Des nouvelles encourageantes
nous parviennent ces temps-ci du monde musulman.
La déception qui avait suivi
le « printemps arabe » de 2011 était à la hauteur des espérances
qu’il avait suscitées. Avec ce mélange de naïveté et de suffisance si commun
chez les Occidentaux, une foule de commentateurs avait imaginé qu’il suffisait
d’organiser des élections libres pour instituer la démocratie. Une fois de
plus, une trace de culture historique aurait permis de se montrer plus
circonspect : en France, il y a 165 ans, le suffrage universel avait balayé la
République qui l’avait institué pour rétablir à sa place l’Empire. Le vote des
masses rurales arabes propulsa au pouvoir les islamistes, au grand dam des
milieux urbains et éduqués qui venaient de renverser les dictatures.
Généreusement financé par le Qatar, le réseau international des Frères
musulmans, qui fonctionnait dans l’islam sunnite un peu à la manière de l’Opus
Dei dans le monde catholique, s’organisait alors en force politique
et, grâce au vote populaire, partait à la conquête du pouvoir. Il gagnait en
Egypte, en Tunisie sous la forme du parti Ennahda, tandis qu’en
Turquie, le gouvernement Erdogan cachait de moins en moins sa proximité avec
l’idéologie « frériste ». Majoritaires dans les assemblées et maîtres
des gouvernements, les Frères musulmans affichaient une bienveillante tolérance
envers les groupes extrémistes de l’Islam radical, salafistes et djihadistes, à
qui ils semblaient même déléguer les basses œuvres, agressions contre les
minorités religieuses, spécialement chrétiennes, ou assassinats politiques
d’opposants à leur progressive mainmise, en particulier laïques. Ceux qui
avaient applaudi à l’heure des journées révolutionnaires assistaient, atterrés,
aux prodromes d’un général retour en arrière, sur fond de bigoterie et
d’obscurantisme proclamé.
Or, tout a basculé dans la seconde
moitié de 2013. Il y a eu en Egypte le coup de force militaire, dont nous avons
ici même tenté de montrer les côtés positifs au-delà du malaise que produit,
chez tout démocrate, le pouvoir toujours brutal d’une armée. Aussi déplaisant
soit-il, ce dernier, en Egypte, disqualifiait tant une entreprise de mainmise
progressive sur tous les organes de l’Etat qu’une idéologie dont (on l’oublie
trop souvent) la finalité est un projet messianique de califat universel régi
par la charia.
Le renversement du pouvoir
islamique au Caire, bénéficiant visiblement d’un important soutien dans
l’opinion, allait rendre courage à tous ceux qui, dans le monde musulman, ne
souhaitaient pas la dérive islamiste. A Tunis, le pouvoir de Ennahda se
trouvait contesté, le projet de constitution insidieusement fondé sur les
valeurs islamistes réactionnaires était remis en cause. En Turquie, une fronde
se manifestait contre la réislamisation rampante impulsée par le régime
Erdogan. Un vent nouveau se levait.
En ce début 2014, il y a de
nouveau des raisons d’espérer. La rédaction de la constitution tunisienne
marque le retour au principe de laïcité introduit dès l’indépendance par Habib
Bourguiba. Plus de référence à l’islam autre que la reconnaissance du fait que
c’est la religion du pays, renoncement à tout fondement religieux du droit,
affirmation de la totale égalité entre « citoyens et citoyennes » et
parité hommes-femmes, garantie des libertés d’opinion, de pensée, d’expression,
d’information et d’édition. Face à l’idéologie rétrograde des Frères se sont
dressées, unis dans la modernité, la puissante centrale syndicale UGTT et
l’organisation patronale UTICA. L’obscurantisme a reculé.
Or, ces événements ont
coïncidé avec d’autres, moins spectaculaires mais tout aussi révélateurs. Au
Qatar, l’abdication de l’émir Hamad Al-Thani et son remplacement par son fils
Tamim a entraîné une certaine prise de distance à l’égard des Frères musulmans,
la chaîne de télévision Al-Jazira (jusqu’alors vecteur de
l’idéologie « frériste ») a changé de ton et il est fort probable que
le nouveau pouvoir fait preuve d’une moindre générosité financière. Aux Emirats
arabes unis, le parti Islah, émanation de la confrérie, s’est vu
accusé de menées subversives. En Turquie, l’autorité d’Erdogan est très menacée
et même s’il s’agit essentiellement d’un conflit entre islamistes, (le
gouvernement turc s’est brouillé avec la confrérie Gülen, dont les positions
sont plus mesurées puisqu’elle accepte la laïcité dans la mesure où celle-ci
n’est pas antireligieuse), il témoigne du désaveu d’une politique de retour en
arrière.
Des lueurs apparaissent donc
dans la nuit que la résurgence religieuse avait fait tomber sur le monde de
tradition musulmane. Certes, elle ne font pas encore le jour : au Moyen-orient
mûrit une guerre de religion entre les deux confessions de l’Islam, sunnisme et
chiisme, dont l’épicentre est actuellement en Syrie et qui ensanglante
également le Liban et l’Irak ; le djihadisme gangrène l’Afrique sahélienne ; le
wahhabisme conserve droit de cité en Arabie Saoudite mais même là, de timides
signes sont encourageants et montrent que quelque chose bouge.
Le problème, c’est que la
dichotomie entre une société urbaine ouverte à la modernité et un peuple rural
encore attardé dans un Moyen-âge culturel ne sera dépassée que par l’école.
Entendons par là l’éveil des consciences et non l’abrutissement qu’entretient
le rabâchage des écoles coraniques chères à la confrérie des Frères musulmans…
La capacité de résilience dont a fait preuve la population tunisienne doit
énormément à la politique de scolarisation de l’époque bourguibienne, qui a
porté ses fruits. Sans cette entreprise d’instruction généralisée, il n’est pas
de démocratie possible, ce qu’avaient si bien compris, il y a un siècle et
demi, les républicains français. Ce n’est pas pour rien que les talibans
afghans s’en prennent particulièrement aux écoles, en particulier quand elles
prétendent instruire les filles.
Le devoir des démocrates, en
Occident ou ailleurs, est de soutenir et d’encourager ceux qui se battent dans
le monde arabe, en Turquie, en Iran, au Pakistan, contre l’oppression
religieuse. Chacun est libre de croire et de penser ce qu’il entend, mais nul,
ni individu, ni groupe, ni Etat n’a le droit d’imposer une parole univoque et
d’obliger la société à s’y soumettre. Ce qui était vrai contre les
totalitarismes politiques l’est plus encore face à l’intolérance religieuse.
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