mardi 27 mai 2025

L'affaiblissement des démocraties, fait le lit du populisme et de l'autocratie ...

 


 " Nous faisons face à un progressisme autoritaire "
Marcel Gauchet

De l’Amérique de Trump à l’élection présidentielle roumaine, en passant par la condamnation de Marine Le Pen, Marcel Gauchet, penseur majeur de la démocratie* s’inquiète de la prétention actuelle de substituer l’État de droit à la volonté populaire.

Alexandre Devecchio pour Le Figaro La définition même de la démocratie fait désormais débat. D’un côté les tenants de l’État de droit et de l’autre ceux de la souveraineté populaire. Existe-t-il une ou plusieurs définitions de la démocratie ? Comment expliquez-vous cette confusion ?

Marcel Gauchet : La confusion ne date pas d’hier. Souvenez-vous de l’opposition entre les « démocraties populaires » et les « démocraties bourgeoises ». Tout tient aux équivoques de la notion de « peuple ». La démocratie, c’est classiquement le pouvoir de tous, par opposition au pouvoir d’un seul, la monarchie, ou au pouvoir de quelques-uns, l’aristocratie, autrement dit, en langage moderne, la souveraineté du peuple. Jusque-là, tout le monde s’accorde. Mais qu’est-ce que le peuple, et comment se manifeste-t-il ? C’est là que les divergences se déclarent. Pour les communistes, le peuple parlait par la voix du parti. Pour les nouveaux convertis de l’État de droit, ce sont les juges qui l’expriment en dernier ressort.

Pour les classiques démodés dont je suis, cela reste l’ensemble des citoyens électeurs et les majorités qui s’en dégagent. Mais je précise que dans cette conception, il y a une place essentielle pour l’État de droit. La majorité n’a pas le droit d’empêcher la minorité de s’exprimer et il faut des instances pour y veiller. La prétention actuelle de substituer l’État de droit à la démocratie classiquement entendue est un dévoiement de ce principe juste. Elle le dénature en ouvrant la porte au droit pour la minorité de réduire la majorité au silence.

Alexandre Devecchio Dans un entretien au Monde, l’historien Pierre Rosanvallon expliquait que « les juges incarnent autant que les élus le principe démocratique de la souveraineté du peuple » . Qu’en pensez-vous ?

Marcel Gauchet : C’est une proposition extravagante, mais un aveu précieux. Au moins, cette fois, on annonce la couleur. Que je sache, la fonction du juge est de veiller à la juste application des lois. Or il ne fait pas la loi, ce sont les élus qui la font. Ce simple constat suffit à faire ressortir la différence entre un rôle qui consiste à traduire en texte la souveraineté du peuple et la fonction qui consiste à faire respecter l’effectivité de ces prescriptions. Certes, le juge interprète la loi, qui ne prévoit pas tout. Mais il y a bien de la différence entre définir une loi et l’interpréter. La proposition de Rosanvallon revient à gommer cette différence, à mettre l’auteur et l’interprète sur le même plan, à faire du juge un législateur.

Mieux, un législateur d’un rang supérieur, l’oracle d’une vérité cachée au peuple ordinaire et à ses élus. Ainsi, par la grâce d’un banal concours administratif, ou d’une nomination hasardeuse, le juge deviendrait la voix d’un mystérieux « peuple-communauté » transcendant le peuple électoral. On a déjà connu ce genre d’arguties, toujours destinées à écarter la voix d’un « peuple arithmétique » suspect de mauvaises pensées au profit d’un peuple défini non selon la « quantité », mais selon la « qualité », comme Mussolini l’explique par exemple dans La Doctrine du fascisme.

La dictature ne faisant plus recette, on cherche ailleurs les moyens d’une autorité qui n’a de comptes à rendre à personne. Car le but de l’opération est clair : il s’agit d’ériger les juges en bouclier antimajoritaire contre les propensions « populistes » dudit peuple. Inutile de dire que les juges ont tout à perdre en se laissant embarquer par cette promotion en forme d’impasse.

Le peuple peut se tromper, bien sûr, mais nous n’avons pas d’autre arbitre. Le problème est de le convaincre, pas de l’empêcher.

Alexandre Devecchio À travers son œuvre, Pierre Rosanvallon défend le concept de société des individus. Sans en tirer nécessairement les mêmes conclusions, ne rejoint-il pas en partie votre constat d’une société de plus en plus individualiste où les droits individuels priment sur l’intérêt général ?

Marcel Gauchet : Le constat est largement partagé aujourd’hui, et c’est tant mieux. Mais un constat n’est pas une analyse. Ce que je m’efforce de montrer, précisément, c’est la corrélation étroite entre cette individualisation radicale et la mise en avant de l’État de droit comme alpha et oméga de la vie démocratique. Une démocratie réduite en réalité à la protection des droits fondamentaux des individus, en évacuant la conversion de ces droits en souveraineté du peuple, parce qu’elle pourrait empiéter sur ces droits. Comme quoi, à partir d’un même constat de départ, on peut arriver à des conclusions très différentes.

Alexandre Devecchio La vision de Pierre Rosanvallon traduit-elle finalement une méfiance, voire une peur du peuple ? Au-delà de Pierre Rosanvallon, cela est-il révélateur d’une partie de l’état d’esprit des « élites » ?

Marcel Gauchet : Je n’ai aucun doute sur la capacité de Rosanvallon d’exprimer l’état d’esprit des élites. C’est le fil conducteur de sa réflexion politique. Mais je ne parlerais en l’occurrence ni de méfiance ni de peur. Mon sentiment est que nous avons affaire d’un côté à une juste appréciation des aspirations du peuple, en matière d’État social, d’immigration et de sécurité, notamment, mais pas seulement, et de l’autre côté à la ferme conviction qu’il a tort et qu’il faut par tous les moyens neutraliser ces aspirations. C’est un progressisme autoritaire que nous avons devant nous et Rosanvallon vient de nous livrer un article important de son manifeste.

Alexandre Devecchio Le verdict du procès Le Pen risque-t-il d’accroître cette fracture entre les « élites » et le peuple ?

Marcel Gauchet : Ce n’est pas sûr du tout, car la question est doublement compliquée et rien n’a été fait pour l’éclaircir. Qui est au courant du règlement du Parlement européen concernant les fonctions des assistants parlementaires ? Le problème posé était en fait celui du financement de la vie politique et il aurait pu et dû donner lieu à un débat ouvert. En l’enfermant dans la stricte logique juridique, on l’a rendu hermétique pour la grande masse de la population. Ensuite, il y avait cette question spécialement épineuse des critères de l’exécution provisoire d’une décision d’inéligibilité.

Combien de gens ont véritablement saisi de quoi il s’agissait au juste ? Seul le résultat a été enregistré. Ce n’est pas le moindre problème de ces procès à incidences politiques majeures que de jouer à l’abri d’un rideau de fumée. Enfin et surtout, l’affaire engageait la question plus que jamais sensible dans l’opinion française de l’argent public. Chacun le sait, il règne un fort soupçon à l’égard du personnel politique d’en abuser. C’est dans ce prisme que le procès a été lu pour un grand nombre. « Finalement, Marine Le Pen est comme les autres. » Ils étaient prêts à le croire, ils en ont eu la confirmation. Ce n’est qu’auprès d’une minorité militante que la décision judiciaire a constitué un facteur de radicalisation supplémentaire.

Alexandre Devecchio Au-delà du procès Le Pen, la question du gouvernement des juges interroge dans la plupart des démocraties européennes. À cet égard, l’annulation du 1er tour des élections en Roumanie puis la mise à l’écart du candidat favori des sondages, mais aussi la menace d’interdiction de l’AfD en Allemagne et sa mise sous surveillance accrue, s’inscrivent dans ce contexte. S’agit-il d’un sursaut démocratique ou au contraire d’un tournant autoritaire ?

Marcel Gauchet : Tentation autoritaire serait une expression plus juste que tournant autoritaire, dans tous les cas. Sursaut démocratique, certainement pas. Sauf à admettre que les uns ont la bonne définition de la démocratie qui exclut de prendre en compte les arguments des autres. Des autres qui ne sont pas des minorités marginales, qui plus est, mais des majorités potentielles dans certains cas. Or l’essence de la démocratie, c’est le moment de le rappeler, réside dans l’acceptation du conflit, donc dans la préoccupation, pour ceux qui se veulent démocrates, d’en regarder les motifs en face afin de les désamorcer dans la mesure du possible.

Ici, à l’opposé, nos progressistes sont dans la négation des raisons du conflit. Il ne devrait pas exister. Il relève de « fantasmes » ou de « passions tristes ». Une question au passage : la passion investie dans ce refus de la réalité est-elle « triste » ? D’où la recherche de moyens tant bien que mal présentables, la dictature faisant trop mauvais genre, de neutraliser cette adversité insupportable. Le détraquement du système judiciaire fournit l’instrument providentiel de cette tentative d’étouffement de la voix des nouvelles classes dangereuses.

Alexandre Devecchio : Aux États-Unis, les multiples procès contre Trump lui ont servi de tremplin. En Europe, les mêmes causes produiront-elles les mêmes effets ou s’agit-il au contraire de prévenir l’élection d’un Trump européen ?

Marcel Gauchet : Non, je ne le pense pas. Les contextes sont culturellement très différents, qu’il s’agisse du système judiciaire ou de la vie politique. Quelles que soient les circonstances, l’élection d’un Trump européen est hautement improbable. Regardez d’ailleurs les dirigeants européens que l’on rattache à la nébuleuse populiste, Viktor Orban en Hongrie ou Giorgia Meloni en Italie. Ils peuvent se rattacher à la même famille politique, pour autant ils se présentent fort différemment de Trump.

Alexandre Devecchio : Ces premiers mois à la Maison-Blanche annoncent-ils une dérive autocratique ou traduisent-ils un retour en force de la volonté du peuple américain ?

Marcel Gauchet : Ni l’un ni l’autre. Entendons-nous, d’abord sur ce que veut dire autocratie. Ce n’est pas une notion à prendre à la légère. Trump peut se montrer capricieux, erratique, brutal, cela n’en fait pas un autocrate. Autocratie veut dire, outre l’accaparement du pouvoir dans les mains d’un seul, l’empêchement de l’opposition de s’exprimer, de peser sur les décisions ou de concourir loyalement aux élections. Nous n’en sommes pas là et rien n’annonce une évolution en ce sens. On peut déplorer la suppression de certains financements, cela ne justifie pas de crier au « fascisme ». Les élections de mi-mandat, dans moins de deux ans, seront un test à cet égard. Il est infiniment probable qu’elles se dérouleront comme à l’ordinaire et Trump peut les perdre.

Quant au peuple américain, il ne parle pas d’une seule voix. Il est divisé, comme tous les peuples. Il est composé de républicains et de démocrates, et de gens qui ne se reconnaissent ni dans un parti ni dans l’autre. L’élection de Trump a sûrement été vécue comme une revanche sur le mépris dont il a été accablé par une partie de son électorat. Mais la vraie question pour l’avenir est de savoir si cette revanche aura fait entrer dans la conscience américaine, au-delà de ses clivages, la nécessité de prendre en charge les problèmes soulevés par l’électorat trumpiste.

·   * Dernier ouvrage paru : « Le Nœud démocratique ? Aux origines de la crise néolibérale » (Gallimard, 2025).

lundi 5 mai 2025

Vous avez dit révolution du jasmin ?

Que reste-t-il de l'espoir soulevé le 11 janvier 2011 par le départ de Ben Ali ? Pour le dégager, le slogan repris en chœur par des millions de Tunisiens descendus dans la rue, était " LIBERTE - DIGNITE - TRAVAIL". Quant à la devise de la République inscrite en noir sur banderole or : LIBERTÉ - ORDRE - JUSTICE, quand deviendra-t-elle réalité pour un peuple qui aspire à la démocratie et à la liberté ?

Les Tunisiens sont-ils condamnés aux autocraties et de vivre dans un Etat policier quasi permanant ? 

Dommage que Hélé Béji ait fait dans son article, la part belle aux islamistes d'Ennahdha et à leurs frères ennemis les pan-arabistes; oubliant qu'au pouvoir à la faveur de la prétendue "révolution du printemps arabe", ils ont fait régresser la Tunisie en quelques années seulement; et ce, sur tous les plans et dans tous les domaines. Ils ont commis des exactions souvent pires que celles qu'ils reprochaient à Bourguiba et à ben Ali du temps où ils se revendiquaient militants démocrates et droit-de-l'hommistes ... alors qu'ils s'assoient sur ces deux principes, fondement de tout Etat de droit dans les Démocraties réelles.

Pas un mot sur Abir Moussi dont l'arrestation et le jugement scandalisent tout Tunisien patriote, d'autant qu'elle est la seule véritable opposante à ceux qui ont entrepris la destruction méthodique de la République et de ses institutions; et qui fut celle qui a démasqué Ghannouchi et ses Frères musulmans, en dénonçant leur projet funeste pour la Tunisie !

Depuis le 11 janvier 2011, les Tunisiens sont otages de règlement de compte de complexés de l'Histoire, sortis de l'ombre sinon de nulle part, pour chevaucher leur révolution et expérimenter des idéologies désuètes mais dangereuses : le pan-islamisme et son pendant le pan-arabisme, avec leur cortège de populisme et de complotisme ... en important en Tunisie le modèle sociétal qui va avec, en s'inspirant des pétromonarchies pour les uns et de l'Iran des ayatollahs pour les autres.

On a tendance à dire : tout çà, pour çà ...

R.B

Hélé Béji

« La Tunisie est prise d’une rage d’autodestruction »

La révolution tunisienne de 2011 avait fait la fierté de son peuple. Elle avait frappé le monde par son génie pacifique, la cohérence de ses principes et de ses actes. La hauteur de l’événement la plaçait, en quelques semaines, au rang des pays les plus avancés en matière de droits politiques. Elle célébrait pour la première fois depuis l’indépendance son esprit républicain. Elle était une leçon de civilisation au monde, sortant avec panache de la dictature, sans violence. L’imagination avait pris le pouvoir que des décennies de parti unique avaient confisqué. Les Tunisiens s’étaient grandis d’une liberté s’ouvrant devant leurs yeux éberlués. La peur avait disparu par enchantement. L’horizon s’était coloré de la douce confiance en l’avenir. La conscience nationale était devenue morale. L’obéissance, la tutelle brutale étaient rejetées loin derrière. On était soudain plus intelligents, plus humains. On s’était émancipés de nous-mêmes. On s’était civilisés. On ne se méprisait plus, on s’aimait. La justice n’était plus un vain mot. Elle était veillée par une Constitution qui offrait à chacun une forteresse imprenable contre le retour de l’oppression.

Aujourd’hui, cette page d’histoire qui avait stupéfié le monde a été déchirée, jetée aux oubliettes comme une billevesée. Toutes les valeurs qui avaient présidé à l’émergence de l’Etat révolutionnaire, les élans d’intelligence et de tolérance où la religion musulmane se défaisait de ses obscurantismes, pour célébrer avec les laïcs les nouveaux droits humains, ont été avalés par un trou sans fond. Dans les caves de la justice, à huis clos, s’est déroulé un procès digne des pires inquisitions du Moyen Age, infamant pour le pouvoir, dégradant pour les institutions de l’Etat qui le tolèrent, pour les classes sociales qui s’y soumettent, pour le fonctionnaire qui s’y plie sans broncher.

La dignité, que la révolution avait ajoutée aux principes de liberté et d’égalité dans la Constitution de 2014, a vu sa toge superbe tomber dans la tourbe d’un châtiment moyenâgeux, traînée comme un haillon pitoyable. Un peuple éduqué a été renvoyé à l’état sauvage, hébété, dans une fuite en arrière vertigineuse où sa pulsion de vie s’est retournée en pulsion de mort.

Autodestruction

Les figures les plus emblématiques de la démocratie tunisienne sont les proies d’une vindicte de tortionnaires (1). Une haine déréglée par une mécanique obscène s’est emparée de tout ce qui pense, s’exprime, se dit. La critique la plus anodine est dénoncée comme un scandale contre « la patrie ». – Qui parle, qui chuchote ? Un esprit libre. – Ah ! Et qui le lui a permis ? Personne, lui-même, sa conscience, sa liberté. – La liberté ? Le péril imminent de la patrie ! Le complot de cancrelats fomenté par l’étranger pour corrompre le peuple ! La révolution est une illusion, la démocratie une fadaise, la liberté un poison.

Par une imposture sans précédent de l’appareil judiciaire, comme poussé hors de ses gonds dans un déchaînement ubuesque de mensonges, les démocrates tunisiens ont été condamnés au bagne perpétuel, une variante tunisienne des supplices staliniens, un folklore local de tribunaux erratiques, tenant une corde au cou des prisonniers qu’on tire et relâche selon l’humeur du moment.

Les sentences cachetées, préemballées, préméditées sont tombées sur de malheureux innocents avec une fureur incompréhensible. C’est une Tunisie noire, meurtrière, qui se prend elle-même à la gorge, qui s’étrangle en voulant étouffer des esprits indomptés. Personne ne la reconnaît dans cette rage d’autodestruction, semblable à une bête à bride abattue qui s’emballe pour se précipiter dans le vide. La Tunisie martyre, comme disait Thaalbi, mais martyre d’elle-même, pas d’anciens colons français dont les descendants, hélas, trouveront ici de quoi se gausser.

La révolution tunisienne vient de connaître son pire cauchemar, les démocrates leur pire désespoir, la résistance sa nuit des longs couteaux. A l’œuvre, le reniement de soi. Quel Tunisien sensé accepte dans son cœur, au fond de son être muet, la spirale contre-nature d’une justice suicidaire ? Quelle piété, quelle raison, quelle nature humaine se reconnaît dans cet avilissement ? Aucune, sauf quelques égarés, effarés de ce qu’ils font, eux-mêmes enfermés dans les bas-fonds sinistres d’un engrenage qui finira par les broyer.

La braise de la dignité

Une telle injustice, un tel forfait contre soi-même sonne le glas d’un régime qui a étouffé la dernière étincelle de liberté. Non, pas la dernière. Sous les piliers de la révolution effondrés en un tas de gravats, la dictature se heurte à une colonne encore debout, intacte, inflexible, la rectitude héroïque, la douceur surhumaine, la braise de la dignité qui luit sous la cendre, piétinée par les bottes du néant. Les condamnés, leur raison, leur courage, leur stoïcisme ont répandu dans l’air irrespirable le souffle de leur liberté, souffrante mais vivante. Leur visage, pâle mais non défait, porté par les pancartes de leurs camarades, émerge d’un tribunal nocturne où les ombres d’une messe de morts-vivants, des spectres de l’enfer, des fantômes de justiciers à l’œil torve, aux joues patibulaires, ont prêté leurs mains difformes au cruel châtiment d’innocents. Comme un paria vagabond qui rôde autour du bonheur, de l’humanité, de la beauté pour les poignarder dans le dos, le pouvoir tunisien s’est exclu de l’histoire, du monde, de la vie, de la justice des hommes, de la miséricorde divine.

La condamnation de citoyens non-violents, lettrés, civilisés, à des peines à dormir debout, est le pas aveugle que vient de franchir l’Etat tunisien dans sa course aux enfers, descendant les marches d’un gouffre où disparaît l’image de son humanité. Il a prononcé contre lui-même sa malédiction. Il s’est porté les coups pour se perdre. Il a mis en scène son autoprocès, le soubresaut de sa fin, la piqûre mortelle, la petite boule de cyanure qu’il s’est fabriquée pour se suicider.

1. Dans les prisons de Tunis se trouvent les résistants Jawhar Ben Mbarek, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi, Khayam Turki, Issam Chebbi, Abdelhamid Jelassi, Lotfi Mraihi, Habib Ellouz, Bechir Akremi et d’autres, d’origines diverses mais unis dans la résistance à la tyrannie. Également des dirigeants d’Ennahda, qui ont passé une grande partie de leur vie en prison ou en exil avant la révolution, Rached Ghannouchi, Ali Larayedh, Abdelkarim Harouni et Noureddine Bhiri. Tous les prisonniers politiques, ils sont nombreux, ne sont pas cités ici.

* Hélé Béji est une écrivaine tunisienne. Elle a notamment publié « Dommage, Tunisie : la dépression démocratique » (collection « Tracts », Gallimard, 2019).

 

samedi 26 avril 2025

Les dictateurs puissants, font des émules dans les pays du fumeux printemps arabe ...

 

Abir Moussi, la plus sérieuse des opposants aux islamisto-arabistes

est en prison depuis le 3 octobre 2024 !


Quand les démocraties régressent, elles font le lit du populisme qui se nourrit du complotisme. Et l'arrivée au pouvoir de Donald Trump dans la plus grande "démocratie", le confirme de jour en jour depuis sa prise du pouvoir; donnant des ailes à Poutine, à Netanyahu, à Erdogan ... et à bien d'autres apprentis dictateurs.

L'UE et plus particulièrement la France, commencent à se réveiller de leur torpeur et réalisent le risque pour les démocraties, de l'expansion du populisme dans le monde, depuis "la guerre en Ukraine" de Poutine. Est-ce trop tard ? 

Pourtant ce sont elles qui ont grandement contribué à l'installation des islamistes au pouvoir (Ayatollah en Iran et Frères musulmans dans les républiques "arabes") ! Leur populisme et leur autocratie, elles semblent s'en accommoder.

Incorrigibles, elles poursuivent même leur soutien aux Frères musulmans ainsi qu'à leurs frères ennemis les panarabistes, dans les républiques "arabes", arrivés au pouvoir à la faveur de la fumeuse "révolution du printemps arabe"  !

R.B

QUAND LA JUSTICE SE MET AU SERVICE DES AUTOCRATES POUR ECARTER LEURS OPPOSANTS ...

La condamnation, à Tunis, d’une quarantaine d’opposants à de très lourdes peines sur la base d’accusations fantaisistes est une offense à la réputation de la Tunisie, embarquée de force dans l’autocratisme sans limite du président, Kaïs Saïed.

La Tunisie sombre dans une pathétique régression. Le berceau des « printemps » de 2011, foyer de tant d’espérances pour les démocrates de l’aire arabo-musulmane, se dévoie depuis trois ans dans une triste caricature, celle du retour à une autocratie sans entrave. Un verdict hors norme sanctionnant un simulacre de procès a condamné, samedi 19 avril, une quarantaine de prévenus (militants politiques et associatifs, intellectuels, journalistes, hommes d’affaires) à des peines allant jusqu’à soixante-six ans de prison.

La lourdeur des sentences autant que la violation des droits de la défense sont une injure à la réputation de la Tunisie. « Une folie judiciaire », s’est affligé l’avocat Samir Dilou. Et une souillure sur l’image d’un pays qui fut collectivement auréolé en 2015 du prix Nobel de la paix pour son chantier démocratique.

L’homme qui a bâti la fiction de ce « complot » contre la « sûreté de l’Etat » n’est autre que le chef de l’Etat lui-même, Kaïs Saïed. Une partie des condamnés, acteurs politiques de la transition post-2011, n’avaient fait qu’envisager, le plus légalement du monde, une alternative électorale à M. Saïed. Leur motivation n’était autre qu’une profonde inquiétude sur l’avenir de la démocratie tunisienne au lendemain du « coup de force » de juillet 2021, à la faveur duquel le président Saïed, élu deux ans plus tôt, s’est arrogé les pleins pouvoirs.

Une mise à sac

Ces opposants savaient que le climat ambiant ne leur était guère favorable. Ils n’ignoraient pas que le « coup de force » de Kaïs Saïed avait été salué par des scènes de liesse. Ils étaient pleinement conscients que celui-ci surfait sur un rejet populaire des errements de la transition démocratique. Si l’Occident avait projeté ses fantasmes romantiques sur ce petit laboratoire éclairé d’Afrique du Nord, la population tunisienne avait amèrement vécu l’envers du décor : régression socioéconomique, violence djihadiste, paralysie institutionnelle et montée de la corruption. L’irruption de M. Saïed est le produit de ce désenchantement dont on avait sous-estimé, hors de Tunisie, la profondeur.

Mais, plutôt que de corriger une trajectoire amendable, M. Saïed a pris le parti de la table rase. Il s’est employé à démanteler méthodiquement les acquis les plus précieux du printemps 2011. Il s’est attaqué, avec une rare obstination, au pluralisme partisan et à la liberté d’expression. Hostile à la démocratie représentative, il ne jure que par une démocratie directe qui n’est autre que l’habillage d’un pouvoir personnel illimité. Le chantier réformiste tunisien n’est qu’un champ de ruines.

Face à une telle mise à sac, les Européens sont comme tétanisés. Français et Allemands ont exprimé leur « préoccupation » après l’énoncé du verdict du 19 avril. S’il rompt un long silence, le message adressé demeure très prudent. C’est que l’Europe cherche à esquiver un double écueil. Elle doit se garder de toute accusation d’« ingérence », à l’heure où le patriotisme est à vif. Elle doit aussi éviter de se brouiller avec un président qui s’impose comme un exécutant loyal des accords d’endiguement migratoire conclus avec Bruxelles.

Mais pourra-t-elle longtemps s’en tenir à cette discrétion, alors que la gouvernance erratique de M. Saïed fragilise chaque jour davantage la Tunisie et donc potentiellement la stabilité de cette partie de l’Afrique du Nord ?


Lire aussi :

En Tunisie, les rouages de la machine liberticide construite par Kaïs Saïed ou fac-similé de l'article 

En Tunisie, la fuite en avant autocratique de Kaïs Saïed

Condamnations d’opposants en Tunisie : la réprimande tardive de Paris et de Berlin

Ahmed Souab menotté : la photo qui fait honte à la République

lundi 16 décembre 2024

François BAYROU, PREMIER MINISTRE

La date de sa nomination, le 13 décembre, tombe le jour anniversaire de la naissance d'Henri IV, centriste avant l'heure en mettant fin aux guerres de religions; qu'il admire tant et dont il dit qu'il est son ami : heureux présage ?

S'il avait rejoint très tôt Emmanuel Macron, c'est que comme lui, François Bayrou avait compris, que la France se gouverne au centre.

Si Macron a voulu cassé les partis républicains traditionnels de droite comme de gauche, c'était pour en finir avec l'hypocrisie des partis quand les membres d'un partis agréent un projet de loi et votent contre, comme le leurs dictent leurs partis; alors qu'il s'agit de lois consensuelles.

Ce faisant, Emmanuel Macron a permis l'émergence des extrêmes : FN et LFI.

La nuisance des populistes devenait intolérable ... d'où la dissolution du parlement par Emmanuel Macron. Occasion pour les Français de mettre les hommes politiques, devant leur responsabilité.

Or sans majorité absolue, les 3 forces sorties des urnes sont appelées à travailler ensemble et parvenir au consensus, aucun parti ne pouvant appliquer son programme, rien que son programme ... comme le martèle bêtement Jean-Luc Melenchon !

Et cahin caha, les partis politiques et leurs parlementaires se dirigent vers le consensus, conscients qu'ils ne peuvent faire autrement.

Et qui mieux que François Bayrou pour convaincre les hommes politiques de bonne foi et soucieux de l'intérêt de la France et des Français, qu'un pays démocratique, se gouverne au centre ... comme c'est le cas dans tant d'autres Démocraties !

S'il y parvient, cela prouve que Macron avait raison depuis 2017 quand il avait introduit la notion du "en même temps"; mais aussi que les Français l'approuvent par leurs votes qui n'avaient donné de majorité à aucun parti; les obligeant tous à changer leur fusil d'épaule et d'admettre le consensus ... comme chez la plupart de leurs voisins.

Dur, dur l'apprentissage du consensus; parcequ'il ne faisait pas partie de la culture politique française; contrairement à d'autres pays.

Bon vent Monsieur le premier ministre.

Rachid Barnat

Lire et voir :

Le conseil municipal de Pau, présidé par le Premier ministre François Bayrou :

François BAYROU par l'exemple : sa façon de traiter ses opposants (PS, LFI, Communistes, Verts, FN ...) ... filmée lors du conseil municipal 3 jours après sa nomination au poste de 1er Ministre, augurerait-elle de ce qu'il fera à l'échelle nationale avec les opposants de tous bords ... très souvent dans la posture plutôt que dans résolution réelle des problèmes des Français ?


mercredi 27 novembre 2024

Reprenez vos imams, rendez-nous vos écrivains !

Des intellectuels Algériens victimes collatérale de la guéguerre du FLN contre la France !

Kamel Daoud victime de la loi d'amnistie condamnant toute personne qui parlerait des années noires et de la guerre civile qui a couté leur vie à 250 000 Algériens !

Boualem Sansal victime de l'histoire officielle instaurée par le FLN, qui n'admet aucune voix dissonante ...



mardi 5 novembre 2024

Le pied de nez de Kamel Daoud au FLN

Qui mieux que Kamel Daoud pour dénoncer l'islamisme et l'horreur des années noires de l'Algérie ?

Ce chroniqueur-écrivain était dans sa jeunesse adepte des Frères musulmans. Il s'est laissé endoctriner au wahhabisme qui fonde leur action politique. Mais grâce à son amour des livres, à sa lucidité et à son esprit critique, il a vite compris la dangerosité de l'islamisme

Non seulement il avait quitté les Frères musulmans, il s'est donné aussi pour mission de les dénoncer et de critiquer leur mauvaise lecture de l'islam, cette religion qu'ils ont transformée en instrument de répression féroce particulièrement pour les femmes, que le wahhabisme abhorre, méprise et diabolise en tant qu'origine du mal ! 

Mais on ne quitte pas facilement l'organisation des Frères musulmans : "Frère" un jour, "Frère" pour toujours; et celui qui veut s'émanciper de la confrérie, est condamné à mort pour traitrise !

Kamel Daoud a vécu en Algérie durant la décennie noire. S'il avait choisi d'y rester, c'était pour mieux dénoncer les islamistes au risque de sa vie; puisqu'une fatwa est prononcée contre lui, pour le tuer !

Quand Abdel Aziz Bouteflika, ex-Frère musulman lors de la lutte armée du FLN pour libérer l'Algérie, avait décrété l'amnistie générale pour clore les années noires, trahissant sa proximité idéologique avec les jihadistes qui lui rappelaient sans doute son jihadisme à leur âge, comme les jihadistes tunisiens rappelaient sa jeunesse à Ghannouchi l'autre Frère musulman, cela avait scandalisé Kamel Daoud qui s'étonne que le FLN veuille effacer de la mémoire collective ce pan d'histoire, lui qui a fait de l'histoire de la colonisation française son fonds de commerce pour imputer à la France tous les échecs de l'Algérie depuis son indépendance ! 

Une loi même était promulguée punissant de prison et d'amandes lourdes toutes personnes qui évoquerait cette guerre civile qui a fait prés de 150 000 morts en 10 ans !
D'ailleurs le FLN interdit le livre "Houris" en Algérie, comme il interdit à son éditeur Gallimard de participer à la foire du livre en Algérie.

Dans son livre "Houris", titre on ne peut plus stigmatisant pour les islamistes puisqu'il renvoie aux 72 houris/ces vierges éternellement vierges qui les attendent au paradis, Kamel Daoud brave le pouvoir en place; et pour écrire son livre-chronique de ces années noires, il a du se réfugier en France, pays de liberté. 

Et qui mieux que cet ex-Frère musulman pour dénoncer la mauvaise lecture de l'Islam par les obscurantistes ? 

Son livre est truffé de références au coran, aux hadiths, aux pratiques de cette religion détournée et instrumentalisée par les illettrés que sont les "émirs" et autres "imams" autoproclamés rentrés d'Afghanistan où ils sont partis donner un coup de main à Oussama Ben Laden !

Avec le prix Goncourt bien mérité par cet écrivain courageux, ce sont bien Kamel Daoud et la France qui font un pied de nez au FLN.

R.B

Jean Pierre Ryf 

Kamel Daoud : Houris

Je viens de terminer la lecture du dernier roman de Kamel Daoud : « Houris ». Ce livre figure parmi les finalistes pour le prix Goncourt et cela me paraît tout à fait justifié.

Ce roman est l’histoire d’Aube, une jeune femme qui a été victime d’une très grave attaque des islamistes pendant la décennie noire en Algérie dans les années 90.

Victime d’une tentative d’égorgement, elle ne peut plus parler. Elle ne peut respirer que grâce à une canule installée dans sa gorge et elle a une horrible trace de sa blessure sur la gorge qui fait peur aux enfants et détourne le regard des adultes.

C’est, cependant, une femme libre. Elle n’est pas mariée et subvient à ses besoins en tenant un salon de coiffure. Elle est, ce faisant, une anomalie pour les milieux conservateurs en Algérie.

Au moment où débute le roman, Aube est enceinte. Elle ne l’annonce à personne, pas même à sa mère mais s’adresse à son futur bébé à qui elle raconte ce qu’elle a vécu. Et comme ce futur bébé est une fille, elle lui montre qu’elle sera sa place dans ce pays si elle venait au monde.

Rien ne nous est épargné de la barbarie des islamistes et leur incommensurable bêtise. La scène chez le gynécologue serait très drôle si elle n’était aussi le reflet de la bêtise absolue qui se donne des airs de religion !

On va suivre un long périple de cette jeune femme qui veut retourner sur les lieux de son malheur: et ce sera l’occasion pour l’auteur de revenir sur l’ensemble des drames du pays à cette époque. 

Aube pense à avorter car, comme elle l’explique à son futur bébé, elle ne veut le laisser venir dans un tel monde. Elle lui explique et à nous par là même, pourquoi.

Tout au long de son périple elle fait des rencontres. Ces destins ont été, eux-aussi, bouleversés par les islamistes. Et c’est une façon, pour l’auteur de protester contre la décision du pouvoir d’effacer cette guerre, de passer l’éponge sur ces crimes, sans jugement, sans récit; comme si cela n’avait pas existé.

Le lecteur est amené à réfléchir sur cet oubli volontaire, sur l’absence de tous récits historiques dans un pays si soucieux d’histoire dans sa guerre contre la France !

Ce roman est fort. Il revient en détail sur cette période historique. Il fera date. Il amène le lecteur à affronter des questions essentielles sur la place des femmes, sur l’idéologie islamiste, sur le rôle de la mémoire et de l’histoire.

 

dimanche 6 octobre 2024

L’interminable régression illibérale de la Tunisie

Régression illibérale ? Un euphémisme journalistique du journal Le Monde (pro islamiste), pour ne pas dire dictature. 

L'UE et plus particulièrement la France, sont aux abonnés absents face aux dérives totalitaires de leur ami Kais Saied; alors que leurs responsables politiques se faisaient les champions pour défendre les droits de l'homme et pour dénoncer les atteintes aux libertés dans le Tiers Monde !

Pourquoi ? Est-ce encore la real politique qui a le dernier mot depuis que l'UE a délégué à Kais Saied la gestion des flux migratoires qui transitent par la Tunisie, comme elle avait délégué à Erdogan le contrôle de la migration transitant par la Turquie avec le résultat que l'on sait ? 

Ou est-ce tout simplement la rencontre des populismes de part et d'autre de la Méditerranée ?

Kais Saied ayant écarté tous ses opposants grâce à une ISIE (Instance Supérieure Indépendante pour les Élections ... dont le président est nommé par Kais Saied !) complaisante qui a refusé leur candidature pour X raisons aussi loufoques les unes que les autres, ne craint personne; puisque Abir Moussi, la seule véritable opposante qui bénéficie d'une grande popularité, il l'avait jetée en prison pour 2 ans !

C'est pourquoi le PDL ne reconnaît aucune légitimité à cette mascarade d'élection présidentielle et de ce qui en sortira. Election de laquelle Kais Saied a écarté tous ses opposants dont la plus sérieuse, Abir Moussi, pour s'assurer sa réélection alors que l'immense majorité des Tunisiens le rejettent lui et sa constitution.

Son parti le PDL, demande à ses adhérents et aux sympathisants de Abir Moussi de boycotter cette mascarade d'élection présidentielle dans laquelle il n'y a que Kais Saied qui se présente contre un candidat qui n'est là que pour faire de la figuration et donner l'illusion d'une démocratie en ce pays !

Ainsi vont les démocraties dans les régimes totalitaires.

R.B

Le Monde 

Le scrutin présidentiel du 6 octobre marque une nouvelle étape dans la fuite en avant autocratique du président sortant, Kaïs Saïed, que l’Europe a consacré partenaire privilégié des politiques d’endiguement migratoire.

La régression illibérale semble interminable en Tunisie, vertigineuse rechute dans l’autocratie pulvérisant les acquis de sa transition démocratique post-2011. Le scrutin présidentiel prévu dimanche 6 octobre marque une nouvelle étape dans la fuite en avant du président, Kaïs Saïed, candidat à sa réélection, vers la consolidation d’un pouvoir personnel ne s’embarrassant même plus des formes.

Tout juriste qu’il est, l’ancien enseignant de droit constitutionnel dispose de la Constitution et des lois au gré de ses caprices, dépeçant tout corpus juridique qui entrave son aspiration au monopole. En témoigne la modification de dernière minute de la loi électorale visant à dépouiller la justice administrative, fragile havre de résistance, de ses compétences en matière de contentieux issus des urnes.

Fallait-il que Kaïs Saïed sente le vent tourner pour recourir ainsi à ce nouveau coup de force juridique ? Fallait-il qu’il s’inquiète d’un possible revers de fortune électoral, lui dont la popularité due à son populisme anti-élites et souverainiste avait été jusque-là résiliente, pour imposer l’élimination de ses concurrents les plus sérieux sous de fallacieux prétextes ? 

Le résultat est que ce scrutin du 6 octobre présente de fâcheux airs de mascarade, M. Saïed n’ayant en face de lui que deux candidats dont l’un vient d’être condamné à … douze ans de prison pour « falsification de parrainages ».

Triste spectacle que celui offert par la Tunisie de Kaïs Saïed, où la scène politique n’est plus qu’un champ de ruines. Près de 170 militants de l’opposition ou citoyens critiques sont en prison, selon le décompte de Human Rights Watch, les médias sont muselés et les associations ligotées. 

Adepte du complotisme le plus baroque, M. Saïed justifie cette escalade répressive par la traque de prétendues conspirations ourdies de l’étranger. La frange de la classe politique et de la société civile qui avait été initialement séduite par son projet atypique, où la rectitude morale se mêlait à la compassion sociale et à l’hostilité à l’islam politique, mesure aujourd’hui son égarement.

Sauveur providentiel mué en autocrate

Personne n’avait vraiment pris au sérieux ses vieilles positions hostiles à la démocratie représentative et aux corps intermédiaires. Aveuglée par son rejet des errements de la transition post-2011 – corruption, insécurité et recul socio-économique –, une majorité de la société tunisienne s’était donnée à ce sauveur providentiel mué en autocrate. Quelle que soit sa longévité au pouvoir, M. Saïed a déjà infligé à la personnalité politique tunisienne, celle qui enfanta l’espérance des « printemps arabes », des lésions profondes.

Pour ajouter à l’infortune des Tunisiens, la France et l’Europe assistent, passives, au périlleux aventurisme de M. Saïed. L’embarras susurré mezza voce par les diplomates européens ne pèse pas lourd face à la realpolitik édictée de Bruxelles. Or celle-ci se satisfait de la collaboration de M. Saïed dans l’endiguement des flux migratoires vers l’Italie. La présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, l’a même érigée en modèle de l’externalisation des contrôles aux frontières de l’Union européenne. A cela s’ajoute la crainte que toute offense faite à M. Saïed le pousse à approfondir le flirt déjà esquissé avec la Russie, la Chine et l’Iran. Face à ce silence de l’Europe, les démocrates tunisiens ne pourront guère compter que sur eux-mêmes.

Lire aussi :

Présidentielle en Tunisie : des opposants toujours en lice, malgré la pression du pouvoir

vendredi 13 septembre 2024

Faut-il effacer définitivement le nom de l’abbé Pierre ?

Encore une victime du wokisme et du féminisme extrémiste qui surfe sur la vague "me too" pour condamner ... un mort !

R.B

L'effacement a commencé : la Fondation Abbé Pierre a décidé de changer de nom. Emmaüs a fermé le mémorial qui lui était dédié à Esteville près de Rouen, et devrait changer de logo. Mais au-delà, c’est un vaste mouvement de débaptisation qui a été lancé aux quatre coins du pays.

Puisque l’abbé Pierre a laissé son nom - ou celui de sa naissance Henri Grouès - à quelques 300 rues, 150 routes, une vingtaine de places et de parcs, des écoles et collèges, des arrêts de bus, des plaques commémoratives … en tout près de 600 lieux en France !

À Alfortville, en banlieue parisienne, là où le fondateur d’Emmaüs a passé les dernières années de sa vie, le maire n’a pas traîné : le square Abbé Pierre va s’appeler Joséphine Baker. Et le buste du prêtre sera remplacé par une statue de la chanteuse.

Au train où vont les choses, le nom et le visage d’un des plus grands personnages français de l’après-guerre auront complètement disparu d’ici quelques mois.

Sic transit gloria mundi. Ainsi passe la gloire du monde.

A-t-on déjà vu pareil mouvement de désaffection ?

Jamais. C’est absolument sans précédent. Le maréchal Pétain a bien eu quelques avenues de son vivant, rebaptisées de Gaulle ou Libération, une fois l’occupant vaincu. D’ailleurs un autre maréchal va perdre son avenue à Paris : Bugeaud, conquérant sanguinaire de l’Algérie.

Mais rien de commun avec la figure généreuse et populaire de l’Abbé Pierre, grand général de la guerre contre la pauvreté. Roland Barthes dans ses Mythologies en 1957, écrit que son visage, sa barbe et sa coupe de cheveux s’apparentent à ceux de la sainteté. On le compare à François d’Assise. On le sacre pendant 16 ans personnalité préférée des Français. On le célèbre et le commémore. RTL en fait un sujet de fierté, à cause de son appel de l’hiver 54 sur Radio Luxembourg.

Il y a moins d’un an, plus de 800.000 spectateurs ont été pris aux tripes par le deuxième long-métrage consacré à cet homme exceptionnel, qui a donné sa vie aux miséreux. Une vie de combats, c’était le titre. Le personnage incarné par Benjamin Lavernhe montrait bien que la chasteté lui était pénible. Mais …

Mais c’était avant la révélation de son vrai visage. Avant que l’on découvre que le héros est un salaud. Ou plus exactement, que le héros est aussi un salaud. Que le petit homme bon cohabitait avec un gros dégueulasse. L’abondance des preuves et des témoignages, ceux d’une vingtaine de femmes, ne laisse pas de place au doute.

Ce qui est terrible, c’est que l’abbé Pierre fut aussi un grand résistant et un sauveur de Juifs. Et que c’est parce qu’il était une icône qu’il a pu commettre des horreurs en restant impuni. Intouchable et abominable.

Il faut donc l’effacer de l’espace public ?

Hélas, comment faire autrement ? Cela ne veut pas dire : faire comme s’il n’avait pas existé. L’abbé Pierre demeure un personnage historique, admirable par bien des aspects. Mais il ne peut plus être honoré, il ne peut plus être un modèle, il a lui-même sali le nom qui ne figurera désormais sur aucun fronton. Ce qui est heureux pour les victimes. Et infiniment triste pour notre histoire commune.