Sur les bords du Nil, le fiasco du
slogan « l'islam est la solution » doit faire réfléchir nos
gouvernants et les députes de l'ANC !
A l’heure où le général Rachid Ammar parle d’une «
somalisation » du pays et que l’ANC offre un spectacle agité aux Tunisiens, à
l’heure où un parti rêve d’instaurer le califat et que des baigneurs sont pris
à partie par des barbus près de Raf raf, les énormes manifestations contre le
pouvoir des Frères Musulmans sur les bords du Nil et son funèbre cortège de 16
morts et de 800 blessés devraient faire réfléchir nos décideurs et les amener à
tout mettre en œuvre pour éviter à notre pays une telle lutte fratricide.
Mohamed Morsi a été élu avec 15
millions de voix et un taux d’abstention record, conséquence d’un duel qui a
dégoûté un grand nombre d'égyptiens devant choisir entre la peste et le
choléra, entre un islamiste et un ancien ministre de Moubarak.
Dimanche 30 juin 2013, anniversaire
de l’élection de ce président par défaut, 22 millions d'égyptiens ont
signé une pétition demandant son départ. Initialement, le choix des
Frères s’était porté sur le millionnaire Khairat al Chater. Ce « saint » homme
était l’ennemi des syndicats et le fervent partisan du libéralisme le plus
débridé. Il a été écarté de la présidentielle par décision de
justice.
La présidence Morsi s’est révélée
catastrophique à tout point de vue. Elle a installé le chaos sur les bords du
Nil. Ainsi, fin mai 2013, la route Abou Simbel-Assouan a été coupée par des
paysans qui réclamaient de l’eau d’irrigation pour leurs champs,
prenant en otage plus de 500 touristes. Pour l’ingénieur
Morsi, la fidélité clanique passe avant les compétences. L’Egypte est un «
butin » que la Providence a mis entre les mains des Frères et qu’il s’agit
d’exploiter… comme le faisaient Jamel Moubarak et les siens ? « Les Frères
Musulmans ont utilisé les élections pour monopoliser le pouvoir, dénigrer
les adversaires et affermir les liens avec les islamistes radicaux » écrit
l’éditorialiste du New York Times (01 juillet 2013)
L’Égyptien aujourd’hui attend entre 3
et 5 heures pour parvenir à faire un plein d’essence. Les coupures du courant
électrique désorganisent la vie des gens et frappent d’impuissance l’économie.
Les touristes fuient le pays et le pouvoir n’a rien trouvé de mieux pour les
attirer que de nommer à Louxor - un haut lieu touristique - un gouverneur
lié à des groupes terroristes qui ont assassiné une soixantaine d’étrangers en
1997. L’inquiétude taraude les Égyptiens qui craignent une pénurie de blé et
donc de "ich" (le vivre, le pain) - Le Caire étant le plus gros
importateur de blé de la planète. Le nombre de viols a explosé - pour éloigner
probablement les femmes des manifestations populaires - et donné, incidemment l’occasion
à Obama de se mêler des affaires de l’Egypte par son appel téléphonique à Morsi
lundi soir. Lundi premier juillet, face aux millions de manifestants et face à
la dévastation de leur luxueux local du Moqatam au Caire, les responsables de
Frères Musulmans n’ont rien trouvé de mieux que d’accuser la minorité copte (10
à 15% de la population). Celle-ci a déploré des dizaines de morts en 2011
(attentat contre une église à Alexandrie le Jour de l’An 2011 et attaque de
l’armée rue Maspéro au Caire contre des manifestants coptes réclamant l’égalité
d’accès aux hautes fonctions en octobre). Ce faisant, les Frères n’ont qu’une
visée : accélérer l’exode de ces chrétiens qui, avec les laïcs et les
femmes, refusent l’inscription de la charia dans la Constitution du pays.
Fadéla M’Rabet – la grande romancière
algérienne - ne définit-elle pas la charia comme « l’ensemble des lois
machistes, décrétées valables pour tous les temps et en tous lieux par des
clercs névrotiquement misogynes, qui ont réussi à abolir la mixité» ? (in « La
salle d’attente ») En Tunisie, l’urgence est que force reste à la loi et non
aux LPR.
Nous qui chérissons l’Egypte et que
ces développements tragiques désolent, ne pouvons que regretter ces drames
provoqués par l’aveuglement des Frères. Nous ne pouvons que nous souvenir qu’en
ce même mois de juillet, en 1956, le Colonel Nasser a rendu aux
Arabes et aux peuples colonisés leur fierté et porté à l’impérialisme un coup
d’une témérité inouïe: la nationalisation du Canal de Suez. Cet acte
révolutionnaire provoquera l’agression franco-anglo-israélienne. Les Frères
Musulmans à l’époque ne portaient guère Nasser dans leur cœur et n’avaient qu’une
exigence à présenter : le port du voile pour dix millions d’Egyptiennes
alors que la fille du Morchèd suivait les cours de la Faculté de Médecine
du Caire tête nue ! Le double langage et la casuistique des Frères ne datent
donc pas d’hier. Aujourd’hui, le résultat de cette parole viciée et de leur
politique de gribouille est hélas trop onéreux pour le peuple égyptien dont 50%
vit avec à peine deux dollars par jour tandis que l’eau de cuisson des fèves –
fèves qui constituent aliment de base - se vend, m’a confié un ancien ministre
! Les prix de certains produits alimentaires ont augmenté de 30%. Triche et
faux semblant ne sauraient résoudre les problèmes dans lesquels se débat le
peuple, ce peuple qui, comme le nôtre, a pris la parole et n’a plus peur ni des
moukabarat ni des baltajia ni des foulouls. Les Frères sont aujourd’hui
dépassés par ces masses qu’ils prétendaient représenter. Deux ans après la
chute du dictateur, de sa clique et de ses médias, quelle dégringolade pour ces
Frères qui attendaient la prise du pouvoir depuis 80 ans! Mohamed Morsi et les
Frères, comme tous ceux qui veulent dépouiller la jeunesse arabe de sa
révolution pour s’éterniser au pouvoir, devraient méditer cette pensée de Karl
Marx : « L’histoire ne fait rien ; c’est l’homme réel et vivant qui fait tout.
»
Imposer une camisole de force
islamiste au pays se révèle impossible et ne résout aucun des fléaux de
l’Egypte moderne.
Imposer une Constitution concoctée à
la va-vite par les Frères et qui ignore les aspirations profondes à la
modernité du pays de Saâd et Safia Zaghloul est une hérésie. « Le printemps
arabe n’est pas promis à l’hiver islamiste » écrivait à juste titre un journal
parisien mardi matin. La Constitution promise par Morsi devait se construire
sur le consensus et non sur la préservation des intérêts des Frères. Les
Egyptiens se sont sentis trahis par le sectarisme de Morsi et le manquement à
la parole donnée. Par millions ils ont alors battu le pavé pour exprimer
leur frustration en criant « Justice sociale » et « Stop à la violence d’Etat
».
Jaber Salah –connu sous le sobriquet
de Jika par ses amis- n’avait que 16 ans quand il a été assassiné, en décembre
2012, lors d’une manifestation qui immunisait Morsi de toute poursuite
judiciaire. Juste avant de partir pour manifester, il a écrit sur sa page
Facebook : « Si je ne reviens pas, je demande aux gens d’entretenir la flamme
de la Révolution et d’exiger nos droits. » (The Guardian, 02 juillet 2013)
La monopolisation de la vie politique
au bénéfice des seuls Frères a été massivement condamnée par les manifestants
du Caire à Alexandrie et de Port Saïd à Assouan. Même si des éléments de
l’ancien régime y mettent leur grain de sel toxique pour récupérer leurs
prébendes. Depuis la chute de Hosni Moubarak, écrit Jack Shenker, envoyé du
Guardian de Londres au Caire, « les militaires, l’appareil sécuritaire, les
ploutocrates se sont efforcés de protéger de l’agitation révolutionnaire
le statu quo égyptien » alors que, de leur côté, « les Frères Musulmans
ont fait de leur mieux pour maintenir et conserver le caractère autocratique de
la politique égyptienne et de mettre de côté les demandes des révolutionnaires
mais, ce faisant, ils ont fait éclater l’étincelle de la réaction brutale de la
population. » (The Guardian, 02 juillet 2013)
Mohamed Morsi – tout comme certains
chez nous aussi - brandit à tout bout de champ sa « légitimité » sortie des
urnes. Las ! Cette « légitimité » aura accouché d’un bâton de général et risque
d’enterrer la démocratie en ramenant les militaires au pouvoir-
militaires dont la gestion, il y a à peine dix mois, s’est révélée fort
calamiteuse après la chute de la maison Moubarak. Pour le révolutionnaire
français Robespierre, la révolution est fondamentalement illégale… mais
légitime parce qu’accomplie par le peuple, seul détenteur de la souveraineté.
Si le peuple délègue sa souveraineté, il est en droit de la récupérer lorsque
les magistrats qu’il s’est donnés menacent ses droits inaliénables -
reconnaissance claire du droit à l’insurrection.
« L’islam est la solution » n’a
malheureusement aplani aucune des difficultés de l’Egypte. L’Islam est foi. Il
n’a rien à voir avec les affaires de ce bas monde où certains font de la
politique qui « exige beaucoup de mensonges » affirme l’ancien Premier Ministre
français Michel Rocard.
Gardons-nous en Tunisie de refaire
les mêmes terribles erreurs que Morsi et ses amis et donnons son sens
noble à la direction des affaires de la Cité : la politique au profit des
jeunes, des régions oubliées et fortifions la société civile, la culture
et le sentiment démocratique.
Quant à l’Egypte, notre cœur bat à
l’unisson du sien et notre souhait le plus vif est que le dialogue prévale et que
cesse l’effusion de sang…le sang de tous les Jika dont l’Egypte et le monde
arabe ont tant besoin.
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