La thèse dominante : de la supériorité des régimes autoritaires à assurer le développement économique
3La croyance qu’un gouvernement autoritaire est mieux outillé pour promouvoir la croissance économique et le développement dans les pays à faible ou moyen niveau de revenu s’intègre dans une large tradition intellectuelle. Cette vision a dominé le monde intellectuel et a servi à orienter la politique étrangère américaine durant les années de la guerre froide. Au moment où Seymour Lipset publiait son fameux article1 et mettait en exergue les conditions économiques et sociales favorables à la démocratisation politique, d’autres auteurs s’évertuaient à montrer que la dictature était l’inévitable prix du développement.
4Walter Galenson2 soutenait que « plus démocratique est un gouvernement, plus grande est la diversion de ressources de l’investissement vers la consommation ». Et Karl de Schweinitz Jr3 affirmait que si les pays les moins développés « doivent croître économiquement, ils doivent limiter la participation dans les affaires politiques ».
5Dans trois au moins de ses travaux datant de la fin des années 1960 au milieu des années 1970, Samuel Huntington s’est pleinement inscrit dans cette vision ; il en a été le plus grand théoricien. Dans son ouvrage influent, Political Order in Changing Societies4, il mettait en exergue les avantages des États autoritaires et à parti unique dans la réalisation du développement. À la base de son argumentation, il y a, dit-il, le fait que les partis politiques dominants, notamment ceux soutenus par les militaires, sont des institutions unificatrices.
« La grande utilité et la grande contribution qu’un système de parti unique pourrait apporter dans des pays en modernisation est qu’il est une institution qui promeut, dans une large mesure, la concentration (et par conséquent l’innovation) et aussi l’expansion (et par conséquent l’assimilation du groupe). »
6L’efficacité des systèmes autoritaires résiderait également dans leur horizon de planification à long terme. Débarrassés des exigences de court terme et arbitraires imposées par les élections, ils peuvent identifier des objectifs de long terme, décider des meilleures politiques pour les réaliser et mettre en œuvre ces politiques sans dévier du plan d’ensemble. Et il n’y a point besoin de gaspiller du temps et de l’énergie dans des négociations sans fin avec des groupes d’intérêt particuliers, comme doivent le faire les gouvernements démocratiques. En d’autres termes, en bannissant la politique du domaine de l’économie, un gouvernement autoritaire est capable de se concentrer sur une vision plus large. Et il recherchera des solutions qui bénéficieront à la société toute entière plutôt qu’à tel ou tel groupe privilégié. Du fait de la même autonomie vis-à-vis des groupes d’intérêt concurrents, les gouvernements autoritaires sont davantage capables d’instituer un État de droit juste et cohérent, ainsi que d’établir et de protéger les droits de propriété qui forment la base de l’investissement et de l’accumulation. Ils sont également dans une meilleure position pour imposer le respect des contrats. En 1975, en collaboration avec Jorge Dominguez5, Samuel Huntington réaffirmait la supériorité des régimes non démocratiques :
« L’intérêt des électeurs, conduit généralement à accorder à l’expansion de la consommation individuelle une plus grande priorité vis-à-vis de l’investissement que dans un système non démocratique. Dans l’Union soviétique, par exemple, la part du PIB consacrée à la consommation a été réduite de 65 % en 1928 à 52 % en 1937. Il est peu probable qu’un système fondé sur la compétition entre partis eût pu soutenir une révolution par le haut telle que celle-ci. »
7L’année suivante, avec Joan Nelson6, il écrivait : « la participation politique doit être réduite, au moins temporairement, afin de promouvoir le développement économique ».
8D’autres auteurs, de moindre envergure académique, mais plus « populaires », ont poussé plus loin encore les vues de Huntington. Robert Kaplan7 défie les « instincts libéraux de l’Occident » en faveur de la démocratie dans le monde en développement car ces efforts risquent d’y être fortement déstabilisateurs. Plutôt que d’avancer la cause démocratique, ils sont porteurs de conflits civils et d’émergence de nouveaux autocrates. Une stratégie réaliste de soutien aux gouvernements autoritaires capables de consolider l’autorité de l’État est ce dont ces pays ont besoin. Dans les sociétés pluriethniques, les démocraties sont fortement sensibles à la fragmentation sociale ; aucune tribu, aucun clan n’est susceptible de céder la moindre autorité ni de partager le pouvoir avec les groupes rivaux, conduisant à maintenir un état de tension extrême et un risque constant de guerre civile. Les leaders politiques sont clairement enclins à aggraver les divisions ethniques afin de se présenter comme les défenseurs de leur propre culture contre la machinerie des groupes rivaux. Les partis uniques, par contraste, peuvent orienter la profusion des intérêts vers une structure politique centrale de nature à minimiser les divisions ethniques et empêcher les trouble-fêtes de tenter de les exploiter.
9Dans un livre à succès publié en 2003, Amy Chua8 dénonce la diffusion de la démocratie de marché (« Free-Market Democracy ») comme la cause principale de l’instabilité ethnique et de la violence à travers le monde. Sa préoccupation est que l’accroissement du pouvoir de la majorité a conduit à l’émergence de démagogues exploitant la haine des masses contre l’élite minoritaire privilégiée, le résultat en étant les massacres en masse, le nettoyage ethnique et la régression autoritaire.
10Le succès des économies asiatiques a conduit la Banque mondiale à en expliquer, en 1993, le « miracle » par un certain nombre de facteurs, y compris l’existence de gouvernements autoritaires. L’« hypothèse Lee »9, du nom de son chaud partisan, Lee Kuan Yew, leader et précédent président de Singapour, constitue l’affirmation la plus forte de la nécessité des régimes autoritaires pour le développement. Elle s’appuie sur la croissance économique accélérée de Singapour et de la Chine10 et son rythme plutôt modéré dans des pays démocratiques tels que l’Inde, la Jamaïque et le Costa Rica. Comme le souligne, Amartya Sen11, Prix Nobel d’économie en 1998, cette hypothèse est fondée sur un empirisme sporadique, s’appuyant sur une information sélective et limitée, plus que sur un test statistique général de l’ensemble des bases de données disponibles.
11Fareed Zakaria, qui a eu à s’entretenir avec Lee Kuan Yew en 1994, semble s’en être imprégné puisque dans son dernier best-seller publié en 2003, The Future of Feedom : Illiberal Democracy at Home and Abroad, il reprend ces thèmes, invoquant l’immense avantage qu’ont les gouvernements autoritaires dans les pays non encore développés : leur capacité à résister aux demandes des pauvres. En effet, les gouvernements démocratiques dans les pays en développement sont l’objet de pressions pour répondre aux désirs des populations en termes de droits coûteux, tels que la gratuité des écoles, des soins de santé décents, des salaires minima, des droits du travail et des retraites généreuses. Ces demandes, non seulement grèvent lourdement le budget des États, mais elles découragent aussi les épargnes et les investissements.
12Et, paradoxalement, Robert J. Barro12, dont les travaux, pourtant, n’ont aucunement démontré la supériorité des régimes autoritaires dans la promotion du développement, a ajouté son nom à la liste de ces intellectuels mettant en avant le passage obligé par l’autoritarisme. Dans un article récemment publié13, il recommande aux gouvernements occidentaux de soutenir des régimes autoritaires efficaces, parce que ce sont ces derniers qui peuvent assurer la stabilité politique et l’amélioration des conditions économiques dans les pays pauvres.
13Il convient de souligner que tous ces auteurs ne portent pas de jugement négatif concernant la démocratie dans l’absolu, bien au contraire. À leurs yeux, la démocratie est un objectif désirable, mais qui ne peut être atteint qu’après une maturation économique et sociale. La démocratie doit être considérée comme la difficile réalisation d’un long processus de modernisation. Et celui-ci est plus rapidement et mieux conduit par les régimes autoritaires que par les régimes démocratiques. Tout est donc question de « timing ».
La contestation de la thèse dominante : l’avantage de la démocratie
14Une clarification préalable s’impose : comme le soulignent, à juste titre, Przeworski et ses collègues14, « il n’y a jamais eu de démonstration que les démocraties étaient inférieures dans la génération de la croissance ; certainement pas au point de justifier le soutien ni même la promotion des dictatures ». Dans ses travaux sur les facteurs de la croissance économique, Robert J. Barro15 conclut :
« La relation globale entre la croissance et la démocratie est loin d’être parfaite. Par exemple, un certain nombre de pays peu démocratiques ont des valeurs résiduelles positives importantes. De même, les pays à niveau de démocratie intermédiaire semblent éviter des taux de croissance faibles, mais sans atteindre pour autant des taux particulièrement élevés. Nous ne pouvons que suggérer l’existence d’une relation non-linéaire dans laquelle davantage de démocratie augmente la croissance lorsque les libertés politiques sont faibles, mais décourage la croissance lorsqu’un niveau moyen de liberté politique est déjà établi. On ne peut conclure de cette évidence que plus ou moins de démocratie est un élément décisif pour la croissance économique. »
15Dans son travail Democracy and Economic Performance, Dani Rodrik16 arrive aux conclusions selon lesquelles il ne semble pas y avoir de relation significative entre démocratie et croissance à long terme. Il trouve que la pente de la droite de régression reliant démocratie et croissance est pratiquement nulle. Mais il y a une supériorité flagrante de la démocratie et celle-ci réside dans sa capacité à :
- générer une plus grande stabilité (la moindre volatilité) de la croissance17, ce qui amène l’auteur à dire que « la vie en régime autoritaire est un jeu plus risqué que la vie en démocratie »,
- résister aux chocs économiques,
- fournir des salaires plus élevés. Comme l’écrit Rodrik :
- générer une plus grande stabilité (la moindre volatilité) de la croissance17, ce qui amène l’auteur à dire que « la vie en régime autoritaire est un jeu plus risqué que la vie en démocratie »,
- résister aux chocs économiques,
- fournir des salaires plus élevés. Comme l’écrit Rodrik :
« Les institutions démocratiques, tendent à être plus amicales à l’égard du travail (friendly to labor) : elles donnent lieu à des salaires plus élevés et un meilleur partage de la production. En d’autres termes, elles accroissent la capacité de négociation des travailleurs par rapport aux employeurs. Et elles permettent cela sans réduire pour autant la croissance économique dans le long terme (comme cela a été mis en exergue précédemment). »
16Dans un travail plus récent, intitulé Governance Matters (la gouvernance compte) Daniel Kaufman, Aart Kraay et Pablo Zoidon-Lobaton de la Banque mondiale18, montrent qu’il existe une claire relation de causalité entre la bonne gouvernance et le développement mesuré par des revenus par tête plus élevés, une mortalité inférieure plus faible et une alphabétisation plus élevée. Les indicateurs de la gouvernance qu’ils utilisent sont au nombre de six : celui qui correspond à la démocratie est désigné par « Droit à la parole et obligation de rendre des comptes » (Voice and Accountability) qui inclut de nombreux indicateurs mesurant les libertés civiles, les droits politiques et l’indépendance des médias. Le principal résultat trouvé par les auteurs est qu’une déviation standard d’amélioration de cet indicateur donne lieu à un accroissement du revenu par tête deux fois et demi plus important, à une amélioration significative de l’alphabétisation des adultes et à une baisse notable de la mortalité infantile.
17La démonstration la plus magistrale vient de trois auteurs dont le travail commun a été publié en 2005 et reconnu comme un événement majeur dans les sciences politiques et économiques. Dans leur ouvrage collectif, Morton Halperin, Joseph Siegle et Michael Weinstein19 soulignent que, contrairement aux prédictions de la perspective du « développement d’abord », 95 % des plus mauvaises performances économiques des quarante dernières années ont été réalisées par des gouvernements non démocratiques. De la même manière, pratiquement toutes les crises de réfugiés ont été créées par des gouvernements autocratiques.
18Au cours des vingt dernières années, il y a eu une poignée de cas de croissance soutenue dans le cadre de régimes autoritaires : Bhutan, Chine, Egypte, Corée du Sud, Singapour, Taiwan, Tunisie et Vietnam. Mais 60 autres dictatures ont enregistré une croissance ralentie durant la même période. En d’autres termes, les pays autoritaires qui ont enregistré un taux de croissance faible sont sept fois plus nombreux que ceux qui ont enregistré des taux de croissance soutenue. En outre, 43 ont connu au moins un épisode de désastre économique – défini comme une contraction du PIB par tête de plus de 10 % – durant la période.
19Les pays démocratiques à faible ou moyen revenu ont surpassé les performances des régimes autoritaires sur un grand nombre d’indicateurs de développement. L’analyse de l’échantillon le plus large de pays couvrant les années 1960 à 2001 montre que la croissance économique par tête a été 30 % supérieure dans les pays démocratiques par rapport aux pays autoritaires (un taux annuel moyen de 2,3 % contre un taux de 1,6 %). Si on limite cette analyse aux pays à faible et moyen revenu, la claire supériorité des démocraties trouvée dans l’ensemble de l’échantillon ne se retrouve pas avec la même amplitude, mais l’avantage à la démocratie se maintient : pour la totalité des quarante années considérées, la croissance médiane a été de 1,5 % pour les démocraties contre 1,3 % pour les autocraties.
20Quant à la probabilité pour n’importe quel pays de connaître un désastre économique, elle est de 3,4 % en moyenne. Mais pour les démocraties, elle est inférieure à 1 %. Si l’on fait l’exercice pour les pays à PIB par tête inférieur à 4 000 dollars, la probabilité est de 3,7 % en moyenne, mais de 2,3 % seulement pour les démocraties.
21Dans les pays à faible revenu, les citoyens des démocraties ont une espérance de vie sensiblement plus longue que celle des régimes autoritaires, une mortalité infantile et un taux d’analphabétisme plus faibles, un taux de scolarisation plus élevé, un meilleur accès à l’eau potable. Il en est de même en ce qui concerne le bien-être, appréhendé à travers l’accès à l’eau potable, les naissances assistées par du personnel médical et la croissance démographique20.
22Au cours des quarante dernières années, les autocraties ont enregistré deux fois plus de crises économiques que les démocraties. Et quand cela survient, le danger de la famine menace. Par contraste, comme l’a observé Amarya Sen, il n’y a jamais eu de famine dans une démocratie avec une presse libre.
23Les régimes autoritaires ont une plus grande propension aux guerres, aux conflits armés, au trafic illicite, aux idéologies radicales et à l’insécurité mondiale.
2490 % des guerres interétatiques sont initiées par des autocraties. Et celles-ci sont plus vulnérables aux guerres civiles. Étant donné que ces dernières ont une probabilité de 30 % de s’étendre aux pays voisins, les conséquences de cette instabilité doivent être considérées dans le contexte de la région plus large.
Développement et démocratie : l’état de la question
25La question de savoir quel est le meilleur système pour promouvoir la croissance et le développement n’est pas la seule ni même la principale question posée par les politologues et les économistes. La question qui a été au centre de leurs travaux est plutôt celle de savoir s’il existe des « préalables », des « conditions nécessaires » en matière de développement pour pouvoir accéder à la démocratie.
26La thèse dominante qui a prévalu jusqu’à un passé récent et qui a même accédé au statut de « théorie » est qu’il existe des « préalables » (requisites). Mais l’explosion démocratique qui a gagné un nombre non négligeable de pays faiblement développés à partir de la fin des années 1980 a vu l’apparition de thèses opposées, résumées par « pas de préalable » (no requisit). Certains auteurs sont même allés au-delà de cette affirmation pour soutenir qu’il n’y a pas de corrélation entre niveau de développement et passage à la démocratie.
La « théorie de la modernisation »
27Le travail de Seymour Lipset (1959) est pionnier, même si son auteur le présente comme une reprise de « l’hypothèse d’Aristote » :
« Depuis Aristote et jusqu’à maintenant, les hommes ont soutenu que c’est seulement dans une société riche où vivent relativement peu de citoyens pauvres que la majorité de la population pourrait participer de manière intelligente à la vie politique et se prémunir contre les appels de démagogues irresponsables ».
28L’ouvrage qu’il va publier l’année suivante, Political Man21, rendra un hommage appuyé à Aristote : il s’ouvre avec six citations successives du philosophe grec où celui-ci met la politique au centre de la vie entre les hommes, fait l’éloge de la démocratie22 et met en exergue son support fondamental : la classe moyenne :
« …Or la société veut surtout des membres égaux et semblables : ce qui ne peut se trouver que dans la moyenne ; elle ne saurait être mieux gouvernée que par des gens pareils à ceux qui lui ont donné sa première existence. Ce sont là des citoyens qui s’y maintiennent le plus sûrement ; ils ne désirent pas le bien d’autrui comme les pauvres qui n’excitent l’envie de personne, passion ordinaire des pauvres contre les riches, et comme ils ne sont ni en butte aux embuscades, ni eux-mêmes aux aguets, ils vivent sans danger. Il y a par la même raison plus de sûreté dans les démocraties que dans les oligarchies, et elles durent plus longtemps, parce que les médiocres y sont en plus grand nombre et qu’ils y ont plus de part aux honneurs qu’ils n’en auraient dans un État oligarchique. Quand les pauvres n’ont plus ce contrepoids, et qu’ils commencent à prévaloir par le nombre, tout va mal et la démocratie ne tarde pas à tomber dans le néant23. »
29La thèse défendue par Lipset est qu’il existe des conditions économiques et sociales pour l’établissement et la consolidation de la démocratie. Réinterprétée et étendue, elle a connu un développement considérable au point d’être adoptée en tant que « théorie de la modernisation » et de donner naissance à une école ( l’« École de la modernisation »). L’article de Lipset s’appuie sur la vision schumpétérienne de la démocratie, à savoir : « le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple »24.
30Selon Lipset, les caractéristiques structurelles qui soutiennent un système démocratique sont le développement et la légitimité. La richesse d’ensemble d’une nation la rend plus accessible aux idéaux démocratiques pour plusieurs raisons :
- la première est que dans les pays pauvres, les différenciations économiques mettent aux prises des classes aisées dont les plus riches ont tendance à considérer la population ouvrière pauvre comme une « caste de parias » et à refuser d’envisager la perspective de partager le pouvoir avec elle ; à l’opposé, dans les pays à niveau de vie élevé, l’aisance est partout et on accepte plus aisément l’idée qu’un parti ou un autre accède au pouvoir ;
- la deuxième est que plus un pays est pauvre, plus il se trouve exposé au népotisme et au clientélisme ; il lui est difficile de disposer d’une administration efficace, indispensable dans les États démocratiques ;
- la troisième est que les organisations libres, ou intermédiaires, qui sont au centre de la formation de l’esprit civique et de la tolérance prolifèrent lorsque la société a accédé aux facilités des loisirs que procure un niveau élevé de revenu personnel ;
- la quatrième est que la richesse est intégrative de toutes les classes, y compris les moins favorisées : « Elles n’ont pas que leurs chaînes à perdre » ;
- la cinquième est que « sous l’influence de l’accroissement des richesses, le rôle politique des classes moyennes va également se modifier : la pyramide sociale de base étendue et de pointe effilée, change de forme, s’élargissant dans sa partie centrale par la croissance des classes intermédiaires. Une forte classe moyenne tempère les heurts des extrêmes par le soutien qu’elle accorde aux partis modérés et démocratiques »25.
- la première est que dans les pays pauvres, les différenciations économiques mettent aux prises des classes aisées dont les plus riches ont tendance à considérer la population ouvrière pauvre comme une « caste de parias » et à refuser d’envisager la perspective de partager le pouvoir avec elle ; à l’opposé, dans les pays à niveau de vie élevé, l’aisance est partout et on accepte plus aisément l’idée qu’un parti ou un autre accède au pouvoir ;
- la deuxième est que plus un pays est pauvre, plus il se trouve exposé au népotisme et au clientélisme ; il lui est difficile de disposer d’une administration efficace, indispensable dans les États démocratiques ;
- la troisième est que les organisations libres, ou intermédiaires, qui sont au centre de la formation de l’esprit civique et de la tolérance prolifèrent lorsque la société a accédé aux facilités des loisirs que procure un niveau élevé de revenu personnel ;
- la quatrième est que la richesse est intégrative de toutes les classes, y compris les moins favorisées : « Elles n’ont pas que leurs chaînes à perdre » ;
- la cinquième est que « sous l’influence de l’accroissement des richesses, le rôle politique des classes moyennes va également se modifier : la pyramide sociale de base étendue et de pointe effilée, change de forme, s’élargissant dans sa partie centrale par la croissance des classes intermédiaires. Une forte classe moyenne tempère les heurts des extrêmes par le soutien qu’elle accorde aux partis modérés et démocratiques »25.
31Outre le niveau de richesse ou de revenu, le développement est caractérisé par l’industrialisation, l’urbanisation et l’éducation. Ces caractéristiques ont été testées comme étant plus élevées dans les pays les plus développés.
32L’industrialisation est mesurée par le pourcentage de la population employée dans le secteur non agricole, les résultats montrant que plus un pays est démocratique, plus faible est la proportion de la population employée en agriculture.
33L’urbanisation est mesurée par l’importance de la population concentrée dans les villes. Reprenant Max Weber et Harold J. Laski, Lipset remarque que
« l’État démocratique est un produit de l’existence urbaine et qu’il était ainsi naturel qu’il soit apparu pour la première fois en Grèce, où l’État se confondait avec la cité, si limité que fut à l’origine le nombre des personnes ayant le statut de citoyen ».
34L’État démocratique fait résulter la « citoyenneté » d’une évolution sociale, conséquence de la concentration urbaine. Aussi Lipset affirme-t-il que les pays démocratiques sont plus urbanisés que les États dictatoriaux ou autoritaires.
35L’éducation, quant à elle, « devrait donner aux hommes des idées plus larges, leur faire comprendre la nécessité de la tolérance, rendre plus difficile l’adhésion aux mouvements extrémistes, et permettre au moment des élections l’exercice d’un choix plus rationnel ». Il a trouvé que plus une population était éduquée, plus démocratique était la société.
36Lipset présente les divers aspects du développement économique séparément, et tout en soutenant qu’ils sont, en règle générale, étroitement liés
« dans un seul rapport complexe dont dépend l’instauration et l’existence de tout régime démocratique », il attire l’attention sur les « fâcheux effets que peut avoir pour la stabilité d’un régime, le développement disproportionné d’un seul des éléments variables, d’où la nécessité d’un progrès coordonné de tous ces éléments26. »
37L’argument central de l’« École de la modernisation » est que les conditions économiques et sociales, dans un État donné, contraignent les opportunités de l’établissement et du maintien des institutions démocratiques. Cependant, ces conditions ne sont pas les seules déterminantes ; elles n’excluent pas les choix et les alternatives politiques.
38Une fois atteint un niveau donné de développement, la transition à la démocratie devient viable. Une fois l’éducation et l’alphabétisation généralisées ou largement répandues, les charlatans politiques ne pourront point duper la population. Le développement économique est promoteur de l’urbanisation, une pré-condition à la formation d’authentiques partis politiques à fort soutien populaire. Un pays ayant atteint un niveau moyen de revenu est également mieux préparé pour établir une classe moyenne qui est, par nature, une force politique de modération. Si les pauvres sont forcés, par nécessité, de lutter pour des gains immédiats, la classe moyenne est préoccupée par la stabilité économique et les perspectives d’amélioration progressive. La classe moyenne est plus encline à œuvrer à l’intérieur du système politique que contre lui et est plus réceptive aux politiciens pragmatiques qu’aux radicaux haineux.
39Au fur et à mesure que l’économie se développe, les attitudes des élites gagnent en maturité. Elles trouvent un intérêt commun avec la classe moyenne sur différents domaines. Face à la crainte de voir leur bien-être et leur statut remis en cause par les politiciens populistes, elles deviennent plus enclines à partager le pouvoir. Peu à peu, elles viennent à accepter le concept d’égalité politique, même jusqu’au point de donner la voix aux pauvres dans les affaires de la nation.
40Ce processus d’ensemble caractérise la transition à la démocratie dans les dictatures de l’Europe du Sud de l’Espagne et du Portugal et dans certains « tigres » de l’Asie du Sud-Est (Corée du Sud et Taiwan). Dans tous ces pays, la participation politique était restreinte à un parti unique durant des décennies après la Seconde guerre mondiale. Des politiques économiques bien inspirées ont été poursuivies, facilitant un développement rapide et stable. Une vie associative et civique a été autorisée, favorisant un certain degré de participation populaire à la condition de n’être pas politiquement orientée. À travers le temps et avec des degrés divers de turbulences politiques, les transitions vers des systèmes politiques plus pluralistes ont réussi dès que ces pays ont atteint un niveau de développement intermédiaire.
41Jusqu’à la fin des années 1980, la « théorie de la modernisation » n’a pas souffert de contestation ; elle était vérifiée empiriquement avec une forte régularité et seuls, l’Inde et le Costa Rica et le Bostwana faisaient exception comme pays parvenus à la démocratie sans développement économique et social préalable.
La « troisième vague » et la contestation de la théorie de la modernisation
42Le tournant survient quand, à la faveur de la « troisième vague » de démocratisation, de nombreux pays moyennement, voire faiblement développés, mettent fin à leur système autoritaire.
La « troisième vague »
43Couronnant un enseignement de base de l’université Harvard portant sur la question des transitions démocratiques depuis 1983 et un ensemble de conférences données à l’université de l’Oklahoma à partir de novembre 1989, Samuel Huntington publiait, en 1991, un ouvrage qui fera date dans l’histoire des sciences politiques : The Third Wave. Democratization in the late Twentieth Century27,« L’objet de ce livre », écrit l’auteur, « est d’étudier les transitions démocratiques intervenues dans le monde entre 1974 et 1990 », période qualifiée de troisième vague de démocratisation dans l’histoire du monde et dont le point de départ est la révolution portugaise, le coup d’État du jeudi 25 avril 1974.
44Par « vague de démocratisation » Huntington entend le « passage à la démocratie d’une série de régimes non démocratiques dont le nombre est supérieur à celui des pays ayant opéré la transition inverse ». Les deux premières vagues ont été scandées par un flux et un reflux, celui-ci étant caractérisé par le passage de pays démocratiques à des types de gouvernement non démocratique.
45Se pose le problème de la définition de la démocratie ou du gouvernement démocratique. Prenant en considération les travaux de Robert Dahl28, Huntington retient la définition « polyarchique » de la démocratie, c’est-à-dire la démocratie représentative moderne fondée sur le suffrage universel. À la différence des démocraties et des républiques qui ont existé au cours des vingt-cinq siècles précédents, où seule une minorité de citoyens adultes avait le droit de participer pleinement à la vie politique, la démocratie « polyarchique » ou démocratie « XXe siècle » est celle où ce droit est étendu, à de très rares exceptions près, à l’ensemble de la population adulte résidant en permanence dans le pays et où les plus hauts dirigeants sont choisis dans le cadre d’élections honnêtes, ouvertes à tous, revenant à date fixe, et au cours desquelles les candidats s’affrontent librement pour obtenir le suffrage populaire. Elle implique la contestation, la participation et l’existence des libertés civiles et politiques (liberté d’expression, liberté d’association et d’organisation).
46Tout en signalant que tout découpage tient de l’arbitraire, Huntington proposegrosso modo les repères suivants :
Première et longue vague de démocratisation 1828-1926
Première vague de reflux 1922-1942
Deuxième et brève vague de démocratisation 1943-1962
Deuxième vague de reflux 1958-1975
Troisième vague de démocratisation 1975-
Première et longue vague de démocratisation 1828-1926
Première vague de reflux 1922-1942
Deuxième et brève vague de démocratisation 1943-1962
Deuxième vague de reflux 1958-1975
Troisième vague de démocratisation 1975-
47La première vague remonte à la Révolution française (1789) et à la Révolution américaine (1786), mais adoptant les deux critères majeurs du droit de vote détenu par au moins la moitié de la population adulte mâle et de la responsabilité de l’exécutif devant un parlement élu par suffrage populaire, Huntington en conclut que les États-Unis sont entrés dans la première phase de démocratisation autour de 1828. La raison tient au fait que c’est au cours de cette année qu’eurent lieu les élections présidentielles avec la participation des électeurs blancs masculins dont la proportion dépassait 50 % de la population adulte mâle. Cette situation est une conséquence de l’abolition du suffrage censitaire dans certains États29 et de l’admission de nouveaux États accordant le droit de vote à la totalité de la population masculine. Au cours des décennies suivantes, de nombreux pays européens sont devenus des démocraties.
48La première vague de reflux eut lieu avec l’avènement du fascisme en Italie, suivi par la multiplication des coups d’État militaires en Lituanie, Pologne, Lettonie, Estonie, Portugal, Brésil, Argentine et Espagne, l’avènement d’un gouvernement militaire au Japon, la conquête du pouvoir par Hitler en 1933 et l’occupation de l’Autriche et de la Tchécoslavaquie.
49La deuxième vague de démocratisation a eu lieu au lendemain de la Seconde guerre mondiale à la faveur de la victoire des alliés qui mirent en place des institutions démocratiques dans les pays vaincus de l’Axe et dans ceux qui étaient victimes de l’occupation. De nombreux pays d’Amérique latine ont suivi le mouvement et il en a été de même de certains pays d’Asie qui avaient mis fin à la domination coloniale (Inde, Indonésie, Malaisie, Sri Lanka, Philippines).
50La deuxième vague de reflux commença avec les dérives militaires en Amérique latine et en Asie et l’avènement de régimes autoritaires, souvent à partis uniques, dans les nouveaux pays indépendants d’Afrique.
51La troisième vague a lieu, selon Huntington, à partir de la fin de la dictature portugaise en 1974. Cette vague gagne, d’abord, l’Europe du Sud (Espagne, Grèce) ; ensuite l’Amérique latine à la fin des années 1970 et, plus particulièrement au cours des années 1980 et, enfin, le monde communiste à la fin de cette décennie.
52Comme le montre ce graphique, cette vague n’a cessé de se poursuivre jusqu’à ce jour : le nombre de pays libres (démocraties) passe de 44 en 1973 à 60 en 1988, 76 en 1991 pour atteindre 89 en 2004 (soit plus qu’un doublement), tandis que le nombre de régimes autoritaires tombe de 69 à 49 entre 1972 et 2004.
53Ce mouvement de démocratisation a englobé aussi bien des pays à niveau de revenu relativement élevé (supérieurs à cinq mille dollars en parité de pouvoir d’achat – PPA – par habitant) que des pays pauvres : Mongolie, Mali, Philippines, Guyane, Ghana, Équateur, Cap Vert, Bolivie, Bénin, Sao Tomé, Salvador et Sénégal pour ne citer que les cas les plus typiques.
La contestation de la théorie de la modernisation
54Une nouvelle production intellectuelle dans le domaine des sciences politiques voit le jour à la faveur de ce phénomène. Ce qui est considéré comme nécessaire à la démocratisation n’est pas le développement, mais la capacité des élites des pays concernés à assurer la transition et à maintenir la démocratie contre les actions des forces réactionnaires. Nombre des travaux de la transitologie qui se sont développé à la faveur de cette vague ont formulé la thèse de « pas de préconditions » ; tous les pays peuvent devenir démocratiques. Pour O’Donnel et Schmitter30 et pour Karl et Schmitter31, la recherche des préconditions est vouée à l’impasse. C’est l’analyse des acteurs et de leurs stratégies, du comportement des élites dans la construction des pactes qui est l’élément central des transitions.
55« Plutôt que d’engager un débat futile sur les préconditions, il est important, dit Karl, de clarifier comment le mode de transition de régime détermine le contexte à l’intérieur duquel les interactions stratégiques peuvent prendre place parce que ces interactions, en retour, aident à déterminer dans quelle mesure la démocratie politique va émerger et survivre32. »
56La contestation la plus sérieuse, celle qui a servi de référence à tous les critiques, parce qu’elle développe une argumentation théorique et s’appuie sur un matériel empirique très riche et un traitement économétrique sophistiqué, est le travail accompli par Adam Przeworski et Fernando Limongi33.
La méthodologie choisie
57Les faits reportés concernent 135 pays et la période couverte va de 1950 à 1990. Tous les régimes qui ont existé durant cette période ont été classés en tant que démocraties ou en tant que dictatures (ou régimes autoritaires). En tout, 224 régimes ont été observés, 101 démocratiques et 123 autoritaires. Les niveaux de développement sont rapportés au revenu par tête en dollars de 1985 exprimés en PPA.
La thèse présentée
58Les auteurs reconnaissent le lien extrêmement étroit entre niveau de développement et démocratie. Ce qu’ils contestent, c’est la raison pour laquelle ce lien existe. La théorie de la modernisation affirme que ce lien existe parce que la démocratie émerge comme conséquence du développement. Or, ces auteurs soutiennent que :
- les démocraties émergent indépendamment du niveau de développement économique,
- cette relation existe comme conséquence de la capacité des démocraties à se consolider lorsque leur niveau de développement est élevé (parce que les démocraties ont plus de chance de survivre au fur et à mesure que le niveau de développement s’élève). Leur thèse est celle de la consolidation.
- les démocraties émergent indépendamment du niveau de développement économique,
- cette relation existe comme conséquence de la capacité des démocraties à se consolider lorsque leur niveau de développement est élevé (parce que les démocraties ont plus de chance de survivre au fur et à mesure que le niveau de développement s’élève). Leur thèse est celle de la consolidation.
L’argumentation développée
59La thèse de la modernisation est considérée par ces deux auteurs comme relevant d’une « explication endogène ». En revanche, ils qualifient leur thèse de la consolidation d’« explication exogène ». Les résultats, rendant compte de la probabilité des régimes autoritaires à se transformer en régimes démocratiques et des régimes démocratiques à se transformer en régimes autoritaires en fonction du revenu par tête, auxquels Przeworski et Limongi parviennent sont les suivants :
- la probabilité pour un régime autoritaire de se transformer en régime démocratique augmente, mais seulement jusqu’au moment où le niveau de revenu atteint 6 000 $. Au-dessus de ce niveau, les dictatures deviennent de plus en plus stables ; la probabilité qu’elles se transforment en démocratie ne cesse de baisser au fur et à mesure que le revenu s’accroît. Il y a là une nette infirmation, selon les auteurs, de la thèse de la modernisation ;
- les démocraties ont moins de probabilité de rechuter en autoritarisme au fur et à mesure que leur niveau de revenu par tête s’élève. Sur un millier d’années/pays observées, deux cas seulement de rechute se sont produits au-dessus de 4 000 $. Au-dessus de 6 055 $, disent-ils, un miracle survient : aucune démocratie ne s’est transformée en régime autoritaire. Il y a là une parfaite illustration de la thèse de la consolidation.
- la probabilité pour un régime autoritaire de se transformer en régime démocratique augmente, mais seulement jusqu’au moment où le niveau de revenu atteint 6 000 $. Au-dessus de ce niveau, les dictatures deviennent de plus en plus stables ; la probabilité qu’elles se transforment en démocratie ne cesse de baisser au fur et à mesure que le revenu s’accroît. Il y a là une nette infirmation, selon les auteurs, de la thèse de la modernisation ;
- les démocraties ont moins de probabilité de rechuter en autoritarisme au fur et à mesure que leur niveau de revenu par tête s’élève. Sur un millier d’années/pays observées, deux cas seulement de rechute se sont produits au-dessus de 4 000 $. Au-dessus de 6 055 $, disent-ils, un miracle survient : aucune démocratie ne s’est transformée en régime autoritaire. Il y a là une parfaite illustration de la thèse de la consolidation.
60C’est cette consolidation, qui explique la forte relation entre niveau de développement et régime politique. Przeworski et Limongi en concluent que :
« L’émergence de la démocratie n’est pas un dérivé du développement économique. La démocratie est ou n’est pas établie par des acteurs politiques poursuivant leurs objectifs et elle peut être instaurée à n’importe quel stade de développement. C’est seulement une fois la démocratie établie que les contraintes économiques jouent un rôle : les chances de survie sont plus grandes quand le pays est plus riche34. »
La théorie de la modernisation : la critique de la critique
61Les travaux récents fournissent une évidence : la relation entre niveau de développement économique et démocratie est étroite. Dans son travail marquant, Robert J. Barro35 est arrivé au résultat selon lequel :
« l’hypothèse de Lipset est vérifiée empiriquement avec une forte régularité. En particulier, des accroissements du niveau de vie tendent à engendrer un accroissement progressif de la démocratie. À l’opposé, les démocraties qui se sont érigées sans développement économique antérieur (quelquefois parce qu’elles sont imposées par d’anciens pouvoirs coloniaux ou des organisations internationales) tendent à ne pas durer ».
62Plusieurs catégories de critiques ont été adressées à la thèse de Przeworski et Limongi par de nombreux auteurs.
63Christian Welzel et Ronald Inglehart36 font, tout d’abord, remarquer que, même si les résultats de leurs travaux ont trouvé un grand écho, ils sont douteux sous plusieurs aspects. D’abord et avant tout, ils ont été obtenus sur la base d’une mauvaise interprétation des données des auteurs eux-mêmes. En effet, disent-ils, Przeworski et Limongi ont tiré leurs conclusions à partir de l’observation selon laquelle, depuis 1950, la probabilité du passage des régimes autoritaires vers la démocratie n’augmente pas en fonction du niveau de revenu. Mais « ceci n’est que la moitié de l’histoire » : si la seconde colonne de leur tableau montre que la probabilité du passage de l’autoritarisme à la démocratie n’augmente pas régulièrement en fonction du niveau de revenu, la troisième colonne montre bien que le passage de la démocratie à l’autocratie baisse régulièrement lorsque les niveaux de revenu s’accroissent. La question cruciale est celle de la probabilité comparée du passage à la démocratie par rapport au passage à l’autoritarisme en fonction du niveau de revenu. À partir des résultats obtenus par Przeworski et Limongi, il est facile de calculer ce ratio : il change de façon monotone en faveur de la démocratie au fur et à mesure que le niveau de revenu s’accroît.
Probabilité comparée des changements de régime en fonction du niveau de revenu
Niveau de revenu
|
Probabilité des autocraties de passer en démocratie (a) divisée par la probabilité des démocraties de passer en autocratie (b)
|
Moins de 1 000 $
|
0.10
|
1 001 – 2 000 $
|
0.24
|
2 001 – 3 000 $
|
0.64
|
3 001 – 4 000 $
|
1.50
|
4 001 – 5 000 $
|
3.13
|
5 001 – 6 000 $
|
6.25
|
6 001 – 7 000 $
|
11.75
|
Plus de 7 000 $
|
28.33
|
(a) : tirée du tableau 2 de Przeworski et Limongi, op. cit., p. 162, colonne 3.
(b) : tirée du même tableau, colonne 2.
64L’affirmation que la transition à la démocratie survient « au hasard » est ainsi mise en défaut par les propres données des auteurs.
65La seconde famille de critique, qui est soulevée par de nombreux auteurs, est relative à la mesure dichotomique que Przeworski et Limongi utilisent pour classer les régimes : les pays sont classés soit comme démocraties, soit comme régimes autoritaires avec une tendance affirmée à inclure dans les autocraties tous les pays qui ne répondent pas rigoureusement aux critères de la démocratie. Or, il existe une troisième catégorie, celle des démocraties partielles (dont le nombre représente 14,3 % des pays/années de l’échantillon comprenant tous les pays de 1960 à 2000, dont le type de régime est passé de 3,6 % en 1976 à 26,1 % en 2000) dont le comportement est sensiblement différent des démocraties et des autocraties37. Welzel et Inglehart considèrent même que, plutôt que d’utiliser deux, voire trois catégories de régimes, il est préférable d’utiliser une mesure graduelle. Les tests sophistiqués réalisés par Epstein et alii et par Welzel et Inglehart confirment la théorie de la modernisation : des niveaux de prospérité plus élevés prédisent bien quand et dans quelle mesure les pays sont prêts à quitter l’autoritarisme et à demeurer une démocratie stable.
La théorie de la modernisation au vu des réalités actuelles
66Aujourd’hui, plus que jamais, à la faveur de la Troisième Vague, la théorie de la modernisation est confirmée par la réalité. À l'heure actuelle :
- il n’existe aucun pays autoritaire ayant un revenu par tête de plus de 6 850 dollars américains en PPA ;
- parmi les pays partiellement démocratiques, qui sont au nombre de cinquante, aucun n’a atteint les 9 500 dollars par habitant, à une exception près (Singapour)38 :
- il n’existe aucun pays autoritaire ayant un revenu par tête de plus de 6 850 dollars américains en PPA ;
- parmi les pays partiellement démocratiques, qui sont au nombre de cinquante, aucun n’a atteint les 9 500 dollars par habitant, à une exception près (Singapour)38 :
67Dire que la théorie de la modernisation est vérifiée, c’est dire qu’une fois atteint un certain niveau de développement, la transition à la démocratie s’en trouve grandement facilitée. Dans le cas d’espèce aujourd’hui, c’en est même caricatural ; c’est comme s’il existait des « conditions suffisantes » (un niveau de développement) qui rendent inévitable le passage à la démocratie.
68Il faut, bien sûr, se garder de toute généralisation : celle-ci réduirait les sociétés humaines à de simples machines politiques.
69Dire que la théorie de la modernisation est vérifiée, c’est dire qu’il y a des tendances, non des règles implacables. Mais c’est également dire qu’il n’y a pas de « conditions nécessaires » pour la transition à la démocratie. Parmi les pays ayant récemment réussi leur passage démocratique figure une quinzaine de pays qui avaient un faible niveau de développement à la veille de leur transition : ainsi en est-il du Bénin (qui avait un revenu par tête de1 875 $), de la Bolivie (2 200 $), du Cap Vert (1 875 $), du Ghana (2 050 $), de Grenade (3 650 $), de la Guyane (2 400 $), du Mali (600 $), de la Mongolie (2 200 $), de la Namibie (3 750 $), des Philippines (3 275 $), du Salvador (2 800 $), de Samoa (2 400 $), de Sao Tome et Principe (830 $) et du Sénégal (1 575 $).
Le régime politique tunisien : essai de caractérisation
70En matière de systèmes politiques, trois institutions internationales de notation constituent la référence : Freedom House, l’Université du Maryland et, depuis quelques années, la Banque mondiale. Depuis 1972, Freedom House met à jour trois indicateurs :
- l’indicateur des libertés civiles, noté sur une échelle allant de 7 (la plus mauvaise notation) à 1 (la meilleure), mesurant la liberté d’expression et de croyance, la liberté d’association et d’organisation, l’État de droit et les droits de l’Homme et, enfin, l’autonomie individuelle et les droits économiques ;
- l’indicateur des droits politiques, noté sur une échelle identique, mesurant les élections libres et équitables aux postes disposant d’un pouvoir réel, la liberté d’organisation politique, l’existence d’une opposition significative, l’absence de domination par les groupes les plus puissants et, enfin, l’autonomie ou l’intégration politique des groupes minoritaires ;
- l’indicateur de la liberté de la presse, noté sur une échelle allant de 100 (la plus mauvaise) à 1 (la meilleure), mesurant l’objectivité des médias et la liberté d’expression.
- l’indicateur des libertés civiles, noté sur une échelle allant de 7 (la plus mauvaise notation) à 1 (la meilleure), mesurant la liberté d’expression et de croyance, la liberté d’association et d’organisation, l’État de droit et les droits de l’Homme et, enfin, l’autonomie individuelle et les droits économiques ;
- l’indicateur des droits politiques, noté sur une échelle identique, mesurant les élections libres et équitables aux postes disposant d’un pouvoir réel, la liberté d’organisation politique, l’existence d’une opposition significative, l’absence de domination par les groupes les plus puissants et, enfin, l’autonomie ou l’intégration politique des groupes minoritaires ;
- l’indicateur de la liberté de la presse, noté sur une échelle allant de 100 (la plus mauvaise) à 1 (la meilleure), mesurant l’objectivité des médias et la liberté d’expression.
71Dans le cadre de son programme de recherche, Polity, l’Université du Maryland tient à jour un indicateur des systèmes institutionnels, noté sur une échelle allant de - 10 (la plus mauvaise) à + 10 (la meilleure), ce concept mesurant les élections pluralistes des gouvernants, les élections ouvertes des gouvernants, la limitation du pouvoir des gouvernants, la réglementation de la participation, la réglementation de la nomination des dirigeants et, enfin, la participation pluraliste. Pour chaque pays, une série est établie depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ou, à défaut, depuis son indépendance.
72La Banque mondiale, enfin, a récemment mis au point un indicateur « droit à la parole et l’obligation de rendre des comptes » (Voice and Accountability), noté sur une échelle allant de 0 (la plus mauvaise notation) à 100 (la meilleure) et mesurant les indicateurs précédents ainsi que la transparence et l’information et l’expression des milieux d’affaires. Cet indicateur existe depuis l’année 1996.
73Les notes attribuées à la Tunisie par chacune de ces institutions la classent clairement dans la catégorie des régimes autoritaires (ou non libres).
74En ce qui concerne Freedom House, la note qui lui est attribuée en matière de droits politiques est de 6 et en matière de libertés civiles de 5. Cette institution classe la Tunisie comme pays non libre (les deux autres catégories étant « partiellement libre » ou « libre »).
75En ce qui concerne Polity, la note attribuée est de - 3, ce qui inclut la Tunisie parmi les pays autocratiques.
76Enfin, au niveau de l’indicateur « droit à la parole et obligation de rendre des comptes », la note attribuée à la Tunisie est de 17,5 sur 100, ce qui la classe au 170e rang sur une liste de 208 pays ou territoires. Si sur les échelles des deux précédentes institutions, la notation n’a pas sensiblement varié au cours des dernières années, en ce qui concerne cet indicateur de la Banque mondiale, la situation de la Tunisie s’est sensiblement détériorée depuis 1996 :
Évolution de la notation de la Tunisie au regard de l’indicateur « Droit à la parole et obligation de rendre des comptes »
Année
|
Note (sur 100)
|
1996
1998
2000
2002
2004
|
33.0
20.4
26.2
22.7
17.5
|
Source : Banque mondiale, Governance Matters, 2004.
77D’autres approches plus analytiques ont été réalisées et offrent une perspective plus riche. En effet, au terme d’un travail d’analyse des systèmes politiques entrepris autour d’une problématique commune – Élections sans démocratie (Elections Without Democracy) – et de quatre recherches39 qu’il a coordonnées, Larry Diamond distingue trois grandes catégories de régimes politiques :
- les démocraties,
- les régimes autoritaires,
- les régimes fermés.
- les démocraties,
- les régimes autoritaires,
- les régimes fermés.
78Entre les deux premières catégories, s’intercale une zone grise, que Larry Diamond nomme « régimes ambigus ». Chacune des deux premières catégories contient deux sous-catégories :
- les démocraties se divisant en démocraties libérales et en démocraties électorales,
- les régimes autoritaires se divisant en autoritarisme compétitif et en autoritarisme hégémonique (ou non compétitif).
- les démocraties se divisant en démocraties libérales et en démocraties électorales,
- les régimes autoritaires se divisant en autoritarisme compétitif et en autoritarisme hégémonique (ou non compétitif).
79L’autoritarisme non compétitif élimine ou réduit les processus électoraux à une simple façade et viole ouvertement les règles démocratiques (par exemple en bannissant ou en réprimant l’opposition et les médias, en pratiquant des fraudes massives) ; les forces d’opposition n’y présentent pas une menace sérieuse pour les gouvernants.
80Dans ces régimes, les institutions électorales existent mais elles n’offrent pas de contestation réelle du pouvoir. De tels régimes ont été appelés « pseudo démocraties », « démocraties virtuelles » et « régimes d’autoritarisme électoral » ; ils sont des régimes de plein autoritarisme (full scale authoritarianism).
81Dans ces régimes, les médias sont entièrement propriété d’État, lourdement censurés, ou systématiquement réprimés. Les principales chaînes de télévision et stations radio sont contrôlées par le gouvernement (ou ses proches alliés).
82Levitsky et Way considèrent que, comme règle générale, les régimes dans lesquels les présidents sont réélus avec plus de 70 % des votes peuvent être considérés comme non compétitifs. Poussant plus loin cette réflexion, Diamond conclut qu’un signe clair de l’autoritarisme hégémonique est le nombre d’années au cours desquelles le président en exercice a gouverné sans interruption et la proportion des sièges remportés par le parti au pouvoir.
83Sur la base de cette catégorisation, la Tunisie est clairement considérée comme un régime autoritaire non compétitif ou régime de plein autoritarisme.
84Quelle que soit l’institution de notation et quelles que soient les nuances qui peuvent distinguer les définitions adoptées par l’une ou l’autre d’entre elles, la Tunisie figure parmi le groupe des pays clairement autoritaires, dont le nombre est compris aujourd’hui entre la quarantaine et la cinquantaine.
85Le principal critère retenu par les travaux sur la relation entre développement et démocratie a été le niveau de revenu par tête. Mais ce critère n’est pas le seul ; d’autres indicateurs pertinents doivent être pris en considération.
86En termes politiques, la Tunisie fait partie des pays autoritaires. La question qui est posée est de savoir si, au regard de son niveau de développement, elle trouve « naturellement » sa place parmi ce groupe ou non. Si tel n’est pas le cas, une autre question se pose : ce niveau lui permettrait-il de trouver son rang parmi les pays démocratiques de la Troisième Vague ou, du moins, ceux qui, à défaut d’avoir réussi leur transition, se retrouvent parmi les pays partiellement démocratiques ?
87Telles sont les questions auxquelles cette section tente de répondre.
Les critères de développement retenus
88À l’instar des analyses classiques de la « modernisation », nous avons retenu le niveau de revenu par tête exprimé en PPA, le taux d’urbanisation, le niveau éducationnel et l’état de santé de la population.
89Nous avons accordé à ces critères classiquement retenus une plus grande richesse en retenant comme indicateurs d’état de santé, non seulement, le taux de mortalité infantile, mais aussi le taux de mortalité maternelle, l’espérance de vie à la naissance ainsi que le taux de malnutrition.
90Nous avons également introduit de nouveaux critères permettant d’approcher les assises du patriarcat40 en retenant trois indicateurs pertinents : l’indice synthétique de fécondité (ou le nombre moyen d’enfants que met au monde une femme durant sa vie féconde), le taux de scolarisation combiné du primaire au supérieur des filles, ainsi que la participation des femmes à la force de travail, ce dernier indicateur rendant compte de l’indépendance économique des femmes.
91Enfin, nous avons retenu un autre facteur : celui de l’ouverture économique. Celui-ci est approché à travers l’importance des exportations (et, quand cela est possible, celle également des importations) et de celle de leur contenu industriel tant il est vrai que la seule exportation ne suffit point à déterminer l’ouverture lorsqu’il s’agit d’exportations de matières premières, les pays pétroliers en étant l’archétype.
92Pour chacun de ces indicateurs, nous avons constitué une base de données. Celles-ci ont été, par la suite, normalisées, c’est-à-dire transformées en note allant de 0 à 10, 0 étant affecté au pays qui a la plus mauvaise situation et 10 étant affecté au pays ayant la meilleure situation. Ces données sont tirées desWorld Development Indicators 2005 et du Rapport sur le Développement Humain 2005. Pour les pays ayant réussi leur transition démocratique au cours de la Troisième Vague, ces données se rapportent à l’année de leur transition et non à la dernière année car il ne s’agit pas de comparer la situation actuelle de l’Espagne ou du Portugal avec la Tunisie d’aujourd’hui, mais l’Espagne ou le Portugal l’année de leur accession à la démocratie avec la Tunisie d’aujourd’hui, alors qu’elle n’a pas encore connu cette transition.
93Certains indicateurs ne sont disponibles que pour une période très récente : ainsi en est-il du taux de scolarisation combiné, de la mortalité des enfants de moins de cinq ans, de la mortalité maternelle et de la population souffrant de malnutrition. Dans ce cas, nous avons retenu les indicateurs qui s’en rapprochent le plus – taux de scolarisation par cycle, mortalité des enfants de moins d’un an – et avons tout simplement annulé mortalité maternelle et population souffrant de malnutrition.
94Une note d’ensemble a été attribuée à chaque pays. Celle-ci est égale à la moyenne arithmétique des notes des indicateurs retenus.
Les résultats obtenus
La Tunisie : comparaison avec la valeur médiane des indicateurs de développement des principales catégories de régimes politiques
95Pour chaque catégorie de pays – pays ayant réussi leur transition démocratique lors de la troisième vague, pays partiellement démocratiques et pays autoritaires –, la valeur médiane de ces indicateurs se présente ainsi :
Valeur médiane des indicateurs de développement selon le régime politique (pays d’ancienne tradition démocratique exclus)
Indicateur
|
Pays démocratiques de la 3e vague l’année de leur transition
|
Tunisie
|
Pays partiellement démocratiques
|
Pays autoritaires
|
Revenu brut par habitant en $ PPA 2003
|
6 250
|
6 840
|
2 400
|
1 980
|
Taux d’urbanisation
|
55
|
66.1
|
44.5
|
34.2
|
Indice synthétique de fécondité
|
2,8
|
2.0
|
3.8
|
4.4
|
Espérance de vie à la naissance (en années)
|
69
|
73
|
66
|
55
|
Taux de mortalité des enfants de moins d’un an (pour 1000)
|
30
|
19
| ||
Taux de scolarisation combiné du primaire au supérieur (1)
|
66
|
71
| ||
Taux de scolarisation combiné des filles (1)
|
68
|
73
| ||
Participation des femmes à la force de travail (en %)
|
40
|
32,7
|
41
|
44
|
Taux d’ouverture (X/PIB)
|
32
|
45
| ||
Exports de produits manufacturés/Exportations totales
|
40
|
82
|
31
|
Moins de 20
|
Taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans
|
24
|
73
|
102
| |
Taux de mortalité maternelle
|
120
|
240
|
450
| |
Population souffrant de malnutrition (en %)
|
3
|
20
|
22
| |
Taux de scolarisation combiné du primaire au supérieur (2)
|
75
|
65
|
58
| |
Taux de scolarisation combiné des filles (2)
|
75
|
63
|
52
| |
Taux d’ouverture (X+M/PIB)
|
94
|
62
|
61
|
Source : World Development Indicators, CD-ROM Banque Mondiale 2005. Traitement de l’auteur.
(1) Sur la base de la somme des taux de scolarisation dans chaque cycle divisée par 3.
(2) Sur la base de l’indicateur fourni par la Banque Mondiale.
(1) Sur la base de la somme des taux de scolarisation dans chaque cycle divisée par 3.
(2) Sur la base de l’indicateur fourni par la Banque Mondiale.
96Ce tableau montre que les niveaux de démocratisation sont fortement corrélés avec les indicateurs socio-économiques : les pays ayant pleinement réussi leur transition au cours de la Troisième Vague ont un niveau de revenu médian, une espérance de vie, un taux de scolarisation combiné (des garçons comme des filles), un taux d’urbanisation, et un taux d’ouverture nettement supérieurs à ceux des pays partiellement démocratiques. Ceux-ci, à leur tour, ont les mêmes indicateurs situés à un niveau nettement supérieur à celui des pays autoritaires. Quant aux taux de mortalité des enfants et des mères, au taux de malnutrition et à l’indice synthétique de fécondité, ils se situent à des niveaux d’autant plus faibles que le niveau de démocratisation s’élève.
97Il y a une exception : la participation des femmes à la force de travail est plus forte en régimes autoritaires. La raison en est que, dans ces derniers, l’activité dominante est l’agriculture et que celle-ci est le plus souvent le prolongement de l’activité domestique. D’autres indicateurs, tels que l’activité rémunérée ou salariée ou extra-agricole, auraient montré une moindre participation des femmes en régime autoritaire, mais ils n’existent que pour un petit nombre de pays, rendant la comparaison internationale impossible.
98À l’examen, la Tunisie apparaît totalement « étrangère » au groupe des pays autoritaires : par rapport à la valeur médiane de leurs indicateurs :
- son revenu par tête est plus de trois fois supérieur,
- son espérance de vie est de 18 ans (soit 33 %) supérieure,
- son taux d’urbanisation est deux fois plus élevé,
- son taux de scolarisation combiné supérieur de plus de 26 %,
- son taux d’ouverture plus de quatre fois supérieur
- ses taux de mortalité maternelle et infantile et de malnutrition sont quatre fois moindres.
- son revenu par tête est plus de trois fois supérieur,
- son espérance de vie est de 18 ans (soit 33 %) supérieure,
- son taux d’urbanisation est deux fois plus élevé,
- son taux de scolarisation combiné supérieur de plus de 26 %,
- son taux d’ouverture plus de quatre fois supérieur
- ses taux de mortalité maternelle et infantile et de malnutrition sont quatre fois moindres.
99Vis-à-vis des pays partiellement démocratiques, les écarts sont moins prononcés, mais ils sont flagrants. Par rapport à la valeur médiane de leurs indicateurs :
- son revenu par tête est 2,8 fois supérieur,
- son espérance de vie est de 7 ans (soit 11 %) supérieure,
- son taux d’urbanisation est 49 % supérieur,
- son taux de scolarisation est 15 % supérieur,
- son taux d’ouverture plus de deux fois et demie supérieur,
- son taux de mortalité maternelle deux fois moindre et son taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans trois fois moindre.
- son revenu par tête est 2,8 fois supérieur,
- son espérance de vie est de 7 ans (soit 11 %) supérieure,
- son taux d’urbanisation est 49 % supérieur,
- son taux de scolarisation est 15 % supérieur,
- son taux d’ouverture plus de deux fois et demie supérieur,
- son taux de mortalité maternelle deux fois moindre et son taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans trois fois moindre.
100Par rapport aux valeurs médianes des pays démocratiques de la Troisième Vague, la Tunisie ne souffre pas de la comparaison, au contraire. Ses performances sont toutes supérieures à la valeur médiane de cette catégorie de pays, mais avec des écarts généralement contenus dans une limite de 10 à 30 %.
101Le point faible de la Tunisie réside dans la faible participation des femmes à la vie économique.
La Tunisie : notation et classement
102Si la comparaison de la Tunisie par rapport aux valeurs médianes des trois grandes catégories de régimes politiques offre une perspective comparative synthétique, une approche plus précise, analysant la position et le rang de la Tunisie dans chaque catégorie au regard de chaque indicateur est encore plus éclairante.
103Au sein du groupe des pays non démocratiques, la Tunisie se détache avec la Biélorussie des 37 autres membres. Elle a le niveau de revenu brut par tête le plus élevé et le meilleur état nutritionnel. La Tunisie occupe la deuxième position en termes d’espérance de vie à la naissance. Elle est quatrième au niveau de l’indice synthétique de fécondité, du taux d’urbanisation et du taux d’ouverture économique. Elle est en septième position au niveau du taux de scolarisation combiné en n’étant précédée, pour ainsi dire, que par les anciennes républiques soviétiques d’Asie. La position la plus faible, encore une fois, est le taux de participation des femmes à la vie économique. Dans l’ensemble, la Tunisie occupe la deuxième position, devancée par la Biélorussie.
Note et classement de la Tunisie dans le groupe des pays non démocratiques
Indicateur
|
Note (sur 10)
|
Rang (sur 39 pays)
|
Revenu National Brut par habitant
Indice synthétique de fécondité
Espérance de vie à la naissance
Taux d’urbanisation
Taux de scolarisation combiné (du primaire au supérieur)
État de santé
État nutritionnel
Taux d’ouverture
Taux de participation des femmes (à l’éducation et à l’emploi)
|
10.0
8.77
8.95
7.00
8.24
9.51
10.00
6.46
4.98
|
1er
4e
2e
4e
7e
7e
1er
4e
18e
|
Note et rang d’ensemble de la Tunisie
|
8.21
|
2e
|
Dix premiers pays (hors Tunisie)
Biélorussie
Cuba
Liban
Khazakhstan
Turkménistan
Chine
Égypte
Khirghizie
|
9.09
7.92
7.87
7.55
7.52
7.40
6.79
6.75
|
1er
3e
4e
5e
6e
7e
8e
9e
|
104Au sein du groupe des pays partiellement démocratiques, la Tunisie serait classée 5e sur un ensemble de 50 pays. Elle ferait ainsi partie des 10 % les plus développés ; dans tous les domaines, elle aurait un très bon classement, sauf en matière de participation des femmes à la vie économique, sa participation à l’éducation étant parmi les plus élevées (4e sur 50). Elle est classée 15e en matière d’état de santé, mais il faut voir que sa note est de 9.42/10. Par conséquent, les pays qui la devancent ne le font que de très peu. Seuls quatre pays se classent avant la Tunisie : Singapour, l’Ukraine, la Russie et la Malaisie, tous ayant un niveau de revenu par tête sensiblement plus élevé.
Note et classement de la Tunisie dans le groupe des pays partiellement démocratiques
Indicateur
|
Note (sur 10)
|
Rang (sur 50 pays)
|
Revenu National Brut par habitant
Indice synthétique de fécondité
Espérance de vie à la naissance
Taux d’urbanisation
Taux de scolarisation combiné (du primaire au supérieur)
État de santé
État nutritionnel
Taux d’ouverture
Taux de participation des femmes (à l’éducation et à l’emploi)
|
7.09
8.70
8.78
7.34
7.97
9.42
10.0
9.68
5.19
|
7e
9e
7e
10e
5e
15e
1er
4e
31e
|
Note et rang d’ensemble de la Tunisie
|
8.24
|
5e
|
Dix premiers pays (hors Tunisie)
Singapour
Ukraine
Russie
Malaisie
Macédoine
Trinidad et Tobago
Turquie
Jordanie
Albanie
|
9.01
8.73
8.63
8.44
8.17
8.11
7.75
7.71
7.51
|
1er
2e
3e
4e
6e
7e
8e
9e
10e
|
La Tunisie et les pays démocratiques de la Troisième vague
105La Tunisie aurait-elle pu aussi bien figurer parmi les pays qui ont réussi leur transition durant la Troisième Vague ?
106La note d’ensemble qu’elle obtient lui aurait permis de figurer au 9e rang parmi le groupe des 39 pays (ou 10e sur 40 si l’ancienne Allemagne de l’Est avait été incluse), c’est-à-dire dans le premier quartile. Les pays qui la précèdent sont ceux de l’Europe de l’Est et la Corée du Sud. Son point faible réside dans la participation des femmes à l’activité économique. Ce qui est encore plus frappant, c’est que les pays de l’Europe du Sud, l’année de leur accession à la démocratie, n’étaient pas en meilleure posture : en Espagne et en Grèce, le taux de participation des femmes à la force de travail était de 27 %, et au Portugal, ce taux était de 32 %, contre 32,7 % en Tunisie aujourd’hui. Dans les pays de l’Europe de l’Est, ce taux était supérieur à 45 % au moment de leur transition. En termes de revenu par tête, la Tunisie obtient sa plus faible note (4.89), mais son niveau est de 10 % supérieur à la note médiane.
Note et classement de la Tunisie dans le groupe des pays démocratiques de la Troisième Vague
Indicateur
|
Note (sur 10)
|
Rang (sur 39 pays*)
|
Revenu National Brut par habitant
Indice synthétique de fécondité
Espérance de vie à la naissance
Taux d’urbanisation
Taux de scolarisation combiné (du primaire au supérieur)
Taux de mortalité infantile (moins d’1 an)
Taux de participation des femmes à l’éducation
Taux de participation des femmes à l’emploi
|
4.89
8.73
9.69
6.94
7.97
9.10
8.47
4.94
|
17e
12e
2e
12e
10e
14e
3e
21e
|
Note et rang d’ensemble de la Tunisie
|
7.59
|
9e
|
Tchéquie
Slovénie
Estonie
Slovaquie
Corée du Sud
Croatie
Lettonie
Bulgarie
Lithuanie
|
8.77
8.65
8.53
8.44
8.30
8.20
7.97
7.83
7.37
|
1er
2e
3e
4e
5e
6e
7e
8e
10e
|
* Hors République Démocratique Allemande. Tunisie incluse même si elle ne fait pas partie de ce groupe.
107Lipset avait prévenu contre « les fâcheux effets que peut avoir pour la stabilité d’un régime, le développement disproportionné d’un seul des éléments variables, d’où la nécessité d’un progrès coordonné de tous ces éléments ». À l’examen, dans tous les domaines qu’il avait repérés et dans ceux que nous avons introduits (état de santé, la dimension genre, l’ouverture économique), la Tunisie ne souffre d’aucun retard particulier quel que soit le groupe d’analyse. Au total :
- le revenu par tête qu’elle a atteint permet à la Tunisie de se détacher, seule, nettement du groupe des pays autoritaires, de figurer parmi les cinq pays les plus riches du groupe des pays partiellement autoritaires et dans la première moitié du groupe des pays démocratiques de la Troisième vague ;
- son indice synthétique de fécondité (ISF) est tombé à 2.0 enfants par femme, soit un niveau qui est inférieur au taux de reproduction (2.1) de la population. Au cours des trente à quarante dernières années, la Tunisie est, avec la Chine et la Corée du Sud, le pays qui a effectué sa transition démographique avec le plus de rapidité dans le monde. Les dernières évaluations de la division des Affaires économiques et sociales de l’ONU portant sur les trente dernières années, montrent qu’entre 1970-1975 et 2000-2005, son ISF est passé de 6.21 à 2.00, soit un recul de 4.21 enfants par femme et de 67.8 % entre les deux périodes, et qu’elle figure parmi les trois premiers pays au monde à avoir accompli cette transition dans un laps de temps aussi court. Cette transition s’est accomplie sans pression sociale et a été vécue sans traumatisme psychologique par les femmes ; elle s’est accomplie dans le cadre d’une politique pionnière permettant aux femmes de planifier la taille de leur famille ;41
- son espérance de vie à la naissance est de 73.1 années, correspondant à la moyenne prévalant dans les pays les plus développés au cours de la première moitié des années 1990 et à 7.7 années de plus que la moyenne mondiale actuelle (65.4 années) et 9.7 années de plus que la moyenne des pays en développement. Aucun des pays démocratiques de la Troisième vague à l’exception de la Croatie (73.8 années) n’a eu une espérance de vie plus longue au moment de sa transition et parmi les 89 autres pays autoritaires ou partiellement démocratiques, il n’y a que Singapour (78 années) et Cuba (77 années) et l’Arménie (75 années) qui ont une espérance de vie supérieure à 74 ans ;
- son taux d’urbanisation atteint 65 %, il n’est dépassé que par les pays de l’Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Uruguay,) et certains pays européens tels que la Tchéquie (75 %), la Bulgarie, l’Espagne (70 %) et l’Estonie (71 %) ainsi que le Liban (87.2 %), Cuba (75.5 %) et la Biélorussie (70.5 %). La Grèce n’avait qu’un taux d’urbanisation de 55 % au moment du départ de ses colonels et le Portugal de 28 % au moment de la Révolution des œillets ;
- son taux de scolarisation combiné du primaire au supérieur atteint 75 %, ce qui signifie que les trois-quarts de la population en âge scolaire ou universitaire poursuivent effectivement des études, un taux qui n’est dépassé (de peu) que par les anciennes républiques soviétiques et les pays de l’Europe de l’Est ;
- l’état de santé et l’état nutritionnel de sa population est correct selon les standards internationaux, mais n’est pas proche du seuil atteint par les pays d’Europe de l’Est, il y a de cela une quinzaine d’années, ni même de la Biélorussie aujourd’hui ;
- l’ouverture de son économie (tant en ce qui concerne le poids de son commerce extérieur qu’en ce qui concerne le contenu industriel de ses exportations) est manifeste. Ces indicateurs ne prennent pas en considération deux autres phénomènes au moins aussi importants : l’ouverture touristique (la Tunisie accueillant 5.5 millions de touristes par année) et l’existence d’une importante diaspora tunisienne fortement articulée à son pays d’origine. Avec le Liban et les économies de l’Asie de l’Est, la Tunisie compte parmi les pays les plus économiquement ouverts ;
- la participation des femmes, enfin, est contrastée : autant sur le plan de la scolarisation, en particulier au niveau du supérieur, elles occupent une place grandissante (au cours de l’année universitaire 2005-2006, les filles représentaient 56 % du nombre d’étudiants inscrits), autant sur le plan de la participation à la force de travail, elles sont sous-représentées : il y a moins d’une femme active pour trois hommes actifs. Les racines du patriarcat sont en voie d’extinction grâce à l’éducation et grâce à la maîtrise de la procréation, elles ont encore du champ à travers la dépendance économique des femmes.
- le revenu par tête qu’elle a atteint permet à la Tunisie de se détacher, seule, nettement du groupe des pays autoritaires, de figurer parmi les cinq pays les plus riches du groupe des pays partiellement autoritaires et dans la première moitié du groupe des pays démocratiques de la Troisième vague ;
- son indice synthétique de fécondité (ISF) est tombé à 2.0 enfants par femme, soit un niveau qui est inférieur au taux de reproduction (2.1) de la population. Au cours des trente à quarante dernières années, la Tunisie est, avec la Chine et la Corée du Sud, le pays qui a effectué sa transition démographique avec le plus de rapidité dans le monde. Les dernières évaluations de la division des Affaires économiques et sociales de l’ONU portant sur les trente dernières années, montrent qu’entre 1970-1975 et 2000-2005, son ISF est passé de 6.21 à 2.00, soit un recul de 4.21 enfants par femme et de 67.8 % entre les deux périodes, et qu’elle figure parmi les trois premiers pays au monde à avoir accompli cette transition dans un laps de temps aussi court. Cette transition s’est accomplie sans pression sociale et a été vécue sans traumatisme psychologique par les femmes ; elle s’est accomplie dans le cadre d’une politique pionnière permettant aux femmes de planifier la taille de leur famille ;41
- son espérance de vie à la naissance est de 73.1 années, correspondant à la moyenne prévalant dans les pays les plus développés au cours de la première moitié des années 1990 et à 7.7 années de plus que la moyenne mondiale actuelle (65.4 années) et 9.7 années de plus que la moyenne des pays en développement. Aucun des pays démocratiques de la Troisième vague à l’exception de la Croatie (73.8 années) n’a eu une espérance de vie plus longue au moment de sa transition et parmi les 89 autres pays autoritaires ou partiellement démocratiques, il n’y a que Singapour (78 années) et Cuba (77 années) et l’Arménie (75 années) qui ont une espérance de vie supérieure à 74 ans ;
- son taux d’urbanisation atteint 65 %, il n’est dépassé que par les pays de l’Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Uruguay,) et certains pays européens tels que la Tchéquie (75 %), la Bulgarie, l’Espagne (70 %) et l’Estonie (71 %) ainsi que le Liban (87.2 %), Cuba (75.5 %) et la Biélorussie (70.5 %). La Grèce n’avait qu’un taux d’urbanisation de 55 % au moment du départ de ses colonels et le Portugal de 28 % au moment de la Révolution des œillets ;
- son taux de scolarisation combiné du primaire au supérieur atteint 75 %, ce qui signifie que les trois-quarts de la population en âge scolaire ou universitaire poursuivent effectivement des études, un taux qui n’est dépassé (de peu) que par les anciennes républiques soviétiques et les pays de l’Europe de l’Est ;
- l’état de santé et l’état nutritionnel de sa population est correct selon les standards internationaux, mais n’est pas proche du seuil atteint par les pays d’Europe de l’Est, il y a de cela une quinzaine d’années, ni même de la Biélorussie aujourd’hui ;
- l’ouverture de son économie (tant en ce qui concerne le poids de son commerce extérieur qu’en ce qui concerne le contenu industriel de ses exportations) est manifeste. Ces indicateurs ne prennent pas en considération deux autres phénomènes au moins aussi importants : l’ouverture touristique (la Tunisie accueillant 5.5 millions de touristes par année) et l’existence d’une importante diaspora tunisienne fortement articulée à son pays d’origine. Avec le Liban et les économies de l’Asie de l’Est, la Tunisie compte parmi les pays les plus économiquement ouverts ;
- la participation des femmes, enfin, est contrastée : autant sur le plan de la scolarisation, en particulier au niveau du supérieur, elles occupent une place grandissante (au cours de l’année universitaire 2005-2006, les filles représentaient 56 % du nombre d’étudiants inscrits), autant sur le plan de la participation à la force de travail, elles sont sous-représentées : il y a moins d’une femme active pour trois hommes actifs. Les racines du patriarcat sont en voie d’extinction grâce à l’éducation et grâce à la maîtrise de la procréation, elles ont encore du champ à travers la dépendance économique des femmes.
108D’autres facteurs socio-économiques mis en exergue par Lipset et les politologues depuis Aristote n’ont pas été pris en compte parce que les bases de données internationales font défaut : il s’agit de l’importance relative de classes moyennes, ces agents « modérés », peu sensibles à l’appel des démagogues et, dans une certaine mesure, de celle des populations pauvres, ces catégories « qui n’ayant rien à perdre que leurs chaînes » sont source de déstabilisation.
109Les informations disponibles concernant la Tunisie permettent d’apprécier ces phénomènes. Par rapport au seuil de pauvreté extrême défini par les Nations unies à 1 dollar américain en PPA par jour et par personne aux prix de 1993, il y avait, en l’an 2000, moins de 2 % vivant au-dessous de ce seuil ; quant à ceux vivant avec moins de 2 dollars par jour, leur proportion était de 6.6 %42. Par rapport au seuil national de pauvreté défini par l’Institut national de la statistique et à celui de la Banque mondiale, la population vivant au-dessous de ce seuil était de 4 % en 2000. Si l’on ajoute à cette population la « population vulnérable », c’est-à-dire celle qui a des risques sérieux de rejoindre le noyau dur de la pauvreté, alors la population pauvre et vulnérable atteint 1 048 000 personnes la même année, soit 11 % de la population totale. Il n’y a pas là de grande source de désintégration sociale et politique.
110Enfin, quant à l’importance des classes moyennes, que nous définirons comme étant celles qui, faute d’être privilégiées, ont un statut et « des choses à perdre », elle peut être approchée à travers certains indicateurs pertinents, notamment leur patrimoine logement. Selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2004 : 77,4 % des ménages sont propriétaires de leur logement et 98,9 % de ces derniers sont connectés au réseau électrique. 90,2 % disposent d’un téléviseur et 81,7 % d’un réfrigérateur. Les deux tiers des logements comportant trois pièces au moins.
111Tout au long de ce travail, nous avons essayé de répondre à une interrogation fondamentale : y a-t-il un « niveau de développement », y a-t-il des « facteurs socioéconomiques » qui constituent des obstacles, qui interdisent ou, du moins, empêchent la Tunisie de réaliser la transition à la démocratie ?
112Une question est, en outre, souvent posée : s’il faut accorder au développement socioéconomique la priorité des priorités, ne doit-on pas passer par une phase préalable d’autoritarisme ?
113La revue de la littérature et l’examen des réalités pertinentes a permis de montrer que cette thèse, qui a longtemps dominé le sens commun et le monde politique, n’est fondée sur aucune recherche sérieuse. Les travaux entrepris depuis une dizaine d’années montrent que les systèmes autoritaires ne sont pas plus générateurs de croissance que les régimes démocratiques et que les démocraties engendrent davantage de stabilité économique, de justice et de progrès social. Ils montrent ainsi qu’il n’y a ni condition nécessaire, ni passage obligé par la dictature ou l’autoritarisme pour se développer.
114Y a-t-il des conditions économiques et sociales favorables aux transitions démocratiques ? La réponse est clairement affirmative même si certaines contestations se sont fait jour au milieu des années 1990 lorsque des pays pauvres, voire très pauvres ont mis un terme à des pouvoirs personnels et à des dictatures et même si des travaux académiques sérieux (Przeworski et Limongi en particulier) ont, pendant un temps, fait croire que le développement économique permet de consolider les démocraties mais n’élève pas les chances d’y accéder. Les travaux ultérieurs et les évolutions réelles montrent avec évidence qu’il y a une relation très étroite entre développement et démocratie ; ils confirment la « théorie de la modernisation » selon laquelle au fur et à mesure que le niveau de développement s’élève, s’accroissent les chances de passage des systèmes autoritaires aux systèmes démocratiques. À l’examen, la relation est même frappante : il n’y a aucun pays non rentier ayant dépassé 6 850 dollars américains par habitant exprimés en PPA aux prix de 2003 qui soit un régime autoritaire et, à l’exception de Singapour. Il n’y aucun pays ayant dépassé les 9 500 dollars qui ne soit pas pleinement démocratique. Entre 6 850 dollars et 9 500 dollars, il n’y a que quatre pays partiellement démocratiques et aucun pays autoritaire.
115La Tunisie est le seul pays au monde ayant atteint 6 840 dollars par habitant et à être aussi clairement reconnue comme régime autoritaire.
116Au-delà du niveau de revenu par tête, de nombreux autres facteurs économiques et sociaux ont été examinés. Il s’est agi de savoir dans quelle mesure, au regard de tous ces facteurs, la Tunisie tient la comparaison avec les pays ayant réussi leur transition démocratique et avec les pays qui, bien qu’ayant fin à l’autoritarisme, n’ont que partiellement réussi leur transition démocratique. Il s’est également agi de savoir si la Tunisie a le même « profil » socioéconomique que les pays autoritaires.
117Les résultats de l’analyse sont sans ambiguïté : au plan économique et social, la Tunisie est « étrangère » au groupe des pays autoritaires ; elle se situe en tête du peloton des pays partiellement démocratiques, obtenant une note qui la classe au cinquième rang du groupe des cinquante pays partiellement démocratiques. Elle réunit toutes les conditions favorables (suffisantes ?) pour accéder à la pleine démocratie : elle se classe dans le premier quartile des pays ayant réussi leur transition démocratique sur la base de ses indicateurs datant de 2003. Si la comparaison avait été rendue possible pour l’année 2006, elle aurait figuré dans une position encore meilleure. Elle a, en outre, une faible, voire très faible population pauvre et une large classe moyenne, autres facteurs depuis longtemps reconnus comme au fondement même des systèmes démocratiques.
118Tous les examens effectués convergent pour aboutir à cette évidence : la Tunisie cumule au plus haut degré développement socio-économique et autoritarisme politique. Elle fait figure de réelle exception.
LES TUNISIENS SONT-ILS PRÊTS POUR LA DÉMOCRATIE ?
RépondreSupprimerPourtant la Tunisie réunit bon nombre des conditions pour accéder à la démocratie ...
Pour cela, il faut que les tunisiens se débarrassent de ceux qui sont entrain d'annuler une à une toutes les conditions requises pour l’accès à la démocratie
Si les petromonarques ne s'étaient pas invités dans leur révolution, en leur imposant les islamistes, pour mieux l'avorter; ils auraient pu prétendre à la démocratie dont ils n'étaient pourtant pas loin ...
du moins sur le papier !