NicolasBeau
La Tunisie qui voici douze ans portait les promesses d’un printemps arabe démocratique, est de plus en plus sous l’emprise du pouvoir militaire algérien dont la police politique est omni présente à Tunis et ses recettes pour sortir le pays du chaos de plus en plus en vogue.
Sous le règne successivement de l’ex-président Bouteflika et de son successeur à la tête du pays, le général et chef d’état-major Gaïd Salah, l’Algérie menait une diplomatie aussi sophistiquée que pertinente à l’égard du frère tunisien. Dans ce petit pays qu’Alger a parfois considéré, non sans morgue, comme une de ses wilayas (préfectures), les dirigeants algériens encouragèrent après 2011 la participation minoritaire au pouvoir du mouvement Ennahdha.
Cette bienveillance pour les religieux s’explique par au moins trois
raisons :
- la première est une doctrine politique assez constante qui vit le pouvoir
algérien diviser la mouvance fondamentaliste afin de s’appuyer sur ses éléments
les plus modérés.
- La seconde raison est l’estime dans laquelle Bouteflika * comme Gaïd Salah
tenaient le leader des islamistes tunisiens, Rached Ghannouchi, dont
l’intelligence politique et le charisme leur semble incontestables.
- La troisième motivation du pouvoir algérien aura été la volonté de
contrer, via ce rapprochement avec Ennahdha, la possible influence en Tunisie
et en Libye des Émiratis et des Égyptiens qui vouent, eux, une haine tenace
pour tout ce qui ressemble à un Frère Musulman.
Changement de cap
Cette époque est révolue. Les trois années de mobilisation du Hirak qui ont ébranlé le pouvoir militaire algérien ainsi que le retour récent au pouvoir en Algérie de puissants cadres de l’ex DRS, les services secrets qui ont appliqué une répression féroce contre les partis religieux durant ce qu’on a appelé les années noires. Autant de raisons de changer du tout au tout leur politique à l’égard de la Tunisie et d’encourager le président Kaïs Saïed à tourner le dos aux libertés publiques et à tourner le dos à la démocratie.
Le chef de l’Etat tunisien, qui n’excelle que sur le
terrain institutionnel, a copié sans fierté ni inspiration la propagande la
plus éculée des généraux algériens. Bon élève, Kaïs Saïed voue désormais aux
gémonies toutes les ONG et autres mouvements humanitaires et voit la main de
l’étranger dans la moindre opposition à son régime devenu autoritaire.
Pour complaire à ses amis et voisins, on a même vu le
président tunisien recevoir avec tous les honneurs le leader du Polisario avant
d’accueillir, cet hiver, une délégation russe de haut niveau en partance pour
le Maroc. Cette alliance de la Tunisie et de l’Algérie, deux pays liés par un
accord de Défense, s’est traduite pour le meilleur par une aide économique
massive à un État qui n’assure plus ses fins de mois et pour le pire par une
présence accrue à Tunis des services secrets algériens.
Ce que perçoit mal ce Président enfermé dans son
Palais de Carthage sans véritables interlocuteurs et une cheffe de cabinet
comme Première ministre, c’est qu’un nationalisme subtil mais bien vivant anime
le peuple tunisien, y compris ses élites qu’elles soient sécuritaires ou
politiques. Ce que feu le général Ben Ali avait parfaitement apprécié lorsqu’il
s’était rapproché d’abord de l’Irak de Saddam Hussein puis de la Libye de
Khadafi, en jouant de la fibre nationaliste arabe qui traverse ce peuple moins
occidentalisé qu’il n’en donne l’impression.
L’image d’un Kais Saïed sous la coupe des Algériens
devrait, les pénuries aidant, isoler encore un peu plus le Président tunisien.
* Bouteflika ex-Frère musulman, à l'origine de la loi d'amnistie pour les islamistes responsables des années noires, dont ceux du FIS (branche de l'organisation mondiale des Frères musulmans).
Lire La Guerre d'Algérie, Une Guerre Sainte ? de Roger Vétillard.