croise aussi Oriach, d'Action Directe et des Cellules Communistes Combattantes belges ; le Pakistanais maoïste Murtaza Bhutto, qui sera tué par la police de sa sœur Bénazir ; Tim Anderson, accusé de poser des bombes en Australie, qui sera un temps le beau-père de Julian Assange (!) ; sans oublier les avocats de la cause : le français Vergès ou le zurichois Lambert.
Les actuels soutiens gauchistes du 3ème âge du milliardaire Bachar el Assad dans la répression sanglante de son peuple sont des vétérans de cette époque, justifiant aujourd'hui les pires boucheries par « le combat éternel contre l'entité sioniste ».
A26 - Les Années de Plomb : 1977
Où l'on reparle de Bruno Bréguet, infiltré chez les terroristes italiens et des opérations de déstabilisation soviétiques, à la fin des années 60.
Fiumicino, Aéroport de Rome, le 25 juillet
Lorsqu'il s'installe à Rome, sorti des prisons israéliennes, le Suisse Bruno Bréquet commence à militer chez Prima Linea. Qu'il quitte trois semaines avant que tous ses camarades soient arrêtés, dans le cadre des enquêtes anti-terroristes des Années de Plomb. En 1980, il prend part à l'attentat visant les locaux de Radio Free Europe, en Allemagne de l'Ouest. La radio diffuse la bonne parole occidentale dans toutes les langues des pays de l'Est, au grand dam du Kremlin. Qui n'apprécie pas du tout que Zbigniew Brzezinsky, le conseiller diplomatique du Président Carter, polonais d'origine, ait fait augmenter la puissance des émetteurs. Mais les émetteurs ne sont pas touchés. Juste des bureaux et il n'y a aucune victime.
Bréguet rejoint alors le groupe Carlos à Damas, nourri par Hafez el Assad et entraîné par d'anciens nazis. Promu « lieutenant de Carlos », Bruno Bréguet est ensuite arrêté à Paris en compagnie de Magdalena Kopp, maîtresse dudit Carlos. Ils préparent un attentat contre les locaux parisiens d'un journal libanais, hostile au dictateur de Damas. On peut se demander si Bréguet n'a pas voulu cette arrestation, car c'est la deuxième fois qu'il se fait arrêter juste AVANT un attentat ! En fait, tout au long de ses vingt ans de carrière de terroriste, le Suisse n'a jamais blessé personne, mais s’est très souvent fait arrêter, juste à temps.
Carlos en tout cas remue ciel et terre, à coups d'explosifs, pour faire libérer ses complices. Des bombes explosent dans le TGV et à la Gare Saint-Charles de Marseille, dont le maire, Gaston Defferre est Ministre de l'Intérieur. Paris entame alors des négociations par l'intermédiaire de ... François Genoud, qui connaît bien Bréguet, et de Jacques Vergès. Négociations qui se déroulent en Allemagne de l'Est, sous la houlette de la STASI. Qui est en réalité le donneur d'ordres du réseau Carlos, comme on l'apprendra dans ses archives, après la chute du mur.
Les services français sont-ils à ce point naïfs qu'ils l'ignorent ... ou bien feignent-ils de l'ignorer ? Dans ce monde du mensonge et du faux-semblant qu’est l’espionnage, la réalité dépasse souvent la fiction et la meilleure façon d’obtenir des informations sur les activités secrètes des terroristes ou des mafieux, c’est d’y introduire des infiltrés. Était-ce le cas de Genoud, voire de Bréguet ? Mais alors pour qui travaillaient-ils ? On le sait aujourd'hui pour Bréguet, mais pour conserver un peu le suspens, nous ne le révélerons qu'en temps utiles lorsque la série arrivera à la "disparition" de Bréguet, au milieu des années 90. Sachez juste que le nom du service est en trois lettres ** ...
En tout cas, les services secrets comptent généralement moins sur la fidélité patriotique ou idéologique de leurs agents, qui peut être renversée, achetée ou menacée, que sur les pressions qu'ils exercent eux-mêmes sur leurs informateurs et agents. La peur inspirée serait, paraît-il, le garant le plus sûr. De fait, les services n'hésitent guère à menacer la famille, la vie sociale et la vie tout court.
De ce point de vue, en se présentant d'entrée de jeu comme un nazi, un
salaud, Genoud se mettait à l'abri de bien des pressions. Cependant si les
services occidentaux - tenus par les cordons de la bourse démocratique - sont
assez avares, les services du Kremlin semblent disposer de fonds illimités et
arrosent volontiers ceux qui les aident de fortes somme d'argent. Ce qui
n'empêche nullement les menaces des pires violences en cas de défection.
Les négociations directes avec Carlos par l'intermédiaire de Vergès ayant échoué, Genoud se démène comme un beau diable pour sortir Bréguet des prisons françaises et lui paie des avocats haut de gamme. Malgré la guerre froide, les démocraties européennes maintiennent l'état de droit pour ceux qui les attaquent. Hormis peut-être l’Allemagne où les meurtriers de la Bande à Baader meurent comme des mouches en prison.
Contrairement à ce que prétend aujourd’hui encore la propagande russe, globalement admise comme vérité par l’opinion publique, la guerre froide n’est en aucun cas une réponse à l’expansionnisme occidental, à peu près inexistant. De la fin de la seconde guerre mondiale à l’implosion soviétique, le monde russe et la Chine Pop sont en expansion continue, face à un Occident qui recule. Il n’y a pas d’exemple de terres communistes en 1945, qui passent à l’ouest avant 1989. Tandis qu'il y a de très nombreux exemples du contraire.
En Europe, les "années de plomb" se résument à une tentative de déstabilisation des pays de l'ouest par ceux de l'est. Les guerres de Corée et du Vietnam résultent de l’invasion du sud pro-occidental par le nord communiste. Idem de Cuba, où une dictature communiste remplace une dictature pro-américaine et y installe des missiles nucléaires. En Afghanistan aussi, l’aide aux moujahédines réagit à l'invasion du pays par les soviétiques. En Afrique, en Asie, au Moyen Orient, des dizaines de pays tombent dans l’escarcelle soviétique ou plus rarement chinoise. Jamais l’inverse.
A Prague, en 68, la contestation nait dans l’entourage de Dubcek, à la tête du parti communiste tchèque. L’Occident ne s’en mêle pas. Ce n’est qu’au début des années 80 que les syndicats ouvriers catholiques qui créent Solidarnosc, en Pologne, reçoivent le soutien de l’Occident. Jusque-là sur la défensive, l’Amérique et l’Europe de l’Ouest n’attaquaient pas les pays communistes chez eux, tandis que les contestataires occidentaux se réclamaient ouvertement de l'influence chinoise, castriste ou soviétique.
Les preuves des manipulations soviétiques de nos mouvements sociaux abondent. Ainsi le policier Heinz Kurras, qui tue le manifestant Benno Ohnesorg d'une balle dans la tête à Berlin, s'avère être un agent de la STASI est-allemande. C'est l'un des déclencheurs du « 68 allemand ». Tandis que les motivations de Joseph Bachman, qui blesse à la tête Rudy Dutschke ne seront jamais élucidées. Il se suicide en prison sans avoir parlé. Ces deux coups de feu, en tout cas, mettent le feu aux poudres en Allemagne, qui s'embrase comme toute l'Europe ces années-là. On peut citer aussi Horst Mahler, avocat, fils de nazis, fondateur de la bande à Baader, communiste à l’époque et aujourd’hui élu d’extrême-droite pro-russe après avoir été sorti de prison par … Gerhard Schröder !
Le but, c’est de déstabiliser, à tout prix. Heureusement, la démocratie s’est montrée la plus forte, grâce à ses capacités à amortir les coups les plus tordus par son humanisme et sa pluralité politique. Bien sûr il est possible que la CIA ait aussi aidé les Tchèques du Printemps de Prague ou ait au moins cherché à les aider, mais on n’en a pas de traces. La répression du mai 68 tchèque à coups de chars d'assaut a de toute manière très vite montré que le Kremlin n'entendait pas laisser le moindre espace à la contestation.
Pour qu'une révolution réussisse, il faut que le régime en place laisse du champ. Sinon, face à une répression implacable et prête à massacrer, la révolution n’a guère de chances. De même, la manipulation des peuples et de l'opinion publique a des limites. Personne ne peut faire faire une révolution à un peuple heureux de son sort mais par contre en remuant le couteau dans toutes les plaies, en appuyant toutes les causes de contestation, en soutenant discrètement l'ascension de certains leaders factieux, les services secrets peuvent faire énormément.
L'idée même du complotisme, à savoir répandre dans l'opinion mondiale la croyance que le grand capital américano-sioniste s'organiserait au niveau global pour asservir les peuples, est sans nul doute l'un des complots les plus réussis du siècle. Or lorsqu'on creuse pour trouver ses racines, elles sont en Iran et à Moscou.
Pourtant la décomposition de l'URSS n’a que très peu à voir avec une manipulation de l'opinion publique soviétique. Le mur ne s'est pas effondré sous les coups du peuple, mais parce que le sommet du KGB l'a voulu, effaré de voir le différentiel de richesses et de technologie s'élargir sans cesse avec l’Occident. Ce qui a conduit « l’Etat profond » moscovite à changer de logiciel économique, mais pas de méthode.
Avec Poutine, le Kremlin gouverne désormais à droite toute, et soutient encore plus qu’avant les partis d'extrême-droite, le nationalisme et les régimes totalitaires. Parce que le but est clair : reconstruire l’empire perdu, en oubliant le marxisme et ce ne sera possible que si l'Occident est divisé - et plus généralement la gouvernance mondiale - et éclaté par des rivalités nationales ennemies. Alors qu'il faut au contraire s'unir face au venin de l'agressivité impérialiste.
A27 - 1978 : Deux divorces et un bébé : Al Qaïda
Comment une histoire d'amours improbables modifia le cours du monde et accéléra la chute de l'URSS ...
Ambassade US, Kaboul, Afghanistan, le 27 avril
L'un des objectifs du renseignement, c'est de connaître l'adversaire, dans ses moindres détails. Cela nécessite d'utiliser toutes les ressources de la connaissance et des sciences, là où les à-priori-politiques se limitent souvent à des visions peu nuancées. Le marxisme, par exemple est assez juste quand il divise le monde en classes sociales, mais c'est très incomplet. Marx ignore par exemple les mécanismes de la psychologie humaine, tant au niveau individuel que collectif. De la même manière, ceux qui jugeront d'un pays sous le seul angle de ses traditions, ou de ses passions, sans tenir compte de la petite histoire, du comportement personnel de ses dirigeants ou de la sensibilité politique du moment, feront fausse route.
Le monde de l’espionnage est riche de ces personnages singuliers, grains de sable individuels qui ont fait basculer l'Histoire. Mais peu, semblant aussi insignifiants au départ, ont pu chambouler le monde de manière si importante. Bon, il est vrai que pour remodeler le Moyen-Orient et accélérer la décomposition de l'URSS, ils se sont mis à 4. Plus précisément deux couples d'amis qui ont choisi d'échanger définitivement leurs partenaires dans l'Afghanistan des swinging sixties ...
Représentant de la CIA à Kaboul, Allan D. Wolfe est officiellement conseiller culturel à l'ambassade US. De formation, il est sinologue, comme son épouse, Nancy Hatch. Il est aussi ce qu'on appelle un anti-communiste primaire.
Louis Dupree est archéologue et fait des fouilles en Afghanistan, avec son épouse Ann. C'est accessoirement un ancien « Marauder » de la seconde guerre mondiale, ces volontaires des forces spéciales américaines qui combattirent dans la jungle aux côtés des maquisards locaux, derrière les lignes japonaises, en Birmanie et aux Philippines. De sensibilité plutôt démocrate, carrément même un intellectuel de gauche selon les normes américaines.
Les Américains sont rares à Kaboul et les deux couples du même âge sympathisent, d'autant que Nancy, qui a passé son enfance en Inde, écrit un guide des bouddhas de Bahmian, pour lequel elle interviewe Louis, qui en est le grand spécialiste. Elle en tombe amoureuse. Ou l'inverse, allez savoir... Naturellement, de leur côté, assez rapidement, Allan et Ann en viennent à se consoler mutuellement de leurs déboires conjugaux ... finalement, les deux couples décident de divorcer, pour pouvoir se remarier.
Nancy n'avait pas d'enfant, contrairement à Ann, qui en avait 3 avec Louis et aura encore une fille avec Allan. Gardes alternées obligent, les mômes passent régulièrement la Khyber Pass, seuls avec des chauffeurs pachtoun de jeep Toyota qui les invitent systématiquement dans leurs familles dans l'un ou l'autre des villages de la route ... car Alan D. Wolfe est désormais en poste au Pakistan avec sa nouvelle épouse Ann, tandis que Fred Dupree et Nancy sont restés à Kaboul.
Puis les
Wolfe rentrent aux Etats-Unis, où Allan D. commence à grimper très haut dans
l'organigramme de la CIA, tandis que les Dupree restent en Afghanistan, où
Nancy s’attelle à une tâche titanesque : rassembler tout ce que l’on sait de la
culture afghane.
Louis poursuit fouilles archéologiques et travaux universitaires, pendant que Nancy devient une spécialiste mondialement reconnue.
A tel point que les Afghans appellent désormais affectueusement Nancy « la mère de l'Afghanistan ». Un surnom qu'elle prendra très à cœur durant le conflit, créant un musée dans lequel elle rassemblera tout ce qui faisait les traditions culturelles du pays, meurtri par 40 ans de guerre. En effet les communistes ont pris le pouvoir à Kaboul et les Afghans ne semblent pas vraiment d’accord.
Peu après le coup d'Etat prosoviétique, Louis est arrêté. La Police politique du PDPA, le parti prosoviétique au pouvoir, veut lui faire avouer qu'il est un agent de la CIA. Ce qu'il n'est pas, même s'il en connaît un. Plusieurs de ses amis afghans sont torturés sous ses yeux, pour le faire avouer. Laissée en liberté, Nancy parvient à prévenir son ex-mari qui, à Langley, a atteint le sommet de la hiérarchie de la "Company". Il est désormais juste en dessous des politiques et il contacte directement Zbigniew Brzeziński qui alerte Jimmy Carter.
Polonais d'origine, le Conseiller du Président est très hostile à l'impérium soviétique. Plus encore qu'anti-communiste, il rêve de mettre fin à la mainmise de l'URSS sur les pays de l'Est, sa Pologne en particulier, quitte à favoriser l'alliance de revers avec la Chine, mise en place par Kissinger et Nixon. Carter est clairement moins belliqueux, mais il est très sensible aux droits de l'homme et c'est sur ce terrain que Brzeziński parvient à l'enrôler dans sa croisade. Qui dans le cas présent, prend la forme d'une protestation énergique contre l'arrestation et le maintien en prison dans des conditions épouvantables, sans raison valable ni jugement, d'un honnête citoyen américain.
Le téléphone rouge, qui était en fait un télex, est mis à contribution entre Moscou et Washington. Louis est libéré. Aussitôt, il appelle Allan, le beau-père de ses enfants. Les deux ex-maris s'accordent à ne pas laisser le pays aux « reds », d'autant que les locaux veulent en découdre. Une vraie résistance se met en place. Il faut lui livrer des armes. Profitant du caractère particulièrement escarpé et montagneux de l'Afghanistan, les premiers combattants tendent des embuscades aux convois prosoviétiques. Dans un premier temps, les armes seront trouvées dans les surplus de l'armée israélienne.
Allan s'occupe de tout à Washington, où Brzeziński convainc le Président Carter de lancer « l’Opération Cyclone ». Louis, pendant ce temps, gère sur le terrain. Seulement, à Peshawar, il est un peu l'otage des services pakistanais et saoudiens, qui travaillent main dans la main. Les moujahédines du commandant Massoud, par exemple, soutenus par les Européens, sont censés recevoir au moins autant d'aide que les islamistes pachtouns qui travaillent avec Ben Laden et ce qui deviendra Al Qaïda. Hélas, l'ISI pakistanais a son propre agenda : les services pakistanais détournent une part des fonds américains vers le programme nucléaire pakistano-saoudien.
Les fonds destinés à Massoud sont ponctionnés, tandis que Ben Laden est davantage soutenu, lui qui recrute et forme des volontaires arabes, qu'il envoie combattre sur le terrain non plus sur des bases politiques, ou nationales, mais bien religieuses. Ce qui donne naissance à une véritable armée de volontaires de l'Islam, forgée dans les combats d'Afghanistan. Ils vont essaimer dans toute le monde islamique, puis sur tous les continents.
Ce qui fait dire au fils de Louis et d’Ann que si ses parents et ses beaux-parents ne s'étaient pas rencontrés, le 11 septembre n'aurait probablement jamais eu lieu. En attendant, pour soutenir le PDPA prosoviétique mis en difficultés par les moujahédines, l’Armée Rouge finit par envahir l’Afghanistan. Elle va s’y enliser des années durant, ce qui sera l’une des causes majeures de l’effondrement de l’URSS. Louis mourut juste après la fin de la guerre. Ses cendres et celles de Nancy reposent à Kaboul.
A28 - 1978 : Le Shah, la porteuse de K7 et les assassins
Avec l'Iran, l'islamisme acquiert un pays, des moyens considérables et des services secrets.
Cinéma Rex, Abadan, Iran, 19 août 197
Si, depuis Paris, l'ayatollah Khomeiny tire les ficelles de la révolution iranienne dans l'ombre ; sur le terrain, en Iran, c'est Ali Khamenei qui mène le jeu. Traducteur en persan des ouvrages de Qutb (le père spirituel des Frères Musulmans), le jeune mollah est d’abord érudit en politique. Il est d'ailleurs cité parmi les anciens étudiants de l'Université Lumumba sur une plaquette promotionnelle. Jusqu'à ce que toute trace de son passage à Moscou soit soigneusement effacée sous l’ère Poutine. Il est aussi et surtout accusé d'être l'un des quatre fanatiques qui ont bouté le feu au cinéma d’Abadan qui passait "Gozhana". En pleine projection de ce film iranien, jugé antireligieux, l'incendie a tué 470 spectateurs, pour la plupart des travailleurs du pétrole, fortement syndiqués.
La semaine suivante, dans toutes les mosquées du pays, les mollahs accusent la SAVAK, la police secrète du Shah, d'avoir incendié le cinéma pour assassiner des ouvriers syndicalistes. C’est totalement absurde, la Savak n’avait ni besoin ni intérêt à un tel meurtre de masse, mais ça marche, les manifestations se multiplient et ne s’arrêtent pas. On n'en a bien sûr aucune certitude, comme dans toute opération bien menée d'un service secret, mais le processus rappelle bigrement les provocations chères au KGB.
Depuis 1964, l’ayatollah Khomeiny est en exil en Irak, à Kerbala, où ses discours à la gloire du chiisme dérangent Saddam Hussein. L’ébullition de l’Iran voisin n’arrange rien, mais l’éliminer ou le renvoyer à la police du Shah mettrait la majorité chiite irakienne à feu et à sang. Le 6 octobre 78, l’ayatollah débarque à Paris et s’installe à Neauphle-le-Château, sans avoir officiellement prévenu les services français, qui sont cependant au mieux avec les Irakiens … et avec le Shah, à qui la proposition d’éliminer l’ayatollah est d’ailleurs faite. Mais le Shah la refuse, craignant d’en faire un martyr et d’envenimer la situation.
A priori, isolé dans sa villa de banlieue parisienne, l’ayatollah n’est pas très dangereux. C’est là qu’intervient la comédienne française Eva Darlan. Pour boucler ses fins de mois, elle travaille également comme hôtesse de l’air pour Air Inter. Gauchiste, comme tout le monde ou presque dans sa génération, elle se fait « tamponner » par un jeune et ténébreux intellectuel iranien. Profitant des billets à prix réduit auquel elle a accès sur Air France, elle emporte dans ses bagages des cassettes audios des discours de Khomeiny, qu’elle remet à des inconnus à l’issue d’un jeu de piste dans les souks de Téhéran. Ces cassettes sont immédiatement dupliquées en grande quantité dans les échoppes islamistes de tout le pays.
Le 16 janvier 1979, les manifestations ne faiblissant pas, le Shah Mohammed Reza Pahlavi quitte le pouvoir et part en exil, finissant par se réfugier, gravement malade, aux Etats-Unis. En 1980, on est en pleine guerre froide et même si la majorité des pays sont officiellement "non alignés", ils soutiennent généralement les intérêts de l'un ou l'autre camp, au Moyen Orient encore plus qu'ailleurs. D'ailleurs, même la neutralité helvétique n'est qu'un leurre, personne ne pensant sérieusement que la Suisse pourrait rejoindre le camp du communisme.
Seulement, lorsque les intérêts locaux collisionnent ceux des grandes puissances et réciproquement, il arrive que les alliances fluctuent au point qu'une chatte n'y reconnaitrait plus ses petits. Alors le Shah... D'abord plutôt apprécié par Jimmy Carter, très croyant et soucieux des droits de l'homme, qui voyait dans l'ayatollah une alternative à la violence de la Savak pour contrer le communisme, Khomeiny va se révéler bien pire que son prédécesseur. La répression qui s'abat sur les Iraniens et les Iraniennes est féroce et fait des milliers de morts. Du coup, Washington complote avec les monarques sunnites pour renverser l'ayatollah, par l'intermédiaire du prosoviétique Saddam Hussein.
L'Irak et l’Iran sont historiquement en rivalité pour le leadership régional, mais surtout, sunnite laïc, Saddam Hussein craint l'influence des mollahs sur sa majorité chiite. L'opération "Nojeh" est alors montée, du nom de la base aérienne iranienne où des officiers loyalistes au Shah doivent lever l'étendard de la révolte et appeler Saddam Hussein à l'aide. Sauf que nombre d'officiers de renseignement de Saddam Hussein ont été formés à Moscou et que l'affaire arrive aux oreilles du KGB ... qui avertit les mollahs.
De violente, la répression va devenir aveugle. L'élite intellectuelle et économique perse est décimée, emprisonnée ou pendue, et leurs biens saisis vont alimenter les caisses noires du régime, constituant un trésor estimé aujourd'hui à 95 milliards de dollars. Un transfuge iranien, pilote de chasse, Ahmad Talebi, est ainsi assassiné de plusieurs balles de revolver sous les yeux de son épouse, dans une rue des Paquis à Genève. Puis un autre pilote, à Hambourg.
Kazem Radjavi, le frère du chef de l'opposition d'extrême-gauche est assassiné à son tour, à Genève encore, mais cette fois, les tueurs sont photographiés par un radar de vitesse, à l'aller et au retour, dans une auto de location. Le timing correspond parfaitement à l'heure du crime et les billets d'avions ont été acquis par le Vevak, la police secrète du nouveau régime, qui remplace la Savak avec des méthodes encore plus violentes.
A Paris, une tentative ratée d'assassinat de Chapour Bakhtiar, laïc de gauche, héros de la résistance française et ministre de Mossadegh puis du shah, vaut la perpétuité au libano-arménien Anis Naccache, agent iranien converti au chiisme, ami de Carlos et défendu évidemment par Me Vergès. En 1985-86, une nouvelle campagne d’attentats orchestrée par Téheran réclame - en vain - sa libération. Les auteurs de cette 2ème vague, interpellés, sont cependant expulsés par la France avant d’être jugés. Enfin, en juillet 1990, Naccache et ses 4 co-accusés sont échangés contre la libération des otages français du Liban.
Un an plus tard, en août 91, Chapour Bakhtiar est assassiné pour de bon. L'Iran a la rancune tenace. Plusieurs agents du Vevak sont arrêtés, dont des diplomates iraniens en Suisse. Une nouvelle vague d’attentats secoue la France sur laquelle plane l’ombre de Naccache : les suspects sont des libano-arméniens (comme Naccache) et des membres d’Action directe. Or Naccache a côtoyé les membres d’AD en prison. Ils recrutent aussi des jeunes français d'origine maghrébine, petits voyous fort peu religieux, qui tombent dans les filets de l'islamisme chiite durant leur séjour en prison.
Ali Vakili Rad, le meurtrier de Bakhtiar, est finalement libéré en 2009, en échange de la chercheuse Clotilde Reiss, arrêtée à Téhéran en possession de messages émanant d'opposants au régime. Entretemps, Anis Naccache est devenu un respectable « conseiller en communications » qui fait la navette entre Beyrouth, Damas, Téhéran et Alger, où il passe beaucoup de temps. En réalité, il est présenté comme une sorte de représentant officieux des mollahs auprès du gouvernement algérien. Jusqu’à sa mort, du Covid, en 2021.
Malgré tout, considérés comme la section iranienne des Frères Musulmans, les ayatollahs ont conservé des liens avec leurs frères sunnites et ces liens passent par Genève. Saïd Ramadan, gendre du fondateur de la confrérie, s'y est réfugié en 1958, en pleine guerre d’Algérie, avec une lettre des services d'Allen Dulles, le patron de la CIA, pour appuyer sa demande d'asile. Il y rencontre aussitôt une vieille connaissance d’Allen Dulles, le banquier vaudois François Genoud, qui a travaillé avec Chekib Arslan et Amin al Husseini.
Fâché avec Nasser, Ramadan apparaît en 1960 comme un recours potentiel contre le communisme, mais il a son propre agenda et commence par convertir Genoud à l'islam. Ce que nient aujourd'hui les disciples néo-nazis du Vaudois, comme ils nient l'idée que leur héros surveillait la mosquée ouverte par Ramadan, pour le compte des Renseignements helvétiques et probablement de la CIA. C’est qu’il s'en passe des choses à la mosquée des Eaux-Vives.
En 1964, en route pour la Mecque, Malcolm X, vient s'y recueillir au moment où il quitte la secte « Nation of Islam » pour se convertir au sunnisme. X passe la nuit à palabrer avec Ramadan et le Pakistanais Maulana Ahmad Zafar al-Ansar qui sera le conseiller du Président Zia Ul Haq dans l’islamisation de la constitution pakistanaise. X espère obtenir de l’argent saoudien pour développer le sunnisme aux Etats-Unis.
David Belfield est un autre afro-américain, ex de la « Nation of Islam » qui connaît Saïd Ramadan depuis 1975. Devenu Daoud Salahudin, il assassine Ali Akbar Tabatabaï, l'ancien porte-parole du Shah, qui dirige l'Iran Freedom Foundation aux USA depuis la révolution des mollahs. En route pour l’Iran après son crime, Salahudin fait halte à Genève où il passe la nuit à la mosquée des Eaux-Vives, à écouter Saïd Ramadan.
En 2007, devenu Hassan Abdulrahman, le citoyen étasunien Belfield/Salahudin devient le patron de Press TV, chaîne de propagande étatique iranienne en anglais, avec des bureaux à Londres, Beyrouth, Kaboul et Damas. Press TV est, sur les ondes et sur internet, l'un des relais essentiels du complotisme et de la propagande russo-iranienne depuis une vingtaine d'années.
Dès 1980,
l'opposition féroce entre Saddam Hussein et les mollahs va dégénérer en conflit
ouvert et même en guerre de tranchées, qui va faire un million de morts en 8
ans. Elle se soldera 15 ans plus tard par l'invasion de l'Irak par les
Etats-Unis, qui livre à l'Iran l'ancienne puissance mésopotamienne. Pas
forcément par hasard, mais bien grâce aux manipulations du gouvernement Bush Jr
par les services iraniens, comme nous le verrons bientôt.
A29 - 1978 : Le Pape joue à la Guerre des Etoiles
Quand la Pologne prenait à revers l'URSS empêtrée en Afghanistan.
Cité du Vatican, Rome, le 28 septembre
Lorsque le Pape Jean-Paul 1er décède, un mois après son élection, le monde s'interroge. Une crise cardiaque à 65 ans, quand on prend régulièrement des anticoagulants et qu'on se retrouve sans prévenir à un tel poste, c'est plausible. Mais au KGB, on a l'habitude des complots et le patron, Iouri Andropov, est persuadé que c'en est un, ourdi par la CIA. Son agent au Vatican croit savoir que le nouveau Pape n'appréciait guère les activités peu catholiques du Banco Ambrosiano, qui servait parfois de banque à l’agence de renseignement américaine.
Lorsque la fumée annonce la nomination de son successeur, Andropov n'a plus de doute : Jean-Paul II, alias Wojtyla, est un cardinal polonais, classé comme « ennemi potentiel dangereux » par le KGB. Esprit rationnel et droit, plutôt libéral pour un patron du KGB, Andropov se veut néanmoins inflexible. Contrairement à tous ses prédécesseurs, les dissidents ne sont plus exécutés, ni torturés en prison pour leur faire avouer les crimes les plus abracadabrants. Ils sont juste assignés à résidence au fin fond de la Sibérie (mais dans des villes, pas dans des camps), exilés à l'étranger pour les plus connus, voire au pire, internés en hôpital psychiatrique. Forcément fous, puisqu'ils sont dissidents, alors que c'est interdit.
Andropov veut améliorer le communisme, pour le sauver. Il lutte contre la corruption, dénonce excès et injustices. Mais il reste fondamentalement fidèle à ce système et n'hésite jamais à tuer pour le défendre, quand c'est nécessaire. C'est d'ailleurs ce qui l'a fait remarquer par Khrouchtchev. Jeune ambassadeur à Budapest, ayant appris le magyar sur place, Andropov dirige la répression de l'insurrection hongroise de 1956, qui fait 2500 morts, au lendemain du décès de Staline.
S’il a probablement tort sur les causes du décès de Jean-Paul 1er, Andropov a raison de s'inquiéter de l’élection d’un pape polonais car la Pologne, qui fait encore partie du Pacte de Varsovie, ne va pas tarder à entrer en ébullition. En 1979, « Wojtyla » reçoit un accueil triomphal en Pologne, où il devient « Le » héros national. Les ouvriers des chantiers navals de Gdansk viennent de fonder un syndicat indépendant, Solidarnosc, ce qui remet en cause le caractère « ouvrier » du parti communiste. C’est donc formellement interdit. Lech Walesa fait placarder des portraits du pape sur les grilles d’entrée du chantier.
Appuyé par des intellectuels et par l'église, les nouveaux syndiqués déclenchent des grèves très dures et bénéficient du soutien quasi unanime de la population. Cela n’empêche pas le Général Jaruzelsky, désormais à la tête de l’Etat polonais, de réprimer le mouvement en emprisonnant plusieurs milliers de syndicalistes, dont Lech Walesa, qui reste en prison près d’un an. L'église aide à répandre la bonne parole et met tout son poids dans la balance. La Pologne étant restée très profondément catholique, ça pèse.
Jaruzelski finit par céder et autorise le syndicat, qui compte bientôt 10 millions de membres, soit un polonais sur trois ! C'est trois fois plus que le Parti communiste et les apparatchik sentent le sol se dérober sous leurs pieds. Au premier congrès de Solidarnosc, les congressistes prient un genou en terre, comme des moines guerriers. La première chose qui frappe le visiteur en Pologne à l'époque, c'est la force du sentiment antisoviétique. Les Russes sont haïs. Par tout le monde.
Le KGB le sait et Andropov cherche désespérément une alternative à la répression aveugle qui risquerait de tourner en génocide, ce qui pourrait avoir un effet stimulant sur les opposants au sein même du pacte de Varsovie. En plus, l'armée Rouge est déjà empêtrée en Afghanistan et n’aurait de toute manière pas les moyens d’intervenir en Pologne même si les manœuvres gigantesques organisées en Biélorussie ont pour but de prouver le contraire. Reste l’action clandestine, ciblée.
Le 13 mai 1981, le Pape essuie un attentat au Vatican, commis évidemment par quelqu'un qui n'a rien de soviétique. Un jeune fasciste turc membre des Loups Gris, Mehmet Ali Agça, assassin évadé d'une prison d'Istanbul tire sur Jean-Paul II et le blesse grièvement. Détail troublant, entre son évasion et l'attentat, Agça a séjourné en Bulgarie, pays du Pacte de Varsovie. Il y a trouvé un appui logistique étonnant dans un pays très policier : de l'argent, un faux-passeport et l'arme du crime. Faut-il ajouter que la Durjavna Sigurnov, la police secrète de Sofia, très liée au KGB n'était pas à un assassinat près, à coups de parapluie bulgare ou de pistolet ?
Ayant survécu lui aussi à un attentat six semaines plus tôt, Ronald Reagan, le nouveau Président des USA, demande à rencontrer Jean Paul II. Lors d'un tête-à-tête au Vatican, les deux hommes conviennent d'aider Solidarnosc par tous les moyens. Même si Solidarnosc est plutôt de gauche et lutte autant contre les injustices du système soviétique que pour la liberté. La Guerre Froide change d'échelle. Les USA évitent toujours d'attaquer frontalement l'URSS mais ils augmentent la pression par la religion et l'économie. Le catholicisme en Pologne et l'Islam en Afghanistan sont utilisés contre le communisme athée.
Dans le même temps, la course à l'espace et aux armements épuise l'URSS, qui peine à suivre. D’autant que la course est truquée. L'ambitieux programme de la Guerre des Etoiles est lancé à grands renforts de publicité par Reagan, mais les satellites armés de laser tueurs de missiles n'existeront que dans les films de Starwars. Et dans l’imagination de l’ancien chef du syndicat des acteurs, qui joue là son plus beau rôle. Le plus piquant, c’est que ce sont les efforts gigantesques mis en oeuvre pour protéger un secret - qui en réalité n’existe pas - qui convainquent le KGB de l’importance du projet américain.
La déroute est absolue. Le Soviet Suprême et le KGB sont persuadés de l'avancée technologique occidentale et comprennent qu'ils ne parviennent plus à rivaliser. En cas de guerre, les ogives russes n'atteindraient jamais leur cible tandis que les Américains pourraient détruire l'URSS sans coup férir. C'est une victoire totale et le Kremlin, prêt à hisser le drapeau blanc, envoie des signaux qui sont reçus 5 sur 5. La désescalade va se négocier à Genève et dans l'atmosphère de fin de règne qui pèse sur l’URSS à la fin des années 80, plusieurs hauts gradés du KGB sont « retournés » et passent à l'Ouest, ou même, risquent leur vie en informant depuis l'URSS.
Zbigniew Brzezinski exulte. En dix ans et deux Présidents, un démocrate et un républicain, il a réussi son pari: l'URSS est à terre. La Maison Blanche pourrait profiter de son avantage, l'Armée Rouge a implosé de l'intérieur, mais personne n'y songe. La préoccupation est plutôt d'éviter que les 6000 ogives nucléaires soviétiques s'éparpillent dans la nature. Dès lors, la priorité consistera plutôt à renforcer le Kremlin qu'à l'affaiblir. Notamment en l'aidant à récupérer les têtes nucléaires disséminées en Ukraine, en Biélorussie et au Kazakhstan.
Hélas, en aidant le pouvoir du Kremlin contre les
maffias, les Etats-Unis vont contribuer à mettre la maffia au pouvoir au
Kremlin.
A30 - 1982 : Les terroristes pacifistes
Quand la jeunesse occidentale posait des bombes
Superphénix, Creys-Malville, le 18 janvier
La mode est au terrorisme et les écologistes veulent en être. Mais comme ils tiennent à leur image, un petit groupe de verts genevois se lance dans ce qu'ils appellent « des actions terroristes non-violentes », sans blessés ni morts. Ils ciblent le nucléaire, les trafiquants d'armes et les industries polluantes. Leur plus gros coup demeure l'attentat au bazooka contre le surgénérateur de Creys-Malville.
L'arme leur est vendue par Carlos, par l'intermédiaire des Belges qui deviendront les Cellules Communistes Combattantes, à qui les Genevois achètent déjà des explosifs. Pierre Carette et ses petits camarades sont en effet les fournisseurs de toute l’ultra-gauche européenne depuis le vol de 800kg de dynamite, réalisé sur un chantier en compagnie de membres d’Action Directe. Nathalie Ménigon et Frédéric Oriach (qui prendra le chemin de Damas) sont les contacts de Carette au sein d’Action Directe.
Nos écologistes genevois ont besoin d’un bazooka spécial, le tout dernier modèle soviétique, seul capable de percer le béton armé de l'enceinte nucléaire. Les Belges jouent les intermédiaires et les Genevois ont la surprise de voir débarquer un officier de l'Armée Rouge soviétique, venu leur enseigner le maniement de l'arme.
Après quoi leurs contacts internationaux - qui sont parfois des Palestiniens - tentent de les convaincre de poursuivre plus en profondeur leur combat contre le complexe militaro nucléaire français. Ce qui n'est pas du tout la tasse de thé de nos Genevois : eux en veulent au surgénérateur de Creys-Malville, à portée de nuage radioactif de Genève, mais ils n’entendent pas se mêler de politique française et encore moins de son budget militaire. « S’ils avaient su que j’étais juif et en plus suisso-israélien, c’est sûr qu’ils m’auraient zigouillé séance tenante » affirmait Chaïm Nissim, devenu depuis député vert Genevois, aujourd’hui décédé : « Heureusement, nous avions tous des pseudonymes et de fausses identités", nous a-t-il expliqué, face caméra.
Chaïm Nissim est celui qui a tiré sur la centrale. Il a beaucoup écrit sur ce qu'il appelle « la psychose de la clandestinité ». Un complexe enivrant de supériorité, addictif, qui se développe quand on ne peut parler à personne de ce qu'on fait vraiment. Et qui consiste en grande partie à tromper tout le monde, pendant des années. Y compris ses partenaires en « affaires » à qui il ne faut jamais non plus faire excessivement confiance : « Tu es seul, en fait ».
Cette solitude engendre le sentiment d’appartenir à une élite, une sensation de toute puissance, typique du clandestin. La satisfaction que cela procure (« aussi forte qu’une drogue » disait Nissim) explique la carrière particulièrement longue de certains agents multiples, comme Paul Dickopf, François Genoud et quelques autres, qui à peine sortis d'une situation extrêmement périlleuse, n'eurent de cesse de se replonger dans une autre, encore plus dangereuse, parfois pour des sponsors différents.
« Cela façonne des gens haut perchés, très fragiles et aisément manipulables, concluait Nissim. Il suffit de les prendre à leur propre jeu, de leur laisser croire qu'ils sont les plus malins, pour les amener à commettre des attentats qui ne servent pas leur cause, mais celle du manipulateur ». C'est probablement ce qui explique la gabegie dans laquelle l'Italie se retrouve plongée durant ces années de plomb : des explosifs vendus par Carlos, qui vit alors en Allemagne de l'Est aux frais de la STASI, sont utilisés pour commettre des attentats que les relais conscients et inconscients de la propagande soviétique attribuent à l'extrême droite ou à la CIA. Parfois à tort et parfois à raison.
Le plus meurtrier, celui de la Gare de Bologne, fit 85 morts et 200 blessés. On peut se demander pourquoi deux membres des cellules révolutionnaires allemandes, proches de Carlos et du FPLP, se trouvaient à Bologne le jour où une valise piégée a détruit la Gare Centrale ? Pas n’importe quels membres puisque Thomas Kram était le spécialiste en explosifs du mouvement et Krista Frolich une terroriste aguerrie, formée dans les camps palestiniens du Moyen-Orient. Or les Palestiniens avaient d'excellentes raisons de vouloir faire libérer Abu Anzeh Salef, qui se trouvait alors détenu dans une prison italienne
Carlos a démenti son implication dans le massacre lors d'une interview parue sur le site Agoravox italien, mais a-t-il jamais dit la vérité ? N’était-il pas capable de nier se reconnaître sur sa propre photo devant un jury en plein tribunal. Dans la même interview il reconnaît cependant la présence de ses deux comparses et dément que l'extrême-droite ait été impliquée. Prétendant faire porter le chapeau aux seuls gouvernements italien et étasunien, qui auraient commis là une provocation pour justifier la répression, voire un coup d'Etat. Ce qui ressemble plutôt à un habitus russe.
De fait, il n'y eut pas de coup d'Etat et les Etats-Unis n’avaient aucun intérêt à déstabiliser un pays européen pilier de l'OTAN. Y engendrer du désordre ne parait pas le moyen le plus sûr d'y conserver des bases militaires essentielles, comme celle d’Aviano, qui couvre toute la Méditerranée. De plus une provocation n'est utile à un gouvernement que s'il l'utilise pour supprimer les libertés publiques ou pour réprimer violemment les contestataires, ce qui n’a pas été le cas en Italie. Par contre, le SISMI (le service de renseignement italien) s’est pris les pieds dans le tapis en tentant d'impliquer l'extrême-gauche italienne avec de fausses preuves, faute d'en avoir de vraies et surtout de pouvoir utiliser les informations que leur fournissaient leurs agents infiltrés.
Si l'extrême-gauche et l'extrême droite se rejoignent parfois dans les périodes de forte tension, c'est encore plus vrai dans le monde paranoïaque des terroristes, qui ne brillent pas par la lucidité de leurs analyses politiques. Ainsi, au Crystal Bar, à Cannes, un soir de mai 1975, alors que le festival bat son plein, Jean-Luc Milan, mao spontanéiste un peu paumé, cherche à convaincre un copain de lycée que les attentats qui déchirent les nuits cannoises depuis quelques temps sont le fait des communistes qui veulent déclencher une révolution !
Malgré plusieurs bières, le copain trotskiste n'y croit pas une seconde. La situation n'a rien de révolutionnaire et il ne voit ni le PCF, ni la CGT s'engager dans l’aventurisme. Les deux jeunes gauchistes se séparent après minuit. Au petit matin, toute l'extrême gauche cannoise est réveillée par une vaste descente des RG. Jean-Luc Milan est mort en posant sa bombe, au casino municipal, la 3ème cette année-là, après celles qui avaient explosé au Palais des Festivals et devant la Villa de Marcel Dassault, dans le quartier de la Californie.
Milan avait cherché à recruter et avoué à certains copains qu'il posait des bombes, à l'aide d'explosifs qu'il aurait découvert sur un chantier des Alpes où il avait travaillé. Ce qui fait forcément penser aux cellules combattantes, d'autant qu'il avait des contacts avec l'ultra-gauche franco-belge et italienne. La police française conclura cependant qu'il avait agi seul. 40 ans plus tard, au fil de cette enquête, le copain ancien trotskiste réalise que tout compte fait, la "révolution" rêvée par Milan c'était peut-être bien tout de même un plan des communistes, mais plutôt du KGB que du PCF.
Il se dit aussi qu'il l'a échappé belle et que s'il avait été moins clairvoyant, il aurait pu se laisser embarquer dans l'aventure criminelle - et mortelle - de son copain de lycée.
A31 - 1986 : L'Empire nucléaire se décompose
Quand l'empire soviétique a implosé, mais en sauvant les meubles, grâce à l'aide occidentale.
Tchernobyl, RSS d'Ukraine, le 25 avril
Au contact régulier de l'extérieur, l'élite du KGB a compris depuis longtemps que le retard pris sur l'Ouest va croissant. Les valeurs du communisme ne sont plus un moteur et en épluchant « professionnellement » les médias occidentaux, ils constatent l'écart abyssal, en dépit du discours officiel, entre la sombre réalité soviétique et l’indéniable prospérité occidentale.
La censure en vigueur n’arrange rien et ces analystes professionnels savent bien que les pénuries alimentaires et les magasins vides ne sont que la part visible des disfonctionnements. Plus rien ne marche dans le pays. Même les industries militaires et spatiales essuient des revers, soigneusement dissimulés, mais même le secret ne fonctionne plus puisque sous le manteau, l'information circule, grâce aux samizdats recopiés à la main.
Tchernobyl apporte le coup de grâce : des centaines d'hommes en sont réduits à se sacrifier pour limiter la catastrophe et deux ans plus tard, Valeri Legassov se suicide. Scientifique irréprochable, qui publiait en français dans la revue polytechnique de Lausanne, il a coordonné les secours pendant la catastrophe, puis rédigé le rapport pour l'AEIA de Vienne. Chose tout à fait inhabituelle, par décision personnelle de Gorbatchev, la Pravda publie sa lettre d'adieu !
Il y incrimine directement le système et son culte du secret, doublé de la terreur qu'il inspire : « Nous avions les moyens d'éviter la catastrophe, explique Legassov, mais pour cela, il aurait fallu pouvoir en parler, or nous n'en avions pas le droit ».
Cela fait quelques années que paradoxalement, l'élite sécuritaire du pays, chargée de le préserver, s’est convaincue que le régime qu'ils défendaient était en réalité le pire ennemi des Russes et de la Russie. Les défections furent d'abord individuelles : de hauts cadres des services de renseignement se sont mis au service de l'Occident, risquant leur vie en « trahissant », pour des raisons humanitaires ou par patriotisme, dans l’espoir de sortir la Russie de son régime stérile et de mettre fin à la guerre froide qui menaçait l’avenir de toute l’humanité.
D'autres ont tenté et en partie réussi le pari du changement par le haut. Notamment le tout puissant grand patron du KGB, Youri Andropov, qui chargea un apparatchik brillant, Mikhaïl Gorbatchev, alors responsable de l’agriculture, d'élaborer un système d'indicateurs économiques et de mesure des performances qui soit enfin efficace et réaliste. L’idée était de pouvoir comparer l’Union Soviétique avec le modèle occidental, sur des critères objectifs.
Sous son air anodin, l'initiative attaquait de front la culture de dissimulation du régime. Imprégné d'esprit scientifique, Andropov avait compris que le pays avait besoin de réformes et que le pouvoir avait besoin d'informations fiables et précises pour les mener. Cela tombe bien car à la mort de Brejnev en 1982, il est nommé Secrétaire Général du Parti Communiste, ce qui en URSS est le lieu du vrai pouvoir.
Gravement malade, il décède 15 mois plus tard et ses réformes sont aussitôt interrompues par son successeur, Tchernenko, qui est un conservateur, tout aussi âgé et malade. Rebelote, il meurt 13 mois plus tard, en mars 85, laissant cette fois la voie libre au jeune apparatchik avide de changement : Gorbatchev. La transparence, la « glasnost » devient le premier mot d'ordre, et le nouveau leitmotiv du Kremlin. Ce qui permet la publication dans la Pravda du rapport sur Tchernobyl.
Le second mot d'ordre, la perestroïka, résume les réformes économiques appelées de leurs vœux par les ténors du KGB, qui rêvent d'en finir avec le marxisme en optant pour l'économie de marché. Le grand rival du sud, la Chine Populaire a déjà opéré le tournant avec un certain succès. D’ailleurs, elle commence à en récolter les fruits, en termes de développement économique, tout en conservant la mainmise du parti communiste sur tous les rouages de la société. Pourquoi ne pas en faire autant ?
En Chine, les traditions confucéennes contribuent au changement, la direction du parti communiste pouvant être vue comme une forme moderne du mandarinat ancestral, cette caste de gestionnaires assurant l’administration de l’Etat depuis 2500 ans. Aussi, un principe simple facilite le passage à l’économie de marché sous l’égide du parti communiste chinois : le business est désormais roi, mais pour pouvoir en faire vraiment, mieux vaut être membre du parti !
En Russie, à l'opposé, "communiste" et "soviétique" sont deux mots qui ne font définitivement plus rêver. De plus, du Tsar au 1er Secrétaire du PCUS, la société russe a toujours eu l’habitude de fonctionner sous l’autorité d’un chef tout puissant et Gorbachev n'est pas cet homme là. Embourbé en Afghanistan et en l’absence d’homme providentiel, l'empire se désagrège.
L’URSS se délite d’autant plus vite qu’elle est bâtie sur une fiction : une mosaïque de nationalités fort diverses, soi-disant peuples frères, mais clairement dominées par l'ethnie russe, au comportement souvent raciste, comme le dénonçait déjà Lénine, qui y voyait le principal danger pour la révolution ! Dans les faits, l’URSS n’est qu’un Empire colonial presque comme les autres, où les ethnies des territoires conquis bénéficient en théorie de droits égaux; mais en théorie seulement, la réalité étant subtilement très différente.
Les membres du Pacte de Varsovie sont les premiers à prendre leur distance dès qu'ils sentent le joug se relâcher, vite suivis de nombreuses républiques soviétiques qui veulent faire sécession. Une chaîne humaine de 687 km regroupant 2 millions de personnes (le tiers de la population) se forme ainsi à travers les trois pays baltes pour exiger l'Indépendance. L'Ukraine, le Kazakhstan, la Biélorussie, les Républiques caucasiennes réclament leur indépendance, suivies par la Moldavie. Sauf qu'en Transnistrie, une région de Moldavie, la 14ème armée russe se rebelle et réclame le rattachement à l’URSS.
Le 19 août, la veille de la signature d'un contrat d'autonomie pour toutes les Républiques, un groupe de hauts responsables mené par l’adjoint de Gorbatchev, Guennadi Ianaïev, tente un coup d'Etat militaire et s'empare de Gorbatchev. Ils affirment dans une lettre à Mitterrand qu’ils veulent poursuivre les réformes et le passage à l’économie de marché, mais s’opposent à l’éclatement de l’Empire, qui augmenterait le risque de prolifération nucléaire. 34 ans plus tard, le discours de la dictature russe reste le même: " Tolérez-nous, sinon ce sera pire " !
Nouveau Président de la République de Russie, Boris Eltsine rejette le putsch et refuse de lâcher son nouveau pouvoir. Avec l’appui de nombreux cadres intermédiaires acquis au changement, il fait front. Les commandos Alfa, chargés de s'emparer du parlement, retournent leurs armes. Le peuple de Moscou fait bloc derrière Eltsine et les leaders du putsch renoncent au bout de trois jours. Arrêtés, ils seront graciés dans les années qui suivent, et avec Poutine, on retrouvera les officiers supérieurs putschistes à la tête du contingent qui envahit l'Ukraine.
Le 24 août, l’Ukraine fait officiellement sécession, suivie de plusieurs Républiques. En Transnistrie, la 14è Armée soviétique abandonne l'idée de l'URSS et réclame désormais manu militari son rattachement à la Russie. Parmi les agents du GRU actifs sur le terrain, on remarque un certain Igor Guirkine, qui n’est encore que Capitaine. La gabegie et la guerre des clans s'installent et le message passe : la sécurité du parc nucléaire est en danger.
L'Occident s'inquiète, d'autant qu'une centaine de charges nucléaires disparaissent, avec la complicité évidente de militaires et d’agents du renseignement, plus proches que jamais des mafias qui les recrutent par milliers. Dûment alimentés, les médias occidentaux s'alarment des disparitions suspectes d'ogives ou de combustibles, plusieurs films sont réalisés sur ce thème. Le risque de prolifération nucléaire fait la une.
Prophétie autoréalisatrice ou campagne d’opinion, le résultat est le même et les occidentaux stressent. Lors du référendum organisé en 1992, 75% des Ukrainiens réclament l'indépendance de leur pays, même en Crimée et au Donbass où ils sont 65%. Mais l'Occident n'aime pas l'idée de multiplier les Etats disposant de l'arme atomique et Washington tord le bras à l'Ukraine : à Budapest, en 1994, Khyiv est lourdement incitée à livrer tout son arsenal nucléaire à Moscou, en échange de la protection des anglo-saxons et d’une promesse de respect de son intégrité territoriale, culturelle et économique par Moscou. Promesses allègrement piétinées par Poutine 20 ans plus tard, lorsqu'il envahit la Crimée et le Donbass.
La fin de l’équilibre des deux blocs donne effectivement des envies de bombe atomique aux puissances régionales. L’Inde ayant la sienne, la solidarité musulmane pousse l'Arabie Saoudite à financer la bombe pakistanaise. En échange, les Saoudiens obtiennent trois têtes nucléaires, conservées dans des silos au Pakistan. Les pays hostiles à la suprématie américaine sont les plus motivés : orphelins de la protection du parapluie soviétique, l'Iran, la Corée du Nord et la Libye s’associent et recrutent Abdul Khader Khan, le père de la bombe pakistanaise.
Ce dernier les met en contact avec des fabricants de machine outils suisses et allemands, qui livrent de quoi fabriquer des centrifugeuses. Informée par l'entreprise suisse, la CIA piège les machines pour qu'elles ne puissent pas produire de plutonium. Déçu, Kadhafi préfère échanger le démantèlement de son usine inopérante contre l’oubli officiel de ses activités terroristes. Sous Obama, l'Iran acceptera également de bloquer son programme, en échange de la fin des sanctions économiques et politiques. Y compris l’absolution de ses anciens agents terroristes comme Anis Naccache. Mais Trump reviendra sur l'accord et l'Iran remettra ses centrifugeuses en action, après les avoir rendues capables de fabriquer effectivement du plutonium grâce à l'aide nord-coréenne.
En développant leurs programmes nucléaires avec Khader Khan, les trois « Etats voyous » rêvaient d’alternative au leadership occidental. Les leaders du Hezbollah libanais ont ainsi fait la connaissance d'Ahmadinejad à Pyongyang, lors d'un programme de formation politique organisé par les Nord-coréens. Et si la Corée du Nord parvient à fabriquer sa bombe en dépit des manœuvres de la CIA, c'est certainement à l'aide de technologies russes, fournies malgré l'embargo de l'ONU, officiellement approuvé par Moscou.
La Corée du Nord vendra même une usine à la Syrie, aussitôt bombardée par Israël. Aujourd'hui, en 2024, l’alliance anti-occidentale a de nouveaux visages, et la Russie s’y affiche désormais ouvertement en leader. Force est de constater que la peur du nucléaire et de la prolifération a surtout servi le Kremlin, qui a pu récupérer ainsi les ogives ukrainiennes, biélorusses et kazakhes, en éliminant le risque à ses frontières, tandis qu'au contraire, Moscou n'a jamais fait de grands efforts - c'est un doux euphémisme - pour enrayer la prolifération lorsque cela pouvait nuire aux occidentaux.
A32 - 1990 : Paul Simon à Joburg et Ben Laden à Damas
Dans les décombres de l'URSS
Robben Island Afrique du Sud, le 11 février
Trois mois après celui de Berlin, un autre mur tombe en Afrique du Sud et ce n’est pas tout à fait par hasard ! L’ANC entretient depuis les années 20 un flirt poussé, quoiqu’à éclipses avec le parti communiste et l’URSS. Au point qu’en pleine guerre froide, les défenseurs de l’apartheid avaient beau n'être pas trop fréquentables, ils parvenaient à se faire passer pour un rempart contre le communisme. L’effondrement de l’URSS les laisse enfin pour ce qu’ils sont - des racistes - et les prive des appuis américains nécessaires à la survie de leur système.
Lucides, les leaders afrikaners préfèrent rendre les armes, en commençant par libérer Nelson Mandela, emprisonné depuis 29 ans. La fin de la guerre froide fait trébucher les dictatures, qu’elles soient de droite ou de gauche et met fin aux nombreuses guérillas dans lesquelles intervenaient les armées sud-africaine et/ou cubaine. Elle révèle aussi d'étonnantes alliances souterraines.
Ainsi le Conseil Œcuménique des Eglises, à Genève, fut un champ de bataille essentiel dans la guerre de l’ombre qui opposait les afrikaners aux agents du KGB. On le comprend mieux quand on sait que le pas encore prix Nobel et futur archevêque Desmond Tutu était employé au siège de Genève du COE, tandis qu’un certain Vladimir Goundiaeïev y représentait l'église orthodoxe de Moscou et de fait l’orthodoxie tout entière, ainsi que le KGB, à ses heures perdues, notamment lorsqu’il appelait à un boycott strict de l'Afrique du Sud.
Plus connu aujourd’hui sous le nom de Kiril, patriarche de l’église russe, Goundiaïev est à l’époque un grand ami de Poutine, officier du KGB comme lui. On connait même son nom de code en tant que guébiste : Mikaïlov. Depuis Staline, l’église orthodoxe de Moscou exerce une autorité sans partage sur le monde russe, sous les ordres du Kremlin : son antenne extérieure est même purement et simplement une division du KGB. A Genève, l’une des tâches essentielles de Mikaïlov, alias Goundiaïev, alias Kiril, c’est de transmettre fonds, conseils et consignes à ses collègues sud-africains proches de l’ANC.
Amateur de montres suisses et de BMW, Goundiaeïev s’offre même un accident de voiture en état d’ébriété, sur la route suisse à la sortie de Genève, en compagnie d'un autre colonel du KGB, ce qui lui vaut d’être rappelé à Moscou. Sa passion des montres, partagée dès cette époque avec Poutine, lui vaudra la moquerie du net mondial quand après une première photo de l’homme d’église arborant une Rolex au poignet, sort une 2ème photo sur laquelle la montre a été effacée, comme sous Staline … mais pas son reflet sur la table vernissée comme un miroir !
Les consignes de boycott culturel de l'Afrique du Sud lancées par Moscou et le KGB par l’intermédiaire du COE ne convainquent cependant pas tout le monde, même au Cap. Le chanteur étasunien Paul Simon veut y enregistrer son disque Graceland qui met en valeur les artistes sud-africains noirs et il se contrefiche de l’accord de l'ANC. Le disque et la tournée mondiale qui s’ensuit, avec Hugh Masekela et l'icône Myriam Makeba sont d’immenses succès. Malgré les activistes pro-soviétiques qui manifestent devant les salles de concert et parfois même jettent des grenades offensives, provoquant plusieurs annulations.
En résistant aux pressions des afrikaners racistes et des militants communistes, qui ne veulent ni les uns ni les autres les voir jouer de concert, Simon, Masekela et Makeba (qui fut pourtant proche des communistes dans sa jeunesse) rendent un immense service à l'Afrique du Sud et au monde. Ils prouvent que noirs et blancs peuvent travailler ensemble, ouvrant la voie à la réconciliation nationale de De Clerck et Mandela, arbitrée par Desmond Tutu qui entretemps a quitté le COE. Dans la lutte contre le fascisme et l'apartheid, l'obstination des artistes (et la puissance économique de l'Industrie du divertissement US) l'emporte sur le rouleau compresseur de la propagande communiste .
Koweit-city, le 2 août 1990
Après la chute du Mur, le communisme agonise partout cette année là et l'annexion du Koweït par Saddam Hussein déclenche les représailles d'une coalition jamais vue depuis la seconde guerre mondiale : les pays de l’ex-Pacte de Varsovie se joignent à l'OTAN pour renvoyer chez lui, en Irak, le tyran de Bagdad ! Comme s'ils pressentaient que la protection de l'inviolabilité des frontières était leur meilleure défense. D'ailleurs la seule exception et de taille, n'est autre que l'URSS, qui n’est pas encore réduite à la Russie et qui s'abstient.
Evgeni Primakov, dernier patron opérationnel du KGB, sauve même le régime de son ami personnel Saddam Hussein. Il négocie avec Bush père, ancien boss de la CIA et désormais Président US, l'arrêt des troupes à la frontière Irakienne. Contre l'avis d'un jeune responsable du Pentagone, Paul Wolfowitz, qui voudrait soutenir les rébellions kurde et chiite. On renvoie l'envahisseur chez lui, mais on laisse les frontières intactes et lui à l'abri derrière. Un peu ce que la Maison Blanche rêve de réitérer aujourd'hui en Ukraine.
Wolfowitz n’est pas le seul à s’indigner de ce refus d'aller plus loin, alors que l’armée irakienne est exsangue et que le dictateur a maltraité son peuple de mille manières. Dans le film « les Rois du Désert », Georges Clooney incarne même un soldat américain qui ne comprend pas pourquoi il doit laisser les chiites se faire massacrer. Le fait est qu'à Moscou, le cadavre soviétique bouge encore, menaçant le monde de représailles nucléaires et la Maison Blanche préfère un mauvais accord à une bonne guerre atomique...
Wolfowitz, encore lui, critique la désescalade nucléaire qui s'ensuit, privant le Pentagone de sa suprématie technologique. La CIA craint également qu'à Moscou, le changement de régime ne soit qu'une façade, le KGB continuant de tirer les ficelles. Elle l'explique au Président. Du coup, l'aide publique qui arrose les ex-pays de l'Est est refusée à Moscou. Alors même que les Russes, pleins d'espoir, avaient fait échouer le putsch des conservateurs du KGB. Les fonds rapaces occidentaux privés qui remplacent l’aide interétatique favorisent la privatisation sauvage, dont le peuple russe fait les frais, mais de son plein gré ou plus exactement en se laissant berner.
La plupart des oligarques naissent à ce moment précis, selon le même schéma : un petit malin, issu de la génération des jeunes entrepreneurs formée par le KGB à la fin des années 80, obtient un crédit bancaire pour moderniser une usine et il commence par racheter à vil prix les actions de l’entreprise qui viennent d’être offerts aux employés. Avant qu'il n'investisse dans la modernisation et que la valeur des actions décuple. Les ouvriers, n'ayant aucune idée du fonctionnement des actions sur le long terme, préfèrent évidemment un peu d'argent tout de suite, dans une Russie où l'on meurt de faim.
Dans cette Russie à l'abandon, nombre de siloviki désœuvrés se laissent recruter par la maffia, d'autant que des liens existaient. Après l'échec du putsch de 1991, les archives entrouvertes du KGB révèlent les connexions avec le terrorisme, par l'intermédiaire de la Syrie et de la Libye, mais aussi avec le narco-trafic et la pègre en Colombie par l’intermédiaire des FARC. La DEA américaine confirmera ultérieurement les connexions directes entre le narcotrafic des FARC et le Hezbollah, par l'intermédiaire du Venezuela où les agents castristes ont pris le pouvoir.
Ces archives seront vite refermées, mais l'on apprendra tout de même, 30 ans plus plus tard, qu'un jeune colonel du KGB avait la vision sur les flux financiers de ces trafics qui, pour franchir le mur, passaient par Dresde, en RDA : Vladimir Poutine.
Entretemps, le terrorisme propalestinien, panarabe à défaut d’être laïc, est devenu franchement jihadiste, quelques émirs fortunés du golfe persique s'étant engouffré dans le vide laissé par le sponsor soviétique.
Ils n'en ont pas pour autant délaissé leur haine anti-occidentale et paradoxalement, les ex-moujahédines biberonnés à la lutte anti-soviétique vont faire le chemin inverse. Pour tirer le Koweit des griffes irakiennes, les USA ont installé des bases en Arabie Saoudite. Ce qui viole le pacte mythique - jamais écrit - du Quincy interdisant aux Américains d'intervenir en Arabie. Oussama Ben Laden est ulcéré. Il n'a pas combattu les Soviétiques athées à Kaboul pour que les Américains chrétiens s'installent à la Mecque. Ben Laden a d'ailleurs proposé aux Saoud de reprendre lui-même le Koweït avec ses hommes, vétérans du jihad afghan, rêvant de fanions de guerre islamiques flottant sur le désert. Le recours aux occidentaux est un camouflet.
A Genève, la très riche famille Ben Laden est en affaires avec François Genoud, le banquier nazi converti à l'islam. A l’instar des pontes néo-conservateurs étasuniens, Bush, Cheney & Co, les Ben Laden détiennent de grosses participations dans l'industrie militaire américaine. Oussama perçoit sa part des bénéfices, comme chacun de ses 53 frères et sœurs (enfin, les sœurs, nettement moins), mais il ne partage guère l'ouverture à l'Occident de sa fratrie. Il fuit l’Arabie saoudite et se réfugie ... au cœur du pays alaouite syrien, dans la famille Ghanem de sa mère et de son épouse, qui est aussi sa cousine. Dans la Syrie de Hafez el Assad, ex-capitaine de l’Armée Rouge soviétique, dont la police est au courant de tout. Vraiment tout.
Pour Ben Laden, le Damas de son enfance a toujours été le refuge de tout ce qui détestait l'Amérique et la chute du mur n'y a rien changé. L’ombre de Moscou y est juste plus lointaine. Carlos, le terroriste vénézuélien, s'y est converti à l'Islam et il y vit désormais avec sa compagne et avec le suisse Bruno Bréguet, dont on sait aujourd’hui qu’il travaillait en réalité pour la CIA. Comme probablement François Genoud, même si dans ce dernier cas, l'ambiguïté demeure.
Lorsqu'un attentat dévaste les sous-sols du World Trade Center à New York, le 26 février 1993, le FBI a été averti et dispose d'un agent infiltré parmi les poseurs de bombe, qui sont aussitôt arrêtés. Parmi eux, un Palestinien de la famille Salameh, pilier de l'OLP, dont on a retrouvé des membres dans les rangs de la SS ou comme chef du Commando des JO de Munich. Mais aussi le cheikh aveugle Omar Abdel Rahman, proche de Ben Laden. Impliqués, deux diplomates soudanais sont expulsés. Il y a 5 morts, mais l'attentat, qui devait détruire les tours, est un échec et c'est probablement du à l'informateur du FBI, un ingénieur et pilote égyptien.
Prudent, Assad conseille à ses poseurs de bombes d'aller se faire pendre ailleurs. A Khartoum, par exemple. Ben Laden et Carlos déménagent alors - chacun de leur côté apparemment - dans la capitale du Soudan islamiste, ex-satellite soviétique. Oussama et sa suite s'installent dans une grosse villa du quartier résidentiel d'Al Ryad, tandis que la CIA prévient la DST française qui localise Carlos à Khartoum avant de l'exfiltrer, avec l'accord du Gouvernement soudanais.
A33 - 1991 : Une si longue Amitié
Kissinger, Poutine, Mao !
Aéroport de Poultovo - Leningrad/Saint Pétersbourg,
Lorsque Vladimir Poutine accueille Henry Kissinger à l'aéroport, il est un peu impressionné par le monument d'histoire qu'il a devant lui. Curieux de tout, Kissinger cuisine ce jeune trentenaire, avide de tout connaître sur les relations internationales, que son ami Anatoli Sobtchak, gouverneur de la ville, s'est choisi comme assistant. Les deux hommes se découvrent rapidement deux points communs qui, selon Poutine, vont se transformer en longue amitié : ils parlent couramment l'allemand, ce qui leur permet de se passer de traducteur, et ils ont été espions en Allemagne. « Tous les hommes de qualité ont commencé dans le renseignement », précise Kissinger.
Pour le président d’honneur du Club Bilderberg, c'était au CIC, le contre-espionnage de l'armée américaine, pour lequel il fit ses premières armes d'administrateur, gérant avec doigté la dénazification des zones dont il avait la charge, récupérant tout ce qui pouvait être utile, y compris les anciens nazis, lui le juif allemand, avec un pragmatisme qui sera sa marque de fabrique sa vie durant. Comme théoricien d'abord : il développe l'idée de ripostes graduées plutôt que de destructions massives en cas d'attaque nucléaire. Pour lui, la guerre est l'ennemie du monde entier.
Il met ses idées en pratique sous Nixon, négociant la première réduction des armes nucléaires avec Leonid Brejnev. En parallèle, il rencontre les Chinois, brouillés avec les Soviétiques. Zhou en Laï s'occupe de l'étranger, Mao Tsé Toung de l'Intérieur. Si Mao n'est jamais sorti de Chine, Zhou et son adjoint Deng Hsiao Ping ont fait leurs études en France. Et puis un peu à Moscou pour Deng et à Tokyo pour Zhou.
A Montargis en France, en 1921, le programme d’études franco-chinois était financé par le Kuomintang nationaliste et une association française. Il fallait former les élites qui allaient moderniser le pays, en harmonie avec la France. Zhou en Lai a déjà lu Marx en japonais lorsqu'il arrive à Montargis. Ce n'est pas le cas des 4000 autres étudiants chinois en France qui, comme Deng ne seront mis au contact du communisme que par un coup du sort : dans l'après-guerre, les prix s'envolent et les convulsions chinoises réduisent leurs bourses à néant.
Les étudiants chinois doivent travailler pour vivre et ce sont les syndicalistes de la CGT qui les accueillent dans les usines. Ce qui contribue à faire naître, à Paris, ce qui deviendra le Parti Communiste Chinois. Etudiant-travailleur également, le vietnamien Ho chi Minh s'implique fortement et joue même un rôle au Congrès de Tours, avant d'être appelé à Moscou par le Komintern. Deng est lui aussi reçu à Moscou, mais les Soviétiques restent méfiants. La situation chinoise est confuse, nationalistes et communistes s'allient puis se brouillent, puis s'allient … et le pays fourmille d'espions !
Berlin appuie aussi le Kuomintang nationaliste, qui reçoit argent et conseils du fameux Nachrichtenstelle für den Orient des services secrets allemands. Les nazis poursuivent l’aide, mais lorsque l'allié japonais attaque la Chine en 1937, Berlin abandonne Tchang Kaï Chek. Qui appelle au secours Washington. Les Etats-Unis de Roosevelt envoient alors une aide discrète sous forme d'argent et d’armes dont une escadrille d'aviateurs engagés à titre privé, les fameux Tigres Volants du Colonel Chennault, immortalisés par la bande dessinée.
Dès l'attaque japonaise, communistes et nationalistes chinois signent un nouveau pacte d'alliance contre l'envahisseur étranger. Les Soviétiques commencent par fournir des armes à Mao Tse Toung puis, après quelques escarmouches frontalières, signent un pacte de non-agression avec Tokyo, qui interrompt brutalement les fournitures d’armes. Ils le respecteront jusqu'en septembre 45, n'attaquant le Japon qu'un mois avant la fin de la seconde guerre mondiale.
L’aide soviétique tarie, les communistes chinois se tournent à leur tour vers les Américains et Roosevelt soutient autant les hommes de Mao que ceux de Tchang Kaï-Chek. Ce pragmatisme, loyal envers les alliés efficaces, rencontre celui du chef des commissaires politiques de l'armée maoïste, Deng Hsiao Ping, qui répète volontiers « Qu'importe la couleur du chat, pourvu qu'il attrape les souris ». Mais Deng va avoir des problèmes, pendant la Révolution culturelle, les jeunes Garde Rouge, à l’instigation de Mao, l’accusant d’être un « capitaliste de droite ». Son fils préfère même se défénestrer pour leur échapper.
Curieusement, alors que Nixon est arrivé en politique nimbé d’une aura anti-communiste, c’est lui, avec Kissinger, qui va réduire les tensions avec l’URSS et avec la Chine. Contacté par les Chinois dès 1970, Kissinger se rend discrètement à Bei-Jin en juillet 1971 pour discuter de Taïwan, du Vietnam et de l’URSS. En Chine, Zu en Lai rappellera Deng de son exil intérieur pour participer aux négociations. En échange de l'ouverture de l'immense marché chinois aux productions américaines, à commencer par des Boeing, l'homme de Bilderberg offre deux choses :
- Un centre d'écoutes hypersophistiqué, pour ausculter les intentions du grand voisin russe dont Mao se méfie comme de la peste. Avec partage des informations.
- L’Asie du Sud-Est, offerte sur un plateau comme zone d’influence chinoise : Vietnam Cambodge, Laos, Hong Kong, Macao et Taïwan. La Chine promet vaguement de ne pas s'en emparer par la force et les USA retirent leurs troupes.
Le succès de la démarche des pragmatiques Zhu et Deng en politique étrangère va les conforter en politique intérieure et permettre à Deng de prendre le pouvoir, pour assurer un début de transition vers le libéralisme, au moins en économie. C’est raccord avec la géopolitique de Kissinger qui prône une logique de blocs : des centres forts, dominant leurs prés-carrés respectifs pour se partager le monde. Washington dans les Amériques, Pékin en Asie du Sud-est, Moscou en Europe de l'Est...
Sauf qu’en 1990, Moscou perd son pré-carré dont une bonne partie s’empresse de filer rejoindre l’Union européenne qui répond à une tout autre logique. Il ne s’agit plus d’un centre fort entouré de territoires sujets, mais bien de territoires multicentrés, égaux en droit, fédérés par une alliance commune. Une gouvernance démocratique partagée contre l’impérialisme colonial de Moscou, avec la prospérité en plus, il n’y a pas photo. Mais Poutine ne le comprend pas. Pour lui, c’est un viol, une manigance occidentale à l’encontre de sa chère Russie, consubstantielle à son empire colonial, sa raison d’être !
Cette déchirure de voir l’empire européen de Moscou lui échapper est la cause du déséquilibre de Poutine, selon Kissinger, dans une interview qu’il a accordé au Financial Times peu avant sa mort, juste après l’invasion de l’Ukraine. De fait, lorsque Poutine accueille Kissinger à l’aéroport en 91, tout porte à croire qu’il a déjà son idée en tête : l’URSS doit se reconstruire pour récupérer son empire, afin que le monde retrouve l’équilibre d’une logique de blocs. Pas sûr que Kissinger l’en ait dissuadé à l’époque.
Dès 94 en tout cas, Poutine tiendra ce discours publiquement en Allemagne et la Russie recommence dès cette époque à lorgner sur le Moyen Orient, l'Afrique ... et l'Europe. Eltsine proposera même à Clinton de devenir le protecteur de l’Europe, selon la logique chinoise. Puisqu’il n’y avait plus de communisme, il n’y avait plus de problème … et tant pis pour les peuples qui n’avaient pas envie de de finir en salade russe. Clinton a éclaté de rire, mais Poutine et les Siloviki rongeaient leur frein.
La Chine se montre bien plus subtile. Elle veut remplacer les Etats-Unis comme gendarme du monde en commençant par l’Asie, mais elle prend son temps. Elle n’ignore pas que la Russie est un rival direct qu’il importe de contenir, mais aussi le seul allié potentiel d’importance face aux Etats-Unis. Du coup, on le ménage et on l’entretient. L’idéal est une Russie amoindrie, mais pas trop … on fait en sorte d’éviter qu’elle ne s’écroule, mais sans lui donner les moyens de gagner face à l’OTAN. Kissinger fait figure d’enfant de chœur à côté des dirigeants chinois ! Surtout depuis que Xi a repris la main et pourchasse les libéraux.
* « COMPLOTS », c’est au départ une web-série de 50 épisodes de 6’30’’ chacun, disponible sur youtube et sur notre site www.adavi.ch. Mais dès lundi 4 mars 2024, « COMPLOTS » devient aussi un feuilleton d’une cinquantaine de textes. Cette version écrite est actualisée, corrigée et augmentée par rapport aux vidéos, commencées dans la foulée du Maïdan et des révolutions de jasmin.
** La DST, la BND, la CIA, le KGB, le MI6, le GRU, le SRC, le RGB, l'ISI, et une bonne dizaine d'autres ?