J’y suis, j’y reste quoiqu’il advienne! C’est en ces termes que
semble s’adresser le parti Ennahdha à tous ceux qui ont naïvement cru lui ravir
par la diplomatie un pouvoir souverain qu’il pense avoir acquis de haute lutte.
Quand il n’avait qu’une chance sur un milliard de renverser Bourguiba, le grand
Bourguiba, le parti des aventuriers l’a prise. Maintenant que ce parti est au
pouvoir, un peu par la grâce de Dieu mais beaucoup parce que de braves libéraux
n’ont pas été suffisamment prévenants, il se prévaut de la vox populi : « Nous
sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des
baïonnettes ». Ce défi qu’a lancé Mirabeau au maître des cérémonies
du roi Louis XVI venu, naïvement lui aussi, déloger le tiers-état de la salle de
l’Hôtel des Menus Plaisirs est repris par les maîtres-chanteurs qui ont
transformé la salle du Trône du Palais du Bardo en un souk hebdomadaire.
C’est
dire si Ennahdha n’a pas trahi la volonté du peuple. Aussitôt au pouvoir,
le parti démantèle l’Instance Supérieure Indépendante des Elections. Il
prolonge le mandat de l’Assemblée Nationale Constituante au-delà de son terme
légal. A ce jour, le pays est sans constitution et nul ne sait quand auront
lieu les prochaines élections et selon quelles modalités. C’est cela le vrai
pronunciamiento.
Du coup,
en daignant engager des pourparlers en vue de former un énième gouvernement non
affilié politiquement, le parti des usurpateurs passe pour raisonnable et
modéré, disposé au compromis. Il faut le dire, Ennahdha n’a jamais voulu
de ce Dialogue National. Il l’a obstinément refusé avant qu’il n’y soit
forcé par l’opposition, la rue, et les diplomates. Au grand bonheur des
sceptiques, Ennahdha s’est montré effrontément de mauvaise foi. Le parti-des-mille-
et-une-positions- à- la-fois fait délibérément de l’obstruction, louvoie
et manœuvre, éreinte le Quartet, divise les partis participants, laisse faire
et s’entête, se décide et se ravise. A chaque round, Ennahdha gagne une
position et ses adversaires reculent d’une case. De guerre lasse, le front du
refus se fissure, les partis se brouillent et le piège se referme sur un
Quartet qu’on a eu tort de prendre pour un carré d’as.
Pour
imposer son candidat au poste de premier ministre, Ennahdha joue quitte ou
double, le tout pour le tout. C’est à croire qu’Ennahdha veut pour de bon se
faire renverser par la force! Auquel cas, les médias internationaux compatiront
à la souffrance des réprouvés, les ONG intercéderont et les pays d’accueil
renouvelleront les cartes de séjour de ces réfugiés prévenants qui n’ont
jamais organisé leur retour définitif en Tunisie, un pays qu’ils auront
finalement gouverné un temps en voyageurs de commerce. Autant dire, le
pays est soumis à un chantage insolent : Ennahdha au pouvoir quel qu’en soit le
prix ou le désordre. Que faire ? Résister et patienter. L’opposition le fait
depuis longtemps. Et alerter les pays occidentaux sur leur propre
inconséquence. Abdewahab Meddeb l’a fait sur ces mêmes colonnes. Il reste
à savoir pourquoi Ennahdha est un parti irrationnel qui n’a peur ni du chaos ni
d’un coup d’Etat. Vivre dans le souvenir épique qu’on a gagné les premières et
peut-être les dernières élections post-autoritaires vaut mille fois mieux que
de se laisser aller à la routine, gagner les élections, les perdre et puis de
nouveau les regagner ; en somme se résoudre à l’idée que l’histoire n’a pas de
sens. Seuls cette attente millénariste et le gout de la violence politique
expliquent l’entêtement d’Ennahdha.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire