Journaliste,
spécialiste du monde arabe et de l’Afrique.
Journal Le Monde.
L'Iran est le pays du Moyen-Orient où
les mosquées sont les plus vides le vendredi à l'heure de la grande prière
hebdomadaire. Dans la première - et seule à ce jour - théocratie islamique
contemporaine, ce paradoxe signe un échec patent. Comme si trop de religion
avait vacciné les Iraniens contre sa pratique publique.
Un autre exemple ? L'enterrement de l'ayatollah Jalaleddine
Taheri, mardi 4 juin à Ispahan, a tourné à la manifestation contre
le Guide suprême Ali Khamenei :
ce religieux prestigieux et proche du mouvement réformateur avait démissionné
en 2002 de son poste de prêcheur officiel de la grande mosquée d'Ispahan en
signe de protestation contre la mise au pas de la société et la répression.
Durant ses funérailles, les slogans de juin 2009 ("A bas la
dictature") ont été repris par la foule, visiblement noyautée par des
partisans des deux leaders du "mouvement vert", Mehdi Karoubi et Mir Hossein Moussavi,
assignés à résidence depuis février 2011. Comme l'ayatollah Taheri, Mehdi
Karoubi est un homme de religion et désormais l'un des opposants de l'intérieur
les plus résolus au régime iranien.
Plus puissant que jamais, le clergé chiite atteint également des sommets
d'impopularité. C'est le paradoxe de la République islamique, qui a donné
le pouvoir aux clercs et, partant, leur a fait perdre leur indépendance et donc une bonne part de leur
prestige. "Depuis la révolution constitutionnelle de 1905,
écrit la sociologue Mahnaz Shirali [La Malédiction du religieux. La défaite
de la pensée démocratique en Iran, éd. François Bourin, 2012], l'Iran
est entré dans le processus de sortie de la religion, mais il a fallu attendre l'émergence du régime islamique, en 1979, pour
que le débat politico-religieux se cristallise autour du thème de la séparation
du politique et du religieux. Les Iraniens ont pris conscience de la place
problématique qu'occupe la religion au sein de l'organisation sociale et
politique à partir du moment où ils se sont trouvés sous la chape de
plomb du khomeynisme et après la confiscation de toute liberté individuelle
et politique au nom de
l'islam."
"NORMALISATION"
Ce mouvement de remise en cause de la religion, du moins dans sa volonté de
régenter la sphère politique et sociale, est devenu plus patent après la mort,
en 1989, de l'ayatollah Khomeyni, dont la très forte légitimité de leader de la
Révolution et de père de la Constitution avait occulté le débat. La succession
d'Ali Khamenei, simple hodjatoleslam élevé en quatrième vitesse au rang
d'ayatollah, marque une "normalisation". Khomeyni parlait au nom de
Dieu, il avait même été proclamé imam, Khamenei n'est même pas marja (source
d'imitation), contrairement à son grand rival l'ayatollah Montazeri, assigné à
résidence et déchu de son titre de dauphin pour avoir protesté contre la vague d'exécutions dans les prisons en 1988.
Dès son arrivée au pouvoir, Ali Khamenei s'est attaché à affermir son pouvoir en réformant la Constitution, ce qui lui permet
d'interférer dans tous les domaines, et en promouvant le modèle du "mollah
combattant", un religieux exerçant des fonctions sécuritaires, à l'instar
de l'hodjatoleslam Hossein Taeb,
ancien chef des bassidji (miliciens) et actuel chef des renseignements des
pasdarans (gardiens de la révolution).
L'ordre donné aux forces de sécurité par Ali Khamenei de réprimer les
manifestants en juin 2009 a achevé de casser le lien entre le clergé - du moins sa fraction
impliquée dans la gestion du pays - et une bonne partie de la population. Pour la
première fois, des slogans ont visé directement le Guide suprême. Quelques mois
plus tard, le grand ayatollah Montazeri était enterré à Qom dans une ambiance
d'émeute. Mais, s'il se sait détesté, le clergé chiite ne peut pas se
désolidariser d'un régime qui a assuré sa fortune. Sa chute signifierait aussi
une période de repli sans précédent pour les oulémas. D'autant que la chute de
Saddam Hussein a redonné son lustre à Nadjaf, la principale ville sainte d'Irak et du chiisme,
ce qui en fait à nouveau une concurrente pour le centre spirituel de Qom.
L'ISLAMISME EST UNE IMPASSE ?
RépondreSupprimerPourquoi ne pas tirer la leçon de la douloureuse expérience iranienne ... pour dégager les islamistes usurpateurs de leur révolution, pour la reprendre en main ... et réaliser ses objectifs ?