Article paru dans : Kapitalis
On ne peut que se réjouir et se féliciter que les élections
législatives aient donné une majorité claire aux progressistes (si ils savent
enfin s’unir) et aient renvoyé les obscurantistes dans la minorité. A cette
minorité il faudra rappeler sans cesse les beaux discours qu’elle faisait il
n’y a pas si longtemps sur la démocratie, les libertés et sa volonté de
consensus ! A elle de jouer son rôle d’opposant mais dans le respecte des
règles.
Cependant et c’est le sens de cet article, pour le nouveau
pouvoir : être élu ne suffit pas et il doit œuvrer maintenant au progrès
de ce pays sous l’œil vigilant, et qui demeurera vigilant, de la société
civile. Autrement dit ce vote n’est absolument pas un blanc seing d’autant que
les Tunisiens n’ont voté sur aucun programme mais sur leur volonté clairement
affichée de ne plus voir les islamistes au pouvoir. Sur ce point c’est très
clair mais après ….
Ce pouvoir a tout d’abord deux options : ou rester sur
lui-même, étriqué et gérer au jour le jour ou, ce qui me parait nécessaire,
élaborer un programme ambitieux et réaliste et associer à l’exécution de ce
programme le plus de démocrates possible, le plus d’hommes et de femmes de
bonne volonté. Je dirai que la situation du pays après trois ans de régression
due aux islamistes et à leurs comparses CPR et Etakatol, a besoin d’un
nouveau souffle et de l’action de tous.
Avant même les élections j’avais déjà suggéré quelques pistes qui
sont toujours d’actualité et je voudrai, ici, faire une projection sur
l’avenir.
Que voulons-nous pour le pays ? Il me semble qu’il résulte du
combat de la société civile et des élections que le choix s’est porté sur
l’ouverture au monde, sur le progrès économique et sociale et sur plus de
justice sociale.
Chacun pourra dans le pays se montrer d’accord avec ces objectifs
mais il s’agit de les rendre possibles en sachant que tout ne se fera pas en
quelques mois mais plutôt quelques années et à condition que le cadre soit
fixé.
Pour ma part je vois quatre grands chantiers prioritaires sur
lesquels le nouveau pouvoir devra s’engager avec fermeté.
- La Sécurité.
- Un Etat de droit renforcé.
- Une action forte en matière d’éducation.
- Une politique fiscale et sociale plus juste.
I - La sécurité :
Il est clair et chacun en est convaincu qu’il n’y a aura aucun
progrès ni aucune possibilité de développement que ce soit dans le tourisme ou
dans toutes autres activités si le pays n’assure pas la sécurité et ne remet
pas fermement de l’ordre. Dans le vote qui est intervenu il y a la condamnation
sans appel du laxisme qui a permis que les ordures soient à ciel ouvert, que le
commerce parallèle occupe les rues et les trottoirs. Ce ne sont pas des
détails, cela compte pour les Tunisiens eux-mêmes et pour l’image que donne ce
pays. Cette exigence passe par la reprise en main de la police, une formation
plus sérieuse et une gestion ferme des carrières. Il faut que la police
devienne plus républicaine c'est-à-dire qu’elle oublie les idéologies et
qu’elle prenne conscience qu’elle peut être efficace sans recourir à des
méthodes blâmables et en respectant les droits de l’homme.
Cela nécessitera une reprise en main ferme de la part de
l’encadrement mais aussi probablement par une amélioration des conditions
d’emploi des policiers qui font, au service du pays, un travail nécessaire,
difficile et qui doit être reconnu.
Si des directives claires sont données et si chacun sait que les
dérapages seront fermement sanctionnés, il n’y a pas de raison que ce corps de
fonctionnaire de l’Etat ne fasse pas son travail.
Mais la sécurité passe aussi par une Justice plus efficace et
moins sujette à critique. Pour cela il faudra aller vers un statut des
magistrats qui leur assure une indépendance réelle par rapport au pouvoir mais
ce ne sera pas suffisant car cette Justice a pris de très mauvaise habitude de
soumission et, dans certains cas de corruption.
L’indépendance des Juges devra les conduire à s’écarter clairement
et nettement de la culture d’obéissance qui a été trop longtemps la leur
mais il faudra aussi que le corps fasse le ménage et que toutes traces de
corruption soient pourchassées. C’est, sans doute le dossier le plus délicat
car certains se demanderont s’il faut accorder l’indépendance statutaire aux
magistrats avant qu’ils ne soient réformés de l’intérieur.
Dans le cadre de cette politique de sécurité il faut faire en
sorte que les discours de violence, de haine et de division ne puisse être
tenus dans les mosquées qui, il faut l’admettre, ont joué un rôle néfaste dans
les dernières années.
Il faut que le pouvoir applique avec énergie et détermination
l’article 6 de la Constitution du pays qui dit
clairement : « L’État est le gardien de la religion. Il garantit
la liberté de conscience et de croyance, le libre exercice des cultes et la
neutralité des mosquées et des lieux de culte de toute instrumentalisation
partisane.
II - Un Etat de droit renforcé
Le régime de ben Ali avait développé dans le pays la corruption à
tous les niveaux et le pouvoir islamiste n’a pas été en reste. C’est une
gangrène qui risque, à terme, de ruiner le pays et qui, en tous cas, ne
peut être qu’un frein sérieux pour les investissements.
Quel investisseur prendra le risque d’investir alors que la règle
de droit est susceptible de changer ou de ne pas être appliquée sans
corruption ?
L’Administration doit prendre un nouveau départ et l’on ne doit
plus tolérer le laxisme, la bureaucratie tatillonne qui ne respecte pas la loi.
Le Tunisien n’a pas a quémander son droit, il doit l’exiger de
l’administration qui est à son service; et cette administration doit faire
respecter la loi partout sans passe-droit.
Cette attitude permettra aussi le développement des
activités, des initiatives dans tous les domaines pour le bien du pays.
Ce qui est positif c’est que grâce au Président Bourguiba, la
Tunisie ne part pas de zéro. Elle a déjà un droit, une administration et il
suffit que tout cela soit, de nouveau géré par des hommes compétents et
honnêtes;et il y en a beaucoup dans le pays.
Par ailleurs la société civile doit continuer son rôle de vigie et
agir contre tous dépassements.
Et faut-il rappeler que la liberté de la presse doit être respectée, car c'est le quatrième pouvoir caractéristique des véritables démocraties !
Et faut-il rappeler que la liberté de la presse doit être respectée, car c'est le quatrième pouvoir caractéristique des véritables démocraties !
III - Une politique d’éducation volontariste et forte :
Qu’est-ce qui a sauvé la Tunisie de l’emprise des
obscurantistes ? Si on va à l’essentiel on peut dire que c’est le niveau
d’éducation, de formation de son peuple.
Or sur ce point dont Bourguiba avait fait une absolue priorité et
qui avait donné au pays les moyens de sa politique, le régime de Ben Ali avait
ouvert la voix à une régression totale.
Ne soyons pas cruel mais il suffit de comparer les générations
formées sous Bourguiba et les nouvelles générations pour voir, hélas, le
gouffre qui s’est produit entre les deux générations.
Ben Ali, contrairement à Bourguiba, a fragilisé l’éducation
publique en favorisant outrageusement les écoles privées, les cours privés, en
laissant la corruption intervenir même dans ce domaine.
Ce faisant il a permis à une élite de progresser en payant; et a
laissé une grande partie de la population sans réelle formation.
Y remédier doit être une absolue priorité. Il faudra que le
pouvoir donne les moyens budgétaires de cette remise en ordre. C’est également
un excellent moyen de lutter contre l’ignorance et de favoriser la démocratie
qui exige des citoyens éclairés.
IV - Une politique et fiscale plus juste :
Les années qui viennent de se dérouler ont clairement montré une
grave division du pays entre une élite aisée, quelques fois riche et une
population de plus en plus pauvre et abandonnée. C’est le résultat de plus de
cinquante ans de politique et c’est une des graves fautes des pouvoirs
successifs.
Certes il fallait faire apparaître une classe moyenne aisée et
instruite mais il ne fallait pas abandonner toute une partie de la population
et certaines parties du territoire. Cette fracture a été en partie la cause de
l’apparition et du succès des obscurantistes qui savent œuvrer dans la misère
et l’ignorance.
Ce chantier visant à davantage de justice sociale est vaste et
tout ne se fera pas en un instant mais c’est un chantier vraiment prioritaire
si l’on ne veut pas, demain, se retrouver avec les problèmes que l’on vient de
connaître.
Ce grand cadre ne peut-il être une plate forme dans laquelle
beaucoup pourrait s’y retrouver depuis les libéraux intelligents et conscients
des périls à venir et des hommes d’une gauche réaliste et efficace.
A chacun de nourrir par ses idées, par ses projets ce cadre mais
en gardant à l’esprit ces objectifs qui feront de la Tunisie un grand pays
prospère. C’est de cette manière, c'est-à-dire avec un grand projet, que l’on
fait progresser un pays.
C’est exactement ce qu’avait fait Bourguiba en son temps et qu’il a par la suite, à tort abandonné, diminué par la maladie.
Rachid Barnat
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