Un préjugé favorable pour Mehdi Jomaa et son gouvernement ? Wait and see.
R.B
Caroline Fourest
Les bonnes nouvelles sont rares, surtout en géopolitique. Raison de plus pour ne pas les bouder. Il y a quelques mois à peine, la Tunisie était gérée par une troïka composée d'intégristes et d'alliés alibis. Ensemble, ils ont conduit le pays au bord du chaos, à tous points de vue: touristique, économique, démocratique et sécuritaire. Sous leur règne, les extrémistes faisaient la loi et ceux qui leur résistaient étaient arrêtés. Pendant que l'économie plongeait...
Discrédité et hors délais en termes de mandat, ce gouvernement a dû céder la place à un gouvernement de transition apolitique et issu de la société civile, dont on dira peut-être un jour qu'elle a sauvé la Tunisie.
Sa chance est triple : la Tunisie ne dispose pas d'une armée désireuse de juguler l'islamisme par la force et la violation de l'état de droit comme en Égypte. Elle ne peut compter que sur la résistance d'une société civile. Quant à son économie, elle ne vit pas de la rente pétrolière ou gazière, de celle qui corrompt comme en Algérie, mais du tourisme et donc de l'ouverture aux autres. Il ne lui manquait qu'un personnel politique plus compétent qu'idéologues. C'est la force de ce gouvernement provisoire.
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Ils ont un peu le profil de ceux qui ont assuré la transition entre le départ de Ben Ali et l'élection de la Constituante: des personnalités de la société civile, parfois des Tunisiens de la diaspora. Ce ne sont pas des professionnels de la politique, ils se sont d'ailleurs engagés à ne pas se présenter aux élections qui viendront. Leur rôle est de redresser le pays, d'apaiser les tensions, et de rassurer les investisseurs. À l'image de la nouvelle ministre du Tourisme: Amel Karboul. Ultra-diplômée, francophone et anglophone, elle a travaillé dans l'industrie automobile et dirigé une société de conseil, avant de mettre ses activités entre parenthèses pour participer à ce gouvernement.
Sa mission ? Convaincre les Tunisiens de l'étranger de revenir passer leurs vacances dans leur pays d'origine, ce qu'ils font moins ces dernières années. Mais aussi les Européens, et plus seulement les Libyens. Le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, a montré l'exemple en déclarant qu'il passerait une partie de ses vacances en Tunisie...
D'ici là, il faudra encore résister à quelques polémiques absurdes, comme celle agitée par 85 députés de la constituante, à propos du pèlerinage de la Gribah. C'est un vieux rituel effectué à la synagogue de l’île de Jerba, qui témoigne de la diversité culturelle de ce pays. Des députés se plaignent que les visiteurs puissent venir avec leur vrai passeport, parfois israélien, et non en demandant un document alternatif délivré par les autorités tunisiennes pour faire semblant d'ignorer leur nationalité. Cette année, l'hypocrisie sera levée, malgré le grincement de certains députés. Surprise, même Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahdha, trouve la polémique déplacée ... Quitte à se faire critiquer par d'autres intégristes de son mouvement.
À quoi joue Rached Ghannouchi ?
Le gouvernement d'union nationale le ménage pour apaiser les tensions. Lui coopère. Un jour, il prend ses distances avec l'islam égyptien, tout en allant saluer le modèle turc -autoritaire et corrompu- d'Erdogan. L'autre, il déclare que les mosquées ne devraient plus servir à des prêches politiques, ce qui est pourtant la spécialité des partisans...
Que faut-il en penser ? L'histoire algérienne, égyptienne et turque prouve qu'il ne faut jamais se faire d'illusions avec les Frères musulmans, ni les prendre aux mots... Néanmoins, ces mots sont prononcés et fracturent le camp islamiste: entre jusqu'auboutistes et pragmatiques.
Il a fallu des mois de pression pour convaincre Ennahda de quitter le pouvoir. La peur de subir une forme de répression comme en Égypte et peut-être plus encore la peur d'avoir à gérer la cessation de paiement qui guettait la Tunisie a beaucoup joué. L'intelligence stratégique aussi. Tactiquement, Ennahda a tout intérêt à être dans l'opposition et non au pouvoir quand les élections auront lieu. À cette image, Ghannouchi joue la carte de l'apaisement, certainement dans l'espoir de finir ses jours en Tunisie et non en exil, aussi pour adoucir le triste bilan de son parti. Lequel rêve toujours de revenir au pouvoir, et cette fois pour longtemps.
Le retour du pire est-il possible ?
Tout est possible, mais pour l'instant les efforts de ce gouvernement apolitique paient. Il a su réaffirmer certaines libertés tout en combattant les extrémistes. Il vient de signer sans réserves le programme de lutte pour l'égalité hommes-femmes de l'Onu (CEDAW) et a même envisagé d'interdire le voile intégral. Ces signaux rassurent à la fois sa société civile et les investisseurs. C'est une donnée fondamentale de l'équation. Contrairement aux islamistes, les dirigeants actuels ne vont pas chercher leur soutien financier au Qatar, plutôt auprès de l'Union européenne ou au FMI, qui vient de débloquer 255 millions de dollars pour la Tunisie. En échange, le gouvernement va devoir mener des réformes. On risque de voir s'appliquer les vieilles recettes libérales. Attention toutefois à ne pas les juger hors contexte.
Dans un pays au bord de la cessation de paiement et du totalitarisme, Ennahda avait choisi la perfusion qatarie pour pouvoir engager des fonctionnaires, souvent choisis pour leurs convictions islamistes. La pire des dépendances au service du clientélisme. Avec ce gouvernement, l'État cherche à faire des économies tout en attirant les entreprises privées plus ouvertes sur le monde.
Son défi est aussi sécuritaire. Il suffira d'un seul apprenti jihadiste revenu de Syrie ou d'un camp d'entraînement en Libye pour gâcher la fête ou la saison touristique. À l'inverse, s'il réussit à réformer ce pays dans la justice, de façon à assurer la pérennité de ses institutions, le tout dans un délai raisonnable avant de rendre le pouvoir, la Tunisie aura réussi un incroyable pari. Passer d'une révolution populaire, forcément chaotique, à une démocratie véritablement stable.
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