dimanche 30 mai 2021

Prends soin de toi ...

Taous Ait Mesghat


" Prends soin de toi " !

Une petite phrase qui en dit long, en ces temps de peste au nouveau nom.

Cela veut dire que par la force des choses je m'éloigne de toi, que la distance de sécurité est précaution et que je compte sur toi pour te protéger dans ton confinement.

Cela veut dire que j'ai peur même si je ne l'exprime pas, que j'aimerais tant te prendre dans mes bras mais je n'en ai pas le droit ; que l'absence physique n'empêche pas les beaux sentiments.

Cela veut dire que l'angoisse de ne plus se revoir, ne plus se toucher, ne plus s'embrasser, ne plus s'enlacer, ne pas savoir de quoi sera fait demain est réelle et bien là mais que l'espoir est plus fort que l'accablement.

Prends soin de toi ... cela veut dire je t'aime tout simplement.

Cela peut dire aussi que cet ennemi commun invisible m'a donné de nouveaux choix, mis un peu d'ordre dans mes émotions, rendu dérisoires nos différends.

Cela veut dire que malgré tout, ce tout n'est pas si important finalement ; querelles, malentendus, avis opposés, débats acharnés ; Dieu que c'est futile quand la vie est en suspens.

Cela veut dire que je ne te souhaite aucun mal, que les griefs sont du passé ; et comme le futur est incertain, il ne reste que ce fragile présent. Que ce qui m'importe aujourd'hui c'est que tu fasses attention et que tu restes bien vivant.
Cela veut dire que j'ai commis des erreurs moi aussi ; que j'aurais aimé les assumer, mettre des mots d'excuses dessus mais je ne l'ai pas fait. Un peu par fierté, peut être par lâcheté, par nature têtue certainement.

Prends soin de toi ... cela veut dire le pardon tout simplement.

Il faut dire que nous n'avons appris ni à dire je t'aime, ni à avouer nos torts ni à accorder le pardon ; alors toi qui me lis, où que tu sois, ta vie a de la valeur pour moi.

Je n'ai que cette petite phrase qui en dit long en ces temps de peste au nouveau nom et je sais que tu comprendras : " Prends soin de toi tout simplement ".

vendredi 28 mai 2021

Ibuka, souviens-toi.

LES DISCOURS, C'EST BON; LES ACTES, C'EST MIEUX !

Winston Churchill disait " les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts !". Intérêts qui souvent ferment les yeux des gouvernants, sur les droits de l'homme et sur le droit des peuples au bonheur à vivre en paix. Le discours d'Emmanuel Macron, marque-t-il la fin ou la prise de conscience des limites de cette politique d'ingérence au détriment des valeurs universelles que prône la France ? Il faut l'espérer avec des actes concrets ! Car les beaux discours n'excusent plus les erreurs et les choix politiques de la France à l'étranger.
Les Tunisiens se souviennent amèrement du soutien de Jacques Chirac à Ben Ali, quand il leur disait que le premier droit d'un peuple est celui de manger à sa faim; passant sous silence la dictature de son cher ami, Ben Ali !
De même qu'ils se souviennent de François Hollande et des socialistes dont ils espéraient un soutien pour les aider à dégager les Frères musulmans et qui les rassuraient que l'islamisme de Ghannouchi est modéré et qu'il est compatible avec la démocratie par conséquent il faut l'accepter. Et joignant l'acte à la parole, la France invite et déploie le tapis rouge à celui que le Qatar a installé au pouvoir à la faveur du fumeux printemps arabe !
Les démocrates et les progressistes tunisiens gardent encore l'espoir d'un soutien ferme de la part de la France, berceau de la Révolution française fille des Lumières, qu'elle les aide à les débarrasser de Ghannouchi et des islamistes; qui en dix ans de pouvoir, ont ruiné le pays et détruit ses institutions; transformant la Tunisie en premier pays exportateur de terroristes dans le monde !
Emmanuel Macron sera-t-il ce président éclairé qu'espéraient les peuples en détresse ?
Il faut l'espérer !
R.B 

Emmanuel Macron

Kigali, le 27 mai 2021 

« Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter »

Ce sont ces paroles, empreintes de gravité et dignité, qui résonnent en ce lieu, ici au mémorial de Gisozi, à Kigali.

Raconter la nuit.

Ces paroles convoquent un insondable silence. Le silence de plus d’un million d’hommes, de femmes, d’enfants, qui ne sont plus là pour raconter cette interminable éclipse de l’Humanité, ces heures où tout s’est tu.

Elles nous racontent la course éperdue des victimes, la fuite dans la forêt ou dans les marais. Une course sans arrivée et sans espoir, une traque implacable qui reprenait chaque matin, chaque après-midi, dans une terrible et banale répétition du mal.

Elles nous font entendre la voix de ceux qui, après avoir trébuché, ont affronté la mort ou la torture de leurs bourreaux sans un cri, parfois pour laisser s’enfuir un proche, un parent, un enfant, un ami qu’ils avaient protégé jusqu’à leur dernier souffle. Ces voix qui se taisaient quand montait, à l’aube, l’insoutenable euphorie des chants de rassemblement de ceux qui tuaient « ensemble » et de ceux qui partaient, dans leur vocabulaire dévoyé, au « travail ».

Ce lieu, ici à Gisozi, leur restitue tout ce dont on avait tenté de les priver : un visage, une histoire, des souvenirs. Des envies, des rêves. Et surtout une identité, un nom – tous les noms, gravés, un à un, inlassablement sur la pierre éternelle de ce mémorial.

Ibuka, souviens-toi.

Ces paroles nous font entendre aussi la voix de ceux qui portent la plaie de cette nuit, ceux qui portent la blessure béante d’avoir été là et d’être encore là. Ceux dont nous n’avons écouté la souffrance ni avant, ni pendant, ni même après, et c’est peut-être le pire. Survivants, rescapés, orphelins, c’est grâce à leur témoignage, leur courage, leur dignité que nous mesurons combien il ne s’agit pas de chiffres ou de mots, mais de l’irremplaçable épaisseur de leurs vies.

Ces paroles disent une tragédie qui porte un nom : génocide. Elles ne s’y réduisent pas pour autant. Car il s’agit bien d’une vie, avec tous ses rêves, un million de fois fauchés.

Un génocide ne se compare pas. Il a une généalogie. Il a une histoire. Il est unique.

Un génocide a une cible. Les tueurs n’ont eu qu’une seule obsession criminelle : l’éradication des Tutsi, de tous les Tutsi. Des hommes, des femmes, leurs parents, leurs enfants. Cette obsession a emporté tous ceux qui ont voulu y faire obstacle mais, elle, n’a jamais perdu sa cible.

Un génocide vient de loin. Il se prépare. Il prend possession des esprits, méthodiquement, pour abolir l’humanité de l’autre. Il prend sa source dans des récits fantasmés, dans des stratégies de domination érigées en évidence scientifique. Il s’installe à travers des humiliations du quotidien, des séparations, des déportations. Puis se dévoile la haine absolue, la mécanique de l’extermination.

Un génocide ne s’efface pas. Il est indélébile. Il n’a jamais de fin. On ne vit pas après le génocide, on vit avec, comme on le peut.

Au Rwanda, on dit que les oiseaux ne chantent pas le 7 avril. Parce qu’ils savent. C’est aux hommes qu’il appartient de briser le silence.

Et c’est au nom de la vie que nous devons dire, nommer, reconnaître.

Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n’avaient pas le visage de la France. Elle n’a pas été complice. Le sang qui a coulé n’a pas déshonoré ses armes ni les mains de ses soldats qui ont eux aussi vu de leurs yeux l’innommable, pansé des blessures, et étouffé leurs larmes.

Mais la France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda. Et elle a un devoir : celui de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de vérité.

En s’engageant dès 1990 dans un conflit dans lequel elle n’avait aucune antériorité, la France n’a pas su entendre la voix de ceux qui l’avaient mise en garde, ou bien a-t-elle surestimé sa force en pensant pouvoir arrêter le pire.

La France n’a pas compris que, en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter.

A Arusha, en août 1993, la France pensait, aux côtés des Africains, avoir arraché la paix. Ses responsables, ses diplomates, y avaient œuvré, persuadés que le compromis et le partage du pouvoir pouvait prévaloir. Ses efforts étaient louables et courageux. Mais ils ont été balayés par une mécanique génocidaire qui ne voulait aucune entrave à sa monstrueuse planification.

Lorsqu’en avril 1994, les bourreaux commencèrent ce qu’ils appelaient odieusement leur « travail », la communauté internationale mit près de trois mois, trois interminables mois, avant de réagir. Nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos.

Au lendemain, alors que des responsables français avaient eu la lucidité et le courage de le qualifier de génocide, la France n’a pas su en tirer les conséquences appropriées.

Depuis, vingt-sept années de distance amère se sont écoulées. Vingt-sept années d’incompréhension, de tentatives de rapprochement sincères mais inabouties. Vingt-sept années de souffrance pour ceux dont l’histoire intime demeure malmenée par l’antagonisme des mémoires.

En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître l’ampleur de nos responsabilités. C’est ainsi poursuivre l’œuvre de connaissance et de vérité que seule permet la rigueur du travail de la recherche et des historiens. En soutenant une nouvelle génération de chercheurs et de chercheuses, qui ont courageusement ouvert un nouvel espace de savoir. En souhaitant, qu’aux côtés de la France, toutes les parties prenantes à cette période de l’histoire rwandaise ouvrent à leur tour toutes leurs archives.

Reconnaître ce passé, c’est aussi et surtout poursuivre l’œuvre de justice. En nous engageant à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper à la justice.

Reconnaître ce passé, notre responsabilité, est un geste sans contrepartie. Exigence envers nous-même et pour nous-même. Dette envers les victimes après tant de silences passés. Don envers les vivants dont nous pouvons, s’ils l’acceptent, encore apaiser la douleur. Ce parcours de reconnaissance, à travers nos dettes, nos dons, nous offre l’espoir de sortir de cette nuit et de cheminer à nouveau ensemble. Sur ce chemin, seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner.

Diibuka.

Diibuka.

Je veux ici, en ce jour, assurer la jeunesse rwandaise qu’une autre rencontre est possible. N’effaçant rien de nos passés, il existe l’opportunité d’une alliance respectueuse, lucide, solidaire, et mutuellement exigeante, entre la jeunesse du Rwanda et la jeunesse de France.

C’est l’appel que je lance ici à Gisozi. C’est le sens de l’hommage que je veux rendre à ceux dont nous garderons la mémoire, qui ont été privés d’avenir et à qui nous devons d’en inventer un.

* Expression utilisée par les rescapés.

 

mercredi 26 mai 2021

Le sionisme, produit du colonialisme anglais ...

Le sionisme est né après le constat amer que fait le journaliste Thedor Herzl à propos de l'antisémitisme des Français dans l'affaire Dreyfus, lui qui admirait la France et sa laïcité ! Ce qui l'avait conforté dans l'idée de la nécessité d'un Etat pour les juifs d'Europe, victimes de l'antisémitisme et des pogroms à répétition en Europe, en surfant sur le colonialisme pratiqué par les grandes puissances d'alors et en adoubant les Anglais pour obtenir la rétrocession de la Palestine sous mandat anglais, qui la leur accorderont sans gêne : puisqu'elle ne leur appartenait pas.

L'extermination des juifs par les nazis lors de la deuxième guerre mondiale, va accélérer la création d'un Etat pour les juifs d'Europe !

Herzl rêvait d'un Etat pour les juifs à l'image des Etats européens les plus progressistes, leurs écarts en moins. Il rêvait aussi d'un Etat laïc, les religieux dans leurs synagogues ne se mêlant pas de politique. Comme il rêvait d'un Etat où tous les citoyens sont égaux, sans discrimination ethnique ni religieuse ... Si au début c’étaient les communistes et les socialistes qui ont adopté le sionisme, très vite les extrémistes de droite et les orthodoxes religieux, vont le dévoyer; puisque les sionistes d’aujourd’hui, s’écartent des idéaux de Theodor Herzl et œuvrent pour le Grand Israël !

Or comme toujours, les idéologies sont souvent dévoyées par ceux qui les adoptent !

R.B







Henry Laurens 

De Theodor Herzl à la naissance d’Israël

1897, premier Congrès sioniste mondial. Theodor Herzl écrit dans son Journal : « A Bâle, j’ai créé l’Etat juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, un rire universel serait la réponse. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, tout le monde comprendra. » Prédiction réalisée, à quelques mois près…

Le sionisme est un projet politique aux aspects multiples, qui a su s’imposer grâce aux circonstances historiques, mais aussi à ses propres capacités d’organisation et de mobilisation. Sa mise en œuvre ne s’est pas réalisée en un jour. La tâche était immense. Se présentant comme volonté de créer une nation juive sur un territoire donné, il lui fallait partir absolument de rien.

Sa vision correspond à la norme des nationalismes territoriaux de la fin du XIXe siècle en Europe centrale et orientale, qui se revendiquent d’un Etat ayant existé précédemment avec une langue et un territoire définis (la Serbie renvoie à un royaume serbe médiéval et à une langue en train de redevenir une langue de culture, même chose pour la Bulgarie, la Pologne, l’Ukraine...). A cela s’ajoute une identification correspondant à une religion (un « vrai Polonais » ne peut être que catholique, un « vrai Russe » qu’orthodoxe). Ces caractéristiques, le sionisme les porte aux extrêmes.

Le territoire revendiqué ne peut se situer en Europe, et seule la mobilisation des affects renvoyant à la terre ancestrale permet d’espérer la matérialisation de son ambition en Palestine : comment s’enthousiasmer pour un Etat juif en Amérique ou en Afrique, localisations un temps envisagées  ?

Quant à la langue hébraïque, jusque-là exclusivement religieuse, elle est à réinventer. Et la grande majorité des religieux se montre hostile au projet, en raison du risque d’empiétement qu’il présente sur la volonté divine (les rabbins redoutent une dérive messianique).

Bref, tout fait défaut au départ : le territoire, la langue et même, partiellement, le référent religieux.

Les Juifs de Palestine sont essentiellement des fidèles vivant des subsides de la diaspora, que la philanthropie juive occidentale travaille depuis des décennies, avec un succès inégal, à rendre « productifs ». Ils ne peuvent donc pas servir de base humaine au projet sioniste.

Au-delà de quelques précurseurs, le sionisme ne devient réalisable qu’avec les débuts de la première mondialisation, dans les années 1870 : les réseaux des chemins de fer d’Europe orientale se connectent alors aux réseaux d’Europe occidentale et, par-là, aux ports d’où partent des navires à vapeur à horaires réguliers. Au Proche-Orient, c’est l’âge d’or de la domination collective des puissances européennes qui, en s’appuyant sur la « diplomatie de la canonnière », imposent leurs décisions à une administration ottomane réformée qui a rétabli l’ordre public.

Le réservoir humain réside dans la masse des Juifs de l’Empire russe et de la Roumanie, soumise à des législations antisémites discriminatoires alors qu’elle est en pleine explosion démographique. La mondialisation favorise une émigration massive, mais à destination des « pays neufs » qui ont besoin de main-d’œuvre (les deux Amériques, l’Afrique du Sud, l’Australie) : la traversée océanique tient lieu d’investissement de départ. Il n’en va pas de même avec la Palestine : au coût du transport s’ajoutent les investissements économiques indispensables pour créer les activités correspondantes. Les premiers émigrants des années 1880 (ou première alya, en hébreu « montée ») s’en rendent rapidement compte : ils végètent dans une terrible misère.

Si les comités des Amants de Sion ont pu diffuser l’idée sioniste parmi les Juifs d’Europe orientale, ils ne disposent pas des moyens de lui donner vie. Ils doivent donc se tourner vers les philanthropes juifs d’Europe occidentale qui, par le biais de la Jewish Colonization Association (ICA), assurent déjà une partie des frais de transport et d’installation en Amérique (en particulier en Argentine).

Pour le baron français Edmond de Rothschild, la colonisation juive en Palestine est une affaire personnelle. Il est intervenu pour empêcher que, par désespoir, les immigrants se convertissent au protestantisme des missionnaires britanniques, puis s’est passionné pour cette entreprise. Il crée alors un certain nombre de colonies agricoles, encadrées par des « israélites » français. Son idée consiste à créer une population de paysans indépendants sur le modèle français ; mais il lui faut se méfier de la mauvaise qualité du « matériel humain » : celui-ci doit être régénéré par le travail et la formation. D’où le caractère paternaliste de son mode d’organisation.

La question essentielle est d’arriver à un minimum de rentabilité permettant de mettre fin aux subventions permanentes. Cet objectif n’est atteint qu’au début du XXe siècle, grâce à la mise en place d’une agriculture de plantation utilisant une abondante main-d’œuvre arabe. En 1899, le baron transfère officiellement ses colonies à l’ICA, mais en fait il continue de les gérer par le biais de la « commission palestinienne » de ladite organisation. Après la première guerre mondiale, l’organisation prendra le nom de Palestine Jewish Colonization Association (PICA). Jusqu’à sa mort, en 1935, le baron étendra constamment son domaine agricole en accordant toujours plus d’autonomie aux paysans qui en dépendent, favorisant leur accès à la propriété individuelle.

La perspective d’Edmond de Rothschild dépasse la seule philanthropie  : ses achats de terres tendent à créer un véritable maillage de la Palestine. Il a compris très tôt la nécessité d’une totale discrétion, afin de ne pas inquiéter les autorités ottomanes et la population arabe. Et c’est pourquoi l’orientation de Theodor Herzl, qui joue, au contraire, la carte de l’action publique, le contrarie. 

Ce publiciste autrichien s’est converti en 1895 au sionisme. Théoricien de sa version politique, il fonde l’organisation sioniste lors du premier congrès de Bâle en 1897, un an après la parution de son livre L’Etat des Juifs. Sa priorité : obtenir une charte internationale garantissant la création d’un foyer national en Palestine pour le peuple juif. Il encourage secondairement la colonisation. Dirigé par des Juifs autrichiens et allemands, le mouvement recrute surtout dans l’Empire russe, mais réussit à s’établir un peu partout (sauf en France, à cause de l’hostilité du baron). Jusqu’à sa mort, en 1904, Herzl travaille essentiellement auprès des dirigeants européens. Ses successeurs continuent dans la même ligne, mais s’intéressent aussi à la colonisation avec la création, en 1908, de la Palestine Land Development Company (PLDC), qui dépend du Fonds national juif (FNJ).

L’organisation sioniste s’implante en Palestine à partir de 1908 avec la deuxième alya, composée de militants déterminés issus de sa fédération russe et des Amants de Sion, souvent des socialistes marxisants ayant connu l’expérience de la révolution de 1905. L’attitude de l’ICA, qui préfère le travail arabe, déçoit ces immigrants dont la doctrine exige une séparation totale d’avec la population indigène afin de constituer une société nationale intégralement juive. Mais ils reçoivent un accueil favorable de la part des technocrates de l’ICA et de la PLDC, qui acceptent de financer des colonies agricoles collectivistes (kibboutz) ou coopératives (moshav) sans recourir à la main-d’œuvre arabe. En ville, ils fondent l’agglomération juive de Tel-Aviv, indépendante de la Jaffa arabe. Cette logique de séparation a sa justification socialiste : elle évite qu’une population exploite l’autre.

Durant la première guerre mondiale, le mouvement sioniste cesse d’agir en tant qu’entité unique puisqu’il est présent dans les deux camps en conflit. C’est le chef de la fédération britannique, Haïm Weizmann, un Juif d’origine lituanienne, qui va jouer un rôle essentiel en obtenant, le 2 novembre 1917, avec la déclaration Balfour, cette fameuse charte recherchée par Herzl : lord Arthur James Balfour, ministre britannique des affaires étrangères, y annonce à lord Walter Rothschild, représentant des Juifs britanniques, que «  le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Cet engagement contredit la promesse faite par Londres aux Arabes de la création d’un Etat indépendant comme le partage négocié avec les Français, dans le cadre des accords Sykes-Picot ...

Après-guerre, Weizmann devient naturellement le président de l’organisation sioniste. Son ambition : transformer cette déclaration unilatérale britannique en document de droit international. Ce sera chose faite en juillet 1922, grâce à la ratification par la Société des nations (SDN) du mandat britannique sur la Palestine, qui inclut le Foyer national juif.

Le mouvement sioniste se structure maintenant en fédérations nationales dotées d’organisations satellites chargées de la levée de contributions et de préparation à l’émigration. La charte du mandat prévoit la création d’une Agence juive, mais elle ne verra le jour qu’en 1929 ; entretemps, l’Organisation sioniste en fait fonction. Outre les relations avec les autorités, sa fonction est de gérer le domaine du FNJ et de l’augmenter par de nouvelles acquisitions. Malgré des progrès spectaculaires, ce domaine reste moins important que celui de la PICA et des propriétaires individuels qui lui sont liés : en 1941, le FNJ disposera de 532 900 dounoum (dixièmes d’hectare), contre 1 071 000 à la PICA et aux propriétaires individuels. A la fin du mandat, en 1948, la propriété juive ne couvrira que 6,6 % de la superficie de la Palestine.

Comme avant 1914, les coûts d’établissement restent le problème essentiel. L’immigration juive est fixée en fonction de la capacité économique d’absorption, et la différence est faite entre « capitalistes », dont l’entrée est libre puisqu’ils viennent avec des capitaux suffisants, et « ouvriers », sélectionnés par l’Organisation sioniste en fonction de leur qualité en « matériel humain » (capacité productive). Des catégories intermédiaires existent. La troisième alya est analogue à la précédente, composée pour une bonne part d’ouvriers socialistes. Venue de Pologne au milieu des années 1920, la quatrième alya, elle, est bourgeoise et capitaliste. La cinquième alya, à partir de 1933, rassemble capitalistes allemands et ouvriers polonais. La montée du nazisme accélère évidemment l’immigration : de 110 000 arrivées (officielles) dans les années 1920, on passe à plus de 220 000 dans les années 1930 ...

Faute de pouvoir constituer une unité politique homogène en Palestine, les Britanniques adoptent la voie d’un développement communautaire séparé tout en maintenant un important secteur public. En ce qui concerne la population juive, l’Organisation sioniste fournit à la population juive un ensemble de services que l’Etat mandataire ne peut lui procurer. Il s’agit de lui assurer un niveau de vie se rapprochant de celui de l’Europe, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la santé. Les colonies agricoles du FNJ sont subventionnées à la fois lors de leur création et pour leur fonctionnement. Elles sont en effet par nature déficitaires, mais leur fonction n’est pas d’ordre économique : elles servent à prendre le contrôle du territoire et à former le « Juif nouveau », débarrassé de l’oppression de l’exil.

Le mouvement ouvrier juif très politisé et divisé en organisations concurrentes, fédère ces colonies agricoles. La centrale syndicale Histadrout fournit un certain nombre d’assurances sociales et crée ses propres entreprises par manque de capitalistes.

L’ensemble de la population juive (sioniste et non sioniste) élit une assemblée élue d’où émane un conseil permanent, mais le vrai pouvoir réside dans l’Exécutif sioniste désigné par l’Organisation sioniste. En 1929, la création de l’Agence juive permet en théorie une plus grande implication des Juifs non sionistes de la diaspora, qui disposent de la moitié des sièges dans les instances dirigeantes. En 1931, l’exécutif de l’Agence en Palestine revient pour la première fois à un socialiste établi dans le pays, Haïm Arlosoroff. 

La droite du mouvement sioniste n’accepte pas l’alliance stratégique opérée entre les « centristes » de Weizmann et les socialistes du mouvement ouvrier. Pourtant, la grande intelligence des premiers a été de comprendre que l’établissement du Foyer national juif, ou Yichouv, ne peut passer que par les modes d’organisation collective des seconds. Les « capitalistes » s’avèrent trop individualistes pour pouvoir prendre en charge la colonisation : la prise de contrôle du pays devient plus facile dès lors qu’elle passe par la socialisation des activités. En absence d’Etat, seul le mouvement ouvrier a la capacité de gérer les intérêts nationaux.

Le mouvement sioniste révisionniste de Zeev Jabotinsky rejette à la fois le socialisme des ouvriers et la prudence diplomatique des centristes. Il recrute chez les éléments bourgeois issus pour la plupart de la première et de la quatrième alya, tandis que les leaders ouvriers viennent de la deuxième et de la troisième alya. Le romantisme des révisionnistes masque leur ignorance du travail au jour le jour indispensable pour créer le Yichouv.

Le clivage entre sionistes socialistes et révisionnistes concerne surtout les rapports avec les Arabes. Là où David Ben Gourion et ses amis donnent la priorité à la conquête progressive du pays en alliance avec la puissance mandataire, ceux de Jabotinsky entendent s’emparer de toute la Palestine par la force : c’est le fameux « mur d’acier » qui, à partir de 1948, fondera en réalité la stratégie de l’Etat d’Israël, toutes composantes confondues.

Après l’assassinat, en 1933, d’Arlosoroff, que les socialistes attribuent aux révisionnistes, le mouvement ouvrier devient l’élément dominant au sein des instances de l’Organisation sioniste et de l’Agence juive. Les révisionnistes font scission et créent leur propre organisation sioniste. A partir de cette date, l’exécutif de l’Agence juive est contrôlé par les socialistes, dont la personnalité la plus importante est celle de Ben Gourion. A la fin des années 1930, le glissement du pouvoir est terminé : les hommes du Yichouv ont pris le contrôle du mouvement et de ses institutions, la diaspora doit être mise à son service, et Weizmann n’est utile que grâce à ses contacts avec les hommes politiques occidentaux.

Après les premières émeutes de 1921 et de 1929, la grève générale arabe de 1936 et la révolte palestinienne de l’automne 1937 poussent le Yichouv à devenir plus autonome, y compris sur le plan militaire, avec la construction de sa propre force armée, la Hagana, tolérée par les Britanniques. Mais, à partir du Livre blanc de 1939, Londres donne la priorité à son influence dans le monde arabe : en 1944, le mouvement sioniste affrontera militairement les Britanniques pour mieux préparer sa prise de contrôle du gros de la Palestine.

Le sionisme est probablement la forme la plus pure du volontarisme politique. Il est parti littéralement de rien, ou presque, pour créer une nation, une langue, un territoire à travers les catastrophes historiques de la première moitié du XXe siècle. Il a su capitaliser les efforts et les expériences de la grande philanthropie juive, puis appliquer les principes organisationnels d’un mouvement ouvrier, dont la mission comprenait tout aussi bien la fondation d’une classe ouvrière que l’établissement d’un réseau d’entreprises publiques. Avant 1914, il a bénéficié de la protection des consuls européens. Sous le mandat, la technocratie britannique a encouragé et favorisé son action, qui allait dans une logique de développement qui lui était chère.

En 1948, le Yichouv dispose de tout un système d’organisations qui préfigure l’Etat. Mais ces institutions dépendaient des partis politiques. Le génie politique de Ben Gourion a été de comprendre la nécessité de transférer ces institutions à l’Etat nouveau en les « dépolitisant ». D’où le maintien d’une coalition politique regroupant socialistes, centristes et religieux et isolant – jusqu’en 1967 – les forces de droite proprement dites. Le socialisme des « pionniers » s’est accompagné d’une bureaucratie proliférante et d’un relatif égalitarisme des conditions sociales.

Après la création de l’Etat, les institutions sionistes ont été maintenues afin de canaliser les moyens venus de la diaspora et assurer des services sociaux destinés exclusivement à la population juive.

* Professeur au Collège de France, auteur, notamment, de La Question de Palestine, Fayard, Paris (trois tomes).