Quand le café était trop musulman pour les catholiques
On le déguste aujourd’hui à longueur de journée. Mais il a fallu la bénédiction d’un pape pour convaincre les catholiques d’adopter cette boisson jugée maléfique.
Le café n'a pas toujours eu la cote en Occident, loin de là… Comme le rappelle un livre aussi instructif que gourmand – Le Monde dans nos tasses, du géohistorien Christian Grataloup –, il a fallu vaincre pas mal de réticences et de préjugés pour qu'il s'impose dans nos habitudes alimentaires. La faute à son goût âcre, son aspect noir comme le diable et ses origines orientales, puisqu'il nous est parvenu depuis les terres musulmanes des empires perse et ottoman du XVe siècle.
Apparu en Éthiopie, le caféier est rapidement cultivé au Yémen, notamment autour du port de Mokka : on récolte les graines que l'on fait griller, avant de les réduire en poudre. D'abord consommé sous forme d'épice puis peu à peu utilisé en infusion, le café est vite réputé pour maintenir l'esprit éveillé – il est notamment apprécié des communautés soufies.
L'ancêtre du café était né, son usage se propage rapidement, en profitant notamment de l'interdit qui frappe l'alcool. « Mais les musulmans s'en méfient les premiers, explique le professeur Grataloup. Ses propriétés excitantes provoquent méfiance et suspicion, on se demande si ce nouvel aliment est hallal ou pas, ou s'il est assimilable au vin… Mais ces débats ne vont pas durer longtemps. »
Importé par Venise
Les pèlerins qui reviennent de la Mecque diffusent un peu partout le nouveau nectar, que l'on déguste entre amis dans des établissements dédiés, tout en discutant littérature ou en disputant des jeux de société. Les Vénitiens, qui font commerce entre l'Orient et l'Occident, rapportent le breuvage, ouvrent les premiers établissements et traduisent l'arabe qahwah et le turc kahve, par « caffè », un mot adopté dans tout l'Occident. Mais les catholiques sont réticents : faut-il consommer cette boisson des infidèles, noire comme le diable ?
« La question fut soumise au pape Clément VIII, connu pour sa rigueur, au tout début du XVIIe siècle, écrit l'historien Christian Grataloup. Rationnel, le pontife goûta d'abord le nouveau breuvage, le trouva excellent et se garda bien de la condamner. Il faut dire aussi qu'il en a vu l'intérêt pour maintenir les moines éveillés durant les offices nocturnes… »
L'adoubement pontifical agit comme un accélérateur, les établissements de café ouvrent dans toutes les villes d'Europe. En France, ce sont les Arméniens qui tiennent son commerce à Marseille, Paris suit quelques années plus tard, surtout après le passage de l'ambassade de la Sublime Porte – le gouvernement ottoman – dans la capitale en 1669. Louis XIV goûte au nectar, mais il préfère nettement les infusions de sauge, surnommée « le thé de Grèce », très en vogue à l'époque. Louis XV et Mme du Barry apprécient le café, même s'ils aiment encore plus le chocolat, considéré comme la boisson gourmande de l'aristocratie.
Dopant de la Révolution
« Le café est beaucoup moins cher que le chocolat, développe Christian Grataloup, ce qui explique sa grande diffusion dans les milieux populaires et la naissance des fameuses maisons de café, comme on appelle à l'époque ces établissements spécialisés, qui deviendront nos bistrots. Le premier ouvre rue Mazarine, à la fin du XVIIe siècle, suivi par le café Procope, près de l'Odéon, fondé par l'Italien Francesco Procopio en 1686, qui sera fréquenté par nombre de philosophes des Lumières, comme Voltaire, Rousseau, Diderot… » De fait, le café devient vite la boisson de la Révolution française. « On peut dire que tous les ténors de 1789 étaient drogués au café, notamment pendant les réunions de la Convention, car on ne dormait pas beaucoup entre chaque débat… Et on croisait également des vendeurs de café ambulant dans les rues de Paris. »
Pourquoi le thé a mis plus de temps à s'imposer ? « Parce que les Chinois ont longtemps gardé le monopole de leurs plants, contrairement aux caféiers qui ont été importés partout, explique le professeur Grataloup. Le thé restait cher, il a fait la fortune des commerçants hollandais et anglais qui en faisaient commerce. Il faut attendre la guerre de l'opium, au XIXe siècle, pour que les Anglais mettent enfin la main sur les plants de théiers. Dès lors, ils vont produire massivement dans leurs colonies, notamment en Inde. Et inonder l'Europe de leur breuvage… ».
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