Universitaire.
«Si la critique est juste et pleine d'égards, vous lui devez des remerciements et de la déférence; si elle est juste sans égards, de la déférence sans remerciements; si elle est outrageante et injuste, le silence et l'oubli», écrivait D'Alembert.
Rached Ghannouchi croqué par le peintre Hanafi *
Le bureau de l'Assemblée nationale constituante (Anc), qui ne partage pas cette sagesse de philosophe, vient de fermement condamner toute lecture un peu trop sévère du projet de notre future constitution. Il exprime également son indignation contre l'esprit critique de mauvais aloi en la circonstance car soupçonné de vouloir «gâcher la joie du peuple tunisien», heureux d'assister à «la fin de la rédaction de la troisième et dernière mouture de la Constitution réalisée dans les délais impartis», dit une dépêche de la Tap datée du 27 avril.
Le
communiqué en question ne le dit certes pas explicitement, mais en qualifiant
de «voix discordantes»
et de «dénigrement» l'examen
critique du texte produit par les élus à l'Anc, il ouvre largement la porte aux
thuriféraires qui ne manqueront pas de trouver au brouillon de la constitution
des qualités susceptibles d'en faire l'une des meilleures lois fondamentales du
monde.
Y a-t-il
de quoi fouetter un athée ou un agnostique?
Comme
nous craignons d'être taxé de détracteur du travail colossal de l'Anc, et qui a
coûté, par ailleurs, si cher à la communauté nationale; mais comme nous ne
voulons pas non plus passer pour encenseur des hommes en place, notre tâche
sera ici bien ardue. Nous espérons, néanmoins, bien que nous ne soyons pas
juristes et que les arcanes du droit nous soient inconnus, pouvoir nous limiter
moins à une analyse, que nous souhaitons la plus objective possible, qu'à une
simple description de certains aspects du texte qui nous retient.
Notons,
tout d'abord, que Dieu ouvre le document ici analysé en citant l'expression
consacrée : «Au nom de
Dieu le Miséricordieux». Il le clôt également par une formule tout
aussi classique que l'on pourrait traduire ainsi: «Par la grâce de Dieu».
Il
faudrait sûrement être habité par un esprit de dénigrement systématique pour
voir dans l'incipit et la clausule de ce texte fondamental et officiel une
quelconque incompatibilité avec l'article 2 qui stipule que «la Tunisie est un État civil».
Seul,
également, un esprit particulièrement malveillant pourrait considérer cet
article 2 presque déplacé, voire incongru, dans ce contexte qui précise, dès le
début du 2e paragraphe du Préambule, que les «fondements» ou «valeurs» de l'islam
servent d'assise à la Constitution. Choix idéologique rappelé de nouveau à
l'article 136 qui considère : «L'islam
comme la religion de État.»
Quelle
mauvaise foi encore que de juger cet article 2, «La Tunisie est un État
civil», incompatible avec l'article 5 qui dit: «L'État protège la
religion, la liberté de croyance, la pratique des rites religieux et le sacré
comme il assure la neutralité de l'espace religieux et le soustrait à
l'instrumentalisation partisane»! A-t-on vraiment besoin de préciser de
quelle religion, de quels rites religieux et de quel sacré il s'agit? Ce qui
précède n'est-il pas suffisamment explicite pour rendre toute précision
inutile? Que le texte ne mentionne pas, à titre d'exemple, la liberté de ne pas
croire, y a-t-il vraiment de quoi fouetter un athée ou un agnostique?
Le fait
que la Déclaration des Droits de l'Homme, signée et approuvée par la Tunisie
indépendante, ne se trouve pas mentionnée dans l'actuel projet de notre Charte
nationale, ne serait-ce qu'une seule fois, ne doit nullement être invoqué comme
une façon pour le futur législateur de ne pas reconnaître la liberté de
conscience dont il est question à l'Article 18 de ladite
Déclaration: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de
conviction...»
L'une des
meilleures constitutions existantes, dites-vous?
Pour
revenir de nouveau à notre beau projet national, les constituants, dans leur
infinie sagesse, ont prévu un article, le 22e, qui énonce : «Le droit à la
vie est sacré et il ne sera permis d'y toucher que dans le cadre de la
loi.» Il faudrait certainement être réellement suspicieux pour penser que
cette disposition pourrait être invoquée à l'avenir pour interdire l'avortement!
Allons
donc, il ne viendra à l'idée de personne, dans un avenir proche ou lointain, de
remettre en question disons les dispositions si libérales inscrites dans le
Code du statut personnel ou d'abolir le droit à l'interruption légale de
grossesse !
Demandez
aux femmes iraniennes ou afghanes si elles se sentent brimées en quelque façon
que ce soit depuis l'arrivée d'un régime théocratique dans leurs pays
respectifs.
Nulle
inquiétude à se faire non plus quant au droit de grève que le
législateur «garantit» dans l'article 33. Seuls des syndicalistes
extrémistes et qui chercheraient sans doute la provocation pourraient trouver à
redire sur la suite du même article : «la loi fixera les conditions
nécessaires afin de protéger matériel, infrastructure et poursuite du
fonctionnement des services indispensables aux besoins des citoyens.»
Sans
conteste, vous exagérez un peu si vous vous appuyez sur ce paragraphe pour
déclarer qu'il y aura bientôt, dans le pays de la Révolution de la Liberté et
de la Dignité, des entraves au droit de grève.
Il est
inutile de même de se faire d'avance du mouron à propos de l'article 40 qui,
tout en garantissant les libertés d'expression, d'information et de
publication, déclare : «seule la loi pourra limiter ces libertés afin de
protéger les droits d'autrui, sa réputation, sa sécurité et sa santé.»
Comment?
Pardon? L'exercice de ces libertés vous semble conditionné? Allons! N'injurions
pas l'avenir, svp! Un peu d'optimisme ne peut pas faire de mal par les temps
qui courent !
Le
président de l'Anc est, quoique l'on pense, un homme de grande expérience en
droit constitutionnel, même s'il doit son poste actuel à un heureux accident de
l'histoire. M. Ben Jaâffar n'est-il pas, en effet, dans le civil d'abord
radiologue? Il faudrait donc se ranger à son avis éclairé quand il nous assure
qu'il nous a concocté, avec la collaboration du non moins célèbre juriste, le
sieur Habib Khedher, l'une des meilleures constitutions aujourd'hui existantes!
Un
brouillon de constitution faussement consensuel
Trêve de
plaisanterie car l'heure est grave! Triste, en effet, est le bilan présenté par
l'Anc, après plus d'un an de travail ! Que de chamailleries, houleuses
suspensions de séance et réécriture non autorisée et illégale d'articles
produits par certaines commissions et publiquement dénoncés comme non
représentatifs du travail des membres de l'Anc par certains élus dont Selma
Baccar et Noômane El Fehri à titre d'exemples, pour aboutir à ce résultat! Pour
produire un brouillon de constitution faussement consensuel et faussement
démocratique!
Dans la
réalité le parti conservateur dominant n'a cédé sur un point, exemple
la chariâa que pour mieux imposer son point de vue autrement!
Résultat, le désaveu est public et de larges couches de Tunisiens rejettent un
projet de constitution où ils ne se reconnaissent pas et qui, de l'aveu même
d'experts reconnus, s'il devait être approuvé dans l'état, qu'à Dieu ne plaise,
serait la première marche vers une dictature théocratique!
Est-ce là
une fatalité historique qui pèserait sur le monde arabe malgré un Printemps
prometteur en 2011? Sommes-nous condamnés à la régression alors que le reste du
monde ne cesse d'aller de l'avant?
Notre
destin est entre nos mains et il a pour nom la rédaction d'un Destour
réellement progressiste, démocratique et digne d'un peuple qui a réalisé le
miracle d'une révolution quasi non violente.
* Le dessin
illustre le propos de BCE qui, décrivant le régime que propose Ghannouchi, le
compare à celui des âyatollâhs en Iran : où tout part du guide spirituel
suprême ! Rôle que voudrait tenir et rêve de le tenir l'illuminé Ghannouchi !!
Le préambule en lui même est déjà une catastrophe ; Il ne mentionne pas les valeurs pour lesquelles s'est insurgé le peuple tunisien;ne met pas en valeur les objectifs pour lesquelles les tunisiens se sont unis,ne reconnait pas la déclaration universelle des droits de l'homme.Un préambule digne d'un manifeste d'un parti politique.long et anti - pédagogique ,sa place est sur les étagères.
RépondreSupprimerMieux encore ... dans les poubelles de l'histoire.
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