Le manque
de compétence linguistique des jeunes ne favorise pas l'ouverture du pays à la
mondialisation
Journaliste économique
Parce
qu'il est mal maîtrisé et peu adapté aux relations commerciales avec l'Europe,
l'arabe classique, imposé dans l'enseignement, freine l'insertion
professionnelle des jeunes diplômés.
Comme
une évidence. Leur indépendance acquise, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie ont
choisi d'arabiser leur enseignement pour contrebalancer l'acculturation imposée
par l'ancienne puissance coloniale. Tous ont fait de l'arabe classique
- qu'il ne faut pas confondre avec les dialectes souvent utilisés dans la
vie courante - leur langue officielle.
Faibles en français... et en arabe
Un
demi-siècle plus tard, les experts dénoncent fermement les dégâts de cette
politique à marche forcée. Au moment où le chômage des jeunes atteint un niveau
record, et alors que le français demeure une langue prépondérante dans le
milieu des affaires au Maghreb, cette situation pénalise principalement les
diplômés de l'enseignement supérieur."Une réforme de l'éducation est
indispensable. Nous n'arrivons pas à sortir de cette transition entamée depuis
l'indépendance", note avec dépit Farouk Moukah, directeur général de
l'Institut international de management (Insim) d'Alger. Et d'ajouter : "En
fin de cycle universitaire, de nombreux diplômés sont faibles en français et en
arabe. Ce qui réduit leurs chances d'embauche."
"nilingues"
Le
phénomène a pris tellement d'ampleur qu'on qualifie désormais ces étudiants de
"nilingues". "La faiblesse en langue des nouvelles générations
est un gros problème en Algérie. Ce manque de compétence linguistique ne
favorise pas l'ouverture du pays à la mondialisation", déplore Mohamed
Benrabah, professeur de linguistique anglaise à l'université
Stendhal-Grenoble 3 (France).
Devenu
une langue étrangère à part entière, le français est enseigné à partir de la
troisième année de primaire à raison de trois heures par semaine et de cinq heures
l'année suivante. Les matières scientifiques sont également étudiées en arabe.
Ce qui limite le champ de recherche des étudiants à l'université, car une
grande partie des ouvrages de référence ne sont disponibles qu'en français ou
en anglais. Faut-il y voir une conséquence directe? Seulement 20 % des
étudiants valident leur première année dans les facultés de sciences.
Au
Maroc, l'arabisation - imposée dans le primaire puis le secondaire à
partir des années 1980 - fait aussi débat. Son bilan est pourtant moins
dramatique qu'en Algérie, où la guerre d'indépendance a provoqué un repli
idéologique vers l'arabe. Sans parler des effets positifs de la présence
importante des écoles de la Mission laïque française et du poids du secteur
touristique dans l'économie.
Grand malaise
"Je
ne vois pas l'intérêt d'enseigner en arabe à l'université. Cela ne prépare pas
au monde du travail. Nous demandons un retour à la francisation depuis
2004", déclare néanmoins Asmae Benthami, professeure à la Faculté des
sciences juridiques, économiques et sociales, à Salé, dépendant de l'université
Mohammed V-Souissi de Rabat. "Personne n'ose dire qu'il faut revenir
à un enseignement bilingue, voire trilingue, si on veut que les étudiants
puissent suivre leurs cours en anglais ou en français à l'université",
renchérit Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations
internationales.
Pour
Karim Bernoussi, PDG d'Intelcia, société marocaine spécialisée dans
l'outsourcing (externalisation), "le système éducatif marocain vit un
grand malaise, dû aux multiples réformes non abouties. Et l'arabisation a eu un
impact très négatif".
Mieux
lotie que ses voisins, la Tunisie bénéficie d'un système d'enseignement
bilingue où le français n'a jamais réellement disparu. "La Tunisie est le
pays qui a le mieux conduit son arabisation, car celle-ci y a été conçue et
réalisée dans un cadre de bilinguisme arabe-français et dans un esprit de
valorisation du passé et d'ouverture au monde moderne et laïc", estime le
Français Gilbert Grandguillaume, anthropologue et spécialiste du Maghreb et du
monde arabe. Mais, là encore, pas de miracle, la langue française est de moins
en moins bien maîtrisée, selon un rapport publié en 2010 par l'Organisation
internationale de la francophonie.
Il ne s'agit pas de remettre en cause l'arabisation au Maghreb,
mais de réinsérer ce mouvement dans un cadre de multilinguisme et d'échanges.
"Certes, le niveau des étudiants a baissé, mais cela est dû à des réformes
désordonnées et incohérentes", nuance Grandguillaume.Réformes désordonnées
Face à
l'incurie du système public, on assiste depuis une décennie à un développement
important de l'enseignement privé dans tous les pays du Maghreb.
Voie royale
Au
Maroc, de plus en plus d'établissements privés préparent par exemple au
baccalauréat français, qui reste la voie royale pour être ensuite admis dans
les meilleures écoles de commerce ou d'ingénieur du royaume. Mais avec des
frais de scolarité dépassant souvent 1 000 euros par an, ces formations
demeurent réservées aux classes moyennes et supérieures, accroissant ainsi les
inégalités.
De
fait, la maîtrise du français est devenue un véritable marqueur social,
laissant sur la touche une grande partie de la jeunesse. Même si le débat
existe, aucune décision politique pour rectifier cette situation n'est à
l'ordre du jour au Maghreb. À terme, "c'est même l'anglais qui pourrait
surpasser l'apprentissage du français", s'inquiète Mohamed Benrabah.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire