En lisant les réponses de la Troïka et d’Ennahdha à la feuille de route envoyée par le Quartet aux partis au pouvoir comme à l’opposition et aux expressions organisées de la société civile, je suis passé de la surprise au dégoût.
Je m’attendais à une nouvelle entourloupe d’Ennahdha, à une réaction bête du CPR et à un ressaisissement d’Ettakattol.
Il était à craindre que le Front de Salut ne se divise entre partis et courants acceptant la feuille de route pour donner une nouvelle chance au consensus recherché, et composantes la rejetant non sans raisons : les concessions faites jusqu’ici ont été interprétées par les dirigeants d’Ennahdha non pas comme un souci de sauver le pays et de réussir la transition démocratique, mais comme des signes de faiblesse qu’il fallait exploiter pour poursuivre la politique de mainmise sur les rouages de l’Etat et sur les richesses du pays afin de pérenniser leur pouvoir par tous les moyens, en tournant le dos à tous leurs engagements et en bafouant toutes les règles de la loi et de la morale.
Lorsque Ennahdha a annoncé son acceptation de l’initiative du Quartet, j’ai poussé, comme tous les Tunisien(ne)s soucieux de sortir au plus vite de l’impasse dans laquelle le pays a été engagé depuis des mois, un « ouf ! » de soulagement avec des interrogations concernant ce qui peut se cacher derrière cette annonce, et des craintes quant aux raisons du retard de la réponse du Front de Salut.
Puis, en découvrant le contenu de la réponse d’Ennahdha et de la Troïka, un sentiment de dégoût s’est emparé de moi, comme beaucoup de Tunisien(ne)s qui ont vu leurs craintes confirmées.
L’acceptation annoncée ne concernait que la partie de la feuille de route tenant compte des demandes d’Ennahdha (la reprise des travaux de l’ANC) et le rejet, ou l’ajournement à des discussions futures, après l’adoption de la nouvelle constitution, de la partie concernant les demandes du Front de Salut et du Quartet (la dissolution du gouvernement présidé par Laarayedh et son remplacement par un autre gouvernement).
Autrement dit : « nous acceptons nos demandes que vous avez acceptées et nous continuons à refuser ce que vous nous demandez » !
Un nouveau pas dans le cynisme et l’arrogance est ainsi franchi :
Ils font semblant de faire des concessions – qu’ils présentent comme des sacrifices – alors qu’ils ne concèdent rien et persistent dans la même politique de louvoiement visant la pérennisation de leur règne et la mainmise totale sur les rouages de l’Etat, les richesses et tous les moyens dont ils ont besoin pour gagner les prochaines élections.
Non seulement ils mentent sans vergogne mais ils prennent les autres pour des imbéciles.
La conférence de presse du Quartet a montré à l’opinion publique que cette politique fondée sur des manœuvres dilatoires ne date pas d’aujourd’hui.
En rappelant les différentes étapes du dialogue national initié par l’UGTT, la Ligue des Droits Humains et l’Ordre des Avocats en octobre 2012, la veille de l’échéance prévue du travail de l’ANC, puis par les mêmes organisations rejointes par l’UTICA, en février 2013, au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd, au mois de mai 2013, suite à la publication du projet de la constitution, et depuis l’assassinat du Constituant Mohamed Brahmi, la conférence de presse du Quartet a montré comment les dirigeants d’Ennahdha ont toujours observé la même attitude dilatoire pour poursuivre la même politique sans considération pour ses conséquences désastreuses pour l’économie, la sécurité intérieure et extérieure du pays et pour les conditions de vie, non seulement des couches populaires et dans les régions défavorisées, mais aussi de la classe moyenne menacée de disparition.
En cela, leur attitude, comme celle de leurs alliés de la Troïka, tranche avec l’esprit de responsabilité et de prise en compte des intérêts du pays qui a caractérisé l’attitude des composantes du Front de Salut, et plus particulièrement du Front Populaire dont deux dirigeants ont payé de leur vie les conséquences de la politique irresponsable poursuivie par leur gouvernement dans le domaine sécuritaire et de la gestion du terrorisme des groupes salafistes.
Les révélations concernant l’implication du chef du gouvernement et du Ministre de l’Intérieur pourraient justifier l’exigence de la démission du gouvernement comme préalable à tout dialogue.
Cependant, par souci des intérêts du pays, et par respect pour les efforts déployés depuis des mois par le Quartet, les dirigeants de toutes les composantes du Front de Salut se sont fait violence pour accepter sans réserves, et faire accepter à leurs militants la feuille de route des organisations qui parrainent le dialogue.
L’opinion publique nationale et internationale n’aura plus de difficulté à faire la différence entre l’attitude cynique des dirigeants de la Troïka entraînés dans la fuite en avant des faucons d’Ennahdha, d’un côté; l’esprit d’abnégation et de responsabilité du Quartet et des composantes du Front de Salut, de l’autre.
Les plus déçu(e)s reprochent au Quartet et au Front de Salut les concessions et le temps perdu à la recherche d’un consensus impossible. Ils doivent cependant savoir que les dirigeants de la Troïka, et plus particulièrement les faucons d’Ennahdha, font tout pour entraîner le pays dans une confrontation violente qui leur éviterait une sanction démocratique de leurs échecs et des conséquences désastreuses de leur politique.
Leur faire cadeau d’une épreuve de forces qui les ferait apparaître comme des victimes d’un « coup d’Etat » comparable à ce qui est arrivé à leurs frères en Algérie ou en Egypte, leur permettrait en effet d’échapper à une sanction démocratique de leur politique et risquerait fort de compromettre la réussite de la transition et la réalisation des objectifs de la révolution.
Par contre, en faisant preuve de patience et de respect des règles de la vie démocratique, ils sont au pied du mur et se trouvent obligés à se démasquer.
Ils ont fait perdre au pays beaucoup de temps, mais l’avenir de la démocratie en Tunisie et dans les pays arabes et musulmans n’en sera que plus assuré : en fermant la porte comme ils l’ont fait à cette ultime chance pour sauver le processus de transition et pour éviter au pays un scénario à l’égyptienne, les dirigeants d’Ennahdha et la Troïka montrent, à ceux qui en doutent encore, leurs véritables desseins et la vraie nature de leur politique.
La fourberie, le louvoiement, le mensonge, la rapacité, et l’arrogance sont devenus les seuls ingrédients de leur politique.
Ils n’ont plus aucun sens de la dignité, de l’honneur, du respect de soi et des autres.
Ils ne peuvent être ni crédibles ni craints.
Ils ont perdu jusqu’aux derniers ressorts du pouvoir : la force du lion et la ruse du renard que Machiavel conseillait au Prince quand il ne peut plus compter sur les qualités nécessaires pour être aimé et respecté.
Quand des gouvernants atteignent un tel degré de cynisme, leurs jours sont comptés. C’est pourquoi, on peut dire, sans risque de se tromper, que l’heure de vérité a sonné.
Ce n’est pas le moment de se décourager et de se diviser.
Bien au contraire, en s’appuyant sur les leçons de toutes les étapes du dialogue depuis un an, il faut poursuivre, dans l’unité la plus large, la mobilisation et la pression, par tous les moyens légaux, pour les obliger à accepter la feuille de route du Quartet afin d’aller au plus vite à des élections démocratiques dont ils veulent éviter la sanction.
la religion devise mais la patri uni
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