samedi 16 novembre 2013

Albert Camus, victime de l'histoire "officielle" ?

Rapatrier un jour les cendres de Camus ?

Il est triste de voir qu'on n'arrive pas à fêter la naissance d'Albert Camus ni ici où il est né ni là-bas où il est mort. Il est coincé dans le terrible territoire du premier sans-papier. Illustre déchiré. Enfant indésirable et désiré. Un homme qui a posé la question au monde et dont on réduit la réponse à un extrait de naissance.
Camus, ce libertaire qu'on voudrait ignorer - Libération

Kamel Daoud

Faudra-t-il un jour rapatrier les cendres d'Albert Camus ? Pour le moment, il est dit qu'il n'est pas algérien. Pourtant né en Algérie. Avec des livres éclairés par les paysages algériens, la terre d'ici, la lumière, le sel aussi et surtout. La raison est, dit-on, son choix de ne pas prendre les armes, c'est à dire de ne pas être du bon côté. Car, pour le moment, l'histoire algérienne est réduite à la mesure de l'histoire du FLN. «Avant» ou «pendant» il n'y avait rien ou que de la traîtrise et de la tiédeur. 

Le verdict frappe de nullité la grandeur d'Albert Camus ou l'engagement profond et indépassable de Messali Hadj. Et cette histoire d'une guerre et d'un combat est dure, stricte, tranchée par la mort et la vie et ne permet pas encore de voir au-delà. 
Mais viendra un jour où, pour continuer à vivre, ce pays cherchera la vie plus loin, plus haut, plus profond que sa guerre. On devra alors proclamer nôtres les anciennes histoires, toutes nos histoires et s'enrichir en nous appropriant Camus aussi, l'histoire de Rome, de la chrétienté de l'Espagne, des «Arabes» et des autres qui sont venus, ont vu ou sont restés. La langue française est un patrimoine, comme les architectures des colons, leurs traces et leurs actes, crimes ou marais asséchés, génocides et places publiques. Et cela vaut pour les autres : notre empire prendra de la géographie quand il prendra la vastitude de l'histoire. Et nous seront grands et fiers lorsque nous nous approprierons tout notre passé, nous accepterons nos blessures qui nous ont été faites et ce qu'il en naquit parfois comme terribles fleurs de sel ou de pierres. 

Un jour donc, cela cessera, et on pensera à rapatrier les cendres de Camus car il est notre richesse d'abord, avant les autres. Il a en lui la trace de nos pas et nous avons nos traces dans ses errances et ses voyages même s'il nous tourne le dos comme on le dit. Même s'il le nie ou le fuit. C'est ainsi. L'Algérie est aussi les enfants qui l'on renié. Et on s'apaisera alors. Car il est triste de voir qu'on n'arrive pas à fêter la naissance de cet homme ni ici où il est né ni là-bas où il est mort. Il est coincé dans le terrible territoire du premier sans-papier. Illustre déchiré. Enfant indésirable et désiré. Un homme qui a posé la question au monde et dont on réduit la réponse à un extrait de naissance. Triste histoire d'un mythe. Misère des deux bords qui repoussent ou se déchirent cet enfant du mauvais couple. 
Quand il est mort, Ibn Rochd (Averroès pour les Autres) a été enterré au Maroc, mais c'est à Cordoue qu'on a rapatrié ses cendres. Ibn Rochd était-il «arabe» ? Espagnol ? Andalou et homme de sa quête ? Ses cendres enrichiront sa nouvelle terre mieux que sa vie n'éclaira les nôtres.

Un jour, on l'espère, Camus nous reviendra. Et Saint-Augustin, et les autres, tous les autres, toutes nos histoires, nos pierres, architectures, mausolées et croyances, vignes et palmiers, oliviers surtout. Et nous sortirons tellement vivants d'accepter nos morts et notre terre nous sera réconciliée et nous vivrons plus longtemps que le FLN et la France et la guerre et les histoires des couples. C'est une question essentielle : celui qui accepte son passé est maître de son avenir. 
Les cendres de Camus nous sont essentielles malgré ce que l'on dit. Il est le lieu de la guérison car le lieu du malaise, lui comme ce pan de l'histoire qui est nous, malgré nous. Ses cendres sont notre feu. C'est ici son royaume, malgré son exil. 

Cet homme obsède si fort et encore que son étrange phrase pour l'étranger vaut pour lui plus que pour son personnage : hier Camus est mort, ou peut-être aujourd'hui. On ne sait plus. On doit pourtant savoir et cesser.

5 commentaires:

  1. Michel Onfray : L'ordre libertaire, la vie philosophique d'Albert Camus

    https://www.youtube.com/watch?v=9d2L8_VkmGE&feature=youtu.be

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  2. A.Camus :

    " Je suis pour la pluralité des positions.
    Est-ce qu'on peut faire le parti de ceux qui ne sont pas sûrs d'avoir raison ? Ce serait le mien.
    Dans tous les cas, je n'insulte pas ceux qui ne sont pas avec moi.
    C'est ma seule originalité."

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  3. Le poème en l'hommage de René Char, écrit peu de temps après la mort tragique de son "cher" Albert Camus.

    L'éternité à Lourmarin.

    Albert Camus,

    Il n'y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés. Où s'étourdit notre affection? Cerne après cerne, s'il approche c'est pour aussitôt s'enfouir. Son visage parfois vient s'appliquer contre le nôtre, ne produisant qu'un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n'est nulle part. Toutes les parties — presque excessives — d'une présence se sont d'un coup disloquées. Routine de notre vigilance...

    Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d'essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l'épaisseur d'une paupière tirée.

    Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence. Qu'en est-il alors? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s'ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant.

    À l'heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d'énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l'archer, cette fois, ne transperce pas.

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  4. Albert CAMUS AURAIT AIMÉ CETTE JEUNESSE ALGÉRIENNE RÉVOLTÉE CONTRE UN POUVOIR QUI LA MÉPRISE ...

    Les amis d'Albert Camus - Jean Pierre Ryf :

    « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non.
    Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement.

    Quel est le contenu de ce « non » ?

    Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas ».
    En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière.

    On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l’autre « exagère », qu’il étend son droit au-delà d’une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite.

    Ainsi, le mouvement de révolte s’appuie, en même temps, sur le refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d’un bon droit, plus exactement l’impression, chez le révolté, qu’il est « en droit de… ».
    La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison.
    C’est en cela que l’esclave révolté dit à la fois oui et non.
    Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu’il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière.
    Il démontre, avec entêtement, qu’il y a en lui quelque chose qui « vaut la peine de… », qui demande qu’on y prenne garde.

    (…) En même temps que la répulsion à l’égard de l’intrus, il y a dans toute révolte une adhésion à part entière et instantanée de l’homme à une certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur, et si peu gratuit, qu’il le maintient au milieu des périls. (…)

    Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l’est pas. Toute valeur n’entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. »

    Camus, L’homme révolté (Gallimard), p 25-26

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  5. Jean-Pierre Ryf‎ :

    J'ai enfin trouvé le numéro de la Revue Simoun qui fut publié en hommage à Camus après sa mort.

    C'est Gabriel Audisio qui dit le mieux ce que fut ce projet mais tous les écrivains algériens disent aussi très bien leur immense chagrin et ce qu'était Camus pour eux.

    " Et voici qu'aujourd'hui je viens m'associer à l'hommage que Simoun rend à Camus mort. Avec quel chagrin inapaisé je remplis ce devoir funèbre !
    Oui, nous sommes entre nous. Vous avez justement voulu que nous restions ici en famille, cette famille des Algériens écrivains à laquelle depuis dix ans, vous accordiez vous aussi tant de soins généreux. Il est certain que nous allons ainsi dans le sens d'une vérité fondamentale de celui qui a écrit : « J'ai avec
    l'Algérie une longue liaison qui sans doute, n'en finira
    jamais. »

    En ouvrant ce cahier aux Algériens écrivains qui survivent à Camus, à ses amis, vous attestez que la liaison n'est pas finie, en effet, et qu'elle durera, au-delà de la mort, dans le cœur et
    dans l'esprit des générations, algériennes qui se forment aujourd'hui dans le malheur et dans le sang."

    https://www.limag.com/AutresPublications/Simoun/Simoun31.PDF?fbclid=IwAR0mgs9LOwUG5CUnq1JPhC1Bhghz8Q_zefDDBBbldfrhjjius9iuHzgG9Ms

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