" Les tyrans ne sont grands que parceque nous sommes à genoux "
Étienne de La Boétie
Albert Camus dans l'homme révolté a décrit très bien ce qui mène l'homme à se révolter; et ce qu'il décrit, correspond parfaitement à ce que vivent les algériens méprisés par un pouvoir totalitaire devenu de plus en plus arrogant !
Que feront-ils de leur révolte ? Espérons qu'ils ne rééditeront pas l'erreur des tunisiens qui se sont vus confisquer leur "révolution" par les Frères musulmans au projet néfaste pour le pays !
C'est le thème de la vidéo-conférence de Jean Pierre Ryf.
C'est le thème de la vidéo-conférence de Jean Pierre Ryf.
R.B
Jean Pierre Ryf
La révolte algérienne vue par un français
natif d'Algérie et resté algérien de cœur.
natif d'Algérie et resté algérien de cœur.
Je lisais récemment un article sur la
difficulté de nommer clairement les événements actuels qui ont lieu en Algérie
et des universitaires dissertaient sur les notions de « révolution », « mouvement ou hirak », « révolte ».
Cela m’a conduit à réfléchir également
sur cette situation.
Je dirai d’abord que ce qui frappe
l’observateur c’est la force de ce mouvement et la vue des manifestations de
chaque semaine avec cette foule immense démontre que c’est vraiment tout un
peuple qui se lève, partout dans le pays, sans distinction de catégorie
sociale, de zones géographiques, d’opinion politique.
La seconde observation que chacun a pu
faire c’est l’extraordinaire sang-froid de ces foules pourtant immenses, leur
calme, leur volonté absolue d’être pacifique et sans violence et cet aspect est
à mettre en évidence car, en général, une révolte ou une révolution est violente.
Un autre caractère et non des moindres, est que ce peuple a manifesté tout au long de ces journées un humour constant
dans ses slogans et dans la façon d’exprimer son action. Il a, aussi, et c’est
déjà un des bienfaits de ces journées, apprécié le fait de se retrouver et de
jouir du plaisir de rire, de bavarder, de prendre possession des rues. Cela
paraît banal mais quand on a connu une Algérie triste, morose, inquiète de son
avenir, sans réaction face aux abus du pouvoir et a son mépris, c’est une nouveauté
et il est clair que cela ne sera jamais plus comme avant, quel que soit le sort
de ce mouvement.
Quand on a dit cela je serai assez tenté, pour ma part, d’utiliser le mot
de révolte tel que nous l’a enseigné Albert Camus. C’est ainsi qu’il
écrivait *:
« Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non »
« Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non »
Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà
non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne
dépasserez pas ». En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière. On
retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l’autre «
exagère », qu’il étend son droit au-delà d’une frontière à partir de laquelle
un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte
s’appuie, en même temps, sur le refus catégorique d’une intrusion jugée
intolérable et sur la certitude confuse d’un bon droit, plus exactement
l’impression, chez le révolté, qu’il est « en droit de… ». La révolte ne va pas
sans le sentiment d’avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison.
C’est en cela que l’esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en
même temps que la frontière, tout ce qu’il soupçonne et veut préserver en deçà
de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu’il y a en lui quelque chose
qui « vaut la peine de… », qui demande qu’on y prenne garde.
(…) En même temps que la répulsion à l’égard de l’intrus, il y a dans toute
révolte une adhésion à part entière et instantanée de l’homme à une certaine
part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur,
et si peu gratuit, qu’il le maintien au milieu des périls. (…) Le révolté, au
sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le
voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas.
Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque
tacitement une valeur. »
Et bien les Algériens sont bien ceux qui disent non et qui soulignent aussi
que cela a trop duré et qu’ils ne peuvent plus accepter à partir de ce moment
le comportement du pouvoir à leur égard.
C’est donc bien une révolte mais, comme le souligne aussi Camus, dans la
révolte il y a non seulement un refus mais la volonté d’autre chose et la
revendication d’un autre mode de fonctionnement du pouvoir et de la société, en
somme une autre valeur.
Les Algériens, le peuple, sait-il vers quelles valeurs il veut aller, vers
quel destin, vers quel type de civilisation ? Rien n’est moins sûr et
c’est naturel car le peuple, en dehors de son patriotisme, de son amour pour un
pays est très divers et dès lors il y a une multitude d’intérêts, d’objectifs
et de comportement.
Citons les différences régionales qui demeurent importantes, les
différences de niveau social et d’éducation, les différences religieuses, car,
même dans un pays musulman dans sa majorité les différences sont évidentes
entre les très pratiquants et ceux qui le sont moins, entre les soufis et les
salafistes purs et durs et même entre diverses obédiences !
Tous ces gens ne veulent pas la même chose, leurs objectifs sont différents
et très contraires entre eux.
Quel est le système politique qui peut unir un peuple malgré ses
différences ? Il y a deux systèmes que l’expérience ailleurs a mis en
évidence :
- la règle démocratique de la majorité;
- la laïcité.
La règle majoritaire permet de trancher entre les diverses conceptions et
objectifs. Une fois les questions tranchées l’ensemble de la population
accepte.
Dans une dictature au contraire le pouvoir jouera sur les différences pour
les opposer et le pouvoir sera celui (on l’a vu d’un clan).
Mais il faut ajouter que la vraie démocratie ce n’est pas seulement la
règle majoritaire c’est aussi et de manière essentielle, le respect des
minorités qui doivent être libres de s’exprimer, de manifester et de militer
pour un autre projet avec dans la ligne de mire l’alternance sans laquelle la
démocratie n’est qu’une forme déguisée de dictature et il ne suffit pas qu'un
pouvoir soit élu pour qu'il soit démocratique !
Ceci étant dit et comme le diable se niche dans les détails tous les
mécanismes juridiques ne se valent pas et l’exemple Tunisien est, à cet égard,
très significatif.
Les Tunisiens comme les Algériens se sont levés contre un régime de
dictature et ses pratiques. Ils ont alors voulu prendre toutes les dispositions
juridiques pour qu’une dictature ne puisse plus revenir et c’est dans ces
conditions qu’ils ont choisi une Constitution et un régime électoral de
proportionnel. Le résultat a été désastreux car plus de 200 partis (ridicules)
sont apparus et aucune majorité stable n’a pu voir le jour entraînant des
alliances contre nature entre des partis aux conceptions totalement
opposées ! La Constitution et le régime électoral ont organisé
l’impuissance du pouvoir et a partir de là la régression du pays dans tous les
domaines, aucun projet sérieux ne pouvant voir le jour et être mis en œuvre.
Les Algériens devront donc s’ils s’orientent vers la démocratie étudier et
tirer des leçons de l’expérience Tunisienne.
La deuxième règle nécessaire est la laïcité car c’est la seule qui permet
d’organiser un vivre ensemble apaisé et porteur d’ouverture et de progrès.
L’Algérie est indiscutablement un pays musulman et de cela personne n’en
doute et ne le met en cause. Mais il y a, aussi, quelques religions
minoritaires et même chez les musulmans il y (personne ne peut le contester)
une variété de pratique et d’idée importante puisqu'il n’y a strictement rien
de commun entre des soufis ouverts, tolérants et apaisés à l’exemple de l’Emir
Abdelkader ce fondateur de l’Etat et des salafistes intolérants et dominateurs
qui veulent imposer, quelques fois par la violence, une façon de croire et de
se comporter venue d’ailleurs.
Or qui peut faire qu’un vivre ensemble, une tolérance, une acceptation de
l’autre s’installe dans le pays pour son plus grand bien sinon la règle de la
laïcité ?
C’est à cela aussi que devront réfléchir les Algériens et qu’ils devront
trancher.
Je conclurai cette analyse en disant qu’un pays pour progresser, pour aller
de l’avant et pour vivre apaisé se doit de trancher entre ces grandes options.
Les hommes politiques ne veulent quelques fois pas trancher pour ne pas perdre
de voix, pour essayer de plaire à tout le monde et ce faisant ils ne rendent
pas service à leur pays car les non-dits pourrissent la vie de la société.
Alors après la révolte magnifique et bienvenue il faut maintenant que les
Algériens prennent conscience des enjeux et les tranchent tranquillement,
démocratiquement en s’organisant et ne faisant apparaître des leaders car les
leaders sont absolument nécessaires pour parvenir à ces choix qui ne se feront
pas spontanément. Et c'est là que l'on entre dans les difficultés mais qui ne
sont pas insurmontables.
* Camus, L’homme révolté (Gallimard), p 25-26
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